[Considérations sur la France-11] Chapitre X « Des prétendus dangers d’une contre-révolution. »
[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 13]
Paul de Beaulias– Au fil des classiques
Série Joseph de Maistre
Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886
Articles précédents:
1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque
2- Joseph de Maistre vu par son fils
3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]
5- Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]
6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]
7- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. » [Considérations sur la France-5]
8- Chap.VI « De l’influence divine dans les constitutions politiques. » [Considérations sur la France-6]
9- Chap.VII « Signes de nullité dans le Gouvernement français. » [Considérations sur la France-7]
10- Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie) [Considérations sur la France-8]
11- Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. » [Considérations sur la France-9]
12- Chapitre IX « Comment se fera la contre-révolution, si elle arrive? » [Considérations sur la France-10]
- Chapitre X « Des prétendus dangers d’une contre-révolution. »
Joseph de Maistre développe dans ce chapitre les arguments pour le retour de la monarchie et contre ceux qui veulent faire croire que la restauration est difficile. Il commence par une remarque très pertinente en plusieurs sens :
«Se persuaderait-on, par hasard, que le retour de la maladie à la santé est aussi pénible que le passage de la santé à la maladie ? et que la monarchie, renversée par des monstres, doit être rétablie par leurs semblables? Ah ! que ceux qui emploient ce sophisme lui rendent bien justice dans le fond de leur coeur! Ils savent assez que les amis de la religion et de la monarchie ne sont capables d’aucun des excès dont leurs ennemis se sont souillés ; ils savent assez qu’en mettant tout au pis, et en tenant compte de toutes les faiblesses de l’humanité, le parti opprimé renferme mille fois plus de vertus que celui des oppresseurs! Ils savent assez que le premier ne sait ni se défendre ni se venger : souvent même ils se sont moqués de lui assez haut sur ce sujet. »[1]
Il a doublement raison : la révolution est d’abord bien une maladie dans ses principes atteignant le corps de France et mettant à mal sa constitution ; tant que son régime naturel, la monarchie, n’est pas officiellement à sa place, seuls des maux s’ensuivront, car la constitution de France est substantiellement royale. La perversion révolutionnaire profite ensuite de la noblesse et de la miséricorde des bons sujets de France, et elle en profite. Ces deux points sont certainement vrais, mais il ne faut pas s’arrêter là : ainsi la révolution est peut-être une maladie, mais il ne faut pas avoir peur d’être infecté, peur trop répandue parmi les contre-révolutionnaires, ou les « tradis » qui témoigne inversement d’une certaine faiblesse de leur Foi ou de leur conviction de se comporter vertueusement. Nous n’avons pas besoin d’être le moins du monde inquiets de l’infection, car il suffit de suivre les enseignements du Christ et de la foi catholique éternelle, avec les sacrements qui nous purifient et nous ramènent à la communion avec Dieu habituellement. Il n’y a pas « d’infection » irréversible en ces matières de politique, cette idée de maladie, même si effectivement elle se constate de cette façon quand cela se passe mal, et en particulier dans la révolution française, n’est pas forcément exact : on pourrait plutôt parler d’obscurité et de lumière, et il suffit d’irradier pour éclairer le manque de lumière qu’est l’obscurité, et de la même façon il ne faut pas avoir peur, mais savoir que nos œuvres bonnes traditionnalisent, purifient ceux qui manquent de pureté. N’oublions jamais que le mal n’est qu’un manque de bien. La seconde remarque sur l’abus de la bonté des bons par les révolutionnaires est vraie, mais ce n’est pas une fatalité. Les guerres vendéennes, si elles n’ont pas abouti sur une victoire, en sont bien la preuve : on peut être bon et intransigeant, bon et fort. Et il s’agit alors de bien user de la force, et quand il faut se battre, se battre vraiment et complétement jusqu’à la victoire, ce qui n’empêche pas le pardon des vaincus et la charité envers les méchants qui entraînent la conversion des cœurs. L’important est d’être fort et bon, fort afin de vaincre le mal, et bon afin de ne pas faire son jeu, et de combler le manque de bien par la conversion des cœurs.
Joseph de Maistre reste perplexe devant cette obstination française, alors que les Français sont naturellement des sujets aimant leur Roi, de ne pas vouloir soutenir le Roi, et de faire des histoires pour des riens. C’est incompréhensible pour lui, comme il reste toujours un mystère aujourd’hui de cette obstination masochiste des Français de donner le bâton avec joie à ceux qui les battent :
« Par quel déplorable aveuglement vous obstinez-vous à lutter péniblement contre cette puissance qui annule tous vos efforts pour vous avertir de sa présence ? Vous n’êtes impuissants que parce que vous avez osé vous séparer d’elle, et même la contrarier : du moment où VOUS agirez de concert avec elle, vous participerez en quelque manière à sa nature ; tous les obstacles s’aplaniront devant vous, et vous rirez des craintes puériles qui vous agitent aujourd’hui. Toutes les pièces de la machine politique ayant une tendance naturelle vers la place qui leur est assignée, cette tendance, qui est divine, favorisera tous les efforts du roi ; et l’ordre étant l’élément naturel de l’homme, vous y trouverez le Bonheur que vous cherchez vainement dans le désordre. La révolution vous a fait souffrir, parce qu’elle fut l’ouvrage de tous les vices, et que les vices sont très justement les bourreaux de l’homme. Par la raison contraire, le retour à la monarchie, loin de produire les maux que vous craignez pour l’avenir, fera cesser ceux qui vous consument aujourd’hui; tous vos efforts seront positifs; vous ne détruirez que la destruction. »[2]
Il souligne ainsi d’ailleurs l’importance dans les œuvres d’agir selon sa constitution, ce qui a le grand avantage de démultiplier l’efficacité des œuvres et leurs bons fruits. Agir en contradiction, ou au mieux en déphasage, avec sa constitution est inutile, et n’est rien d’autre que s’agiter sans fruits et pour rien. Mieux vaut rester immobile et prier sereinement que cette agitation qui au mieux ne produit rien, et au pire participe au mal – les exemples sont nombreux aujourd’hui encore, dans les élections par exemple, une grande agitation distractive, destructive s’il en est.
Cela rappelé, il démystifie encore une fois la démesure et l’orgueil des hommes en rappelant la vérité fondamentale suivante, et vérifiée depuis lors car aucun de ces pseudo-gouvernements ne durent, ni d’ailleurs que ces « régimes » ne durent :
« Ouvrez l’histoire, vous ne verrez pas une création politique ; que dis-je ! vous ne verrez pas une institution quelconque, pour peu qu’elle ait de force et de durée, qui ne repose sur une idée divine ; de quelque nature qu’elle soit, n’importe : car il n’est point de système religieux entièrement faux. »[3]
Il dénonce ensuite cet attentisme, cette peur du faible qui se réjouit des malheurs sans être touché par le monde qui s’écroule et le sachant, au lieu de se réveiller et d’agir, cri qui résonne toujours aujourd’hui comme un avertissement d’outre-tombe :
« Durant la ferveur du terrorisme, les étrangers remarquaient que toutes les lettres de France qui racontaient les scènes affreuses de cette cruelle époque, finissaient par ces mots : A présent on est tranquille, c’est-à-dire les bourreaux se reposent : ils reprennent des forces; en attendant tout va bien. Ce sentiment a survécu au régime infernal qui l’a produit. Le Français pétrifié par la terreur, et découragé par les erreurs de la politique étrangère, s’est renfermé dans un égoïsme qui ne lui permet plus de voir que lui-même, et le lieu et le moment où il existe : on assassine en cent endroits de la France ; n’importe, car ce n’est pas lui qu’on a pillé ou massacré : si c’est dans sa rue, à côté de chez lui qu’on ait commis quelqu’un de ces attentats, qu’importe encore? »[4]
La déficience souveraine des tyrans violente beaucoup par dépit ou par compensation sans jamais ne parvenir à rien construire, juste à détruire, puisque rien n’est légitime, tout en détruisant dangereusement toute une génération à venir qui fait frissonner – ce qui fait encore écho à notre pauvre France contemporaine qui semble si proche de l’atmosphère qui ressort de ces avertissements du premier contre-révolutionnaire :
« Cependant les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnaît son impuissance pour les faire exécuter ; les crimes les plus infâmes se multiplient de toutes parts ; le démon révolutionnaire relève fièrement la tête ; la constitution n’est qu’une toile d’araignée, et le pouvoir se permet d’horribles attentats. Le mariage n’est qu’une prostitution légale ; il n’y a plus d’autorité paternelle, plus d’effroi pour le crime, plus d’asile pour l’indigence. Le hideux suicide dénonce au gouvernement le désespoir des malheureux qui l’accusent. Le peuple se démoralise de la manière la plus effrayante; et l’abolition du culte, jointe à l’absence totale d’éducation publique, prépare à la France une génération dont l’idée seule fait frissonner. »[5]
Ce manque de légitimité donne en effet court à toutes les folies chimériques en rendant incapable le « choix », soit l’élimination de tous les projets fous pour se consacrer à quelques œuvres qui vont bien avec sa constitution – la révolution fait des choix fous, comme un cul de jatte déciderait de faire de la course à pied :
« Le gouvernement régulier exclut une infinité de projets ; mais, sous l’empire d’une souveraineté fausse, il n’y a point de projets chimériques; toutes les passions sont déchaînées, et toutes ont des espérances fondées. Les poltrons qui repoussent le roi, de peur de la guerre civile,’ en préparent justement les matériaux. C’est parce qu’ils veulent follement le repos et la constitution, qu’ils n’auront ni le repos ni la constitution. »[6]
Joseph de Maistre continue avec deux types de remarques essentielles pour notre temps : il appelle ceux qui sont censés être pris dans la révolution et l’influencer, d’aider à revenir à la monarchie, qu’il n’est jamais trop tard pour revenir dans le droit chemin, et que s’ils se réforment, ils seront pardonnés. Ce point est important pour aujourd’hui aussi, et il s’agit d’inclure tout le monde dans la restauration, à commencer par les républicains, en leur rappelant simplement que s’ils sont républicains, ils doivent vouloir servir la chose publique, et que la chose publique en France est incarnée et servie par le Roi, donc il n’y pas de soucis – les ripouxblicains idéologiques et fous ne sont au fond qu’une poignée et une grande majorité des gens ne veut rien d’autre que le bien et la tranquillité, mais ils sont souvent trompés et perdus, ce qui donne toutes ces violences physiques comme morales.
«Il est encore une réflexion qui doit être sans cesse devant les yeux des Français qui font portion des autorités actuelles, et que leur position met à même d’influer sur le rétablissement de la monarchie. Les plus estimables de ces hommes ne doivent point oublier qu’ils seront entraînés, plus tôt ou plus tard, par la force des choses ; que le temps fuit, et que la gloire leur échappe.
Celle dont ils peuvent jouir est une gloire de comparaison : ils ont fait cesser les massacres; ils ont tâché de sécher les larmes de la nation : ils brillent, parce qu’ils ont succédé aux plus grands scélérats qui aient souillé ce globe ; mais lorsque cent causes réunies auront relevé le trône, l’amnistie, dans la force du terme, sera pour eux ; et leurs noms, à jamais obscurs, demeureront ensevelis dans l’oubli, Qu’ils ne perdent donc jamais de vue l’auréole immortelle qui doit environner les noms des restaurateurs de la monarchie. Toute insurrection du peuple contre les nobles n’aboutissant jamais qu’à une création de nouveaux nobles, on voit déjà comment se formeront ces nouvelles races, dont les circonstances hâteront l’illustration, et qui, dès leur berceau, pourront prétendre à tout. »[7]
Joseph de Maistre élève une seconde remarque pertinente : il est trop simple de s’attaquer au mal révolutionnaire le dénonçant ; ce qu’il faut c’est reconnaître ses fautes, et ne pas oublier que cette révolution est une punition divine aussi, ce qui signifie qu’il y avait matière à punir des pêchés non regrettés et non rachetés. En termes contemporains, cela signifie se réformer soi-même et agir sur soi-même pour vraiment agir royalement sans se préoccuper du mal adverse, mais en s’efforçant d’augmenter le bien en soi-même, et d’éteindre le mal en soi. Il s’adresse ainsi aux nobles qui ont fui plutôt que de se battre frontalement :
«Si la délicatesse, peut-être malheureuse, de la noblesse française ne l’avait pas écartée de la France, elle commanderait déjà partout ; et c’est une chose assez commune d’y entendre dire : Que si la noblesse avait voulu, on lui aurait donné tous les emplois. »[8]
Ou encore :
« Enfin, la noblesse française ne doit s’en prendre qu’à elle-même de tous ses malheurs : et lorsqu’elle en sera bien persuadée, elle aura fait un grand pas. »[9]
Il est d’autant bien placé pour faire cette critique qu’il ne souhaite qu’une chose : que les nobles se reprennent et incarnent pleinement leur rôle comme serviteur du Roi, et comme appendice de la souveraineté. Il rappelle ainsi la nature des nobles, qui leur donne des devoirs et de lourdes charges imprescriptibles :
« Il y a dans chaque état un certain nombre de familles qu’on pourrait appeler co-souveraines, même dans les monarchies ; car la noblesse, dans ces gouvernements, n’est qu’un prolongement de la souveraineté. »[10]
Et de la même façon :
« La philosophie moderne, qui aime tant parler de hasard, parle surtout du hasard de la naissance ; c’est un de ses textes favoris mais il n’y a pas plus de hasard sur ce point que sur d’autres : il y a des familles nobles comme il y a des familles souveraines. L’homme peut-il faire un souverain ? Tout au plus il peut servir d’instrument pour déposséder un souverain, et livrer ses états à un autre souverain déjà prince »[11]
Il tacle au passage la bêtise du concept de hasard pour remettre la Providence au centre : pas plus de hasard que de mal, mais seulement la providence et le manque de bien, le manque de lumière – façon de concevoir les choses qui permet d’éloigner la désespérance et la fascination pour le morbide :
« Il n’y a point de hasard dans le monde, et même dans un sens secondaire il n’y a point de désordre, en ce que le désordre est ordonné par une main souveraine qui le plie à la règle, et le force de concourir au but. »[12]
Pas non plus de désordre au fond, mais un manque de paix divine, avec cette nuance que même le désordre est inclus dans le plan divin – ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’en satisfaire, car si cela est vrai au niveau divin, au niveau humain il ne s’agit que d’œuvrer pour l’ordre de toutes nos forces, et cela signifie simplement que nous ne pouvons pas agir au niveau divin, évidence au fond.
L’auteur fait ensuite place à une de ses citations les plus célèbres et absolument clef :
« Enfin, c’est ici la grande vérité dont les Français ne sauraient trop se pénétrer: le rétablissement de la monarchie, qu’on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution. »[13]
En plus d’évidemment rappeler que la contre-révolution doit œuvrer dans un esprit contraire à la révolution, et donc, fondamentalement, faire du bien, le bien, et œuvrer pour la justice, d’une façon incarnée et selon la tradition – et en s’interdisant donc les procédés malsains révolutionnaires, la vengeance, etc. Cette phrase a néanmoins aussi une autre importance immense pour une époque : celle de faire d’une folie, d’une exception, une loi commune :
« On se laisse toujours éblouir par le même sophisme. Un parti a sévi, lorsqu’il était dominateur; donc le parti contraire sévira, lorsqu’il dominera à son tour. Rien n’est plus faux. En premier lieu, ce sophisme suppose qu’il y a de part et d’autre la même somme de vices ; ce qui n’est pas assurément. Sans insister beaucoup sur les vertus des royalistes, je suis sûr au moins d’avoir pour moi la conscience universelle, lorsque j’affirmerai simplement qu’il y en a moins du côté de la république. »[14]
Joseph de Maistre a tout à fait raison : c’est typiquement le mal dont les contemporains sont atteints en croyant, même inconsciemment et même chez ceux qui s’en défendent, qu’une autre logique que celle qui est révolutionnaire est impossible, tellement elle est imprégnée, et tellement elle n’a pas de goût concret, tellement elle est peu vécue en réalité. On va par exemple croire qu’une société policée et civilisée est impossible, et dire, par exemple, que de toute façon les hommes sont les hommes, donc l’incivilité sera là. Les jeunes en particulier peuvent en être victimes, n’ayant vécu que dans une société troublée. Il suffit pourtant de regarder l’histoire, ou plus prosaïquement d’autres pays – lointains et non occidentaux en général – pour pouvoir vivre en réalité cette expérience d’une société harmonieuse et civilisée. Pas de fatalité dans tout cela, et la Providence n’est pas une fatalité. La Providence est cette douce conviction que Dieu pourvoit aux hommes qu’Il aime, et qu’en fin de compte les choses vont selon son souhait, mais sans fatalité, et nous sommes libres dans notre champ limité de notre vie et de nos nombreuses limites de suivre la voie du Christ, comme d’en dévier, et de provoquer les maux – qui sont des manques de bien, qui nous atteignent avant tout nous-mêmes –car même si on tue quelqu’un autre, ou commettons un quelconque pêché mortel, le tué, s’il est lui-même en état de grâce, il sera sauvé, mais nous nous condamnons nous-même à la damnation, qui peut s’aggraver encore si la personne tuée était mauvaise – puisqu’en plus nous l’empêchons de faire repentance pour ses pêchés en l’envoyant directement dans l’autre monde.
En bref, la logique révolutionnaire est loin d’être fatale, elle est au contraire juste une bizarrerie que l’histoire aura tôt fait d’oublier, ou de ne retenir que pour illustrer les folies humaines à ne pas commettre.
La restauration ne peut ainsi qu’être bonne pour tout le monde, ce que prouva d’ailleurs la suite, car la royauté, par sa nature, pardonne et considère ses sujets comme ses enfants – et même ses mauvais enfants sont aimés :
« Dix mois après la date de cet écrit, le roi a prononcé dans sa déclaration ce mot si connu et si digne de l’être : Qui oserait se venger quand le roi pardonne? »[15]
Elle pardonne aussi à ceux de ses « amis » qui se sont bien gardés de bouger quand il fallait, comme elle pardonne à ses ennemis selon ce mot savoureux :
« On connaît la plaisanterie de Charles II sur le pléonasme de la formule anglaise, AMNISTIE ET OUBLI : Je comprends, dit-il; amnistie pour mes ennemis, et oubli pour mes amis. »[16]
Enfin, il faut être sûr de la force de la royauté, qui est là, tout simplement. Nous avons un Roi, et il est roi entier. Il ne peut être atteint dans son principe, qui est tout, car son principe est divin, et la constitution de France est peut-être celle la plus solide au monde – pour survivre à une telle révolution, il faut bien qu’elle soit solide :
« La famille des Bourbons ne peut être atteinte par les chefs de la république : elle existe ; ses droits sont visibles, et son silence parle plus haut, peut-être, que tous les manifestes possibles. »[17]
« Considérations » se conclue ensuite sur un dernier chapitre, traduction d’extraits de la révolution anglaise selon David Hume – qu’il n’hésite pas à citer, et où Joseph de Maistre cherche à monter le fond révolutionnaire de cette révolution qui n’a pas pourtant tourné aussi mal. Ce chapitre illustre en partie l’attraction anglaise de ce siècle même sur un esprit comme Joseph de Maistre.
Cet opuscule, peut-être le plus emblématique de son œuvre à relire et relire encore pour notre temps pour en tirer courage et principes d’action, a ainsi , ou plutôt réaffirmé clairement, le fondement de la constitution française, de la souveraineté, de la légitimité des réflexes traditionnels, tant en pratique qu’en esprit – malgré certaines tendances de son temps rationalistes ou mécanistes – face à un phénomène qui semble monstrueux, diabolique dans sa négation de Dieu, mais au fond une simple conséquence des pêchés humains, qui a son rôle comme tout dans le dessein divin que l’homme ne peut saisir, dans la Providence donc. Il n’est pas fataliste comme on le dit souvent, mais simplement fataliste au niveau divin au sens où l’homme ne peut influer sur le dessein divin ; mais il reconnait, et affirme même, on le lit entre les lignes, que l’homme, dans les limites de sa liberté, a toute marge de manœuvres et doit agir pour le beau, le bon et le bien sans se résigner, sans désespérer, dans la joie ; ce qu’il a fait lui-même au niveau de sa vie. Prendre Joseph de Maître comme le théoricien de l’inactivisme est faux, il faut le comprendre comme un étranger traditionnel, amoureux de la France, conscient du destin royal et constatant une folie dépassant toute imagination humaine et cherchant au contraire à exhorter tout Français de servir son Roi, d’œuvrer bonnement, dans les préceptes et l’esprit de toujours, dans le contraire de la révolution, soit l’amour de Dieu, l’amour du Roi, le dévouement, le sacrifice et la joie, dans le pardon du mal fait et la conversion des cœurs. Il s’agit ainsi plus de le lire pour se réformer soi-même, et pour expier les fautes des ancêtres, et s’attacher au bien, que de ne faire que regarder trop facilement au mal, à la médiocrité et au moche, qui sont par trop évidents pour leur faire l’honneur qu’elles ne méritent pas, en prenant le risque de tomber dans un attrait pour le morbide, la désespérance, ou l’oubli de la lumière sainte et du bon esprit.
[1] Ibid, p.122
[2] Ibid, p.124
[3] Ibid, p.125
[4] Ibid, p.126
[5] Ibid, p.127
[6] Ibid, p.136
[7] Ibid, pp.136-137
[8] Ibid, p.133
[9] Ibid, p.151
[10] Ibid, p.148
[11] Ibid, p.150
[12] Ibid, p.147
[13] Ibid, p.157
[14] Ibid, p.153
[15] Ibid, p.142
[16] Ibid, p.145
[17] Ibid, p.134