[Exclusif] Louis XIV, par E. de Waresquiel, P. Lauvaux, P. Mansel et J. Marie (1/3)
Nous voici le 1er septembre 2015, séparés précisément par trois siècles de la mort d’un homme célèbre dans le monde entier depuis autant d’années. C’était bien sûr un roi de France, plus d’un demi-siècle de règne fut assez pour vivre le pire… Et le meilleur. Professeurs, historiens, auteurs, mais aussi un chirurgien et un chef cuisinier : douze témoins ont accepté de résumer Louis XIV en quelques lignes inédites qui répondent à la question : « Que représente Louis XIV à vos yeux ? ».
Dans cette première partie : Emmanuel de Waresquiel, Philippe Lauvaux, Philip Mansel et le chef Josselin Marie.
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Les souvenirs se déclinent parfois au féminin. Ils ont alors la grâce et le charme des choses qui pour être impalpables ne s’épuisent jamais. Enfant, j’avais dans ma chambre une grande gravure en couleur de la duchesse d’Humières, de ces grandes dames de la cour de Louis XIV en manteau d’apparat, broderies d’argent et coiffure à la Fontanges. Pour moi, Louis XIV a d’abord été cela, la quintessence du goût dans l’éloignement du temps, la cour et les premières années de Versailles quand tout était encore gai, avant que le château ne se fige dans le labyrinthe de ses usages et de ses rouages. Madame de Montespan, plutôt que Madame de Maintenon, les libertins plutôt que les dévots. Les guerres et la politique sont venus plus tard.
Dans mes souvenirs, Louis XIV danse, il n’administre pas. Au moins, cela m’a-t-il fait longtemps oublier les protestants, les dragonnades, la disette, l’épuisement du royaume à la fin d’un trop long règne, et au bout de tout cela, la solitude tragique d’un homme accablé par le poids de sa grandeur et prisonnier d’un pouvoir qu’il ne savait plus partager.
Emmanuel de Waresquiel, historien et auteur
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Louis XIV évoque pour moi la figure opposée à celle de toutes les misères que nous souffrons aujourd’hui. Certes, il a trop aimé la guerre et l’a lui-même reconnu. Il fut néanmoins un prince Chrétien.
Il incarne avec splendeur la royauté légitime et la gloire de l’État quand nous subissons un pouvoir médiocre et discrédité. Louis XIV favorise l’agriculture et non la spéculation, connaît et encourage les plus grands auteurs quand aujourd’hui la littérature française s’éteint. Il est le mécène éclairé de tous les arts, désormais soumis à la seule logique de l’argent.
Philippe Lauvaux, historien du droit
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Louis XIV avait d’excellentes intentions et une grande capacité de travail. Mais il a laissé la France au bord de la banqueroute, ses rivaux bien plus puissants et plus riches qu’au début de son règne personnel en 1661. Le tournant du règne vient après 1680 – surtout après la mort de Colbert en 1683. Le roi se montre plus pieux, plus cruel et moins intelligent que son parrain et précepteur Mazarin. Par la persécution et la fuite des Protestants, il appauvrit la France et encourage les puissances de l’Europe a s’unir contre elle. Le sac du Palatinat et des pays voisins après 1688, ouvre une époque de guerres où la France se bat contre la plupart des puissances de l’Europe. La guerre de succession d’Espagne est aussi en partie provoquée par ses actes d’agressivité et son incapacité d’anticiper leurs conséquences. Pour moi Louis XIV, malgré tout son charme, est l’exemple de l’aveuglement, comme de la corruption du pouvoir.
En contrepartie Louis XIV laisse la France avec une armée bien plus professionnelle ; trois nouvelles provinces, Flandre, Alsace et Franche Comté ; et des forteresses autour de ses frontières qui se trouveront bien plus efficaces que la ligne Maginot. Le soft power réussit à Louis XIV bien mieux que le hard power. Il embellit et modernise Paris, construit Versailles et, comme il en avait l’intention, inspire un créativité sans pareille, dans tous les domaines : peinture, architecture, sculpture, musique, danse, littérature du pouvoir comme celle de contestation, industries de luxe. La cour de France sous son règne devient le paradis (et, avec la fondation de Saint-Cyr en 1686, l’école) des femmes — aussi influente pour la culture de son temps que Rome ou Athènes. Ce n’est peut être pas un très grand roi, comme son grand-père Henri IV. Mais c’est un mécène de génie.
Philip Mansel, historien et auteur
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Louis XIV est le roi qui, en son temps, a donné les moyens à la gastronomie d’évoluer. Le métier fit un bon en avant et c’est aussi certainement grâce à ce roi que la France occupe encore le rang qui est le sien aujourd’hui. Il fut aussi le premier souverain à communiquer sur le bien manger. Absolument.
Josselin Marie, Chef du 1 Place Vendôme
Propos recueillis par Alphée Prisme
Retrouver les autres parties du dossier :
- Introduction : « Louis XIV, serviteur de la France », hommage de Dominique Sabourdin-Perrin
- Partie 1 : Louis XIV, par Emmanuel de Waresquiel, Philippe Lauvaux, Philip Mansel et Josselin Marie
- Partie 2 : Louis XIV, par Hervé Pinoteau, Franck Bouscau, Daniel de Montplaisir et Jean-Fred Warlin
- Partie 3 : Louis XIV, par Philippe Pichot Bravard, Reynald Secher, Jean-Paul Clément et Jacques Charles-Gaffiot
- Annexe : « Hommage soit rendu à ce grand, à ce très grand roi », par Marion Sigaut
Voir aussi :
- Emmanuel de Waresquiel, Fouché, les silences de la pieuvre.
- Philip Mansel, Louis XVIII.
- Chef Josselin Marie, entretien du 29 août 2015 ici.