François-Henri de Bourbon et le schisme sévillan
Pour la légitimité en 1883, à la mort d’Henri V, comte de Chambord, nul ne doute que les descendants de don Carlos V d’Espagne, ce frère du très libéral Ferdinand VII, ne soient pas les héritiers au trône de France. Et il importe peu que le comte de Paris, Philippe VII d’Orléans, revendique également ses droits à la couronne. Mais à la fin de ce XIXème siècle, légitimisme et orléanisme vont devoir affronter un troisième courant inattendu. Une minorité de légitimistes ne reconnaît plus les droits au trône de Charles XI de Bourbon. C’est le schisme sévillan !
Du duc de Madrid, Henri d’Artois, avait dit qu’il était de ces princes « taillés dans le bois dont on fait les grands rois » veillant particulièrement à son éducation. Charles de Bourbon fera pourtant peu d’empressement à revendiquer ce trône de France dont il a hérité, lui qui avait été brièvement un roi d’Espagne sous le nom de Carlos VII durant la troisième guerre carliste (1872-1876). D’ailleurs n’avait-il pas écrit à son représentant en Espagne, le 3 septembre 1883, « cette force des liens indissolubles qui l’attachaient sa chère Espagne, à elle seule à qui il appartenait et pour toujours » !?
Pourtant, il avait balayé toute idée de renonciation au trône de France et avait renvoyé poliment les envoyés du comte de Paris à la veille de l’enterrement d’Henri V, venus le sonder discrètement sur ce sujet. La succession ennuie suffisamment la république pour que le ministre Waldeck -Rousseau commande alors une enquête sur les mouvements monarchistes, craignant qu’une nouvelle tentative de fusion ne menaça les institutions en place. Le boulangisme n’allait pas tarder à entrer en action et avec lui, monarchistes comme bonapartistes allaient soutenir en vain le « Général revanche ».
Alors que la République fête le centenaire de la révolution française, Charles XI de Bourbon nomme le tonitruant Henri de Valori, son représentant officiel en France. Issu d’une famille d’origine italo-provençale, l’homme s’est surtout caractérisé par l’édition de livres à petit succès, orientés sur le catholicisme ou la légitimité. Croyant et monarchiste, de Valori l’était. Il n’hésite cependant pas à railler ce Pape qui suggère fortement aux monarchistes de rallier la république. Charles de Bourbon apprécie peu cette sortie politique de son représentant et se croit obligé de le désavouer immédiatement. L’antagonisme entre le prince Bourbon et son représentant va s’accentuer quand le premier lance son champion contre le comte de Paris qui revendique alors les armes de France. Le 23 Mai 1892, Charles XI avait protesté contre ce qu’il appelait « l’usurpation des pleines armes de France par la branche des Orléans (..) » Un combat qui allait en préfigurer un autre, un siècle plus tard.
Peine perdue, le comte de Paris ne renonce à rien. Enfin, il y a l’affaire Naundorff qui va précipiter la chute de Valori. Ce dernier affirme à qui veut l’entendre que le prétendant au trône semble émettre peu de doutes sur les revendications saugrenues de ce Louis-Charles de Bourbon et dont le père affirmait être le dauphin Louis XVII dont la mort au Temple restait un mystère. S’il est un fait que le duc de Madrid s’intéressa à cette affaire de près, le manque de preuves apportées par les partisans de Naundorff acheva de le convaincre que Karl-Wilhelm Naundorff n’était qu’un vil imposteur. Et d’authentifier le petit cœur du dauphin retrouvé, conservé par le docteur Pelletan et qui sera remis à son secrétaire, Urbain de Maillé.
Henri de Valori est congédié et Charles de Bourbon lui retire toute accréditation officielle le 20 juillet 1892. Avec le conflit avec le prétendant, s’ajoute une rancune tenace de Valori à Urbain de Maillé…qui prendra sa place. Toute cette coterie autour du prince nuit à la légitimité qui se déchire autour du cas Naundorff. Henri de Valori se répand en calomnies et publiera un article dans la « Nouvelle » revue au titre évocateur : « François de Bourbon, duc d’Anjou ».
En un trait de plume, Henri de Valori présente aux monarchistes déçus de l’inaction de Charles de Bourbon, un nouveau prétendant. François de Paule de Bourbon (Francisco de Paula de Borbón y Castellví) est né à Toulouse le 29 mars 1853, français par droit du sol. C’est un cadet de la famille royale d’Espagne, un cousin germain d’Alphonse XII. Son père, le duc de Séville, fut assez atypique et marqua les esprits en 1848 en appelant les espagnols à se soulever alors que Paris détrônait au même moment le Roi Louis-Philippe Ier d’Orléans. Entre de multiples pardons et autres intrigues éphémères au côté du prince Antoine d’Orléans- Montpensier qui complote pour obtenir le trône de Madrid, le duc de Séville se veut résolument révolutionnaire. François de Paule de Bourbon est issu du mariage morganatique entre son père et d’Elena María de Castellví y Shelly et de facto a été exclu de la succession au trône. Un prétendant parfait pour de Valori. Il est français et respecte les conditions du traité d’Utrecht qui stipule qu’un prince Bourbon ne peut régner à la fois sur deux couronnes. Le jeune duc de Séville a d’ailleurs été sensible aux arguments que lui présente de Valori le 30 juillet 1894 dans un brillant raccourci juridique.
Lors de la chute de la monarchie qui provoque la fuite d’Isabelle II (1868), le jeune prince avait proposé ses services au duc de Madrid, don Carlos et reçu le commandement d’un régiment qui allait s’illustrer à Alcora en 1873. Rallié finalement à Alphonse XII, ce dernier lui confiera en retour le poste de général de brigade en 1875 à Cuba avant d’être nommé à l’infanterie à Saragosse puis enfin dans la cavalerie à Madrid avant de se voir nommer général de division en 1891. Autant dire que Charles de Bourbon n’avait pas apprécié cet opportunisme politique.
Voilà donc la légitimité couronnée d’un nouveau prince sous le nom de François III et qui se pare du titre de duc d’Anjou. Le 16 septembre 1894, le nouveau prétendant écrit « (…) qu’il plie le drapeau d’Henri IV avec honneur, respectant les lois françaises et espagnoles, et saluant la France heureuse et tranquille avec sa République ». Etrange manifeste d’un prince qui reconnaît la primauté de la République sur l’héritage d’Henri IV. Une douzaine de jours, il tente de contacter Charles XI et son fils, leur enjoignant de se déclarer prétendants au trône de France. A ce quoi, il s’engageait lui-même à renoncer à ses propres prétentions. Il ne reçut aucune réponse de la part des deux princes Bourbons. D’ailleurs, Charles XI finit par déclarer le 17 Juillet 1895 « (…) que la candidature de Don François de Bourbon ne méritait pas d’être discutée (…) ».
Le schisme sévillan attire un certain nombre de monarchistes. Des déçus du légitimisme aux aventuriers, en passant par les perdus de cette cause. A cette époque, ce terme n’est pas utilisé. Cette expression est née de deux écrivains à la sensibilité légitimistes, Stéphane Rials (Que sais-je ? Le Légitimisme) et Stéphane Drouin (1983. Les non ralliés deux fois : les blancs d’Espagne de 1883 à nos jours –1997). François de Bourbon, élu député de Barcelone en avril 1896, décide de s’affirmer et attaque au tribunal le 7 juin suivant le duc d’Orléans pour « usurpation d’armes de France ». Il perdra l’affaire.
De Valori s’épuise et meurt subitement le 17 février 1898. Et avec lui les prétentions du prince. Le sévillanisme survit faiblement à son fondateur. Le prince François de Bourbon sera même incarcéré sur ordre de la régente Marie-Christine de Habsbourg- Lorraine qui voyait en lui un danger pour son pouvoir.
Le prince finira gouverneur des Baléares alors que la première guerre mondiale éclate. Ironie de l’histoire, Alphonse XIII le fera entrer au Conseil de guerre et de la Marine en 1917. Une décoration de la Toison d’or plus tard, la république tombe en 1931, il est autorisé à rester en Espagne. Lors de la guerre entre nationalistes et républicains, plusieurs de ses enfants et petits-enfants seront fusillés par ces derniers. Il se réfugiera alors à l’ambassade du Chili avec sa seconde épouse afin d’échapper à ce massacre. La chute de Madrid en 1939 sauvera le Prince d’une mort certaine.
Mais qui le rattrapera naturellement le 28 mars 1942.
Le mouvement sévillaniste survivra jusqu’en 1910 avec en 1903 la création d’un « Comité national du grand parti royal de France ». Une presse se développa même avec « La Royauté nationale » (1903-1904) ou « l’Union Nouvelle » (1904-1909). Un dernier Comité dit « Charles X » fut fondé (et dirigé par André Yvert 1895-1975) et placé sous le haut patronage du duc de Séville François de Bourbon, peu après la seconde guerre mondiale mais qui connut une vie toute aussi éphémère tant le duc ne se sentait pas concerné par cette prétention.
La légitimité pouvait retrouver son unité jusqu’au prochain schisme dans les années 1980 avec cette fois un prince de Parme. Mais ceci est encore une autre histoire.
Frédéric de Natal
Armoiries des ducs de Séville