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Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 31 François Ier : le roi de la Renaissance

Texte de Bossuet :

François Ier. suite

Charles était occupé des affaires d’Allemagne, et il avait assemblé une diète à Worms pour les régler. II y avait de grands mouvements Empire, au sujet de Martin Luther, moine augustin, qui avait commencé depuis environ trois ans à soulever le peuple contre le Pape et contre l’Église. Léon, voyant la chrétienté si cruellement menacée par Sélim, empereur des Turcs, avait, à l’exemple de Jules II, son prédécesseur, donné par toute l’Église des indulgences en faveur de ceux qui contribueraient à lever des troupes contre le Turc. Les prédicateurs ignorants, et transportés d’un faux zèle, prêchaient ces indulgences d’une étrange sorte, et on eût dit qu’il ne fallait que donner de l’argent pour être sauvé.

Cependant on amassait des sommes immenses, dont on faisait des usages détestables, principalement en Allemagne et dans tout le Nord. Il était encore arrivé un autre inconvénient à Vitteinberg en Saxe ; on avait fait prêcher les indulgences aux Jacobins, à la place des Augustins, à qui on avait accoutumé de donner cette commission. Sur cela Luther se mit à prêcher premièrement contre les abus des indulgences, contre ceux de la cour de Rome et de l’ordre ecclésiastique, et enfin contre la doctrine même de l’Église, et de l’autorité du Saint Siège ; car il s’échauffait de plus en plus à mesure qu’il se voyait écouté. Son éloquence populaire et séditieuse était admirée ; sa doctrine flattait le peuple qu’elle déchargeait de jeunes, d’abstinence et de confession, ce qu’il couvrait pourtant d’une piété apparente.

Les princes entraient volontiers dans son parti, pour profiter du bien des églises, qu’ils regardaient déjà comme leur proie. Ainsi toute l’Allemagne était pleine de ses sectateurs, qui parlaient de lui comme d’un nouveau prophète. Léon, au lieu de réformer les abus qui donnaient lieu à l’hérésie, ne songeait qu’à perdre Luther. Si on s’y fût bien pris au commencement, on eût pu ou le gagner ou l’arrêter par la crainte, car il était intimidé, et ne demandait qu’une issue qui ne lui fût pas tout à fait honteuse ; mais on aima mieux le pousser.

Léon X anathématisa, par une bulle solennelle, sa personne et sa doctrine pernicieuse, et lui, de son côté, s’emporta à des insolences inouïes ; car il fit censurer par l’université de Vittemberg les Décrétales, et les fit brûler publiquement comme on avait fait ses livres à Rome. Il ajouta à cet outrage qu’il fit au Saint Siège des railleries contre Léon, d’autant plus piquantes qu’elles n’étaient pas éloignées de la vraisemblance ; car il est certain, entre autres choses, qu’il avait donné à sa sœur les revenus des indulgences, et que l’argent s’en levait par ses ministres avec une avarice honteuse.

L’empereur dissimula quelque temps, et ne fut pas fâché de laisser un peu échauffer les choses : il voyait qu’il en serait toujours le maître, et il voulait s’en faire un mérite auprès du Saint-Siège. Léon ne tarda pas de venir à lui. Manuel, son ambassadeur, auparavant méprisé à Rome, fut regardé de meilleur œil : et on croit que dès ce temps le Pape concerta avec lui, malgré les traités, les moyens de chasser François d’Italie.

Quoi qu’il en soit, l’empereur sollicité par Léon et pressé par sa conscience de remédier à un mal qui ne s’était que trop accru, après avoir ouï Luther à la diète de Worms, où il était venu sur la loi publique, le mit au ban de l’Empire, lui et ses sectateurs, et les déclara soumis à toutes les peines décernées contre les criminels de lèse-majesté divine et humaine; mais l’électeur de Saxe, son protecteur, lui donna retraite, et l’Allemagne se vit plus que jamais menacée de guerres sanglantes par cette hérésie.

L’Espagne n’était pas moins en trouble ; Charles en donnait toutes les charges aux Flamands, avec qui il avait été nourri, et à qui il se fiait davantage qu’aux Espagnols, ses nouveaux sujets. Après la mort du grand cardinal de Ximenès, qui avait si sagement présidé aux conseils de son aïeul Ferdinand et aux siens, il donna l’archevêché de Tolède au frère de Chièvres, et laissa à Chièvres lui-même le gouvernement des affaires durant son absence. Les grandes villes entrèrent dans le ressentiment de la nation, et aussitôt après le départ de Charles toute l’Espagne se révolta.

Cependant les six mois, dans lesquels Charles avait promis de restituer la Navarre, étant accomplis sans que la chose fût exécutée, François résolut, selon le traité de Noyon, de remettre Jean d’Albret en possession par la force ; ainsi il leva une armée en Guienne (1521). André de Foix, seigneur de l’Esparre, frère de Lautrec, en eut le commandement, et il conquit en quinze jours la Navarre, qu’il trouva toute dégarnie.

Il l’eût aisément conservée, s’il en fût demeuré là ; mais il passa l’Ebre contre ses ordres, et assiégea une place dans la Castille ; à cette nouvelle les Espagnols se réveillèrent. Logrogne, qui fut la place assiégée, tint assez longtemps pour leur donner le loisir de se reconnaître. Les ministres de l’empereur leur représentèrent combien il serait honteux à la nation que ses divisions intestines missent le royaume en proie. Il n’en fallut pas davantage pour les réunir, et le duc de Nocera se mit à la tête des troupes : il trouva les nôtres ruinées. Un des lieutenants généraux croyant l’affaire finie, avait pris de l’argent de la plupart des soldats pour leur donner leur congé. Le duc de Nocera tomba sur l’Esparre, qui combattit sans attendre le secours qui lui venait : il fut battu et pris, et la Navarre reconquise en aussi peu de temps qu’elle avait été perdue.

François ne se rebuta pas, et à dire vrai les deux princes se regardaient secrètement comme ennemis. Charles ne songeait à rendre ni la Navarre ni Naples, et son mariage, accordé avec une princesse d’un an, lui paraissait une illusion : ainsi, ils n’avaient tous deux que la guerre dans l’esprit, et la question était seulement à qui trouverait une meilleure occasion de se déclarer.

Durant ces dispositions, et au milieu de la diète de Worms, Robert de la Mark, prince de Sedan et seigneur de Bouillon, eut une grande affaire avec l’empereur, qui avait donné un relief d’appel à la chambre impériale de Spire, sur un jugement rendu par ses officiers de Bouillon ; il prétendait que ce duché ne relevait point de l’Empire ; et parce que Charles refusa de lui rendre justice sur cette entreprise, un si petit prince osa défier l’empereur en pleine diète par un héraut. En même temps il se mit sous la protection de la France, et fit assiéger Virton, place du Luxembourg, par Fleurange, son fils aîné, grand homme de guerre, et qui avait bien servi à la bataille de Marignan.

Quoique le roi fût irrité contre Robert, qui s’était attaché à Charles dans l’affaire de son élection à l’Empire, il reprit aisément ses premiers sentiments pour une maison qui avait toujours été attachée aux rois de France, et qui ne s’en était séparée en cette occasion que par quelque mécontentement particulier. Quand le roi d’Angleterre vit ce commencement de division, il en prévit les conséquences, et se crut obligé par sa qualité de médiateur à les prévenir. Il fit faire à Robert des propositions équitables, et envoya en même temps le duc de Suffolk à François. Il le trouva dangereusement malade d’un coup qu’il avait reçu en jouant ; car le comte de Saint-Pol, ayant fait, le jour des Rois, un roi de la fève, François l’alla attaquer dans une espèce de fort où il s’était renfermé ; et pendant qu’on se jetait de part et d’autre beau coup de pelotes de neige, un étourdi jeta un tison qui blessa le roi à la tête.

Suffolk, l’ayant trouvé en cet état, obtint de lui aisément qu’il fit commander à la Mark de lever le siège de Virton. Il fallut obéir, et François étant revenu en santé, fit dire au roi d’Angleterre que, puisqu’il avait fait ce qu’il demandait, il obligeât l’empereur à lui rendre les royaumes de Naples et de Navarre. Il savait bien que l’empereur ne le ferait pas ; mais il voulait le mettre dans son tort, et cherchait l’occasion d’exécuter le projet fait entre le Pape et lui pour le royaume de Naples : il ne savait pas encore que les choses étaient bien changées.

Manuel, ambassadeur de l’empereur, avait fait avec Léon une ligue pour chasser les Français d’Italie. Francisque Sforce, frère de Maximilien devait être duc de Milan, le Pape devait avoir Parme et Plaisance, et l’empereur le devait aider à déposséder le duc de Ferrare : ce traité devait être secret, jusqu’à ce que le Pape eût trouvé un prétexte de rompre avec François ; car il était honteux de manquer si grossièrement de parole. Le roi ne laissa pas d’être assez tôt averti de son infidélité : on lui conseillait de déclarer le traité à l’empereur, pour lui faire voir le peu de sûreté qu’il y avait en la parole du Pape. Il ne le voulut jamais, parce qu’il avait promis le secret ; il dit qu’il ne voulait point manquer de parole, même à ceux qui lui en manquaient.

Le Pape cependant fît une entreprise sur Gênes, qui fut découverte ; il ne se ralentit pas pour cela, et conçut divers desseins sur le Milanais : les affaires y allaient en grand désordre, et les Français s’y étaient rendus fort odieux.

Sous Louis XII, qui aimait l’ordre en tout, et dont les finances étaient réglées, les soldats étaient payés et soumis ; mais il n’en était pas de même sous François : les dépenses étaient excessives et sans ordre ; comme on ne payait point les soldats, on ne savait comment les retenir dans la discipline. Lautrec réussit à les réprimer pendant qu’il fut à Milan, car il était homme d’ordre et d’autorité ; mais il eut congé de venir en France pour quelques affaires, et le roi renvoya en sa place, son jeune frère Lescun, un des plus braves hommes de son siècle, mais emporté et sans règle : ainsi la licence des soldats était extrême. Le gouverneur chassait tous les jours quelques habitants de Milan, ou pour avoir leur bien dans la nécessité des affaires, ou parce qu’étant maltraités, ils complotaient contre le service, et le nombre des bannis égalait presque celui des citoyens qui restaient dans la ville. Comme ils étaient dispersés en si grand nombre, le chancelier Moron s’en rendit le chef et entreprit de les réunir. Il était sorti de Milan, gagné par le Pape, et mécontent de n’avoir pas eu la charge de maître des requêtes, qui lui avait été promise. On dit que le chancelier Duprat ne voulait point d’un tel homme dans le conseil.

Moron ainsi retiré persuada à Francisque Sforce de rentrer dans le duché de ses pères, qui avait été perdu par la lâcheté de son frère Maximilien ; il assembla les bannis, qui, soutenus par le Pape, firent une entreprise sur Crémone. lls furent découverts, et comme Lescun, fait en ce temps maréchal de France sous le nom de maréchal de Foix, allait les tailler en pièces, François Guichardin (c’est l’historien) les sauva en les recevant dans Regge, dont il était gouverneur, aussi bien que de Modène.

Le maréchal investit aussitôt la place pour les empêcher d’échapper, et pressait le gouverneur de les rendre. Comme Lescun était en pourparlers avec lui entre la porte et le fossé, un bruit se répandit que les Français voulaient surprendre la place ; le peuple s’étant ému aussitôt, le maréchal fut en grand péril, et Guichardin eut peine à le sauver. Le Pape fut ravi de ce désordre, pour avoir occasion de se déclarer contre la France. Il assembla aussitôt le consistoire, où il se plaignit avec une extrême véhémence de l’ambition de François, qui s’emportait, disait-il, jusqu’à entreprendre contre les terres de l’Eglise, il déclara peu de temps après, son traité avec l’empereur, comme s’il l’eût fait depuis peu de jours; il donna le commandement de ses troupes à Frédéric de Gonzague, marquis de Mantoue : celles d’Espagne avaient pour général don Fernando d’Avalos, marquis de Pescaire, et par-dessus eux Prosper Colonne, qui était le généralissime de toute l’armée.

Les Florentins entrèrent dans la ligue, et tous ensemble résolurent d’attaquer le Milanais. À peu près dans le même temps, le comte de Nassau, celui à qui François avait fait épouser l’héritière d’Orange, ravagea les terres de la Mark, et après lui avoir tout ôté, à la réserve de Sedan et de Jamets, il menaçait la Champagne. Le roi, sans s’étonner de se voir attaquer par tant d’endroits, fit aller Bonnivet avec la flotte du côté d’Espagne, renvoya Lautrec en Italie, et marcha en personne du côté de Reims.

(1522) Ce fut avec regret que Lautrec retourna à Milan ; il voyait le désordre des finances et se défiait de Louise de Savoie, mère du roi, qu’on appelait Madame, et à qui ce prince en laissait la dispersion. Louise haïssait la comtesse de Chateaubriand, sœur de Lautrec, et ainsi, quelques promesses qu’elle lui fit, il augurait mal de son voyage. À son arrivée à Milan, et le propre jour de saint Pierre, sur les six heures du soir et dans un air fort serein, un grand feu tomba du ciel tout à coup, renversa une grosse four qui était sur la porte du château, consuma beaucoup de poudre et autres munitions, et tua plus de cent cinquante hommes, avec le gouverneur du château.

Pendant que la guerre s’allumait de tous côtés, le roi d’Angleterre ménagea une conférence à Calais, dans laquelle les esprits ne firent que s’aigrir : les envoyés de l’empereur y firent des propositions qui auraient paru exorbitantes, quand même leur maître aurait été victorieux ; car ils demandèrent le duché de Bourgogne et la souveraineté des comtés de Flandre et d’Artois. Pendant la conférence, les impériaux commencèrent la guerre vers Tournai.

Un gentilhomme du Hainaut, nommé Leques, secouru des forces de l’empereur, sous prétexte d’une querelle particulière du cardinal de Bourbon, trouva le moyen de chasser tous les Français du Tournaisis. Il prit Ardres qu’il rasa, et en même temps le gouverneur de Flandre mit le siège devant Tournai. Ces heureux succès excitèrent le comte de Nassau à faire quelque entreprise : il assiégea Mouzon ; et le roi, quoiqu’assez proche avec son armée, ne put empêcher que l’épouvante ne se mit dans la place à un tel point, qu’elle se rendit sans résistance. Nassau trouva à Mézières une défense plus vigoureuse, aussi cette place était-elle dé fendue par cet illustre chevalier Bayard, à qui sa valeur et sa fidélité ont donné tant de réputation dans nos histoires. Il n’avait que deux cents chevaux et deux mille hommes de pied de nouvelles levées, dont encore une grande partie se sauva. Cependant il ne laissa pas de soutenir trois assauts et de ruiner l’armée impériale, qui fut contrainte à la fin de lever le siège.

Nassau se retira en colère le long de la Picardie, mit le feu partout où il passa, et donna lieu aux cruautés qui s’exercèrent de part et d’autre durant toute cette guerre. La valeur de Bayard fut récompensée sur-le-champ d’une compagnie de cent hommes d’armes et du collier de Saint-Michel. L’empereur vint à son armée, qu’il trouva si affaiblie, qu’elle n’était plus en état d’être opposée à celle de France. Il s’alla poster entre Cambrai et Valenciennes ; ainsi, le comte de Saint-Pot, prince du sang, entra sans peine dans Mouzon, que les ennemis abandonnèrent, et le roi poursuivant les impériaux, prit en passant Bapaume et Landrecies, qui furent rasées.

Il eût pu tirer d’autres avantages du désordre de ses ennemis, si une intrigue de cour ne l’en avait empêché. Il n’avait pas d’inclination pour le connétable, dont l’humeur grave et sévère ne s’accommodait pas avec la sienne, qui était vive et enjouée ; mais l’amour de la mère du roi lui fit plus de tort que l’aversion du roi même. Madaire, c’est ainsi, comme on vient de le dire, qu’on appelait cette princesse, avait eu de la passion pour le connétable, dès qu’il avait paru à la cour, et lui avait lait entendre qu’elle voulait bien l’épouser. Refusée avec mépris, elle entra dans une colère implacable, dont elle lui fit sentir de tristes effets en diverses occasions ; mais en voici un des plus fâcheux.

Elle avait donné sa fille Marguerite, depuis reine de Navarre, au duc d’Alençon, homme faible de corps et d’esprit, qui n’avait rien de recommandable que la qualité de premier prince du sang. Il crut qu’elle suffisait pour disputer le commandement de l’avant-garde au connétable, chose qui jusqu’alors n’avait jamais été contestée à ceux qui avaient cette dignité.

Quoique Madame l’estimât peu, elle appuya sa prétention pour faire déplaisir à son concurrent : le duc d’Alençon gagna sa cause ; mais il fallut donner à ce général incapable un lieutenant plus habile, qui eut toute la confiance ; ce fut le maréchal de Chatillon. Le connétable souffrit cette injure au dedans avec un dépit extrême, et au dehors avec plus de patience et de modération qu’on n’aurait cru ; mais le roi se trouva mal de ce choix.

L’empereur averti qu’il avait fait construire un pont sur l’Escaut, au-dessous de Bouchain, dans le dessein de le combattre, envoya douze mille lansquenets et quatre mille chevaux pour lui empêcher le passage. Us trouvèrent nos gens déjà passés au nombre de seize cents hommes d’armes et de vingt-six mille hommes de pied. La partie n’était pas égale, de sorte qu’ils se retirèrent en grand désordre.

Le maréchal de Châtillon n’était pas informé de leur marche ; mais le connétable, qui avait de meilleurs avis, vint trouver le roi et lui remontra qu’on en aurait bon marché, si on les chargeait, parce qu’ils avaient à marcher en criaille dans une plaine de trois lieues, devant une armée beaucoup plus forte. Tous les officiers généraux étaient de même avis et ne de mandaient qu’adonner ; mais le maréchal de Châtillon, sous prétexte d’un brouillard qui empêchait de reconnaître l’ennemi, dit qu’il ne fallait point hasarder la personne du roi. Ainsi François manqua une occasion qu’il ne recouvra jamais, et l’empereur, qui crut son armée perdue, se retira avec cent chevaux. Durant ce temps Bonnivet assiégeait Fontarabie et la pressait vivement. Tournai était aussi à l’extrémité, et il était temps d’aller au secours d’une place si importante.

Comme le roi se préparait à passer la Scarpe dans ce dessein, il fut arrêté quelques jours par des propositions d’accommodement que lui firent les ambassadeurs du roi d’Angleterre. La conférence se continuait à Calais, où l’on était tombé d’accord d’une suspension d’armes, pendant laquelle les rois conviendraient d’arbitres pour régler leurs différends. Les choses étaient disposées à la paix ; mais la nouvelle de la prise de Fontarabie rompit toutes les mesures.

Bonnivet, jaloux de sa conquête, conseilla au roi de ne pas la rendre, et il y avait d’ailleurs peu de sûreté avec Charles, qui ne différait la guerre que pour prendre ses avantages. Ainsi se commença une guerre de trente-huit ans, pendant laquelle la chrétienté perdit presque tout ce qu’elle avait dans la Grèce et dans les îles voisines. La saison étant avancée, les pluies continuelles empêchèrent le roi de passer la Scarpe et l’obligèrent à se retirer vers l’Artois. Pendant cette retraite, le connétable surprit Hesdin : mais Tournai fut obligé de se rendre, après avoir tenu cinq mois.

En Italie, la haine augmentait contre les Français. Manfroi Palaviein, parent du Pape et allié de presque tous les potentats d’Italie, tâchant de surprendre Côme, fut surpris lui-même et envoyé à Lautrec, qui lui fit couper la tête. Il fit plus, il donna sa confiscation à son frère le maréchal de Foix, action qui anima tellement les peuples contre lui, que tout était disposé à la révolte. Les confédérés se persuadèrent que cette disposition serait favorable à leurs desseins, et Colonne vint assiéger Parme ; mais le maréchal de Foix se jeta dedans avec quatre cents lances et cinq mille fantassins ; et pendant qu’il se défendait avec vigueur malgré la désertion des Italiens, qui s’enfuirent par une brèche, Lautrec ramassait ses troupes pour le secourir.

Ce général avait beaucoup de régiments suisses, auxquels l’armée des Vénitiens vint se joindre avec celle du duc de Ferrare ; il alla aux ennemis, et leur fit honteusement lever le siège. À cette nouvelle, le Pape consterné eut envie de se réconcilier avec la France ; mais François avait retiré son ambassadeur, et Léon se rassura bientôt, ayant obtenu des Suisses la levée de douze mille hommes. Les cantons, qui ne voulaient point donner de troupes contre le roi, accordèrent celles-ci à condition de les employer seulement à la défense de l’État ecclésiastique : le Pape accepta la condition, dans l’espérance qu’il pourrait les pousser plus loin, quand ils seraient en Italie, étant assuré comme ils l’étaient du cardinal de Sion, qui les devait conduire.

Les confédérés passèrent le Pô du côté de Mantoue, pour se joindre plus facilement à ce cardinal et tenir les Vénitiens en jalousie : en effet, le sénat promit de retirer les troupes qu’il avait avec les Français, ce qui donna l’assurance aux confédérés, quoique faibles, de s’engager un peu trop avant. Tous les historiens accusent Lautrec d’avoir manqué l’occasion de les réunir, sans toutefois dire comment. Il est certain que tout d’un coup les affaires tournèrent mal ; mais la cause en venait de plus haut.

Le même jour que Lautrec partit de Paris, Madame détourna quatre cent mille écus que le roi avait ordonnés pour le Milanais. De Beaume de Samblançai, trésorier de l’épargne, n’osa résister à cette princesse, qui voulut être payée de tous ses appointements, et malgré les ordres du roi il lui donna cette somme ; ainsi Lautrec manqua d’argent, et par là de tout ; ses soldats désertaient tous les jours et fortifiaient l’armée ennemie, où le cardinal de Médicis répandait l’argent en abondance. Les cantons, qui ne voulaient point se mêler de guerre, commandèrent à leurs sujets des deux armées de se retirer ; mais le cardinal de Sion eut l’adresse de détourner les courriers qui apportaient cet ordre dans son camp.

Comme Lautrec n’avait point d’argent à leur donner, il se vit abandonné tout d’un coup, et de vingt mille Suisses à peine lui en resta-t-il quatre cents. Il est certain que pour peu d’argent il eût pu les retenir, au moins durant un mois ; c’était assez pour obliger l’armée ennemie, plus faible que celle de France, à se retirer : la seule saison l’y eût forcé, car on était au mois de novembre. Elle se serait même bientôt débandée, parce que ce n’étaient que des troupes ramassées, et que le Pape, qui seul donnait de l’argent, n’en pouvait pas toujours fournir ; mais par malheur pour la France, Lautrec en manqua le premier, et au lieu d’arrêter l’ennemi à l’Ogile, comme il l’avait fait jusqu’alors, il fut trop heureux de pouvoir défendre l’Adde.

Quoiqu’il eût peu de troupes, il n’était pas aisé de passer cette rivière devant un homme aussi résolu que lui. Colonne l’amusa, et en faisant semblant de vouloir passer d’un côté, il passait de l’autre. Lautrec en fut averti ; mais il perdit beaucoup de temps à délibérer, et trouva les ennemis si bien retranchés, qu’il n’y eut plus moyen de les forcer. Il s’en retourna à Milan, où tout était disposé à la révolte, et il fit mourir plusieurs citoyens. Les peuples irrités envoyèrent dire à Moron que si Colonne s’avançait, la ville se révolterait.

Ce général marcha aussitôt, et le marquis de Pescaire, qui conduisait l’avant-garde, trouva le rempart du faubourg abandonné par les Vénitiens. Il poussa plus loin, et la porte romaine lui fût livrée avec si peu de bruit, que des fuyards trouvèrent Lautrec qui se promenait désarmé devant le château. Il y jeta ce qu’il put de soldats, et il se retira à Côme, où ce qui lui restait de Suisses, attirés par le voisinage de leur pays, l’abandonnèrent. Plaisance, Pavie et plusieurs autres places se rendirent ; Lautrec abandonna Parme pour se jeter dans Crémone, qui avait appelé l’ennemi. Pescaire prit Côme à bonne composition, mais il ne tint pas parole.

À la nouvelle de la prise de Milan, le Pape fut transporté de joie, et quelques-uns attribuèrent à l’émotion que lui causa cette joie, la fièvre qui le prit en même temps ; elle fut petite d’abord, mais elle augmenta tellement, qu’elle l’emporta en peu de jours. On remarque plus sa constance que sa piété dans cette importante occasion. Il n’avait que quarante-quatre ans, et on crut que ses jours lui avaient été avancés. Quelques historiens ont osé jeter du soupçon contre François, comme s’il l’avait fait empoisonner ; mais la magnanimité de ce prince le met au-dessus d’une telle accusation.

La mort du Pape laissa les affaires de la ligue en mauvais état. Il portait la plus grande partie des frais de la guerre, et comme il épuisa les finances de l’Église, l’armée dépérit beaucoup faute d’argent. On ne fut pas longtemps sans créer un nouveau Pape : l’empereur eut le crédit de faire élire tout d’une voix le cardinal Adrien, natif d’Utrecht, qui avait été son précepteur. Il reçut la nouvelle de son exaltation en Biscaye où il commandait, et prit le nom d’Adrien VI.

(À suivre.)

Commentaire de la rédaction :

Le règne de François Ier est marqué au niveau mondial par la funeste apparition de l’hérésie protestante et de Luther. Bossuet néanmoins est objectif, et il analyse les causes qui ont permis à cette triste hérésie de se répandre : les abus objectifs du pape et d’une certaine frange du clergé, en particulier le mauvais usage des indulgences, et des concussions avec l’argent des dons, ainsi qu’une très mauvaise réaction ecclésiale, du moins au départ, qui a conduit à réduire Luther dans la situation de devoir perdre la face ou devenir jusqu’au-boutiste ; avec de plus les tricheries hérétiques qui « flattaient » les princes et le peuple en les déchargeant de facto de toute obligation religieuses comme politique…. Le cocktail est explosif, et le diable utilise toujours les « hommeries » des hommes pour faire passer des erreurs et des mensonges qui attaquent l’intégrité de la Foi et des mœurs. Rien de nouveau sous le soleil, l’Église est immaculée et sainte, mais ses membres ne le sont pas forcément : quand ils font de mauvaises choses, les méchants utilisent à plein ces actes, qui pourtant ne ressortent pas de la Foi, lui sont contraire même, mais sont commis par ceux qui sont dépositaires de l’autorité du Christ et du dépôt de la Foi… C’est toujours dommageable pour la Foi, et de grandes tribulations viennent punir, par ses croix, le corps en passion du Christ, son Eglise militante et souffrante.

Tout cela ne justifie en rien Luther, qui a utilisé certains maux objectifs pour mieux instiller son poison : c’est un coup classique des révolutionnaires de toute sorte, qui vont user des défauts, parfois des crimes objectifs de ceux qui devraient défendre la justice et la Foi, la charité et les mœurs, pour se faire un nom, se faire connaître comme « dissidents » et bons dénonciateurs des « injustices » et des mensonges…mais quand il s’agit de proposer quelque chose à la place, l’erreur, parfois appuyée par de bonnes conduites et des valeurs d’honnête d’homme, devient la norme à la place de la vérité, et le mensonge devient « systémique », pour le malheur de tous…

C’est comme dire qu’il faille abolir la famille parce qu’il existe de mauvais pères…alors que les pères sont voulus par l’économie divine, et que les mauvais pères doivent simplement se convertir et devenir vertueux, et que s’ils existent c’est bien justement à cause du péché originel et de notre propension infinie à aller au péché, à la faiblesse, à la facilité contre le bien…

Alors prenons des enseignements de ce passé, et sachons qu’en tant que chrétiens royalistes tout sera retenu contre nous ; ne nous en étonnons-pas, et ne nous en soucions pas trop. Cherchons simplement, sans nous donner de genre, sans paraître, à devenir le plus vertueux possible, sans chercher non plus à cacher ce qui ne va pas outre mesure, mais en étant objectif, mesuré, et toujours aimant Dieu et ses volontés par-dessus tout, et en nous rappelant que nos dires et nos actions expriment forcément l’honneur du roi et de Dieu d’une façon ou d’une autre, ce qui est un moteur psychologique puissant pour nous détourner des tentations quand elles viennent.

Le bon Dieu néanmoins veillent et utilisent tous les maux pour de plus grands biens, et sait parfois hâter, ou retarder, la mort de tel ou tel pour que sa Providence soit faite en sauvant le plus d’âmes possibles, tel le décès du Pape Léon X à un âge relativement jeune.

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