Il y a 700 ans, la mort de Louis X préfigurait la querelle salique
Le 5 juin 1316, la mort de Louis X préfigurait la querelle salique
Après un règne bref, de moins de dix mois, et assez peu marquant, Lous X s’éteignit, le 5 juin 1316, sans héritier mâle, mettant ainsi fin au « miracle capétien » trois fois séculaire.
Aucune loi, aucune coutume n’interdisaient alors à une femme d’hériter la couronne. Simplement, la question en s’était jamais posée jusque là.
Or Louis laissait une fille, Jeanne, née en 1311. L’examen attentif de l’état d’esprit dominant dans l’entourage royal, bien qu’ému par cette situation nouvelle, tendait à considérer que le trône serait naturellement revenu à la jeune princesse si un doute très lourd n’avait alors pesé sur sa filiation. En effet, sa mère, Marguerite de Bourgogne, épouse infidèle, était morte l’année précédent dans sa prison de Château-Gaillard et beaucoup estimaient que sa fille Jeanne était peut-être celle de son amant, Gautier d’Aunay. Le père de Louis X, Philippe IV le Bel, avait vu le danger pour la légitimité de sa descendance. Mais il était mort trop tôt pour élaborer et pour faire approuver une règle stable de dévolution successorale à la préparation de laquelle il avait passé ses dernières années à réfléchir.
Le bât blessait seulement au titre de ce risque d’accusation de bâtardise et nullement à celui du sexe de l’héritier du trône. Deux fois déjà dans l’histoire de France, une femme avait, par régence, exercé la plus haute autorité de l’État et le royaume s’en était plutôt bien trouvé. Ainsi, de 1060 à 1067, la blondinette Anne de Kiev, veuve d’Henri Ier et mère de Philippe Ier, avait su agrandir le domaine royal dans la paix, développer les arts et l’agriculture, tout en tenant tête aux grands féodaux. Ainsi également, de 1226 à, officiellement, 1239 et, de fait 1254, Blanche de Castille fut le véritable administrateur du royaume pour le compte de son fils Louis IX. Certes, la préférence, à l’époque féodale, penchait vers les hommes pour diriger une communauté, comme une armée, mais l’idée d’en exclure les femmes était totalement hors de propos.
N’oublions pas que le sexisme était beaucoup moins répandu durant l’Ancien Régime qu’au cours des époques ultérieures et que c’est la Révolution et l’Empire – il suffit de relire le Code civil initial pour s’en persuader – qui introduisirent le mépris, et la peur, de la femme à tous les échelons de la société.
Il ne paraissait donc nullement anormal en 1316 de franchir une étape supplémentaire par le couronnement de Jeanne, la régence pouvant être assurée jusqu’à sa majorité, à treize ans révolus, par son oncle Philippe de Poitiers. Personne n’avait jamais entendu parler d’une quelconque « loi salique ».
Mais Louis, persuadé pour lui-même de la naissance adultérine de Jeanne, avait voulu se remarier avec une princesse en état de lui donner, au mieux un fils, au moins une fille légitime. Sa nouvelle épouse, depuis le 24 août 1315, Clémence de Hongrie, était enceinte lorsqu’il mourut.
Les barons du royaume, assemblés par Philippe de Poitiers pour examiner la situation décidèrent d’attendre l’accouchement de la reine. Si celle-ci donnait naissance à un garçon, il serait proclamé roi de France par une nouvelle assemblée et Philippe régent. Si c’était une fille, cette même assemblée déciderait à qui, d’elle ou de Jeanne, devait revenir la couronne. La possibilité d’une succession au trône par les femmes demeurait donc une option parfaitement acceptée.
Le 14 novembre 1316, Clémence accoucha d’un petit Jean. On crut restaurer le miracle capétien. Mais l’enfant mourut cinq jours plus tard. Il n’empêche que Jean Ier, dit le posthume, avait régné. Il s’agissait donc maintenant de sa succession. En l’absence de toute disposition relative au décès du fils de Louis X, Philippe de Poitiers s’estima libéré de son engagement et, avec le soutien des grands du royaume, il procéda à ce qu’il faut bien appeler un coup d’État. D’ailleurs prémédité : avant même la naissance de Jean, il avait commandé un sceau royal à son effigie.
Dès la fin novembre, il prit le titre de roi et se hâta de faire organiser son sacre à Reims, qu’on célébra le 9 janvier 1317.
La mort de Jean fit murmurer le peuple. Elle arrangeait trop bien les affaires de Philippe V le Long et s’intégrait trop naturellement dans sa stratégie de conquête du pouvoir. On parla d’empoisonnement mais aussi de substitution d’enfant et de survie en secret exil : les deux mamelles de la fantasmagorie monarchiste. Elles inspirèrent, comme toutes ces péripéties, Maurice Druon pour ses Rois maudits.
Au lendemain de son sacre, Philippe V s’avisa de border juridiquement son coup de force : le royaume de France restait un État de droit. Il requit à cet effet le concours de l’Université de Paris et réunit, en février, une assemblée de prélats, de barons et de grands bourgeois qui approuvèrent solennellement son attitude. Emportés par leur élan, ils tirèrent d’eux-mêmes, sans en rechercher le fondement juridique qui, de toute façon, n’existait pas, la règle, sous forme de déclaration, que « femme ne succède pas à la couronne de France. »
Ironie du destin : à sa mort, le 3 janvier 1322, Philippe V laissait quatre filles mais aucun garçon : son fils, né en 1316, n’avait vécu que sept mois. Son frère, Charles de la Marche, lui succéda sous le nom de Charles IV. Au décès de celui-ci, le premier février 1328, l’histoire adressa un nouveau clin d’œil aux Capétiens en reproduisant une situation identique à celle de 1316 : le roi laissait une fille de deux ans et une reine enceinte de sept mois. Mais Charles IV avait arrêté des dispositions : si son enfant posthume était un fils, il règnerait sous la régence de son cousin, le comte de Valois. Si c’était une fille, une nouvelle assemblée de dignitaires choisirait pour monarque celui dont le droit leur paraîtrait le mieux établi. L’histoire se répétait et cherchait une sortie dans le brouillard. À suivre donc …
Daniel de Montplaisir