Essai sur les Lois fondamentales du royaume de France
« Que vult rex fieri fanct sanct et sunt consona legi ». « Si veut le roi, si veut la loi ». C’est ainsi que cet adage latin, attribué à l’abbé Suger et repris par le jurisconsulte Loysel, a été traduit dans des ouvrages du XVIIIe siècle, comme les Règles du droit français de Claude Pocquet de Livonniere. Malgré cette traduction grossière et simpliste de l’article 2 de la section I du titre consacré aux « personnes », le principe qui s’en dégage est connu de tous : le roi fait la loi. Et même si le plus ingrat des esprits s’aventurait à clamer une telle évidence qui prend tout son sens sous l’ancien régime, le plus brillant des historiens juristes ne peut que le remercier de cette désagréable lapalissade. Pourtant, un tel juriste serait contraint de reconnaître également que combiner le droit et l’histoire n’est pas une science grossière et sans nuances. Bien au contraire, c’est une science passionnante qui, bien que de naissance germanique, devrait être une unité de mesure indispensable, par sa finesse, au sein du débat royaliste que nous connaissons aujourd’hui, afin de déterminer avec davantage d’aisance un candidat doté de la seule chose qui puisse compter : la légitimité.
Mais comment pouvons-nous déterminer si un candidat peut être légitime ou non ? Le roi est source de droit, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe aucune loi qui puisse régir sa dignité royale. Ces règles sont les lois fondamentales du royaume. Cette expression est finalement tardive puisqu’elle date du XVIe siècle. Plus exactement, de 1575. Avant cette date, on parlait de « lois du royaume », mais jamais de « lois du roi » car celui-ci y est lui-même soumis. Il ne peut pas se résoudre à les outrepasser puisqu’elles ne relèvent pas de son autorité. Elles sont donc distinctes de la personne du roi mais restent rattachées à la couronne et au royaume.
Mais alors quelle est la source de ce droit constitutionnel ? En réalité, il en existe trois primordiales. La coutume, la doctrine et la législation. La coutume repose sur l’itération des actes répétés par le passé. Ainsi, c’est l’évolution que connait la coutume grâce à une pratique répétée qui permet l’élaboration d’une constitution édifiée sur l’expérience. Ce sont les crises politiques au sein de l’Etat qui sont la source de cet empirisme, la solution apportée à la crise devenant une réponse éternelle vouée à être toujours répétée. La coutume relève donc d’une nécessité, et fournit la réponse la plus réfléchie qui soit à un problème condamné à se répéter. Une telle coutume appelée à s’appliquer de manière immémoriale est considérée comme parfaitement valable aux yeux des hommes car elle correspond à leurs besoins et à leur nature. Le postulat initial est que Dieu est cette nature. C’est donc par la volonté de Dieu que la coutume existe puisque parfaite et découlant de l’ordre naturel des choses. Il est important de se souvenir que le royaume de France, « la fille ainée de l’Eglise », a été tout au long du règne des rois, protégé par la bienveillance divine. Les exemples sont nombreux, mais il en subsiste un qui dénote particulièrement combien les lois fondamentales sont des principes naturels protégés par l’ordre divin. Bien évidemment, il s’agit de celui de Jeanne d’Arc : Dieu délégua à cette bergère inexpérimentée au combat la lourde charge de protéger le royaume de France contre l’envahisseur anglais, la folie de Charles VI, et l’épouse de ce dernier, manipulatrice et haïe par le peuple, Isabeau de Bavière. Il est donc évident d’admettre le retour sur le trône du roi légitime en vertu des Lois fondamentales, Charles VII, par la grâce de dieu. Jeanne d’Arc sera finalement celle qui renouvellera cet accord tacite entre le roi et ses sujets lors de cette crise des successions qui anime l’ardente guerre de cent ans.
Pourtant la coutume ne peut suffire à établir les Lois fondamentales au royaume de France. La doctrine joue aussi un rôle crucial. Il s’agit des grands docteurs, suffisamment influents pour faire autorité. La doctrine nait de l’esprit et de la réflexion. Parmi ces grands esprits, Jean Juvénal et Jean de Terrevermeille, vont proposer une position doctrinale pour résoudre une crise à l’occasion de laquelle la coutume s’est révélée impuissante.
Enfin, l’ultime source est la législation. Les états généraux ne sont pas à proprement parler législateurs. Ils viennent avec des demandes dans des cahiers de doléances. Le roi doit y répondre avec une ordonnance de réformation. Il y a donc bien une législation qui vient des états généraux dont le premier cas date de 1317 concernant le principe de masculinité et le dernier de 1789 sur la constitution de l’Etat.Pour terminer sur les sources législatives et les sources en générales, les parlements exercent aussi des remontrances et exercent ainsi un contrôle de la loi de constitutionnalité. Après ce bref entraperçu des sources, il convient de s’intéresser au contenu des lois constitutionnelles du royaume en expliquant les fameuses crises qui ont été résolues par ces mêmes lois. Il est aisé de subdiviser ces règles en trois catégories : les règles régissant la personne royale, celles assurant la succession royale et enfin celles protégeant l’intégrité du domaine royal.
La première de ces catégories permet d’assurer le respect des conditions requises pour un candidat prétendant au trône.
C’est d’abord le principe héréditaire qui s’est imposé. En 987 l’avènement d’Hugues Capet, c’est-à-dire le passage de la dynastie carolingienne à la dynastie capétienne, se fait par l’élection. Les premiers capétiens ont toutefois le souhait de fixer la couronne au sein de leur famille. Le roi en titre, « rex coronatus » associe son fils aîné au trône en tant que « rex designatus » de telle sorte qu’à sa mort, il lui succède sans difficultés. En cas de décès du « rex designatus », c’est son puîné qui le devenait. Vient ensuite le principe de primogéniture qui complète le précédent. L’héritier n’est pas n’importe quel fils : il s’agit de celui qui aura connu le plus longtemps son père. On considère alors que ce fils apprend aux côtés de son père. En 1027, Robert le Pieux, fils d’Hugues Capet, voit la mort de son premier fils. Le roi choisit après l’aîné, l’aîné des cadets. Il répète le choix de l’aînesse. Cela n’a jamais été remis en cause depuis.
C’est également le cas du principe de masculinité. Ce principe découle de la loi salique qui est une norme omniprésente dans le droit royal. Si cette règle fait délicatement sourire, la question de la masculinité de la personne royale a été posée pour répondre à une autre crise et donna naissance à une autre règle, « l’agnation », qui exclut les descendants par les femmes. Il s’agit de celle qui survint à la mort de Charles IV, en 1328. La situation ressemblait alors à celle qui exista à la mort de Louis X : comme son frère aîné, Charles ne laissait qu’une fille en bas âge qui était de fait écartée de la Couronne, et une femme enceinte. Il fallait donc attendre pour savoir si le roi défunt aurait un héritier. Malheureusement, la reine accoucha d’une fille, laissant alors le royaume de France sans héritier. Deux candidats se présentèrent alors. Tout d’abord le régent Philippe de Valois, fils du frère de Philippe le Bel et ensuite le roi d’Angleterre Édouard III, fils d’Isabelle, elle-même fille de Philippe le Bel. Face à cette crise sans précédent de laisser le royaume entre les mains des Anglais, les États généraux déclarèrent alors que « une femme et par conséquent son fils ne peut par coutume succéder au royaume de France » écartant de ce fait la transmission de la Couronne par les femmes. Philippe de Valois fut alors couronné roi de France, les États généraux ayant préféré un Français plutôt qu’un étranger.
Cela mène à une autre règle, à savoir la « naturalité ». Cette naturalité est l’appartenance à la nationalité française apparue dans l’arrêt Le Maistre de 1593, bien qu’à l’époque on ne parle pas de « nationalité ».
Enfin, la catholicité est l’ultime règle qui détermine la personne du souverain. Elle est simple à concevoir et a vu le jour en 496 lors du baptême de Clovis. Il important de remarquer que ce principe a été renforcé pour lutter contre « l’hérésie » protestante au XVI. Ensuite, après avoir présenté les plus grandes lois qui encadrent la personne du roi et qui ont permis la stabilité de l’Etat grâce aux réponses constitutionnelles qu’elle apporte, il faut s’intéresser aux lois relatives à la succession royale. Pour faire court, il en existe deux primordiales.
La première est l’instantanéité. Lorsque le chancelier de France ferme les yeux du roi, il dit « le Roi de France est mort, vive le Roi ! ». En France le Roi ne meurt jamais. Le Roi est considéré comme toujours majeur, même lorsqu’il est enfant. C’est ce qui permet une continuité ininterrompue entre les règnes. Finalement l’instantanéité permet un règne éternel de la dignité royale. Grossièrement, ce principe peut s’apparenter à celui de l’empereur romain dont le règne est éternel. Pour eux, l’empereur était immortel et à sa mort il ne faisait que changer de corps. Le corps meurt et l’esprit demeure.
La seconde règle est plus complexe. C’est « l’indisponibilité de la couronne ». Il est interdit au roi de disposer de la couronne comme un bien privé. Un grand roi va mettre cette règle à l’épreuve. Louis XIV va avoir d’abord un espoir d’une longue descendance assurant la succession sans complications. Or, une série d’événements va le priver de son fils, son petit-fils. Le 16 novembre 1700, le Roi d’Espagne reconnait son cousin, le petit-fils du Roi, Philippe de Bourbon, comme son successeur. Ainsi la question qui se posait était la suivante : une famille espagnole peut-elle avoir droit à la couronne de France ? Louis XIV se retrouve avec un seul descendant, son arrière-petit-fils. Il est tenté de légitimer ses enfants naturels qu’il eut avec ses maîtresses. Il va en légitimer deux dans son testament, rendu public en juillet 1714. Or, le roi meurt le 1er septembre 1715. Aussitôt, le testament est ouvert. Le lendemain, le parlement de Paris casse la déclaration royale du 23 juillet 1714. Il se veut un organe de contrôle de la constitutionnalité. Le roi ne pouvait pas disposer de la couronne comme d’un bien privé, dans aucun cas, sa volonté ne pouvait intervenir. D’ailleurs, l’édit du Roi Louis XV de juillet 1717 confirme et renforce le principe d’indisponibilité de la couronne. Même le Roi Soleil voit sa volonté réduite à néant au nom de la coutume. Le roi, Louis XV, sera finalement la solution à ce dilemme et permettra le maintien de la stabilité du royaume.
A présent et très brièvement, les lois qui protègent le domaine royal sont généralement considérées au nombre de trois. L’indivisibilité du domaine royal est une règle qui s’est affirmée avec le temps. Elle est symbolisée par l’anneau royal, il représente le mariage mystique du Roi. Lors du sacre, l’évêque met au doigt l’anneau royal, c’est le mariage du Roi avec la France. Tout son patrimoine privé devient public. Comme bien souvent, il existe des situations problématiques nées de la volonté d’un roi voulant s’élever au-delà des Lois fondamentales du royaume. L’édit sur la réunion à la couronne du patrimoine privé du roi, de juillet 1607, a été une réponse à ce genre de problèmes. En effet, dans cet édit d’Henri IV, le Roi finit par reconnaître qu’il doit donner ses terres à la couronne de France. On s’aperçoit qu’Henri IV, lorsqu’il devient roi en 1589, a refusé de donner ses terres pour les intégrer dans le domaine royal. Il a résisté. Quand il a finalement été sacré en 1594, le Roi n’a toujours pas rendu ses terres. En 1607, il finit par reconnaître la coutume voulant la réunion de ses biens au royaume de France. Bien qu’Henri IV soit marié à la reine, il l’est également au royaume de France et doit apporter, en quelque sorte, sa « dot ».
Les deux dernières règles sont « l’inaliénabilité », qui signifie que le roi n’a pas la possibilité de vendre le domaine, et « l’imprescriptibilité » du domaine royal qui interdit d’acquérir le domaine du Roi par prescription acquisitive.
Votre supplice touche à sa fin ! Il reste pourtant tant de choses à dire sur ces Lois fondamentales, comme la lutte entre les juristes français et anglais. Mais ce n’est qu’un bref aperçu pour comprendre des enjeux insoupçonnés qui n’en demeurent pas moins ancrés dans notre présent. Quel héritier détient de la plus grande légitimité ? Faut-il se référer à ces lois pour le déterminer ? Que de questions et aucune réponse, seulement des doutes. Un jour, il faudra néanmoins trancher. Si ces lois n’apportent pas de réponses convaincantes, il faudra peut-être que le candidat le plus crédible obtienne sa légitimité par un autre moyen.
Michel du Hamel de Gélis