[Considérations sur la France-5] Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. »
[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 7]
Paul de Beaulias– Au fil des classiques
Série Joseph de Maistre
Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886
Articles précédents:
1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque
2- Joseph de Maistre vu par son fils
3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]
5- Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]
6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]
- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. »
Nous touchons à une observation centrale de Joseph de Maistre face à la Révolution: son caractère diabolique et satanique qui cherche à nier, derrière la souveraineté royale, la souveraineté divine et sa réalité :
« Il y a dans la révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra.
Qu’on se rappelle les grandes séances, le discours de Robespierre contre le sacerdoce, l’apostasie solennelle des prêtres, la profanation des objets du culte, l’inauguration de la déesse Raison, et cette foule de scènes inouïes où les provinces tâchaient de surpasser Paris : tout cela sort du cercle ordinaire des crimes, et semble appartenir à un autre monde.
Et maintenant même que la révolution a beaucoup rétrogradé, les grands excès ont disparu, mais les principes subsistent. »[1]
Joseph de Maistre souligne que le véritable malheur consiste dans le maintien des principes sataniques malgré la réduction des excès, et que ces principes, s’ils ne sont pas remplacés au profit des principes universels qui existent de tout temps, contiennent les ferments de prochaines explosions de mal, et, en attendant, d’insinuer du mal un peu partout dans la société. Sa vision est prophétique, et la suite des temps jusqu’au aujourd’hui semble démontrer son propos : la France n’a pas encore réussi depuis 200 ans à se débarrasser des principes révolutionnaires, et elle rechute ainsi de plus en plus violemment, et le mal atteint même l’église et tout le pays réel. À nous de faire en sorte que la chute qui s’annonce soit la dernière d’un cycle descendant, et que les prochaines relevailles soient éclatantes, fermes sur les bons principes retrouvés, et mettent fin au cycle révolutionnaire qui n’en finit pas.
Joseph de Maistre analyse ensuite la nature profonde de l’homme, et par là des institutions qui sont faites pour lui :
« Toutes les institutions imaginables reposent sur une idée religieuse, ou ne font que passer. Elles sont fortes et durables à mesure qu’elles sont divinisées, s’il est permis de s’exprimer ainsi. »[2]
Toutes les institutions traditionnelles se fondent en effet sur la religion, sur le sacré, et plus nous remontons dans les temps, ou dans le caractère primitif, plus proche donc de l’origine, les peuples vivent continuellement dans le sacré, et la forme normale du gouvernement est sacré, souvent royal. Cela est si vrai que même la révolution ne peut aller contre cette nature religieuse de l’homme, et elle ne peut que le pervertir en substituant à la religion vraie une idolâtrie extrême qui ne possède aucun exemple d’une idolâtrie aussi éloignée de la vérité dans l’histoire : peut-être fallait-il paradoxalement que la religion la plus vraie soit en face, pour pouvoir concevoir une idolâtrie aussi fausse qui s’obsède dans la contradiction point par point de toutes les vérités de l’Église universelle.
Joseph de Maistre témoigne ainsi de son caractère profondément pieux, tout en étant un maître-d ’œuvre accomplissant ses devoirs durant toute sa vie. Il connaît en effet comment la religion vraie, la messe universelle, l’église universelle au niveau individuel donne des grâces lorsqu’on s’abandonne au Christ. La prière est efficace et soutient les âmes et les œuvres, tout en se rapprochant par la pratique des sacrements de Dieu. De la même façon, les hommes assemblés dans des institutions qui se donnent au Christ se renforcent autant, et marchent plus sûrement dans la voie divine :
«Toutes les fois qu’un homme se met, suivant ses forces, en rapport avec le Créateur, et qu’il produit une institution quelconque au nom de la Divinité ; quelle que soit d’ailleurs sa faiblesse individuelle, son ignorance, sa pauvreté, l’obscurité de sa naissance, en un mot, son dénuement absolu de tous les moyens humains, il participe en quelque manière à la toute-puissance, dont il s’est fait l’instrument ; il produit des œuvres dont la force et la durée étonnent la raison. »[3]
Oui, Joseph de Maistre a tout vu là : peu importe l’insignifiance présumée d’une œuvre. Si elle est d’essence divine elle est éternelle et vaut le coup. Inversement, toutes les œuvres interlopes valent moins le coup. Et seul l’abandon à la Providence divinise les œuvres, dit encore d’une autre façon. Sans compter que cette pratique reproduite soude et fait prendre une société, renforce le tissu social à un point exceptionnel et infini :
« Chaque année, au nom de Saint Jean, de Saint Martin, de Saint Benoît, etc., le peuple se rassemble autour d’un temple rustique: il arrive, animé d’une allégresse bruyante et cependant innocente. La religion sanctifie la joie, et la joie embellit la religion ; il oublie ses peines; […] »[4]
Cette sanctification illustre parfaitement l’esprit traditionnel et catholique : chair, monde et œuvres sont parties intégrantes du plan divin, et il n’est pas question, à la façon protestante, de renvoyer Dieu dans sa seule transcendance, très loin de ce monde, ni de tomber dans le matérialisme et idéalisme révolutionnaires, qui nient toute transcendance et la remplace par une idée, aboutissant à un matérialisme tout aussi excessif. La religion universelle cherche à sanctifier tout le monde et toute la vie : tout a vocation à marcher en sainteté, c’est-à-dire dans le bien et la vertu, c’est-à-dire en Dieu, soit en comblant partout le manque de bien, le mal, qui est l’éloignement de Dieu. S’abandonner à Dieu, suivre le Christ ne peut ainsi que donner une joie bonne, dans une sociabilité sainte, car l’homme est religieux, et donc sociable, puisque le lien à Dieu qui englobe tous les liens s’incarnent aussi dans les liens aux autres hommes, et à la nature. C’est comme la lumière qui se répand partout, réchauffe les cœurs, et donne une sainte joie et un bon esprit, issu de l’esprit saint qui sanctifie tout ce qu’il touche, et tous ceux qui acceptent de se laisser toucher, dans toutes les déclinaisons spirituelles et matérielles imaginables.
Le simple spectacle de l’état de la France traditionnelle, des villages harmonieux, des sociétés harmonieuses qui existèrent pendant longtemps en France, et encore jusqu’à peu de façon générale, et durable, grâce au ferment invincible de la religion qui renforce, sanctifie et divinise toutes les actions, et prévient des chutes sévères, soutient le pêcheur qui se relève, se repend et s’efforce, faible qu’il est, de marcher dans la voie du Christ. Sans compter évidemment le ferment de toute une culture commune, de chants communs, de la messe commune, qui se concrétise d’abord dans une communion sacramentelle universelle, des fêtes communes, etc.
Face à cela, la révolution et toutes ses lubies ne méritent même pas d’être évoquées tellement leur médiocrité est évidente, tellement tout ne cherche qu’à éloigner du bien :
« Maintenant, que nous faut-il de plus pour juger le système français ? Si sa nullité n’est pas claire, il n’y a rien de certain dans l’univers. »[5]
Il a raison, pas besoin de s’appesantir sur les horreurs révolutionnaires, qui au mieux ne font pas avancer les choses, au pire peuvent déclencher des réactions étranges. Regarder trop le mal n’apporte rien, il suffit juste de le rappeler à l’échelle juste nécessaire pour s’en dégoûter, sans trop pour ne pas tomber dans une sorte de fascination perverse et qui peut aussi amener la désespérance.
Joseph de Maistre finit sur une apologie de la religion du Christ, en rappelant des faits simples et évidents, mais qu’il est toujours bon de rappeler, encore plus dans notre temps : le christianisme n’est pas né avec le Christ, il est né avec la Création, et c’est pourquoi c’est la religion universelle, et le Christ s’est répandu sur toute la terre par des ignorants et des humbles illettrés, simple fait qui devrait convaincre de l’action divine dans tout cela pour toute personne de bonne foi :
« Elle naquit le jour que naquirent les jours »[6]
« Le christianisme a été prêché par des ignorants et cru par des savants, et c’est en quoi il ne ressemble à rien de connu. »[7]
Le Christ a besoin néanmoins d’un lieutenant sur cette terre, un lieutenant qui n’est pas son vicaire. Le vicaire seul ne résiste pas à Satan, les dernières décennies ne le prouvent que trop dramatiquement, et il fut une illusion de croire pouvoir servir la religion universelle sans son lieutenant, et rester français sans son lieutenant – car au fond qu’est-ce être français sinon servir le Roi de France, lieutenant de Dieu sur terre, et être le peuple qui a forgé la foi universelle en protégeant l’église, en lui ouvrant la voie des cœurs et du monde ? Ce peuple qui sert le Christ en servant son lieutenant, et qui le sait.
Nous ne pouvons ainsi que renouveler avec ardeur l’appel de l’étranger Joseph de Maistre à tous les Français de faire la chose qui devrait être la plus évidente pour un Français et le premier devoir de chaque sujet :
« Français! Faites place au Roi très-chrétien, portez-le vous-mêmes sur son trône antique ; relevez son oriflamme, et que son or, voyageant d’un pôle à l’autre, porte de toutes parts la devise triomphale :
LE CHRIST COMMANDE, IL RÈGNE,
IL EST VAINQUEUR! »[8]
Joie, espérance, et œuvres en toute charité, mais sans perdre l’intransigeance, avec force, sans jamais de violences, dans une sorte de simplicité bourrue divinisée et la France pourra retrouver enfin sa vocation, à la suite du tenant lieu de Dieu sur terre, notre bon Roi Très Chrétien, Louis XX.
[1] Ibid, p.55
[2] Ibid, p.56
[3] Ibid, pp.58-59
[4] Ibid, p.59
[5] Ibid, p.61
[6] Ibid, p.62
[7] Ibid, p.63
[8] Ibid, p.66