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Histoire du « don », par Paul-Raymond du Lac

Autour de « Histoire du don (贈与の歴史学) » au Japon de Eiji Sakurai (Chuko shinsho, 2017).

Ce livre est d’un grand intérêt pour comprendre le fonctionnement naturel de la société et des hommes, de nature sociale, avec les « techniques » naturelles de l’ordre permettant d’éviter les brisures d’harmonie et les guerres au sein mêmes des sociétés.

Pour un français du XXIe siècle, vivant en dissociété et ne connaissant plus l’économie naturelle de la société organique se fondant sur le groupe et la hiérarchie, les enseignements sont nombreux.

Ils sont d’autant plus nombreux que l’exemple japonais met aussi en relief le caractère chrétien, en creux, de cette loi naturelle sublimée par la Foi.

Eiji Sakurai, spécialiste du Moyen-âge japonais, rappelle d’abord les études de Mauss et Cordelier sur les dons, par la distinction des quatre sortes d’obligations sociales se fondant sur le don :

1 Le devoir d’offrir un don

2 Le devoir de recevoir un don

3 Le devoir de faire un contre-don

4 Le devoir d’offrir aux représentant du cultes ou aux dieux (sacrifice).

Le don n’est en effet jamais gratuit en justice naturelle : il sous-entend une dette, et il matérialise un lien social, soit hiérarchique, soit de pair à pair.

Le don et contre-don institutionnalisés en coutume permettent de réguler les relations sociales en matérialisant et formalisant l’échelle des dettes, leur contenu, et leur « temps » (quand donner et rendre). Il permet de matérialiser les devoirs sociaux réciproques et de contenir ainsi les « points d’honneur » ou les vengeances dues à des blessures d’orgueil.

J’insiste : ce don et contre-don naturels ne sont pas la courtoisie ni la charité libérale. Ils impliquent au contraire des obligations coutumières fortes, qui, si elles ne sont pas respectées, vous disqualifient dans telle société, et peut causer de graves troubles, voire des guerres.

Le sacrifice fait parti de cette économie du don : on rend à Dieu ce qui lui est dû, et Dieu nous donne sa bénédiction.

Le sujet paie tribut au souverain, qui le dirige et lui donne la paix et l’ordre. Seigneur et vassal, maître et esclave, nobles entre eux, famille et belle-famille (dot, etc) : tout lien social se matérialise dans ces échanges de dons et contre-dons dans les sociétés traditionnelles.

Le Japon possède des particularités quant à cette économie du don, en l’ayant poussée à un degré de formalisme et d’utilitarisme extrême.

Pas de libéralité ni de « bon cœur » : tout don dans toute situation est décidé par la coutume et obligatoire, et gare à celui qui ne respecte pas la règle. C’est une sorte « d’étiquette » du don généralisée.

Que cela veut-il dire en pratique : ces systèmes de don et contre-don matérialisent la relation et permettent d’extérioriser la relation sociale, en « l’objectivant ». La morale disparaît en un sens : on peut avoir fait de gros crimes, mais tant qu’on paie son tribut, on sera tranquille, tant qu’on donne ce qu’il faut et arrose ses clients, tout va bien, tant qu’on offre un présent en hommage à l’empereur, tout va bien.

Une règle d’or se met en place : l’équivalence absolu du don. Pourquoi ? Pour éviter que des dettes restent. Car un don déséquilibré signifie la création d’une dette sur la personne, et la dette peut être réclamée, créant du désordre et des déséquilibres. A l’extrême, la dette peut conduire à la dépendance voire à la mise en esclavage – et cela arrive en pratique au Japon.

Alors, à tel don, il faut rendre dans un certain temps imparti l’équivalent du don coûte que coûte.

La balance doit toujours rester à 0, car sinon ce sera l’occasion d’être à la « merci » d’autrui, et en monde païen, il ne fait pas bon d’être à la merci d’autrui.

Inversement, les dons étant fixés par la coutume, il est presque « interdit » de faire des dons superfétatoires, d’être « libéral », ce qui cacherait une intention de créer des dettes sur autrui, et pourrait être vu comme une attaque.

Le puissant est ainsi le riche, et le vertueux (有徳人). Pourquoi ? Car il peut donner beaucoup, donc créer beaucoup de liens de dépendance, et se permettre de rendre beaucoup aussi (et donc de garder la balance à 0 avec les plus grands que lui, et ne pas contracter de dettes).

Le formalisme va si loin qu’il existait même des récépissés de don prouvant qu’on avait donné tant, et donnant droit, en justice, de réclamer le contre-don avec ce certificat…

Le formalisme prend des dimensions si énormes qu’on en arrive à des absurdités manifestes : en 1477 l’empereur, fauché, doit donner une épée au généralissime pour fêter la pacification du royaume. Or il n’en a pas : alors il « emprunte » au généralissime une épée et l’empereur lui re-donne en retour, comme cadeau de célébration… Il rend de plus une autre épée, que le généralissime lui avait offert en tribut, afin de laver la dette de l’emprunt de la première épée. En pratique : deux épées partent de chez le généralissime pour y revenir.

Toute cette économie du don et contre-don est de droit naturel, et nécessaire pour le fonctionnement d’une société, mais sans la charité chrétienne, elle a tendance à devenir artificielle et formaliste.

Seule la charité chrétienne, sans nier cette justice naturelle, vient sublimer ce lien en mettant Dieu dans la balance.


Car seul Dieu peut « surnaturaliser (en mettant dans la balance des biens surnaturels) » le rapport de dette matérielle créé parmi les hommes, et peut ainsi s’intégrer à tout lien entre hommes comme troisième terme, et permettre la véritable gratuité du « don sans retour » et du « don non obligatoire et libéral ». Cet esprit est encore vivace en France, du fait de notre histoire chrétienne, mais pas du tout existante en terre païenne.

La grille d’analyse du don et contre-don est puissante pour mieux comprendre certaines conséquences de la modernité : l’état socialiste donnant l’argent qu’il ne possède pas augmente indéfiniment la dette sur les individus, sans groupe constitué pouvant les venger, et les rend peu à peu esclaves.

Vivement le retour du roi très Chrétien, pour une économie du don naturelle et chrétienne, pour une justice miséricordieuse et intransigeante.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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