Histoire

[Exclusif] Louis XIV par H. Pinoteau, F. Bouscau, D. de Montplaisir et J.-F. Warlin (2/3)

Nous voici le 1er septembre 2015, séparés précisément par trois siècles de la mort d’un homme célèbre dans le monde entier depuis autant d’années. C’était bien sûr un roi de France, plus d’un demi-siècle de règne fut assez pour vivre le pire… Et le meilleur. Professeurs, historiens, auteurs, mais aussi un chirurgien et un chef cuisinier : douze témoins ont accepté de résumer Louis XIV en quelques lignes inédites qui répondent à la question : « Que représente Louis XIV à vos yeux ? ». Dans cette deuxième partie : Hervé Pinoteau, Franck Bouscau, Daniel de Montplaisir et Jean-Fred Warlin.

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Louis XIV fut certes un grand roi et on le nomma Louis le Grand de son vivant. Il fut le souverain du royaume le plus peuplé d’Europe. Roi fastueux, modèle de ses frères en souveraineté, mais, trop longtemps il mena une vie guère chaste et contraire à la tradition catholique ; il viola aussi plus d’une fois les Lois fondamentales du royaume (affaires de la Lorraine, la légitimation de ses bâtards, expulsion de la dynastie française de Philippe V d’Espagne…). Il assura lui-même l’ordre dans les affaires religieuses de l’État. La révocation de l’édit de Nantes et ce qui s’en suivit donna plus d’unité au royaume tout en créant des situations pénibles à beaucoup de Français. Avant cette révocation, le roi avait décidé que les médecins, les chirurgiens et les sages-femmes ne pouvaient plus pratiquer leur métier en gardant leur Religion prétendue réformée. C’est ainsi que mes aïeux charentais, de plusieurs générations de chirurgiens furent obligés de revenir à la Religion catholique, apostolique et romaine. Merci Louis XIV et « Deo gratias » !

Je tiens à souligner que le Roi Soleil avait pour devise un soleil rayonnant (le corps de la devise), et les mots Nec pluribus impar (l’esprit de la devise). Or une religieuse qui devint ultérieurement sainte Marguerite-Marie Alacoque, fit savoir au roi qu’il devait consacrer le royaume au Sacré Cœur de Jésus. Et cette religieuse assurait que le roi était bien « fils du Sacré Cœur » et qu’il devait donc remplacer le soleil sur les armes de guerre, canons, etc. (il ne s’agissait donc pas là d’armoiries !). On était alors en en juin 1689 et la guerre commençait entre les Français et une ligue dangereuse. C’est à l’orée de cette guerre que la sœur demanda à Louis XIV d’abandonner son soleil pour le remplacer par le Cœur de Jésus. Ce message était donc un texte de guerrier et saint Louis-Marie Grignion de Montfort, qui connaissait l’affaire par des religieuses en connexion avec Paray-le-Monial, fit comprendre l’aspect guerrier de la chose dans un des chants qu’il composa pour les fidèles qu’il endoctrinait. Il fallut attendre la reine Marie de Pologne, épouse de Louis XV, pour que l’affaire du Cœur de Jésus soit relancée et quasiment imposée à l’épiscopat. Les combattants royalistes de l’Ouest savaient le message du Sacré Cœur (connu sur la fin par Louis XVI) quand ils luttaient contre les révolutionnaires !

 Hervé Pinoteau, historien

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Comme tous les Français amis de leur histoire, j’admire Louis XIV qui évoque pour moi : Versailles, les ordonnances de Colbert, la frontière de l’Est et l’agrandissement du Pré Carre….

Bien sûr, j’ai quelques regrets pour Port-Royal ; je pense que la guerre aurait parfois pu être évitée ; je souffre pour le Palatinat… Mais si le soleil a ses taches, il reste le soleil.

Louis XIV est à mes yeux le plus grand roi de France. Il a en outre toujours eu un excellent goût artistique, ce qui lui a permis de faire rayonner (il suggère toujours des expressions solaires) la civilisation de notre pays.

 Franck Bouscau, historien du droit

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Louis XIV ne compte pas, à mes yeux, parmi les hommes d’État qui auront vraiment bien servi la France. Ses ambitions étaient grandes mais, mis à part d’importantes conquêtes territoriales en faveur du « pré  carré », ses résultats furent souvent catastrophiques en raison des nombreuses erreurs accumulées, aussi  bien  dans  la  perception des besoins de ses peuples que dans ses conceptions de politique étrangère, enfin que dans sa vision centralisée du royaume. Enfant de la Fronde et définitivement marqué par ce terrible épisode, il passa sa vie à pourchasser ce qu’il croyait être ses ennemis, notamment de l’intérieur, sans prendre garde à l’affaiblissement du royaume qui en découlait : ainsi de l’abaissement de la noblesse, condamnée à une nouvelle fronde juridique et tracassière à travers les parlements, ainsi de la cruelle et ridicule persécution des protestants, puis des juifs, qui fit émigrer une bonne partie de nos élites, ainsi des grandes compagnies de commerce qui toutes firent faillite, ainsi du ravage du Palatinat qui valut à la France des haines encore perceptibles il y a trois quarts de siècle, ainsi de la concentration administrative, ancêtre de notre technocratie étouffante, ainsi des maladresses diplomatiques qui provoquèrent la ruineuse guerre de succession d’Espagne. Ayant désappris toutes les leçons d’Henri IV, Louis XIV fut le premier agent de la Révolution, qui se mit à couver avec la crise financière qu’il laissait en héritage.

 Daniel de Montplaisir, historien et auteur

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Louis XIV est le plus grand, le plus célèbre, le plus conquérant, le plus rayonnant de nos rois et aussi celui qui a eu le règne le plus long (1643-1715). Et pourtant, ce règne peut être divisé en trois parties, comme le jour, mais avec une aube et un crépuscule bien tristes.

Si nous excluons en effet l’enfance errante et tourmentée, où les amis de la veille deviennent les frondeurs du lendemain, si nous scotomisons la fin de règne austère avec la maladie, la mort des enfants, petits-enfants, et arrières petits-enfants sur fond de grand hiver, d’hyper-fiscalité, de révocation de l’édit de Nantes, d’expulsion des abbesses de Port-Royal, et de guerre malheureuse, le règne proprement « solaire » ne s’étend que sur une vingtaine d’années (1661-1683), mais alors quel éblouissement !

Certes, il y a des zones d’ombre (et le premier saccage du Palatinat par Turenne en 1674 en est une) mais, plus que la conquête de l’Alsace, de la Flandre, de la Franche-Comté, plus même que l’affirmation de la Majesté du Roi et de la prééminence de la France (affaire des ambassadeurs à Londres, du doge de Gênes ou des gardes corses), plus peut-être que Versailles qui témoigne autant de la Grandeur que du Goût du Roi Très Chrétien. C’est aussi l’affirmation d’un régime centralisé, mercantiliste, où l’art s’exprime autant aux Invalides qu’aux Gobelins, avec un Roi qui sait se faire respecter et mettre au pas ces arrogants parlementaires qui pourriront le règne de ses deux successeurs mais c’est avant tout un épanouissement artistique comme il n’y en eut jamais, avec La Fontaine, Madame de Sévigné, Lulli, Marin Marais, Mansart, La Rochefoucauld, Rigaud, les deux Couperin, les deux Corneille, Bossuet, Saint-Évremond, Poussin, Quinault, Félibien, Lebrun, et surtout Racine, Boileau et l’incomparable Molière que le Roi a su défendre contre le clergé, contre la Cour, contre Anne d’Autriche même, sans parler des Condé, Turenne, et Vauban.

Une telle floraison de génies n’est pas un hasard et l’on sait trop à quel point les régimes totalitaires (et d’autres, qui sont laxistes) étouffent ou altèrent les velléités artistiques et littéraires pour ne pas considérer que les conquêtes ne sont pas son seul titre de gloire et que Louis XIV mérite plus que Pierre Ier, voire qu’Alexandre, son surnom de « Grand ».

 Jean-Fred Warlin, chirurgien et biographe

Propos recueillis par Alphée Prisme


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