Histoire

Elizabeth II, un projet de restauration de la monarchie franglaise

Motivés principalement par une question dynastique, les royaumes d’Angleterre et de France ne vont cesser de se faire la guerre entre 1337 et 1453. Ce n’est d’ailleurs qu’en janvier 1801 que le Roi Georges III de Hanovre décidera de ne plus porter le titre de Roi de France. La guerre de 100 ans était devenue désormais un de ces chapitres tumultueux des relations franco-britanniques.

Pour les monarchistes français, si beaucoup rêvent encore de la Auld alliance avec l’Ecosse ou fantasment sur une nouvelle guerre des deux- roses, bien peu soutiendraient actuellement les prétentions au trône de France d’un souverain britannique. Il est un fait acquis, quelle que soit sa tendance, que les Bourbons restent et demeurent la seule famille légitime au trône capétien. Pourtant en 2007, des documents inédits publiés par la BBC, vont nous révéler qu’en 1956, la IVème république a songé à restaurer une monarchie en faveur d’Elizabeth II. Plongée dans l’histoire d’un épisode méconnu de l’entente cordiale.

Lorsque le général Gamal Abdel Nasser décide de nationaliser le Canal de Suez, ce sont les intérêts politiques, économiques et commerciaux franco-britanniques qui sont menacés. Raccourci entre la mer rouge et la mer méditerranée, le canal de Suez a été financé par la France de Napoléon III et l’Egypte royale avant que le Royaume-Uni ne rachète la part de l’Egypte dans le canal. Devenu un enjeu stratégique pour les deux grandes puissances coloniales, les cabinets de Downing Street et de l’hôtel Matignon décident d’une intervention armée commune.

Depuis février 1956, Guy Mollet est Président du conseil. Cet ancien résistant, maire d’Arras et député du Nord-Pas-de-Calais est également un anglophile convaincu. Le 10 septembre suivant, il se rend à Londres afin de préparer l’intervention et rencontrer le Premier ministre Anthony Eden. Les négociations se portent sur une éventuelle union politique entre la Grande-Bretagne et la France. Des deux côtés de la Manche, cette union fait débat. Il s’agit ni plus ni moins pour l’hexagone de fusionner avec le Royaume-Uni et être doté d’un statut proche de celui de l’Irlande. Pour l’opposition en France, c’était bien vite enterrer l’humiliation de Mers-El Kébir en juillet 1940. Quant aux députés du Palais de Westminster, comment les « froggies » pouvaient un seul moment imaginer le succès d’un tel projet que le document exhumé par la BBC atteste en ces termes : «lorsque le Premier ministre français, monsieur Mollet, était récemment à Londres, il a soulevé avec le Premier ministre (Anthony Eden) la possibilité d’une union entre le Royaume-Uni et la France». 

Si Louis VIII de France avait brièvement régné sur l’Angleterre des Plantagenêts entre 1216 et 1217, il n’était pas pour autant question de leur ouvrir de nouveau la porte.  L’initiative de Guy Mollet n’était pourtant pas dénuée de sens. C’était aussi le prétexte pour la France d’obtenir l’aide des Britanniques afin de maîtriser la rébellion qui s’installait dans les départements d’Algérie française et enfin de calmer leurs tensions générées par leurs alliances  tactiques respectives. La France avec Israël, l’Angleterre avec le royaume de Jordanie.

Loin de se résigner, le Président du Conseil français revient à la charge auprès d’Anthony Eden lors de sa visite à Paris. Avec une double proposition. Celle de la France de rejoindre le Commonwealth. De facto, si le Royaume-Uni décidait de donner suite à cette proposition, la République française aurait au-dessus de sa tête une Reine britannique.

La revanche d’Edouard III Plantagenêt ! Tout un symbole.  

Guy Mollet ne pouvait pas l’ignorer. Si l’idée pouvait paraitre séduisante de prime abord, elle niait la réalité des lois fondamentales de la succession au trône de France comme elle niait toute légitimité aux Bourbons.  Et pourtant l’idée n’était pas nouvelle.

De l’autre côté du Channel, Winston Churchill, proposa en 1940 au Président du Conseil Paul Reynaud à la veille de la défaite imminente de la France de fusionner, afin d’éviter que l’un ou l’autre des deux pays ne signe d’accord séparé de paix avec les nazis. C’est Jean Monnet et René Pleven qui reçurent le 14 juin 1940, la proposition de fusion sous le nom de « Franco-British Union proposal ». Paul Reynaud y était largement favorable et envoie le 16 juin Charles de Gaulle, alors fraîchement nommé Sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale, négocier les conditions de cette nouvelle union. La déclaration finale précisait ceci : « France and Great Britain shall no longer be two nations, but one Franco-British Union. The constitution of the Union will provide for joint organs of defense, foreign, financial and economic policies. Every citizen of France will enjoy immediately citizenship of Great Britain, every British subject will become a citizen of France » (La France et la Grande-Bretagne ne seront plus dorénavant deux nations mais une seule union franco-britannique. La Constitution permettra une fusion des politiques de défense, des affaires étrangères et des économies et des finances. Chaque citoyen français aura automatiquement la citoyenneté britannique).

Cette union n’était pas du goût de tous les leaders de l’opposition français y compris parmi les officiers comme le maréchal Philippe Pétain qui soupçonnait les anglais de vouloir faire main basse sur les colonies de l’Empire et qui déclara « qu’il valait mieux devenir une province nazie qu’un simple dominion britannique ». Le Président Albert Lebrun, lui-même, y était opposé. Le soir du 16 juin Paul Reynaud était désavoué par son cabinet. La voie de l’armistice était désormais ouverte, le régime de Vichy n’allait pas tarder à se mettre en place, la résistance se constituer depuis Londres.

Anthony Eden avait été encore moins enthousiaste à cette idée mais s’était décidé à étudier sérieusement  la question. Selon un document du 28 septembre 1956, le Cabinet de Sa Majesté estima que « l’on devait prendre en considération sans délai une adhésion de la France au Commonwealth ; que monsieur Mollet ne pensait pas que l’acceptation de la souveraineté de Sa Majesté par la France soulève des difficultés ; (et) que les Français seraient favorables à une citoyenneté commune sur le modèle irlandais ».  Guy Mollet insistera d’ailleurs et affirmera que les français n’auraient aucune difficulté à prêter allégeance à la couronne britannique. 

Mais les difficultés liées à la crise du canal de Suez, l’échec des opérations militaires conjointes qui coutèrent la vie à 11 français et 22 britanniques entre octobre et décembre 1956 menacèrent l’existence des deux gouvernements. Du côté anglais, la gauche travailliste dénonça la continuité d’une politique coloniale anachronique,  du côté français, l’abstention du vote des communistes et des poujadistes au conflit provoqua la naissance du Parti socialiste unifié, le renforcement des liens avec Israël tandis que les anglais se rapprochèrent drastiquement des Etats-Unis. Nasser, grand gagnant du conflit et nouveau héros panarabe, fut quant à lui à l’origine de l’indépendance du Soudan et 2 ans plus tard, de la chute du royaume irakien, vassal de l’Occident et d’une mini guerre civile au Liban.  Le monde venait de changer de visage. Anthony Eden opposa dans la foulée une fin de non-recevoir à Guy Mollet.

Faute d’avoir adhéré au Commonwealth, la France décida d’intégrer par défaut la Communauté économique européenne. Du 8 au 11 avril 1957, Elizabeth II débarquait sur le sol français en visite d’état. Paris était pavoisé des drapeaux de l’Union Jack et du tricolore français. Des milliers de français s’étaient massés pour apercevoir la jeune souveraine que l’on conduisit au Château de Versailles où l’attendait un déjeuner dans la prestigieuse galerie des glaces. Ultime épisode d’une France qui avait failli donner à sa République, une souveraine sous le nom d’Elizabeth Ière.

Le gouvernement de Guy Mollet devait bientôt chuter le 21 mai 1957…  La IVème République vivait ses derniers mois. La Vème allait bientôt lui succéder, née des cendres d’un putsch militaire. Sa nouvelle constitution quasi monarchique ouvrait quelque peu la voie à une nouvelle restauration de la monarchie en France. Mais ceci est encore une autre histoire…

Frédéric de Natal

Source : BBC

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