[Considérations sur la France-8] Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie)
[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 10]
Paul de Beaulias– Au fil des classiques
Série Joseph de Maistre
Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886
Articles précédents:
1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque
2- Joseph de Maistre vu par son fils
3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]
5- Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]
6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]
7- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. » [Considérations sur la France-5]
8- Chap.VI « De l’influence divine dans les constitutions politiques. » [Considérations sur la France-6]
9- Chap.VII « Signes de nullité dans le Gouvernement français. » [Considérations sur la France-7]
- Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie)
Joseph de Maistre présente dans ce chapitre ce qu’est la constitution dans son sens naturel : en bref, ce qui fait un pays, soit des lois fondamentales qui n’ont pas besoin d’être écrites. Plus que cela encore, la constitution contient aussi tous les éléments de caractères qui font la France, sa couleur et sa particularité :
« On a soutenu trois systèmes différents sur l’ancienne constitution française : les uns ont prétendu que la nation n’avait point de constitution; d’autres ont soutenu le contraire ; d’autres enfin ont pris, comme il arrive dans toutes les questions importantes, un sentiment moyen : ils ont soutenu que les Français avaient véritablement une constitution, mais qu’elle n’était point observée.
Le premier sentiment est insoutenable ; les deux autres ne se contredisent point réellement.
L’erreur de ceux qui ont prétendu que la France n’avait point de constitution, tenait à la grande erreur sur le pouvoir humain, la délibération antérieure et les lois, écrites,
Si un homme de bonne foi, n’ayant pour lui que le bon sens et la droiture, demande ce que c’était que l’ancienne constitution française, on peut lui répondre hardiment: « C’est ce que vous sentiez, lorsque vous « étiez en France ; c’est ce mélange de liberté et d’autorité, de lois et d’opinions, qui faisait croire à l’étranger, sujet d’une monarchie, voyageant en France, qu’il vivait sous un autre gouvernement que le sien. »[1]
Il doit le dire de façon encore plus affirmée qu’il n’est pas français, et le sent aussi en tant qu’étranger et descendant de français. Il met ensuite en évidence l’aspect fondamental de la constitution française qui la met au-dessous de toutes les autres :
« Mais si l’on veut approfondir la question, on trouvera, dans les monuments du droit public français, des caractères et des lois qui élèvent la France au-dessus de toutes les monarchies connues.
Un caractère particulier de cette monarchie c’est qu’elle possède un certain élément théocratique qui lui est particulier, et qui lui a donné quatorze cents ans de durée : il n’y a rien de si national que cet élément. Les évêques, successeurs des Druides sous ce rapport, n’ont fait que le perfectionner. »
Le Roi Très Chrétien est en effet sacré, le lieutenant de Dieu sur terre, la relation intime de la royauté française au divin donne toute la saveur et la particularité de sa constitution comparée aux autres pays d’Europe, tout en soulignant une continuité que Joseph de Maistre voit antre l’ancienne gaulle celtique et le royaume franc converti. Cette observation est hautement intéressante et mérite d’être creusée : s’il semble effectivement que l’obsession de la continuité soit bien française, ainsi que le lien intrinsèque de la famille royale au divin, sans compter l’union intime du trône et de l’autel on comprend pourquoi la révolution française ne pouvait qu’être française, car face à cette royauté étincelante, la noirceur et de la démesure humaine a voulu subvertir frontalement tous les principes sacrés, et tout le caractère divin de la royauté française.
Joseph de Maistre cite ensuite quelques lois fondamentales du Royaume de France, ou du moins ce qu’il croit en être, de la « constitution de France », qui, si elle n’est pas épuisable, peut-être du moins partiellement décrite dans ses grandes lois fondamentales. Il n’est pas du tout exhaustif, et son analyse manque de précision, car pour lui le plus important est le caractère « théocratique » de la monarchie française qui la rend supérieure à toutes les autres constitutions. Les autres aspects, s’ils restent importants, sont du moins secondaires. Il cite ainsi le « Développement des principes fondamentaux de la monarchie française, Î793, in-8 », que comme étranger non expert de la question est une somme pratique pour lui. Ce volume est néanmoins douteux, et des lois fondamentales assez hérétiques suivent des principes très vrais :
« « II est des lois que les rois eux-mêmes se sont avoués, « suivant l’expression devenue célèbre, dans l’heureuse « impuissance de violer ; ce sont les lois du royaume, à « la différence des lois de circonstances ou non constitutionnelles appelées lois du roi. » »[2]
Puis des choses étranges qui sont assez « anticonstitutionnelles » : «« Les mariages des princes du sang, faits sans l’autorité du roi, sont nuls. » pag. 262, Si la dynastie régnante vient à s’éteindre, c’est la nation qui se donne un roi. » pag. 263, etc., etc. »[3]
Cette erreur de Joseph de Maistre révèle sa grande bonne foi qui est confirmée dans le post-scriptum de l’œuvre dans lequel l’on trouve la remarque suivante :
« La nouvelle édition de cet ouvrage touchait à sa fin, lorsque des Français dignes d’une entière confiance m’ont assuré que le livre du Développement des vrais principes, etc., que j’ai cité dans le chap. VIII, contient des maximes que le roi n’approuve point :
« Les magistrats, me disent-ils, auteurs du livre en question, réduisent nos états généraux à la faculté de « faire des doléances, et attribuent aux parlements le droit exécutif de vérifier les lois, celles même qui ont été rendues sur la demande des états ; c’est-à-dire, qu’ils élèvent la magistrature au-dessus de la nation. » »[4]
Observation pertinente et qui rétablit ce penchant parlementariste révolutionnaire d’usurpation de la souveraineté qui existait dans les parlements de l’ancien régime à la veille de la révolution. Joseph de Maistre accepte la critique, se rectifie et montre ainsi tant sa bonne foi que la volonté de chercher la vérité, en admettant qu’il peut se tromper comme n’importe qui :
« Je répète, que je n’ai lu le livre du Développement,etc. dans aucune vue systématique. Séparé de mes livres depuis longtemps ; obligé d’employer, non ceux que je cherchais, mais ceux que je trouvais: réduit même à citer souvent de mémoire sur des notes prises anciennement, j’avais besoin d’un recueil de cette nature pour rassembler mes idées. »[5]
Cette modestie et la reconnaissance de ses erreurs, sans que cela n’empêche une certaine audace d’affirmer des arguments quand il en est convaincu est caractéristique d’une certaine tournure d’esprit traditionnel qui recherche la vérité en connaissant ses limites, en cherchant toujours à s’approcher plus de la vérité, et donc en acceptant l’erreur, en la corrigeant, tout en gardant cette sorte de vivacité, cette saine énergie qui lui permettent d’allier raison et cœur pour affirmer des vérités, même s’il se laisse parfois prendre par une logique un peu trop rationaliste, bien de son siècle, qui lui fait prendre trop de risque dans ses assertions. Avec aussi certains poncifs de son temps, peut-être aussi en tant qu’étranger qui voit la France, mais où on pourrait entendre, même s’il s’en défend, que les états-généraux comme une sorte de nation souveraine, ou en citant un Machiavel comme argument d’autorité, alors que ce dernier a énormément contribué à installer l’idée de l’abus de pouvoir comme d’une normalité – Joseph de Maistre évoque le fait que même un Machiavel pouvait dire que la Constitution de France était bonne.[6]
Il y a un côté moderniste, avec les états généraux considéré comme un avatar de nation-souverain, même s’il s’en défend.
Cette parenthèse close, nous pouvons citer un autre rappel important de Joseph de Maistre qui met en garde contre une sorte de conservatisme qui s’obséderait des formes : l’important est de transmettre l’esprit, peu importe au fond les formes, tant que l’esprit de toujours est là. C’est ce qui permet de surmonter les crises et la réforme sans tomber dans la révolution. Les formes peuvent être parfois clefs et incontournables, mais d’autres sont aussi indifférentes, en particulier quand il s’agit de systèmes politiques, qui doivent pouvoir s’adapter en fonction des besoins
« Une autre erreur très funeste, est de s’attacher trop rigidement aux monuments anciens. Il faut sans doute les respecter ; mais il faut surtout considérer ce que les jurisconsultes appellent le dernier état. Toute constitution libre est de sa nature variable, et variable en proportion qu’elle est libre (1) ; vouloir la ramener à ses rudiments, sans en rien rabattre, c’est une entreprise folle. »[7]
La façon de dire pourrait être mal comprise en entendant que la constitution peut être comme changée ou manipulée. Pour le dire autrement sans quiproquo on peut juste dire que la constitution du pays est sa nature, avec un certain nombre de principes clefs : le tout est d’y correspondre. La révolution nie la nature de la France d’où les souffrances : c’est comme si un homme qui est homme par nature se disait femme ; cela donne des souffrances car la réalité est là. Dans le cas de la constitution d’un pays évidemment, comme d’ailleurs pour une personne singulière, toute la nature ne peut pas être explicitée par l’homme.
[1] Ibid, pp89-90
[2] Ibid, p.92
[3] Ibid, p.93
[4] Ibid, p.182 Post-scriptum
[5] Ibid, p.183
[6] Ibid, p.97
[7] Ibid, pp.98-99
Notre roi, Louis XX serait, paraît-il pour une monarchie comme ses cousines européennes, Parlementaire. Pourquoi ne pas prendre la charte de 1814, comme texte constitutionnel, lorsque la royauté sera rétablie enfin ?