Ex-libris. « Le Roi », par Jean-Paul Roux
Jean-Paul Roux, Le Roi : mythes et symboles, 1995 (rééd. 2014).
Voilà un beau livre commis par un historien de métier. On sent le polissage des années de recherche, qui a permis d’enfanter ce livre bien équilibré, clair, qui sait où il va et qui n’abandonne rien en précision, avec de nombreuses notes et une bibliographie fournie, sans que cela nuise à la clarté et la fluidité de l’ensemble, les notes étant renvoyées en fin d’ouvrage. Il évite tous les travers de trop de ces livres universitaires qui se font une joie, semble-t-il, d’être ennuyeux.
L’auteur a pour spécialité première l’histoire des peuples turcs et mongols. Il a beaucoup publié sur la question. Entre-temps, il semble avoir cheminé, et porte aujourd’hui un regard très large sur la nature de la royauté, en particulier sa nature sacrée, et son universalité dans l’histoire humaine :
« J’aurais volontiers intitulé ce livre Le Roi sacré si, ce faisant, je n’avais pas risqué de commettre un pléonasme. »[1]
Il traite évidemment des fonctions de justicier, de pater familias national et de soldat du roi, mais il va bien plus loin en présentant tous les caractères de la royauté et de ses symboles, tels qu’ils se retrouvent dans les différents peuples et aux différents âges.
Il conclut en mettant en évidence cette frappante universalité de la royauté. Suivons-le ainsi dans ses constatations :
« Mais contrairement au sang et à la plupart des objets sacrés, il n’est pas ambivalent, à la fois bon et mauvais, faste et néfaste, pur et impur. Quel qu’il soit en tant qu’homme, le roi a, en tant qu’objet sacré, une seule valeur qui est entièrement positive. Si ses manques ou ses défauts sont trop grands pour qu’on puisse lui accorder sans réserve cette valeur, on s’empresse de tout tenter pour y remédier ; et s’il la perd, on ne le considère plus comme un roi, mais comme un tyran ou un usurpateur, et on ne tarde pas à le renverser. En quelque sorte, il en va avec lui comme avec Dieu : c’est dans la foi qu’on lui porte qu’il trouve son existence. »[2]
La royauté constitue en effet une sorte de phénomène consubstantiel à l’humanité, qui se retrouve partout, et qui exprime une soif inextinguible de l’homme, ou plutôt qui l’incarne. Sentiment si fort que, même en France, après deux siècles révolutionnaires, les mots de « roi » et de « royauté » résonnent toujours positivement. Les révolutionnaires ont voulu tout salir, mais ils n’ont pas réussi à salir ces mots, qui conservent mystérieusement un tendre écho. Il peut être moqué, il peut être méprisé, mais il demeure toujours à part. Il berce nos contes, nos enfances, nos rêves. Nous sommes loin des « monarques », « empereurs » et autres vocables beaucoup plus froids et distants qui nous sont familiers. Demandez au passant lambda de citer un roi méchant, il aura du mal à comprendre la question.
Ce phénomène existe partout et il est si fort que royauté et tyrannie sont intrinsèquement incompatibles :
« Malgré les mauvais rois et les aberrations que le culte royal a entraîné, lesquelles furent plus celles des hommes en général et de la mentalité de l’époque que celles des souverains eux-mêmes, l’institution n’en souffrit pas puisqu’elle a subsisté ; et ce, non parce que nos aïeux étaient moins difficiles, moins intelligents et moins civilisés que nous.
Tout au long de l’histoire humaine, les peuples ont pu connaître des moments de désespoir et de révolte. Mais ils ont surtout éprouvé de profonds sentiments de confiance, de respect, de vénération pour ceux auxquels ils avaient confié leur destinée et en qui ils voyaient des élus de Dieu et de leurs représentants. De ces sentiments, il fallait aussi rendre compte.
En définitive, l’histoire de la monarchie est celle d’un grand amour réciproque entre le roi et ses sujets. »[3]
Ce livre est à lire dans tous ses chapitres. Car, outre ces considérations générales, il énumère toutes les caractéristiques de la royauté dans l’histoire, ses mythes, ses symboles, ses fonctions. Tout y passe : les cérémonies, les investitures, les sacres, les objets, les conceptions cosmiques, magiques et sacerdotales. Sans tomber dans le travers de ces livres trop généraux qui veulent parler de tout et sur tout, par trop universalisés : le ton est juste, et les citations solides, démontrant une grande érudition et une vision claire.
Ce livre a par ailleurs une seconde force qui devrait en faire un incontournable et une référence sur la royauté : il ne tombe pas dans le travers de l’indifférenciation universelle, et il sait faire le pont salutaire, et juste, entre les royautés « primitives », païennes, et les royautés chrétiennes, franchissant ce mur que tant de spécialistes se refusent à franchir, ou franchissent très mal.
Certes, l’idée royale est universelle et se retrouve partout, dans toutes les cultures, mais elle n’en est pas pour autant monochrome et monotone.
Jean-Paul Roux souligne, dans l’ordre même des chapitres, comment la royauté est une institution divine, même chez les païens, et comment cette institution préfigure, constitue ou remplace le rôle de l’Ancien Testament chez tous les peuples exclus de l’Alliance. La royauté ouvre toujours la voie vers le Christ, le Roi des rois.
L’historien décrit ensuite les spécificités de la royauté chrétienne, qui vient couronner et sublimer toutes les autres. Il s’attarde en particulier sur la monarchie française, celle qui fut peut-être la plus christique au monde. Dans l’histoire des faits, la royauté balance ainsi entre préfiguration et accomplissement. Roux se nourrit là à une veine importante et essentielle de l’herméneutique des Pères de l’Église, de la vision de l’histoire et de l’interprétation de la Bible. Le fait-il consciemment ? Je ne sais pas, mais il est certain que cette concordance entre les caractères préfigurés dans la royauté naturelle — qui se transcendent et se perfectionnent, sans les faire disparaître, dans la royauté chrétienne — est frappante et convaincante. Avec comme point d’orgue — que ce soit préfiguré et caché, ou accompli et visible — Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ce livre n’est pas seulement un travail poussé et fourni permettant d’avoir une vision globale de tous les caractères de la royauté, ce qui en soi suffirait à en faire une référence, mais un travail bien ordonné qui progresse étape par étape vers les nuées éternelles.
On appréciera aussi les deux derniers chapitres, qui résument bien les caractères principaux de la royauté française. Lisez-le et vous en sortirez grandis !
Rémi Martin
Table des matières :
- Avant-Propos
- Chapitre Premier : LA MONARCHIE
- Chapitre II : LE ROI HOMME
- Chapitre III : LE ROI DIVIN
- Chapitre IV : L’HOMME-DIEU
- Chapitre V : VIE ET MORT DU ROI
- Chapitre VI : LES OBJETS DU ROI
- Chapitre VII : LE CHRIST ROI
- Chapitre VIII : LE ROI CHRÉTIEN
- Chapitre IX : LE ROI, L’ÉGLISE ET LA NOBLESSE
[1] Jean-Paul ROUX, Le Roi : mythes et symboles, Fayard, Paris, 1995 (rééd. 2014), p. 13.
[2] Ibid., p. 11.
[3] Ibid., p. 17.
Bel article qui donne envie de lire le livre
Moi je l’ai. C’est à lire.
Charles Maurras a démontré scientifiquement la supériorité de la monarchie sur toute autre forme de gouvernement. En France, il s’est placé au point de vue profane d’une physique du pouvoir. Le Marquis André Le sage de La Franquerie, quand à lui, s’est attaché à définir la royauté à l’aune et selon l’esprit de la tradition.
Où Maurras et les néo-monarchistes cherchent à convaincre, le Marquis de La Franquerie, à l’ombre de Joseph de maistre, entend faire voir et convertir. Son royalisme est mystique.
Le premier réclame à l’expérience historique, le second interroge l’anthropologie religieuse et l’exemplarité du Sacré-Coeur de Jésus, le Christ-Roi.
Là, la raison des faits, ici la permanence en l’archétype royal, partout, depuis toujours et d’en haut.
Le XVIII° siècle et l’offensive nominaliste ont consommé le divorce entre foi et raison. Mais au service d’une même cause -ici la royauté- et selon que le moment soit de foi ou de raison, il revient au royaliste de porter en avant la foi ou la raison et de parler le langage commun d‘une France voulue Chrétienne dès les origines.