Éclaircissement sur les sacrifices-1
[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 14]
Paul de Beaulias– Au fil des classiques
Série Joseph de Maistre
Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886
Articles précédents:
1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque
2- Joseph de Maistre vu par son fils
3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]
5- Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]
6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]
7- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. » [Considérations sur la France-5]
8- Chap.VI « De l’influence divine dans les constitutions politiques. » [Considérations sur la France-6]
9- Chap.VII « Signes de nullité dans le Gouvernement français. » [Considérations sur la France-7]
10- Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie) [Considérations sur la France-8]
11- Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. » [Considérations sur la France-9]
12- Chapitre IX « Comment se fera la contre-révolution, si elle arrive? » [Considérations sur la France-10]
13- Chapitre X « Des prétendus dangers d’une contre-révolution. »
[Considérations sur la France-11]
Joseph de Maistre nous transmet ici une œuvre bien plus importante qu’elle n’y paraît et par bien des égards centrale et symbolique dans sa pensée. Sa réflexion sur les sacrifices, outre d’apporter des éclaircissements vraiment instructifs et justes, en donnant, comme d’accoutumée avec la pensée maistrienne, la nourriture nécessaire et des bases saines pour développer et éclaircir encore plus certaines vérités fondamentales concernant la condition humaine, comme nous le verrons, donne aussi de précieux éléments méthodologiques. En attendant, cet opuscule est central tant par l’importance de son sujet, les sacrifices, dont la compréhension est fondamentale pour comprendre la religiosité humaine d’une part, et d’autre part la spécificité sublime de la religion de l’Homme-Dieu de l’Incarnation et de la Rédemption, religion par excellence. L’opuscule permet en outre de s’assurer de l’orthodoxie catholique tout à fait juste de Joseph de Maistre. Cet opuscule se trouve en effet cité dans l’Encyclopédie de la Foi en français, tome sur la Grâce, compilation de catéchismes des années 30 rassemblant les plus grandes autorités théologiques de l’époque. Les seules citations faites sont les saintes écritures, les Pères de l’Eglise, les Docteurs de l’Eglise, et certains saints. Joseph de Maistre est le seul laïque non béatifié à se trouver cité, justement à propos des sacrifices[1]. Précisons tout de suite que Joseph de Maistre parvient à trouver ce ton juste de la vérité, qui a intégré profondément l’orthodoxie de la vérité du dogme dans toute sa plénitude sans excès, et qui connaît bien les limites de la raison : il parvient ainsi habituellement grâce à un style à la fois ciselé et littéraire à préciser nettement et de façon intransigeante ce qui doit être dit de façon ciselée et intransigeante, et de faire sentir le voile du mystère partout où il se trouve, sans faire semblant de le lever, mais sans à la fois abandonner tout effort rationnel devant ces mystères et tomber dans le travers de ne rien tenter d’expliquer, même par des arguments de convenance. Bon sens, équilibre, Foi vécue et orthodoxie incarnée lui permettent de trouver cette justesse de ton à laquelle il nous a habitués.
Ce travail de Joseph de Maistre a aussi l’intérêt d’éclairer son œuvre sous un autre jour, celui du religieux pour le religieux : cet opuscule témoigne de la profondeur foncière de la pensée maistrienne qui dépasse de loin la simple réflexion politique. Un théologien politique, certes, mais avant tout un orthodoxe de la Foi catholique pétri de bon sens qui a le talent de percer des vérités incarnées dans des domaines qui sortent du cadre réservé des ecclésiastiques et de la théologie, par un usage appuyé de la raison toujours, oui toujours, soumise à la Foi, avec en plus cette conscience aiguë des dangers révolutionnaires et de sa pensée empoisonnée et subversive. Enfant de la révolution, il connaît ses dangers, et sait où il faut insister pour tuer la pensée fausse et subversive à sa racine.
Nous nous proposons dans cette étude de suivre Joseph de Maistre sur le sacrifice qui, par de nombreux aspects, permet de mieux connaître un sujet aujourd’hui bien trop méconnu, avec l’assurance d’une reconnaissance officielle d’orthodoxie par l’Eglise dans les années 1930, sans parler de la limpidité de son ton, qui force tout jugement de bonne foi à reconnaître la présence d’un fond de vérité dans ses affirmations.
Cette étude appelle une suite, ou plutôt un cas pratique pour vérifier ses idées, éclairées par le dogme. Nous souhaitons ainsi étudier en détail l’histoire du sacrifice au Japon afin de pouvoir mettre à l’épreuve d’un cas absolument hors de la portée de Joseph de Maistre ses idées générales sur la question.
Suivons Joseph de Maistre, mais avant, rappelons la définition simple du sacrifice par le dogme, ce qui permettra de mieux sentir, nous l’espérons, la valeur du travail de développement d’un Joseph de Maistre, qui a le talent de transformer les mots en expérience vécue et sensible qui parle à l’âme qui veut bien entendre.
« Qu’est-ce que le sacrifice proprement dit ?
C’est l’offrande extérieure d’une chose sensible que fait à Dieu seul le ministre légitime, en la détruisant ou en la changeant par un rite sacré, afin de reconnaître d’une manière particulière le souverain domaine de Dieu sur nous. »[2] L’opuscule de Joseph de Maistre s’organise selon un plan simple : les origines et l’universalité du sacrifice dont la nécessité se trouve inscrite dans notre condition post-chute, l’excès des sacrifices humains, qui provient de l’excès compréhensible d’une intuition religieuse, et la sublimation indépassable du sacrifice christique qui vient accomplir le véritable sacrifice.
Paul de Beaulias
[1] Collectif, La Grâce, Clovis, Etampes, 2002, p.306
[2] Ibid, p.300