Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 29 Louis XII : entre l’Italie et la Bretagne
Texte de Bossuet :
Louis XII (An 1498.)
On aurait cru que Louis, venant à la couronne, témoignerait du ressentiment contre beaucoup de ministres qui l’avaient assez mal traité dans le règne précédent ; mais il jugea ces vengeances particulières indignes de la royauté, et on rapporte de lui cette parole mémorable ; « Que ce n’était pas au roi de France à venger les querelles du duc d’Orléans. » Ainsi, sans distinction, il déclara d’abord qu’il maintiendrait tous les officiers dans leurs charges, tant à la cour que dans les armées et dans la justice.
Ce prince conçut d’abord le dessein de recouvrer le duché de Milan sur Ludovic, doublement usurpateur ; mais avant d’entreprendre cette guerre il voulut régler le dedans de son royaume. Il diminua de beaucoup les impôts dont le peuple était chargé, et il les eût diminués davantage, sans les grandes guerres qu’il eut à soutenir ; mais ce qui est remarquable, c’est que, malgré les dépenses qu’elles lui causèrent, son économie fut si grande, que jamais il n’augmenta les charges du peuple.
Pour cela il retira et prit soin de faire valoir son domaine, que ses prédécesseurs avaient négligé, fondant principalement toute leur dépense sur les tailles et les levées extraordinaires. Il empêcha les désordres des gens de guerre, qui, dans les deux derniers règnes couraient impunément toute la France, et dans une nuit de séjour coûtaient plus à une paroisse que les tailles de toute une année. Louis, touché des maux de son peuple, et considérant aussi que l’État se ruinait par ces désordres, y remédia, en faisant que les troupes fussent exactement payées, et du reste les tenant toujours dans la discipline.
Il régla aussi les monnaies ; car les bonnes et les mauvaises avaient cours indifféremment dans le royaume : il réprima cet abus, et rétablit la fidélité dans le commerce. Pour réformer la justice, il choisit les plus sages et les plus expérimentés de son parlement ; par leurs conseils, il fit, pour l’abréviation des procès des règlements salutaires, que la malice des chicaneurs a rendus inutiles ; mais Louis n’oublia rien pour en tirer le profit qu’il en avait attendu, et pour cela il résolut de donner toujours les charges de judicature aux gens du plus grand mérite, ce qu’il pratiqua constamment durant tout son règne. Après avoir ainsi disposé les choses, il tourna toutes ses pensées contre Ludovic.
La situation des affaires d’Italie était favorable à ses desseins : les Florentins faisaient la guerre pour ravoir leurs places, que les Vénitiens et le duc de Milan tâchaient d’envahir, et principalement la ville de Pise ; par là les Vénitiens étaient disposés à se joindre avec Louis. Pour le Pape, il ne souhaitait à son ordinaire que des brouilleries, dont il espérait profiter pour élever son fils, à qui il voulait faire une principauté de toutes celles de la Romagne, sous prétexte de les réunir au Saint-Siège, dont elles avaient été démembrées ; il mettait la division entre les seigneurs de ce pays, et faisant semblant de les accorder, il entretenait leurs querelles.
Au reste, il suivait les négociations du côté de la France, et ménageait Louis pour en obtenir Charlotte fille de Frédéric, que son père continuait à lui refuser pour le cardinal Valentin ; il avait un beau moyen d’obliger le roi, qui souhaitait de rompre son mariage avec Jeanne, fille de Louis XI, que ce prince violent lui fit épouser par force aussitôt qu’il eut quatorze ans, et qu’on jugeait incapable d’avoir des enfants.
(1499) Il avait dessein d’épouser Anne, veuve de son prédécesseur, qu’il avait autrefois aimée, et qui lui apportait la Bretagne ; pour cela il avait besoin de la dispense du Saint-Siège. Le Pape résolu de lui donner satisfaction, envoya le cardinal Valentin pour lui porter la bulle, où il lui donnait trois commissaires tels qu’il les souhaitait dans l’affaire de son mariage. Il portait aussi un chapeau de cardinal à Georges d’Amboise, que le roi estimait fort, et qui avait été son précepteur.
Le mariage fut déclaré nul, et Louis donna le Berri à Jeanne pour sa retraite, avec une pension convenable à sa dignité : elle était laide et contrefaite, mais d’une rare vertu ; loin de témoigner de la douleur de se voir ainsi éloignée, elle en témoigna de la joie et passa sa vie dans une grande sainteté.
Le roi promit au cardinal Valentin la fille de Frédéric et lui donna le Valentinois, érigé en duché, d’où il se fit appeler le duc de Valentinois ; il commença alors à déclarer ses hautes pensées. On l’a nommé cardinal Valentin, à cause de l’archevêché de Valence en Espagne, qu’il possédait : il se fit depuis appeler César, et fit mettre à ses étendards cette devise ambitieuse : « Ou César, ou rien. » Louis, par un traité, s’engagea de fournir au Pape après la conquête du Milanais, autant de troupes qu’il lui eut fallait pour assujettir la Romagne. Le mariage ne s’accomplit point, parce que la princesse s’obstina à ne le point faire, si Louis ne faisait la paix aux conditions que son père proposait ; et le roi donna au duc une autre Charlotte, fille d’Alain, seigneur d’Albret.
Les Florentins, pressés par les Vénitiens, eurent recours au roi ; mais comme il ne leur donnait que des paroles, ils se jetèrent entre les bras de Ludovic : il remporta quelque avantage sur les Vénitiens, ce qui les obligea à faire une ligue avec le roi, par laquelle il devait avoir tout ce qui était en deçà de l’Adde, et eux tout ce qui était au delà. Le traité fut si secret que Ludovic n’en eut nouvelle que longtemps après, et le Pape même, tout allié qu’il était des Français, ne le savait pas.
À la veille d’une grande guerre, Louis, avant toutes choses, s’accommoda avec ses voisins, et premièrement avec le roi d’Angleterre ; il continua la trêve avec Ferdinand et Isabelle, qui retirèrent leurs troupes de l’Italie et rendirent à Frédéric les places qu’ils avaient dans son royaume. Louis rendit aussi à l’archiduc Philippe les places d’Artois, selon le traité fait avec Charles VIII, et envoya à Arras Gui de Rochefort, son chancelier, qui reçut en son nom, assis et couvert, l’hommage pour les comtés de Flandre, d’Artois et de Charolais, que l’archiduc lui rendit découvert et sans ceinture. L’archiduc voulut plusieurs fois se mettre à ses genoux ; mais le chancelier tenant les mains de l’archiduc dans les siennes, lui dit qu’il suffisait de sa bonne volonté.
Louis, pour être paisible de toutes parts, fit une trêve avec Maximilien qui de son côté était occupé dans une guerre contre les Suisses ; cette trêve le détermina à commencer l’entreprise de Milan un an plus tôt qu’il n’avait résolu. Il envoya une armée de vingt-trois à vingt-quatre mille hommes, commandée par Trivulce, par le comte de Ligni et par Aubigny. Ils prirent d’abord la forteresse d’Arazzo sur le Tanaro et cette d’Anon.
Galéas de Saint-Séverin , que le duc avait envoyé pour s’opposer à leur passage, étonné de la prise de ces places, plus prompte qu’il ne pensait, se retira à Alexandrie, où nos gens le poursuivirent ; et cependant Valence sur le Pô, avec son château, leur fut rendue par le gouverneur : plusieurs places considérables suivirent cet exemple; Alexandrie abandonnée par le comte de Cajazze, que le duc avait envoyé au secours de Saint-Séverin son frère, fut prise et pillée : le comte, indigné de ce que Ludovic avait donné le principal commandement à son cadet, s’était accommodé avec le roi.
Les Français ayant passé le Pô, Pavie se soumit à eux, pendant que les Vénitiens, ayant de leur côté passé l’Adde, s’étendirent jusqu’à Lodi. Au bruit d’une conquête si rapide, l’épouvante et le tumulte se mirent dans Milan, et le duc, effrayé lui-même de tant de pertes inopinées, eut recours aux derniers remèdes des désespérés : commença à flatter le peuple, en diminuant les impôts et s’excusant de les voir mis sur la nécessité des guerres. Il vit pourtant bien qu’il ne serait pas le maître du peuple, et se retira chez Maximilien, avec ses enfants et ses trésors. Le comte Cajazze lui vint déclarer sur le chemin que, puisqu’il abandonnait ses États, il se croyait être quitte du serment qu’il lui devait, et prit en même temps le parti de la France.
Aussitôt que le duc fut retiré, ceux de Milan appelèrent les Français ; et sur l’espérance qu’ils eurent en la clémence du roi, ils se rendirent sans capituler ; huit jours après, le château, quoi que muni de toutes choses, se rendit sans qu’on tirât un coup de canon. Le gouverneur qui le livra ne jouit pas longtemps de sa récompense, parce que la trahison l’ayant rendu odieux à tout le monde et méprisable aux Français mêmes, il mourut de regret quelque temps après.
Cependant les Frégose et les Adorne, à l’envi les uns des autres, portèrent Gènes à se soumettre, enfin toutes les places du duc de Milan furent réduites, et la conquête en fut faite en moins d’un mois. Cependant le roi était à Lyon, où il achevait son mariage avec Anne. Sitôt qu’il eût reçu cette nouvelle, il entra avec l’habit ducal dans Milan, où il reçut les compliments de tous les potentats d’Italie, à la réserve de Frédéric : et comme il pensait dès lors à la conquête de Naples, les Florentins s’engagèrent à l’y assister, à condition qu’il les aiderait à ravoir leurs villes, dont ils ne pouvaient venir à bout, surtout de Pise, dont ils avaient été obligés de lever le siège.
Le duc de Valentinois, avec le secours des Français, prit d’abord Imola, et se voyait en espérance de réduire bientôt les autres villes de la Romagne qui avaient des seigneurs particuliers. Le roi voulut faire connaître aux Milanais qu’ils ne s’étaient point trompés dans l’opinion qu’ils avaient de sa bonté : il soulagea le peuple de la plus grande partie des impôts, et prit plaisir d’obliger la noblesse, assez durement traitée par Ludovic ; il réussit par ce moyen à gagner les cœurs et à s’affermir dans sa nouvelle conquête.
Mais Trivulce, qu’il laissa pour gouverneur, en s’en revenant, ne suivit pas la même conduite : il était fier et hautain, et les gentilshommes ne pouvaient souffrir d’être traités orgueilleusement par celui qu’ils avaient vu leur égal. Il avait beaucoup d’ennemis, parce que l’envie est toujours plus grande contre un homme du pays qu’on voit tout à coup élevé. Les Milanais d’ailleurs étaient irrités de la grande familiarité que les Français voulaient avoir avec leurs femmes.
Les dispositions étant contraires, il se fit une sédition au sujet de ce peu d’impôts que Louis avait laissés, et Trivulce, déjà odieux, se le rendit davantage en tuant de sa propre main quelques-uns des séditieux.
(1500) Aussitôt le duc de Milan, qui était aux écoutes, vint en diligence avec une armée d’Allemands et de Suisses, qu’il avait levée à ses dépens ; car il n’avait aucun secours de Maximilien. Côme se rendit à lui, et en même temps les habitants de Milan se soulevèrent ; Trivulce avait peu de monde, parce qu’on avait donné la fleur des troupes au duc de Valentinois : aussi, après avoir pourvu à la sûreté du château, il sortit de la ville, où Ludovic fut reçu du peuple avec de grandes acclamations.
Il alla ensuite assiéger Novare, pour couper les vivres à Trivulce, qui était au-dessous de Mortare. D’Atègre amena au secours les troupes qui étaient dans la Romagne ; mais les Suisses de son armée se joignirent à ceux de l’armée de Ludovic, qui avec ce renfort prit facilement Novare. Le roi, résolu de châtier la révolte des Milanais, envoya la Trimouille avec une armée, et fit avancer jusqu’à Ast le cardinal d’Amboise, à qui il donna la qualité de son lieutenant général avec plein pouvoir, afin qu’ayant une autorité supérieure il empêchât la division de nos généraux, qui avait en partie été cause de la perte du Milanais.
La Trimouille alla d’abord assiéger Novare, où les Suisses de Ludovic lui firent la même trahison que ceux de d’Alègre lui avaient faite ; leurs compatriotes qui étaient dans notre armée les débauchèrent, et Ludovic ayant aperçu parmi eux quelque commencement d’émeute, voulu les mener au combat, mais ce fut en vain : ils lui dirent qu’ils ne voulaient point se battre avec leurs concitoyens.
Le duc, voyant que tout était désespéré, les pria avec larmes de vouloir bien le mener du moins en lieu de sûreté ; tout ce qu’il put obtenir d’eux, fut de se déguiser et de s’échapper comme il pourrait ; mais il ne put si bien se cacher qu’il ne fût bientôt reconnu et pris. On le mena à Lyon, au roi, qui avait voulu seulement le voir ; il l’envoya à Loches, où il mourut dix ans après, assez maltraité. Telle fut la fin d’un prince qui avait vécu avec tant de puissance et de grandeur : il aurait acquis une grande réputation s’il ne l’avait ternie par le meurtre de son neveu. Sa principale qualité était une grande prudence ; mais il avait la faiblesse de ne pouvoir souffrir qu’aucun autre que lui passât pour prudent.
Le cardinal Ascagne, son frère, s’enfuit aussitôt qu’il eut appris son malheur ; il fut pris par les Vénitiens, et le roi les ayant obligés de le remettre entre ses mains, il fut mis dans la tour de Bourges, où le roi avait été lui-même longtemps détenu pendant qu’il était duc d’Orléans ; mais il fut bien mieux traité que son frère, et délivré deux ans après par le moyen du cardinal d’Amboise, à la sollicitation de l’empereur ; aussitôt après la prise du duc, les Milanais implorèrent la miséricorde du roi.
Le cardinal d’Amboise, après avoir fait punir quelques-uns des plus séditieux, pardonna au reste des Milanais, les condamna cependant à trois cent mille ducats, plutôt pour leur faire sentir leur crime que pour les punir selon leur mérite ; les autres villes rebelles furent taxées à proportion, et le gouvernement de tout le duché fut donné à Chaumont, homme de mérite, neveu du cardinal d’Amboise.
La conquête étant achevée, les Suisses furent renvoyés. Les cantons voisins du Milanais surprirent, en s’en allant, Bellinzone, place importante dans les montagnes, qui leur donnait entrée dans ce duché. Le roi négligea de la recouvrir pour un peu d’argent qu’il lui en eût coûté alors ; et cette épargne, dans la suite, lui coûta bien cher. Il restait encore au roi d’obtenir de l’empereur l’investiture du duché : au lieu de la lui accorder, ce prince traita le roi et les Vénitiens d’usurpateurs des droits de l’empire.
Le roi, craignant donc quelque grande guerre de ce côté, n’osa entreprendre cette de Naples qu’il avait résolue, et se trouva obligé, selon les traités, à partager son armée ; il en donna une partie au duc de Valentinois pour achever la conquête de la Romagne, qu’il subjugua toute, à la réserve de France, que la résistance des assiégés et le mauvais temps l’empêchèrent de prendre : à la fin pourtant il la réduisit ; à se rendre ; mais ce ne fut que l’année suivante.
Il avait eu beaucoup de peine à donner ses troupes au Pape, par le peu de secours qu’il en avait tiré durant les affaires de Milan. Néanmoins, persuadé par le cardinal d’Amboise, qui portait toujours les intérêts du Pape, il y consentit et le Pape, pour récompenser le cardinal, le fit son légat a latere dans toute la France. Louis donna le reste des troupes aux Florentins, quoique les Pisans et les Siennois lui offrissent beaucoup d’argent pour l’en détourner ; mais le cardinal lui fit connaître combien il lui serait honteux de ne pas tenir les traités. Pise fut assiégée avec un très-mauvais succès, que les généraux français imputèrent aux Florentins : ce qui refroidit le roi pour cette république.
Ce prince songeait toujours au dessein de Naples, et il faisait tous ses efforts pour s’accommoder avec Maximilien : il n’en put jamais obtenir l’investiture ; mais il fit une trêve où Frédéric, roi de Naples, ne fut pas compris. Il avait encore un ennemi à craindre dans la conquête de ce royaume : c’était Ferdinand, roi d’Espagne, qui, comme nous avons dit, était en traité avec Charles VIII pour le partager avec lui.
Quoique Louis fût en état d’achever l’entreprise de son chef, pour ne point trouver sur son chemin un tel ennemi et expédier promptement l’affaire durant la trêve, il aima mieux continuer le traité que Ferdinand avait commencé avec son prédécesseur, et, se réservant Naples avec la Terre de Labour et d’Abruzze, il lui abandonna la Pouille et la Calabre, voisines de son royaume de Sicile. Les deux rois, par le traité, ne devaient ni s’entraider ni se nuire : mais Louis faisait la guerre tout ouvertement, et Ferdinand agissait avec perfidie ; car ayant caché son traité pendant qu’il partageait le royaume de son parent, il faisait encore semblant de vouloir le protéger contre les Français ; il envoya en Sicile Gonsalve, qui, sous ce prétexte, se fit donner quelques places dans la Calabre pour sûreté.
Frédéric se comportait de si bonne foi, qu’il le pressait même d’entrer dans Gaëte ; mais cette place étant du partage des Français, il le refusa. Louis fit avancer en même temps sa flotte, commandée par Philippe de Clèves-Ravestin, et son armée de terre, sous la conduite d’Aubigny, du comte de Cajazze et du duc de Valentinois.
Aubigny, qui avait toute la confiance, assiégea Capoue, qu’il emporta en huit jours ; Gaëte épouvantée se rendit ; Naples ne fit point de résistance, et Gonsalve s’étant déclaré, Frédéric, qui se vit accablé de toutes parts et trahi par son protecteur, n’eut plus d’espérance qu’en la générosité de Louis ; il livra aux Français le château de Naples, avec ce qui était de leur partage. Les Ursins, toujours fidèles à la France, furent puissamment protégés, et les Colonne, qui l’avaient abandonnée, furent eux-mêmes abandonnés au Pape : Frédéric eut la liberté de se retirer à Ischia, où il fit un nouveau traité par lequel le roi victorieux lui accorda le duché d’Anjou, avec trente mille ducats de pension, en échange de son royaume.
En ce même temps Louis, comte de Montpensier, ayant visité le lieu où était enterré son père, se mit dans l’esprit si vivement ce qu’il avait souffert en ce pays, et en fut tellement saisi, qu’il en mourut de douleur sur son tombeau (1501), et fit lui-même regretter à tous les Français la mort que son bon naturel lui avait causée. Gonsalve prit aisément les places de la Pouille et de la Calabre, ne trouva presque de résistance qu’à Tarente, où Frédéric avait envoyé son fils Alfonse. Cette place se rendit enfin à composition, et Gonsalve, contre le serment qu’il avait fait sur l’Eucharistie au jeune prince, de le faire conduire où il voudrait en liberté, le retint pour l’envoyer en Espagne, où les traitements magnifiques de Ferdinand couvrirent mal la trahison qu’il lui faisait.
Après la conquête de Naples, on alla contre les Turcs, que Frédéric et Ludovic avaient appelés vainement à leur secours. Ces infidèles avaient fait une irruption fâcheuse dans le Frioul, et avaient enlevé quelques places aux Vénitiens dans le Péloponnèse. On résolut de se venger de ces insultes ; mais Ferdinand ne voulut jamais donner ses vaisseaux, quoiqu’il fût entré dans la ligue. Les Français et les Vénitiens assiégèrent Mételin, capitale de Lesbos : leur mésintelligence leur causa un mauvais succès, et les Français battus au retour par la tempête, trouvèrent dans les ports des Vénitiens un traitement aussi rude que celui qu’ils avaient éprouvé chez les Turcs. La négociation avec Maximilien avait toujours été continuée ; et pour y mettre fin, le cardinal d’Amboise l’alla trouver à Trente avec un équipage magnifique.
On ne put convenir de l’affaire de l’investiture, parce que Maximilien ne voulut jamais l’accorder aux enfants mâles du roi, s’il en avait, mais seulement aux filles qu’il avait déjà. La maison d’Autriche semblait avoir conçu le dessein de s’agrandir par des mariages. La grande puissance de Maximilien lui était venue d’avoir épousé l’héritière de Bourgogne, qui lui avait apporté de si grandes terres. Il avait fait épouser à son fils, l’archiduc Philippe, Jeanne, fille de Ferdinand et d’Isabelle, et héritière de leurs royaumes ; il voulait encore avoir Claude, fille du roi, pour Charles son petit-fils et fils de Philippe, dont le mariage avait déjà été résolu avec cette jeune princesse : ainsi il ne voulait accorder qu’aux filles de Louis l’investiture du duché, afin qu’il tombât encore dans sa maison. Le roi ne voulait point l’accepter à cette condition, et le cardinal se retira sans rien faire. Il fut parlé, dans ces conférences, de faire la guerre aux Vénitiens, dont l’ambition choquait les deux princes, et de réformer l’Église, principalement dans son chef, qui troublait l’Italie et scandalisait toute l’Église.
(1502) Outre l’affaire que le roi avait avec l’empereur, il lui en survint une autre de bien plus grande importance avec le roi d’Espagne. Ce prince avait dessein de se rendre maître de tout le royaume de Naples, plutôt par surprise que par force. Il avait un bon instrument de ses desseins en la personne de Gonsalve, aussi artificieux qu’il était grand capitaine : celui-ci fit naître une difficulté dans le partage des terres prétendant qu’un canton, nommé le Capitanat, était de la Pouille plutôt que de l’Abruzze, comme les Français le prétendaient. Ce pays était important, tant à cause d’une douane de grand revenu qui y était établie pour le détail, qu’à cause aussi que dans l’Abruzze il n’y avait que cet endroit qui portât du blé.
La seule situation donnait gain de cause aux Français, puisque le pays contesté tenait à l’Abruzze, et qu’il était séparé de la Pouille par la rivière d’Offente. Cependant le vice-roi qui était Louis d’Armagnac, duc de Nemours, et Gonsalve, convinrent d’attendre la décision de leurs maîtres. Le roi s’était avancé à Ast pour réprimer le duc de Valentinois, qui, appuyé de l’autorité de son père et des armes de France, entreprenait sur tous ses voisins, et désolait toute l’Italie par sa perfidie et ses cruautés, pour satisfaire son ambition. Il avait même sous main soulevé des places aux Florentins, alliés du roi. Le gouverneur de Milan avait fait connaître à Louis que ce duché dans la suite ne serait pas en sûreté, s’il ne retenait un homme si entreprenant. Aussi avait-il déclaré, en sortant de France, qu’il allait faire la guerre à Alexandre VI, et que cette guerre était plus sainte contre un si méchant Pape que contre le Turc.
Mais le duc de Valentinois, qui n’était pas moins artificieux que méchant, trouva moyen de l’apaiser ; il fut aidé par le cardinal d’Amboise, toujours trop porté à favoriser le Pape, dans le dessein d’obtenir de lui des grâces qui l’avançaient à la papauté, où il prétendait. Quant aux affaires avec Ferdinand, Louis offrit, pour les terminer, ou de rétablir Frédéric, avec qui apparemment il avait pris des mesures, ou de faire une trêve durant laquelle on terminerait à l’amiable le différend des limites.
Ferdinand, qui ne songeait qu’à gagner du temps pour l’amuser et le surprendre, ne répondit rien ; mais Louis commandait ses troupes de marcher contre les Espagnols : ils perdirent la plus grande partie de leurs places, et Gonsalve, manquant de tout, se retira dans Barlette, où, sans l’assistance secrète des Vénitiens, il eût été sans ressource : avec tout leur secours, si on eût suivi le conseil d’Aubiguy, la guerre eût été achevée.
Le duc de Nemours aima mieux partager ses troupes et prendre les autres villes, au lieu de s’attacher à Barlette, d’où dépendait la décision ; ce qui donna le loisir à Gonsalve de se reconnaître. Cependant le roi, se reposant sur la trêve qu’il avait faite avec l’empereur, et croyant ses affaires très assurées, résolut son retour en France ; il abandonna trop tôt une conquête encore assez mal affermie, et se fia trop à Maximilien, en qui il n’y avait point sûreté.
En partant, il laissa des troupes au duc de Valentinois, et se chargea, en le protégeant, de la haine de ses entreprises : avant qu’il repassât les monts, ceux de Gènes l’ayant invité à venir dans leur ville, il y entra avec un grand appareil et y demeura dix, jours. Cependant le vice-roi agissait dans la Pouille, et Aubigniy dans la Calabre, où il prit Cosence, et remporta près de cette ville une victoire signalée sur les Espagnols. Ferdinand étonné chercha alors des moyens d’amuser Louis et d’arrêter ses progrès.
(1503) En ce même temps, l’archiduc, qui avait passé de Flandre en Espagne par la France, devait retourner par le même chemin : il lui donna plein pouvoir de traiter la paix, et envoya avec lui deux ambassadeurs pour lui servir de conseil. Le prince, arrivé à Lyon auprès de Louis, fit l’accord à ces conditions que le mariage de Charles, fils de l’archiduc, se ferait avec Claude, fille aînée du roi, à qui il donne rait en dot le royaume de Naples et le duché de Milan; qu’en attendant que le mariage pût s’accomplir, les deux rois jouiraient de leur partage, et que l’archiduc aurait l’administration de la part de son beau-père, qui devait venir à Charles; que l’affaire des limites se traiterait à l’amiable, et que cependant les pays contestés seraient séquestrés entre les mains du même archiduc.
Ces choses étant arrêtées et signées, tant par l’archiduc que par les ambassadeurs, on dépêcha en même temps à Ferdinand pour la ratification, et aux deux généraux, pour leur porter, de la part des princes, l’ordre de surseoir les hostilités. Le duc de Nemours obéit sans difficulté ; mais il n’en fut pas de même de Gonsalve : il lui était venu quelque renfort d’Espagne, et Maximilien, contre le traité, lui avait envoyé deux mille hommes de secours, que les Vénitiens, aussi peu fidèles que lui, avaient laissé passer leur golfe. Il voyait le peuple et cette république aliénés des Français ; il prévoyait aussi que nos gens se relâcheraient dans l’opinion de la paix ; et déjà quatre mille hommes, venus nouvellement de France, s’étaient débandés, parce que les commissaires, qui croyaient que dorénavant on n’aurait plus besoin de soldats, avaient négligé de les payer. Gonsalve, qui était résolu de profiter de cette occasion, et qui sentait d’ailleurs les affaires d’Espagne en meilleur état, répondit aux ordres de Philippe, qu’il ne les reconnaissait pas et n’en recevait que de son maître, soit qu’il en fût d’accord secrètement avec Ferdinand, ou qu’il le connût d’humeur à ne désavouer pas une fourberie dont le succès serait heureux.
Le vice-roi, voyant contre son attente Gonsalve résolu à faire la guerre, rappela en diligence les troupes dispersées par tout le royaume ; mais elles se trouvèrent trop faibles contre un homme qui avait pris toutes les mesures nécessaires pour les surprendre : le roi sentit aussitôt le changement qui allait arriver dans les affaires. Pour le prévenir il manda à ses généraux de tirer les affaires en longueur, et de se tenir seulement sur la défensive, jusqu’à ce qu’il eût envoyé le secours ; mais Aubigny, ayant cru pouvoir empocher les Espagnols de passer une rivière à trois milles de Séminara, fut surpris : car, pendant que leur avant-garde l’amusait à l’opposite de la rivière, l’arrière-garde passa d’un autre côté, et prit en flanc notre armée, qui, s’en étant aperçue, prit aussitôt la fuite. Aubigny se retira à Angitone, en même temps que Gonsalve sortait de Barlette, pressé par la peste et par la famine. Le vice-roi, craignant qu’il ne se joignît à l’armée victorieuse, résolut de lui couper le chemin ; et comme les Espagnols marchaient à Cerignole, il les y suivit ; mais Gonsalve y arriva le premier et s’y retrancha. Le vice-roi, arrivé peu de temps après, attaqua aussitôt le retranchement. Les Espagnols eurent peine à soutenir le premier choc, et furent d’abord ébranlés ; mais sur la nuit, leur gendarmerie mit notre infanterie en désordre ; le vice-roi fut tué, et l’épouvante se mit parmi nos gens, qui prirent la fuite ; il y eut peu de monde de tué, et les Français perdirent tout leur bagage. Ces deux défaites venues coup sur coup ruinèrent les affaires de France. Les Napolitains révoltés appelèrent Gonsalve; les Français se renfermèrent dans les châteaux de Naples. Averse et Capoue ouvrirent leurs portes, et Aubigny, assiégé dans Angitone, se rendit prisonnier de guerre. Cependant Yves d’Alègre jeta dans Gaëte ce qu’il put ramasser de la déroute de nos armées.
L’archiduc, après l’accord, avait fait un petit voyage en Savoie, et ayant appris la conduite de Gonsalve, il revint sans hésiter en France, où il était assez embarrassé, car Ferdinand continuait toujours à amuser Louis, et ne voulait point se déclarer sur le procédé de Gonsalve, jusqu’à ce que son gendre lui mandat enfin qu’il était résolu de ne point partir de France qu’il ne se fût expliqué. Alors il répondit nettement qu’il ne pouvait accepter la paix, et il désavoua l’archiduc, qui avait, disait-il, passé son pouvoir. Sur cette déclaration l’archiduc se plaignit hautement de son beau-père, qui avait manqué de foi ; il fit voir que loin d’avoir entrepris quelque chose contre ses ordres, il les avait tellement suivis, que même les ambassadeurs que Ferdinand avait chargés de l’affaire, avaient signé avec lui. Louis avait l’âme grande ; étant incapable de trahison, il crut aisément que Philippe avait des sentiments semblables aux siens.
Ainsi, le voyant agité de la crainte qu’il ne se prît à lui de l’infidélité de Ferdinand, il l’assura qu’il n’avait rien à craindre pour lui, qu’il lui avait donné sa parole, et que l’infidélité de Ferdinand ne l’obligerait pas à en faire une autre ; au reste qu’il aimait mieux perdre par cette surprise un royaume qu’il saurait bien reconquérir, que de s’attirer, en manquant de foi, un reproche irréparable. Louis avait raison de mépriser des conquêtes faites par une perfidie ; mais il n’était pas excusable de s’être si aisément laissé surprendre.
Pour Ferdinand, à qui ses finesses avaient si bien réussi, il ne songeait qu’à les continuer ; ainsi il fit faire diverses propositions, entre autres de rétablir Frédéric dans son royaume : la chose n’était plus praticable depuis le traité fait entre Louis et Philippe ; mais Ferdinand la proposait pour brouiller ensemble ces deux princes. Le roi offensé ne voulut rien écouter et renvoya les ambassadeurs.
Cependant Gonsalve assiégea le château Neuf qu’il prit par l’effet d’une mine chargée à poudre, que Pierre de Navarre fit jouer : c’était un soldat de fortune, qui avait pris ce nom parce qu’il était du royaume de Navarre. Il avait vu quelque commencement de l’invention des mines dans un siège de Génois ; mais il l’avait perfectionnée, et les Français, qui gardaient le château de Naples, furent les premiers qui en sentirent l’effet. Le château Neuf fut pris par la brèche, et les soldats furent tous prisonniers de guerre.
(1504) Après la prise du château Neuf, Gonsalve envoya Prosper Colonne dans l’Abruzze, laissa Pierre de Navarre pour prendre le château de l’Œuf, et alla en personne assiéger Gaëte par mer et par terre. Pierre acheva son entreprise en trois semaines par les mines, à quoi les Français n’étaient point encore accoutumés. Peu de jours après la prise, le marquis de Saluces, nouveau vice-roi, parut avec le secours que le roi avait pu envoyer en diligence : il préparait de plus grandes choses et il avait résolu de faire les derniers efforts pour faire sentir sa puissance au roi d’Espagne, qui s’était moqué de lui ; non content d’envoyer une grande armée de terre dans le royaume de Naples sous la conduite de la Trimouille, il résolut d’attaquer l’Espagne par deux endroits.
Albret, roi de Navarre, et le maréchal de Gié, devaient entrer dans la Guyenne, et le maréchal de Rieux par le Roussillon ; une armée navale devait croiser les mers de cette province et du royaume de Valence ; mais il n’est pas si aisé de regagner un royaume que de le perdre. Le marquis de Saluces, avec sa flotte, obligea bien Gonsalve à délivrer tout à fait la place qu’il tenait le plus qu’il pouvait bloquée par terre. Pour la Trimouille, il se trouva fort embarrassé ; en sortant du duché de Milan, les Suisses, qui devaient fournir huit mille hommes, voyant nos affaires en mauvais état, différaient de jour en jour.
Le Pape et le duc de Valentinois avaient suivi la fortune, et on avait intercepté de leurs lettres, par lesquelles ils paraissaient être en grande intelligence avec Gonsalve. La Trimouille n’osait passer plus avant sans s’assurer d’eux, et le Pape l’amusait de propositions en propositions ; mais toute cette négociation se termina par sa mort, arrivée d’une manière tout à fait tragique et digne d’un si méchant homme. Il avait formé le dessein avec son fils d’empoisonner le cardinal Adrien Cornet, qui avait de grandes richesses, pour profiter de sa dépouille ; pour cela, il prépara dans une vigne, près de Rome, un festin, où il convia plusieurs cardinaux et les plus grands seigneurs de Rome.
Le duc de Valentinois y envoya deux bouteilles empoisonnées, avec ordre de n’en donner que par son commandement exprès. Le Pape étant venu le premier, fort échauffé, demanda à boire ; le sommelier se persuada que les bouteilles qu’on lui avait données en garde était quelque vin excellent, et jugeant que la défense n’était pas faite pour le Pape, il lui en donna ; comme il achevait de boire, le duc arriva et en but aussi : ils furent tous deux empoisonnés ; mais le Pape, qui était fort vieux, en mourut peu de temps après, et le duc, jeune et vigoureux, fut sauvé à force de remèdes.
À la nouvelle de la mort du Pape, la Trimouille fit avancer l’armée aux portes de Rome, où il ne put aller lui-même, parce qu’il demeura malade à Parme. À la faveur de ces troupes, le cardinal d’Amboise crut qu’il pouvait aisément se faire Pape ; mais le cardinal de Saint Pierre-aux-Liens, qui aspirait comme lui à la papauté, lui conseillait d’éloigner les soldats, lui disant qu’en les retenant il mettait lui-même un obstacle à son élection ; que quand il se serait fait élire par force, son élection faite en cette sorte lui serait plutôt honteuse qu’honorable, et ne serait pas reconnue par la plus grande partie de la chrétienté ; ainsi, qu’il n’avait qu’à faire retirer les troupes, et qu’en même temps il serait élu tout d’une voix, sans s’attirer le reproche d’avoir violé la liberté du collège. Le cardinal d’Amboise crut ce conseil, et le cardinal de Saint-Pierre lui fit, aussitôt après, donner l’exclusion.
Les cardinaux estimaient le cardinal de Saint Pierre ; il était riche et libéral, et avait la réputation d’homme de courage, et qui tenait sa parole ; mais comme sa partie n’était pas encore faite dans le conclave, il fit élire un vieux cardinal, qui apparemment laisserait bientôt la papauté vacante : ce fut François Picolomini, qui prit le nom de Pie III. II ne tint le siège que vingt-six jours, et le cardinal de Saint Pierre, qui avait les vœux de tout le collège, fut élu d’un commun consentement, dès le soir qu’on entra dans le conclave. L’ambition et la simplicité du cardinal d’Amboise furent la risée de toute l’Europe ; mais le roi ne sentit pas assez combien mal à propos son autorité avait été compromise en cette occasion, où les mesures étaient si mal prises.
Le duc de Valentinois avait concouru à l’élection de Jules II (c’est le nom que prit le Pape), parce qu’il avait promis de lui faire recouvrer les places de la Romagne ; car aussitôt après la mort d’Alexandre VI, les seigneurs étaient rentrés dans quelques-unes, et les Vénitiens en avaient envahi d’autres ; mais Jules, au lieu de l’aider à les recouvrer, le fit arrêter pour tirer de lui la cession de celles qui lui restaient.
Comme les gouverneurs firent peu d’état des ordres de leur maître, parce qu’il était prisonnier, le Pape fit semblant de vouloir le relâcher et l’envoya à Ostie. Les places furent rendues et le duc ne fut délivré qu’en s’échappant de ses gardes et en se réfugiant auprès de Gonsalve, qui lui envoya un sauf-conduit ; mais il le fit arrêter malgré la parole donnée, et l’envoya prisonnier en Espagne, d’où il se sauva encore ; et s’étant réfugié en Navarre, il fut tué dans une bataille, à la tête de quelques troupes du roi de Navarre, qui combattaient pour sou mettre des rebelles qui s’étaient révoltés contre ce prince.
Cependant l’armée française avait fait quelques progrès durant la maladie de la Trimouille : le roi en avait donné le commandement au marquis de Mantoue, étranger. Italien et ennemi irréconcilié, qui, par ces raisons, devait être suspect. Au bruit de sa marche, Gonsalve abandonna les environs de Gaëte et laissa cette place en liberté. Le marquis fit un pont sur le Gariglian, et à la faveur de son artillerie, il passa cette rivière à la vue de Gonsalve, qui s’était vanté de l’empêcher ; mais dès le jour même, il perdit la confiance des Français, pour avoir, à ce qu’ils disaient, épargné l’ennemi qu’il pouvait défaire, et il arriva, quelque temps après, qu’il abandonna l’armée et débaucha les Italiens, qui prirent parti dans les troupes des ennemis.
Le marquis de Saluces, vice-roi, prit le commandement de l’armée, et Gonsalve pour l’empêcher d’entrer plus avant dans le royaume, se posta dans les marais, autrefois nommés les marais de Minturne. Il tint là l’armée de France, où elle se ruina par l’incommodité du lieu, par la rigueur de l’hiver et par les friponneries des commissaires qui retenaient la paye des soldats. Gonsalve, de son côté, souffrait beaucoup ; et, comme on lui conseillait de se retirer, il dit cette belle parole, qu’il aimait mieux mourir en avançant un pas contre l’ennemi, que prolonger sa vie de cent ans, reculant seulement d’une brassée. C’est ainsi qu’il faisait périr les Français, n’étant pas en état de les forcer ; mais il prit un chemin plus court, quand il se vit renforcé par la jonction d’Ursin, qui, dès le temps d’Alexandre VI, avait abandonné le parti de France, rebuté par la protection que Louis donnait au duc de Valentinois, son ennemi, qui en était si peu digne.
Gonsalve ayant attaqué les Français inopinément avec ce secours, la terreur et le désordre se mirent parmi eux. Le vice-roi fut obligé de se retirer à Gaëte, et sa retraite fut si précipitée, qu’il laissa à l’ennemi une partie de son canon. Pierre de Médicis, après avoir été longtemps le jouet de la fortune, périt enfin en cette occasion, dans un bateau qui enfonça, parce qu’il était trop chargé.
Gonsalve, sans perdre de temps, alla assiéger Gaëte, que la famine contraignit de se rendre. Le vice-roi avait mis dans les conditions que les prisonniers seraient mis en liberté ; mais Gonsalve, fécond en expédients pour éluder les traités, exclut de la capitulation les barons napolitains qui avaient servi le roi : il acheva aisément de chasser les Français du royaume et de prendre le peu de places qui leur restaient. Les affaires n’allèrent pas mieux du côté de l’Espagne. En Guienne, la division s’étant mise entre Albert et Gié, ils se présentèrent vainement devant Fontarabie, et retournèrent sans rien faire : en Roussillon, le maréchal de Rieux assiégea Salces ; mais, après quarante jours d’attaque, Ferdinand, survenu en personne avec trente mille hommes, lui fit lever le siège. Ces tristes nouvelles affligèrent au dernier point toute la France, parce qu’elle aimait son roi ; car, au reste, le bonheur des peuples au dedans du royaume était extrême.
Au milieu de tant de guerres, le roi donna si bon ordre à ses finances, que jamais il n’augmenta les impôts : les gens de guerre ne faisaient aucun désordre, le commerce était sûr et abondant, tout le monde vivait à son aise, et le roi était appelé le Père de la patrie, qui est le plus beau titre que puisse avoir un roi, pourvu que la flatterie n’y ait point de part ; il avait grand soin de la justice, et il voulait que les magistrats préposés à la rendre eussent non seulement le savoir, mais encore la gravité convenable à une si grande charge. On remarque qu’étant entré dans un jeu de paume, il trouva des conseillers du parlement qui y jouaient ; et, comme cet exercice paraissait en ce temps plus propre aux gens de guerre qu’à ceux de leur robe, il leur dit qu’une autre fois, s’il les y trouvait, il les mettrait dans ses gardes.
(1505) Quoique les affaires du dedans fussent en si bon état, et que le roi eût acquis beaucoup de gloire à gouverner si bien son royaume, c’était une grande tache à sa réputation de laisser périr tant d’armées et de perdre tant de conquêtes ; il sentit alors ce que c’était que de se laisser gouverner, et résolut d’agir par lui même : car quoiqu’il y ait un ministre habile et bien intentionné, les affaires vont toujours mal quand le prince s’en remet aux autres. Louis s’était reposé sur son ancienne réputation et sur les conquêtes qu’il avait faites au commencement de son règne, et il ne considérait pas qu’il ne sert de rien d’acquérir, si l’on ne conserve.
Quand le malheur fut arrivé, il en eut une si grande mélancolie, qu’il tomba dangereusement malade, jusque-là qu’Anne, sa femme, désespérant de sa vie, songeait à sa retraite en Bretagne, et, toute prête à partir, elle y envoya d’avance son équipage. De son mariage, arrêté avec Maximilien, elle avait toujours conservé beaucoup d’attachement pour les princes d’Autriche, et avait formé en leur faveur des desseins contraires aux intérêts de la France ; c’est pourquoi le maréchal de Gié se résolut d’arrêter ses gens sur le passage : la reine, indignée qu’un homme né son sujet se fut opposé à ses desseins, ne voulut jamais lui pardonner, et persécuta tellement le roi, qu’il eut la faiblesse de faire faire le procès au maréchal, malgré le zèle qu’il avait témoigné au bien de l’État ; mais le parlement de Toulouse, à qui il fut envoyé, malgré toute sa rigueur, ne trouva matière de le condamner qu’à se retirer de la cour.
Après la convalescence de Louis, on tint des conférences pour traiter de la paix entre lui et Ferdinand. Il s’était fait une trêve par le moyen de Frédéric, que Ferdinand flattait toujours de l’espérance de le faire rétablir dans son royaume : et en effet il mettait son rétablissement en tête des propositions qu’il faisait au roi; mais Louis s’étant aperçu qu’il ne le faisait que pour le brouiller avec l’archiduc, rompit le traité avec lui et fit la paix avec l’empereur, et par cette paix, on renouvelait les conditions du premier traité du mariage de Charles avec Claude, fille aînée du roi : et si elle venait à décéder, on lui accordait Renée, sa cadette, aux mêmes conditions : l’empereur consentit enfin à donner à Louis et à ses enfants, même aux mâles, s’il en avait, l’investiture du duché de Milan, moyennant soixante mille ducats comptant et soixante mille autres payables six mois après.
Le roi devait encore fournir cinq cents lances à l’empereur, quand il irait se faire couronner, et lui donner tous les ans, en reconnaissance, une paire d’éperons d’or : il était permis au roi d’Espagne d’accepter la paix dans un certain temps ; mais en cas qu’il la refusât, il n’était pas spécifié si le roi pourrait lui faire la guerre.
En ce temps arriva la mort de Frédéric, et, ce qui fut plus considérable, cette d’Isabelle, reine de Castille. Ce royaume revenait à l’archiduc Philippe, du côté de Jeanne, sa femme, comme héritière de sa mère, et Ferdinand était réduit à son ancien royaume d’Aragon ; mais comme Isabelle lui avait laissé par testament l’administration de la Castille, il se mit en état de la conserver, malgré son gendre, dont il commença à redouter la puissance.
Ce changement des affaires fit prendre de nouvelles mesures à Louis. Philippe, fils de l’empereur, seigneur des Pays-Bas, roi de Castille, successeur et gendre du roi d’Aragon, était redoutable par lui-même et plus encore par son alliance avec Henri VII, roi d’Angleterre, dont le fils ainé, nommé Arthus, avait épousé Catherine, sœur de sa femme. En cet état, Louis, qui n’avait jamais pu trouver aucune sûreté avec l’empereur, avait beaucoup à craindre du roi de Castille son fils, et en demeurant encore en guerre avec Ferdinand il eût eu trop d’ennemis à combattre : ainsi il se résolut à faire la paix avec le dernier, qui avait aussi ses raisons pour la souhaiter, et qui, désirant de se marier pour avoir des enfants mâles, fut bien aise d’épouser Germaine de Foix, nièce de Louis, fille de Marie sa sœur, et de Jean de Foix, vicomte de Narbonne.
En faveur de ce mariage, Louis donna à sa nièce sa part du royaume de Naples, qui devait demeurer à Ferdinand, si Germaine mourait devant lui sans enfants, et revenir à Louis, si Ferdinand mourait devant elle. Ferdinand donnait à Louis une grande somme pour les frais de la guerre, et s’engageait à rétablir les barons napolitains qui avaient servi la France ; il promettait d’aider Gaston de Foix, neveu de Louis et frère de Germaine, à recouvrer la Navarre sur Catherine de Foix, sa cousine, et son mari, Jean d’Albret. Ces deux rois faisaient ensemble une ligue défensive et le traité marquait le secours qu’ils se devaient donner l’un à l’autre étant attaqués.
(1506) Cependant Philippe alla en son nouveau royaume avec la reine sa femme : les Castillans s’attachèrent à leur princesse naturelle et à son mari, jeune prince agréable de corps et d’esprit ; de sorte que Ferdinand fut contraint de lui abandonner la Castille. Aussitôt après, il alla à Naples, où il soupçonnait que Gonsalve voulait se rendre le maître ; toute l’Italie lui envoya des ambassadeurs, et la haute opinion qu’on avait conçue de sa prudence en faisait attendre à tout le monde de grands effets ; mais ils ne répondirent pas à l’attente qu’on en avait. Les peuples ne furent pas soulagés, et la noblesse fut mécontente, parce que Ferdinand récompensa mal ceux qui l’avaient servi, et ne rétablit pas tout à fait, comme il s’y était obligé, ceux qui avaient servi la France.
Cependant le roi voyant la puissance de Maximilien devenue redoutable par cette de son fils, rechercha l’amitié du Pape en lui proposant de se joindre à lui contre les Vénitiens, usurpateurs de la Romagne. Le Pape avait mécontenté le roi, tant en disposant, sans sa participation, des bénéfices du Milanais, qu’en lui refusant le chapeau de cardinal pour deux évêques, l’un neveu du cardinal d’Amboise, et l’autre de la Trimouille ; mais de plus grands intérêts les firent réconcilier, quoique l’effet de leur accord fût plusieurs fois suspendu. Selon que Louis craignait plus ou moins, Maximilien donnait plus ou moins de secours au Pape, en sorte qu’il ne pouvait rien entreprendre contre les Vénitiens; et même Maximilien ayant fait savoir à Louis qu’il voulait aller à Rome pour se faire couronner, et lui ayant demandé non seulement les cinq cents lances promises par le traité, mais encore qu’il lui avança les soixante mille ducats dont le terme n’était pas encore échu ; il refusa le dernier; et en faisant l’autre, comme il y était obligé, il prit secrètement des mesures avec les Vénitiens pour empêcher Maximilien d’entrer en Italie.
Ce qui arriva dans le même temps augmenta beaucoup l’aigreur des deux princes, car Louis fiança à François, comte d’Angoulême, héritier présomptif de la couronne, Claude, sa fille aînée, promise par tant de traités à Charles, fils du roi Philippe.
Toute la France avait crié contre ce mariage, qui aurait transporté à la maison d’Autriche les droits de Claude sur les duchés de Bretagne et de Milan, et aurait peut-être donné à Charles une occasion de prétendre même à la couronne de France, prétention chimérique à la vérité, dans un royaume où jamais fille n’a succédé, mais qui donnait à un prince, d’ailleurs si puissant, un prétexte éternel de faire la guerre : c’est pourquoi les grands du royaume et les plus notables personnages assemblés à Tours, supplièrent le roi de rompre un traité si ruineux à sou État, et si peu sûr en la personne de Maximilien et de Ferdinand, qui l’avaient toujours trompé, et de donner la princesse à son successeur, pour tenir unis à la couronne les Etats dont elle héritait. Louis se rendit à ces raisons, et passa par-dessus toutes considérations pour contenter ses sujets.
Le Pape jugeait bien, après cela, que le roi, que cette rupture chargeait de tant d’ennemis, ne songerait pas à Venise ; mais il s’ennuyait de ne rien faire, et il entreprit de réduire Pérouse et Bologne. Il fit tant valoir le secours de France, quoiqu’il en fût peu assuré, à Paul Baglione, seigneur de Pérouse, qu’il se rendit de pure frayeur. Après un si bon succès, il poursuivit chaudement Bentivoglie, seigneur de Bologne ; il fut aidé par les Français dans cette conquête.
Chaumont déclara à Bentivoglie qu’il avait ordre de l’attaquer ; et celui-ci, qui n’avait jamais eu d’autre protecteur que le roi, quand il le vit contre lui, fut trop heureux de sauver, en abandonnant cette place, le reste de ses biens et sa personne. Jules fit d’extrêmes largesses à Chaumont qui l’avait si bien servi, et lui promit le chapeau pour son frère l’évêque d’Albi : ainsi, en toutes façons, il engageait dans ses intérêts le cardinal d’Amboise, leur oncle. Mais pour l’obliger davantage, il s’expliqua sur les deux chapeaux demandés, dont il y en avait un pour un autre neveu du cardinal; mais il s’expliquait par degrés, et savait ménager ses grâces ; car il promit d’abord les chapeaux, ensuite il en fit expédier les brevets, sans déclarer les personnes; enfin il acheva l’affaire en les nommant publiquement, et autant de pas qu’il faisait, autant il tirait de nouvelles faveurs de Louis, qui se laissait mener par les plaisirs qu’on faisait à son ministre. Jules lui accorda en même temps la disposition des bénéfices du Milanais.
(1507) Mais pendant qu’il le favorisait en apparence, sous main il s’entendait avec l’empereur, pour lui susciter des affaires et lui révolter les Génois ; cette révolte arriva à l’occasion des vieilles factions qui partageaient la ville, et principalement de la jalousie immortelle entre la noblesse et le peuple, sur le sujet du gouvernement : le peuple se souleva, et s’étant rendu le plus fort, après avoir massacré beaucoup de noblesse, il créa des magistrats à sa mode, de la lie du peuple. Raveslin, que le roi avait laissé pour gouverneur, fut contraint de condescendre au désir de la populace victorieuse, qui enflée de ce succès, secoua le joug tout à fait, et contraignit le gouverneur à se retirer. Les Français qui étaient restés dans le château furent tués avec leur commandant, et le peuple demeura le maître. Mais le roi ne laissa pas longtemps cet attentat impuni, et résolut de marcher à Gènes avec une puissante armée.
Le Pape fit ce qu’il put pour le détourner de cette entreprise, qui reculait si loin celle qu’il désirait tant contre les Vénitiens. Et les Génois ayant protesté d’abord que si le roi voulait seulement autoriser le gouvernement établi, ils demeureraient soumis, l’affaire fut prête à s’accommoder : mais ces peuples séditieux ayant fait de nouvelles fautes, Louis, sans rien écouter, marcha contre eux. Sur cela, le Pape irrité se mit dans l’esprit que le cardinal d’Amboise, résolu de l’empoisonner pour prendre sa place, faisait avancer le roi pour ce dessein ; il échauffa en même temps Maximilien déjà aigri, en lui écrivant que cet armement et le voyage d’Italie sous prétexte de châtier Gènes, tendaient, en effet, à faire Louis empereur.
Les Vénitiens lui ayant confirmé la même chose, Maximilien prit feu, et convoqua aussitôt une diète à Constance, où il éclata contre le roi en paroles fulminantes, à traiter le roi de rebelle à l’empire, et c’était à cause du duché de Milan qui en relevait. Il écrivit au Pape et aux cardinaux, que, comme avocat du Saint-Siège, il viendrait à leur secours, sans être appelé, avec une armée à laquelle ni l’Italie, ni la France, liguées ensemble, ne pourraient pas résister.
Cependant Louis s’avançait à Gênes sans s’émouvoir. Les Génois firent quelque résistance, mais ils furent bientôt vaincus. Il fit son entrée dans la ville, monté sur un coursier tout noir, armé de toutes pièces, précédé et suivi d’une infinité de gens de guerre ; tout le peuple alarmé était à ses pieds ; les femmes et les enfants, revêtus de blanc, criaient miséricorde.
Ce prince, bon et clément, fut touché de ce spectacle, et, après avoir châtié les plus coupables, il se contenta pour les autres de trois cent mille ducats, qu’on employa en partie à construire une forteresse pour tenir en bride ce peuple rebelle ; aussi fut-elle appelée la Bride.
Il rétablit le gouvernement comme il était avant le tumulte; et, sans rien ôter au peuple de ce qu’il avait accordé quand il se donna à lui, il voulut seulement qu’ils eussent à titre de privilège ce qu’ils avaient auparavant par convention ; ensuite, pour faire cesser les bruits que le Pape et Maximilien répandaient dans un temps où il était assez fort pour tout entreprendre, il résolut de s’en retourner en France; et, laissant Gènes paisible et l’Italie en repos, il fit admirer à tout le monde sa vigueur, sa modération et sa clémence; mais son retour fut retardé de quelques jours par l’entrevue proposée entre lui et Ferdinand.
II avait perdu depuis quelques mois le roi Philippe, son gendre. Ce prince, selon les Mémoires de du Bellai, donna, en mourant, une grande marque de la confiance qu’il avait en Louis, en lui laissant l’éducation de son fils Charles, plutôt qu’à Maximilien et à Ferdinand, grands-pères de ce jeune prince. Jeanne, femme de Philippe, outrée de douleur, acheva de perdre l’esprit, qu’elle avait déjà un peu faible ; l’administration de la Castille revenant par ce moyen à Ferdinand, il s’en retourna en Espagne, et il vint, en repassant, visiter Louis, qui s’avança à Savone pour le recevoir.
On ne peut pas faire les honneurs de meilleure grâce ni avec plus de magnificence qu’il les fit. Ferdinand aussi n’avait rien omis de ce qui pouvait lui plaire, et même, passant à Ostie, il ne voulut jamais voir le Pape, parce qu’il était brouillé avec Louis, à qui il ne voulait point donner d’ombrage. Le jour qu’il devait arriver, le roi se trouva au port, et aussitôt que la galère fut à bord, il y entra sans précaution, suivi seulement de deux hommes, témoignant une joie extrême de voir chez lui Ferdinand et la reine sa nièce. À la descente, il la prit en croupe, selon la mode du temps, sur son cheval superbement harnaché, et les seigneurs de la cour en firent autant aux dames.
Louis céda le château au roi d’Aragon, et donna la moitié de la ville, pour le logement de la suite, qui était de mille quatre cents gentilshommes. Il lui fit prendre partout la première place, quoique Ferdinand n’oubliât rien pour s’en défendre, et répétât souvent au roi qu’il se sentait obligé de lui céder. Il y eut un grand festin, où Louis fit l’honneur au grand capitaine de le faire mettre à table avec Ferdinand et Germaine, et lui donna des éloges, dont il ne fut guère moins touché que de ses victoires.
Ferdinand, de son côté, rendit visite à Aubigny, qui avait la goutte ; et il semblait que les deux rois se disputaient, à l’envi l’un de l’autre, à qui honorerait plus la vertu, pour entretenir l’ordre. Louis défendit aux Français, sur peine de la vie, de faire aucune querelle aux Espagnols. Il y eut durant trois jours plusieurs conférences entre les deux rois, et entre Ferdinand et le cardinal d’Amboise. Ce qui parut du résultat fut que Ferdinand promit du secours à Louis contre l’empereur, en attendant qu’il les eût réconciliés, pour tous trois ensemble attaquer les Vénitiens, dont ils étaient également mal satisfaits.
Après que les deux rois eurent juré la paix sur l’Eucharistie, Louis prit le chemin de France par Milan, et Ferdinand alla en Espagne gouverner le royaume de son petit-fils. Ce jeune prince était dans les Pays-Bas, où il croissait en vertu, sous la conduite de Philippe de Crouy, seigneur de Chèvres, que Louis lui avait donné pour gouverneur.
La diète de Constance, que Maximilien avait échauffée contre Louis, se ralentit quand elle le vit licencier ses troupes et retourner dans son royaume, elle promit cependant à Maximilien une armée assez considérable, et aussitôt après il tenta d’entrer en Italie pour faire la guerre, disait-il, dans le Milanais ; mais le roi eut soin de munir et ce duché et la Bourgogne, et il envoya aussi quelques troupes aux Vénitiens.
Ceux-ci, qui dans l’entreprise de Maximilien craignaient pour eux-mêmes, lui offrirent le passage, pourvu qu’il entrât désarmé ; et sur le refus qu’il en fit, ils ne voulurent pas lui permettre de passer sur leurs terres. L’argent lui manqua bientôt ; et les troupes de la diète s’assemblaient si nonchalamment, qu’il ne vit jamais six mille hommes ensemble. Pour comble de malheur, les Vénitiens, avec le secours qui leur fut envoyé de France, le battirent dans le Frioul, et Alviane, leur général, triompha de lui dans le Trévisan. Il fut sensible à cet affront ; mais il n’avait point assez de forces pour en tirer raison. Cependant les Vénitiens, assez contents d’avoir empêché son passage, firent une trêve d’un an avec lui, sans la participation du roi.
Il n’est pas croyable combien le roi fut touché de ce mépris ; et dès lors il résolut non-seulement de les attaquer de toutes ses forces, mais encore de joindre contre eux toutes les puissances de l’Europe. La république de Venise avait tous ses voisins pour ennemis, à cause des places qu’elle avait usurpées sur leurs États : elle en avait du Saint-Siège, entre autres Ravenne ; elle en avait du duché de Milan, que le roi occupé à d’autres affaires, n’avait pas encore jugé à propos de redemander ; elle en avait dans le royaume de Naples, que le vieux Ferdinand avait engagé. Maximilien voulait ravoir celles qu’elle avait ôtées à l’empire et à la maison d’Autriche. On peut croire qu’une république qui s’était ainsi agrandie aux dépens de ses voisins, et qui alors ne songeait encore qu’à continuer ses usurpations, leur devait être fort odieuse.
Il lui était donc aise de se venger des Vénitiens et de leur susciter de puissants ennemis ; mais un grand intérêt s’opposait à ce dessein : car Jules, Maximilien et Ferdinand avaient une éternelle jalousie de sa puissance, et ne songeaient qu’à le chasser d’Italie, où les Vénitiens l’eussent vu avec moins de peine, pourvu qu’il voulût bien ne les pas troubler.
(1508) Quoique Louis écoutât beaucoup son ressentiment, il mit pourtant, selon sa coutume, l’affaire en délibération dans son conseil ; mais comme il avait déclaré son inclination, la délibération ne fut qu’une grimace, et chacun entra dans ses sentiments par complaisance. Le seul Etienne Porcher, évêque de Paris, soutint qu’il n’y avait aucune apparence que le roi s’alliât avec ses ennemis naturels, et rompît avec ceux dont il pouvait faire de plus fidèles alliés. Louis ne s’offensa point de sa liberté ; mais il conclut la ligue avec Maximilien.
L’assemblée, pour la résoudre, se tint à Cambrai, sous prétexte d’accommoder la querelle entre Charles, roi de Castille, et le duc de Gueldres, que le roi avait autorisé sous main. Là, il fut arrêté que le Pape, l’empereur, le roi très chrétien, et le roi catholique, feraient la guerre aux Vénitiens ; que Louis commencerait l’attaque (car les Français prenaient aisément ce partage) ; que l’empereur agirait quarante jours après ; que, pour lui donner prétexte de rompre la trêve, le Pape le sommerait de le secourir comme défenseur du Saint-Siège, contre les usurpations des Vénitiens, et les admonesterait en même temps, sous peine d’excommunication, de rendre toutes les places qu’ils avaient prises au Saint-Siège et à l’empire, celles qui devaient être rendues à chaque prince étaient spécifiées, et la guerre devait commencer le 1er avril.
Outre cela, l’empereur devait donner à Louis, moyennant 100,000 ducats, l’investiture du duché de Milan, pour lui, son successeur et ses descendants mâles. Voilà quel fut le traité de Cambrai, qui fut tenu si secret, que les Vénitiens ne le savaient pas ; et il n’en parut autre chose que la confirmation de la paix entre l’empereur et Louis. Le Pape et Ferdinand n’eurent point de part à la délibération ; mais elle leur était si avantageuse, qu’on ne doutait pas qu’ils ne l’approuvassent. Cependant le Pape hésita, par la répugnance qu’il avait de se joindre avec Louis, et ne ratifia le traité qu’à l’extrémité, tâchant cependant de gagner les Vénitiens, qui furent assez fiers pour le refuser.
Au temps convenu, Louis, qui voulait commander son armée en personne, s’approcha de Milan, et fit d’abord entrer Chaumont, avec un petit corps, dans les terres des Vénitiens, afin d’engager l’empereur. Chaumont, après avoir pris Trévi, vint rejoindre le roi à Milan ; et le Pape envoya son monitoire aux Vénitiens, pour la restitution des places, les chargeant de toutes sortes d’exécrations s’ils refusaient d’obéir. Ils firent publier partout, et dans Rome même, un appel de cette sentence au concile, et, au défaut du concile, à Jésus-Christ même et à la vérité. Les Papes exposent les excommunications à de grands mépris, quand ils les emploient à leurs intrigues et à leurs intérêts politiques, qui ne doivent guère être défendus par de telles armes.
À l’approche du roi avec son armée, les Vénitiens, contre l’avis d’Alviane, qui voulait qu’on se contentât de lui empêcher le passage de l’Adde, résolurent de rassiéger Trévi. Quoique le roi se pressât pour la secourir, il y arriva trop tard ; mais en récompense il passa l’Adde sans aucun obstacle. Les généraux vénitiens avaient ordre de ne point combattre ; et le roi, pour les y forcer, gagnait un poste où il pouvait leur couper les vivres. Ce dessein obligea les Vénitiens à déloger pour le prévenir, et, dans la marche, le combat s’engagea près d’un village nommé Agnadel.
(1509) Alviane se crut posté avantageusement, étant dans des vignes, où notre cavalerie pouvait à peine se développer ; et en effet notre avant-garde plia. Si le roi ne fût survenu avec le corps de bataille, les affaires étaient perdues. Elles furent rétablies à son arrivée ; mais la victoire ne laissa pas d’être douteuse durant trois heures. À la fin, les Vénitiens ne purent soutenir l’effort de la gendarmerie, animée de la présence d’un roi qui faisait tout ensemble le devoir de soldat et de capitaine. Leur infanterie fut taillée en pièces ; Alviane eut un œil crevé. L’armée en déroute porta la terreur et la consternation à Venise, et en quinze jours le roi re prit toutes les places qui lui appartenaient par le traité, à la réserve du château de Crémone, qui se rendit peu de temps après.
Il n’y eut point d’autre capitulation, pour les nobles Vénitiens qui se trouvèrent dans les places prises, que de se rendre prisonniers de guerre, et il eût été aisé au roi de prendre les autres places réservées à l’empereur ; mais il fut fidèle aux traités, jusqu’au point de lui renvoyer les magistrats de Vérone, qui lui apportèrent les clefs. À la faveur de ses armes, le Pape prit Ravenne et quelques autres places de la Romagne ; et les généraux de l’empereur, avec deux ou trois mille hommes qu’ils avaient, firent quelques progrès dans le Frioul. Dès lors les Vénitiens, accablés d’une si grande puissance, désespérant de conserver leurs États de terre ferme, et, se réduisant à leurs îles, ils abandonnèrent leurs autres places, d’où même ils retirèrent leurs magistrats. Ainsi, Maximilien et Ferdinand n’eurent qu’à se remettre en possession de leurs pays, qui ne leur avaient coûté que la peine d’attendre.
Maximilien, selon sa coutume, s’était donné en Allemagne beaucoup de mouvement sans grand fruit ; mais Ferdinand, qui voyait de loin où les choses pouvaient aller, demeura en repos ; et avec une petite flotte qu’il tenait tranquillement dans ses ports, il profita des travaux et des victoires de Louis. Un peu après, les Pisans furent enfin reconquis par les Florentins, qui avaient mis dans leurs intérêts les rois de France et d’Aragon par de grandes sommes données à eux et à leurs ministres.
Quand les conquêtes des confédérés furent presque achevées, Maximilien, qui ne voyait qu’à regret Louis seul armé en Italie, vint à Trente, et se mit à proposer de grands desseins. Il ne projetait rien moins que de prendre Venise et de renverser cette république par les fondements ; mais ce n’était pas l’intention du roi, qui, toujours porté à croire trop tôt les affaires faites, retourna en France avec son armée, pour se décharger de la dépense qu’elle lui faisait en Italie.
(1510) Cependant Maximilien, qui ne parlait que de prendre de nouvelles places, gardait si mal celles qu’il avait recouvrées, que les Vénitiens lui enlevèrent Padoue. Il résolut de la rassiéger ; mais l’argent lui manquait, et il n’avait pas même assez de forces pour s’opposer aux paysans qui lui tuaient ses soldats. Ainsi le roi, qui avait tant voulu éviter la dépense, y fut obligé plus que jamais ; et pour ne point laisser tomber le parti, il fallut secourir Maximilien d’hommes et d’argent.
Avec ce secours, il mit le siège devant Padoue ; mais comme les Vénitiens avaient repris cœur, toute leur jeune noblesse se jeta dans la place, résolue ou de la sauver ou de s’enterrer sous ses ruines. En effet, après la brèche faite ils soutinrent l’assaut avec tant de vigueur, que Maximilien fut contraint de lever honteusement le siège. Maximilien, dans ce désordre de ses affaires, avait plus que jamais besoin de secours, et d’autant plus qu’il n’était pas en bonne intelligence avec Ferdinand.
Le sujet de leur division venait de ce que Ferdinand ne lui donnait pas, durant l’administration de la Castille, la moitié des revenus, comme ils en étaient convenus ; mais le cardinal d’Amboise, toujours possédé de sa fantaisie de la papauté, et flatté de l’espérance que lui donnait Ferdinand, de l’assister dans ce dessein, réconcilia ces deux princes, quoique leur désunion fût plus utile à son maître.
Cependant Maximilien, dans le besoin qu’il avait d’argent vendit à Louis les places reprises sur les Vénitiens ; mais plus le crédit et la puissance de Louis augmentaient, plus la jalousie du Pape s’échauffait contre lui ; en sorte qu’il déclara assez hautement qu’il le chasserait d’Italie. C’était une chose étrange de voir un Pape qui avait reçu, étant cardinal, une si grande protection de la France, se déclarer si ouvertement contre elle.
Ce Pape n’oublia rien pour lui susciter des ennemis : il reçut très-bien Mathieu Schiner évêque de Sion, et lui donna de l’argent pour animer les Suisses contre lui, comme il avait déjà commencé par ses invectives sanglantes. Il excitait aussi Henri VIII, roi d’Angleterre, aîné ; jeune prince qui désirait signaler son avènement à la couronne par quelque action d’éclat, et qui était déjà porté contre la France par Ferdinand, dont il avait épousé la seconde fille, nommée Catherine, veuve d’Arthus son frère aîné ; enfin, pour rendre son parti plus fort, il donna l’absolution aux Vénitiens, et s’accorda avec eux, malgré Maximilien et Louis.
Cependant, par les artifices de l’évêque de Sion, les Suisses s’aigrissaient contre le roi : ils demandèrent une augmentation de leurs pensions ordinaires, qui en soi n’était pas considérable ; mais l’arrogance avec laquelle ils faisaient cette demande, obligea le roi au refus, joint qu’il s’était allié avec les trois ligues des Grisons et ceux du Valais, pour moins dépendre des Suisses, qui devenaient importuns. Ce refus et l’argent du Pape donna moyen à l’évêque de Sion d’irriter ces peuples et de leur faire jurer une ligue avec le Pape, sous le nom glorieux de défenseurs du Saint-Siège.
Ce fut alors que Jules, qui croyait que tout le monde devait trembler devant lui, devint plus fier que jamais : il avait renoncé au traité de Cambrai, et ne cherchait qu’un prétexte de faire querelle au roi ; il en prit une faible occasion d’un traité fait avec le duc de Ferrare, dans lequel ce prince lui donnait le sel à meilleur marché que le Pape, pour son duché de Milan: Jules, sans autre raison, menaça le duc de l’excommunier, s’il ne rompait son traité, et même lui défendit de faire du sel.
Sur son refus, il entra à main armée dans son pays, où il prit- quelques places ; mais il fallut bientôt rabattre de sa fierté, à cause de la hauteur avec laquelle l’empereur le traitait, et plus encore parce que Chaumont, non content d’avoir repris dans le Ferrarais ce que le Pape avait gagné (1511), était entré dans les terres des Vénitiens, et les avait rejetés dans leurs premières terreurs. Tout réussissait à Louis, à qui l’empereur engagea Vérone, place si importante pour le duché de Milan ; et cependant il faisait toujours des propositions équitables que le Pape semblait vouloir écouter.
En ce temps, le cardinal d’Amboise mourut, très-regretté du roi et de toute la France : il était sans avarice, sans ostentation, sage, bon, équitable, assez modéré pour n’avoir jamais voulu qu’un seul bénéfice, qui fut l’archevêché de Rouen. Il eût été heureux, et eût passé pour plus grand homme, sans ce désir de la papauté, qui tourmenta toute sa vie, et lui fit montrer tant de faiblesse. Ceux qui l’excusent assurent qu’il n’aspirait à cette grande dignité que pour avancer en Italie les affaires de son maître, qui furent pourtant troublées par ses prétentions.
Comme on le croyait le seul objet de l’aversion du Pape, on espérait qu’après cette mort sa haine se ralentirait ; mais, au contraire, elle n’eut point de bornes, après qu’il n’eut plus en tête un homme qu’il appréhendait. Aussitôt après, il donna à Ferdinand l’investiture du royaume de Naples, sans exiger les quatre cent mille écus que les rois de Naples avaient accoutumé de donner au Saint-Siège, en l’obligeant seulement à lui donner trois cents lances quand il en aurait besoin. Il résolut de plus d’assiéger Gènes par mer et par terre, d’entrer de nouveau dans le Ferrarais, quoique le duc lui offrit de faire tout ce qu’il voudrait touchant le sel. Ce duc prit Modène, qu’il fut bientôt obligé d’abandonner.
À Gènes, ses intelligences lui ayant manqué, ses desseins s’évanouirent. Une seconde entreprise sur la même ville lui réussit assez mal. Les Suisses, qui voulaient entrer dans le Milanais, furent arrêtés par Chaumont ; et, malgré ces mauvais succès, on voyait le Pape, à l’âge de soixante et dix ans, s’opiniâtrer à la guerre, jusqu’à traiter d’espion et de faire mettre à la question l’ambassadeur de Savoie, qui lui offrait la médiation de son maître.
Dans cette résolution, tout cassé qu’il était, il s’avança à Bologne pour veiller de plus près à la guerre de Ferrare. Il commença par excommunier le duc, et Chaumont, quoiqu’il épargnât, selon les ordres du roi, les terres de l’Église, n’eut pas meilleur marché. Cependant le Pape tomba malade, et jamais ne put être persuadé par les siens de retourner à Rome, ni même de relâcher tant soit peu l’attention qu’il donnait aux affaires de la guerre ; il disait qu’il était destiné à délivrer l’Italie : c’est ainsi qu’il s’exprimait, lorsqu’il parlait de chasser les Français d’un pays où il les avait introduits pour se délivrer de l’oppression où gémissait sa patrie ; mais alors il avait besoin d’eux et n’était pas en colère.
(1511) Il aurait eu tout loisir de se repentir de sa haine contre la France, si Chaumont avait poursuivi un dessein qu’il avait commencé ; il marcha à Bologne, dans le temps que le Pape s’y attendait le moins, suivi des Bentivoglie, qui y avaient leurs intelligences, et espéraient faire révolter la ville : à son approche tout fut en alarme, excepté le Pape qui, après avoir fait porter à Florence ce qu’il avait de plus précieux, eut recours aux artifices ordinaires des plus faibles, et amusa Chaumont par une négociation. Il est malaisé d’éviter ce piège, quand on a affaire à une puissance qu’on se croit obligé de ménager et de respecter.
Pendant les allées et les venues, le Pape introduisit dans Bologne un grand secours, composé en partie de Turcs à la solde des Vénitiens, et se moqua de Chaumont. Après sa retraite, le Pape, quoique sa maladie fût augmentée, reprit la guerre avec plus d’ardeur que jamais, assiégea la Mirandole au cœur de l’hiver, et se fit porter au siège pour avancer les travaux, tout accablé qu’il était d’années et de maladies ; il se logea d’abord à la portée du canon, et l’impatience de prendre la place fit qu’il s’approcha plus près encore : la ville se rendit eu fin, et le Pape ne rougit pas de se faire porter dedans par la brèche. Quoique le roi n’oubliât rien pour le contenter, il demeura inflexible, et osa bien exiger qu’il lui fît rendre Ferrare, c’est-à-dire qu’il ruinât un prince qui n’était alors dans la peine que parce qu’il avait été de ses amis.
Le roi manda à Chaumont de ne plus rien ménager, et ce général marcha de nouveau vers Bologne, d’où il obligea le Pape à se retirer à Ravenne. Sur ces entrefaites Chaumont mourut ; et dans les approches de la mort, effrayé de l’excommunication, il envoya demander l’absolution au Pape, qui la lui donna et en tira grand avantage. C’est ce qu’ont de fâcheux les guerres qu’on a à soutenir contre l’Église : elles font naître des scrupules, non-seulement dans les esprits faibles, mais même, en certains moments, dans les plus forts.
Louis avait prévu cet inconvénient ; ce prince, attaqué injustement par le Pape, avait fait d’abord tout ce qu’il avait pu pour avoir la paix ; ensuite, pour rassurer ses peuples, il assembla à Tours les prélats de son royaume, pour les consulter sur ce qu’il pouvait faire dans une occasion si fâcheuse, sans blesser sa conscience : là il fut dit que le Pape étant agresseur injuste, et même, ayant violé un accord fait avec le roi, devait être traite comme ennemi, et que le roi pouvait, non-seulement se défendre, mais même l’attaquer sans craindre l’excommunication ; ne trouvant pas encore cela assez fort, il résolut d’assembler un concile contre le Pape.
Le concile général était désiré de toute l’Église dès le temps de l’élection de Martin V, au concile de Constance ; car, encore que ce concile eût fait un grand bien, en mettant fin au schisme qui avait duré quarante ans, il n’avait pas achevé ce qu’il avait projeté, qui était la réformation de l’Église dans son chef et dans ses membres ; mais, pour faire un si saint ouvrage, il avait ordonné, en se séparant, qu’il se tiendrait un nouveau concile.
En exécution de ce décret, le concile de Bâle avait été assemblé ; mais le succès n’en avait point été heureux : celui de Florence n’avait travaillé qu’à la réunion des Grecs, sans parler de la discipline ecclésiastique. Cependant tous les gens de bien en déploraient le dérèglement, qui consistait principalement dans les abus de la cour de Rome ; et à chaque conclave on obligeait le Pape qui serait élu à tenir le concile pour une œuvre si désirée.
Jules l’avait promis comme les autres ; mais, comme les autres, il ne s’était point soucié de l’exécuter. Sur ce prétexte, le cardinal d’Amboise, toujours possédé de son désir de la papauté, avait proposé de faire un concile pour y déposer le Pape et se faire élire ; après sa mort, le roi avait repris ce dessein, de concert avec l’empereur, pour humilier le Pape et balancer son pouvoir : le concile devait se tenir à Pise, si le Pape refusait des conditions équitables ; et en ce cas, les deux princes s’étaient obligés par traité à se joindre contre lui.
Après la mort de Chaumont, le roi avait donné le commandement de l’armée à Trivulce, maréchal de France ; mais il eut ordre de ne rien entreprendre, parce qu’on voulut auparavant entreprendre les voies de douceur : Ferdinand s’était entremis de l’accommodement, et à sa sollicitation Maximilien était convenu que les ministres des princes s’assembleraient à Mantoue. Louis y consentit avec peine, et envoya à Mantoue Poncher, évêque de Paris, pour se joindre à Matthieu Langer, ambassadeur de Maximilien.
Le fruit qu’attendait le Pape de ces conférences n’était autre que de détacher l’empereur d’avec le roi, et pour cela il attira auprès de lui l’évêque de Gurck, qu’il espérait de gagner. Il avait fait huit cardinaux, entre lesquels étaient l’évêque de Sion, et l’archevêque d’York, ambassadeur d’Angleterre ; il avait réservé un neuvième chapeau, avec lequel il voulait tenter l’évêque de Gurck ; il s’était même avancé jusqu’à Bologne comme pour aller au-devant de lui.
L’évêque, à qui l’empereur avait donné avec la qualité d’ambassadeur, celle de son vicaire en Italie, le portait fort haut ; et malgré les civilités du Pape, dans la visite qu’il lui rendit, il le traita avec une fierté qui approchait de l’arrogance : quand le Pape lui envoya des cardinaux pour parler d’affaires avec lui, il envoya de son côté quelques-uns de ses gentilshommes, et jamais ne parla lui-même qu’avec le Pape en personne ; il tint ferme pour l’union de son maitre avec Louis, malgré les propositions que le Pape faisait pour les diviser.
L’assemblée s’étant rompue sans rien faire, Trivulce eut ordre d’agir ; il prit Concorde, répandit la terreur dans Bologne, et obligea le Pape à prendre la fuite. Les amis des Bentivoglie soulevèrent le peuple ; le cardinal de Pavie, que Jules avait laissé dans la place, fut contraint de se retirer ; le duc d’Urbain, neveu du Pape et général de son armée, prit l’épouvante et s’enfuit. Trivulce chargea l’armée, prit le canon et le bagage, mit en déroute la gendarmerie vénitienne et dissipa toute l’infanterie, tant des Vénitiens que du Pape.
À cette nouvelle, les Bolonais séditieux traînèrent les statues du Pape par leurs rues, et ouvrirent leurs portes. La citadelle, très-forte, mais mal munie, selon la coutume des places de l’Église, se rendit aussi. Le Pape, abattu de ces malheurs, reçut un nouveau chagrin par la mort cruelle de François Alédosi : c’était le cardinal de Pavie, qui fut indignement assassiné par le duc d’Urbin, jaloux du trop grand crédit qu’il avait sur l’esprit du Pape. Pour comble de chagrin, il apprit l’indiction du nouveau concile fait au nom de neuf cardinaux, pour le premier de septembre, à Pise, en exécution, disaient-ils, du décret de Constance, et à la réquisition de l’empereur et du roi, qui l’avaient demandé par leurs procureurs.
Cependant Trivulce attendait dans le Bolonais les ordres du roi sur la nouvelle de sa victoire. Louis, toujours modéré, ne voulut jamais qu’on en fît des feux de joie, ni qu’on donnât aucune marque de réjouissance publique, jugeant bien que la victoire d’un fils contre son père, quoiqu’injuste, devait toujours être déplorée ; il fut même si respectueux envers le Saint-Siège, qu’il protesta que, quoique forcé à la guerre, il était prêt à demander pardon au Pape et à lui faire toute sorte de satisfaction. La piété de ce prince, qui devait attendrir le Pape et le faire rentrer eu lui-même, ne servit qu’à l’enorgueillir. La terreur et le désespoir où l’eût mis le roi s’il eût voulu poursuivre sa victoire, l’avait disposé d’abord à se contenter de conditions équitables ; mais il changea de résolution, quand il vit Louis par sa bonté naturelle et par les importunités de sa femme, trop scrupuleuse, se relâcher jusqu’au point de rappeler Trivulce dans le Milanais, loin de lui permettre d’entrer plus avant dans les terres de l’Église.
Tout cela obligea le roi à prendre sous sa protection les Bentivoglie, qu’il avait rétablis dans Bologne, et à s’obstiner à ne point rendre cette place au Pape ; il pressa aussi l’assemblée du concile, qu’il était prêt auparavant à abandonner. Jules, pour le prévenir, indiqua celui de Latran, et conclut secrètement une ligue contre la France, entre lui, Ferdinand et les Vénitiens ; ils l’appelèrent « la ligue sainte, » parce qu’elle avait pour prétexte le recouvrement des places prises au Saint-Siège, et la ruine du concile de Pise, qu’ils appelaient schismatique.
Le concile s’ouvrit à Pise avec peu de solennité, par les procureurs des cardinaux qui en avaient fait la convocation. Le Pape les avait déposés et avait mis en interdit la ville de Pise, où il devait se tenir ; et même celle de Florence, à cause que les Florentins avaient donné Pise pour cette assemblée. Sur cela, les religieux ne voulurent pas se trouver à l’ouverture du concile, et les prêtres de l’Eglise refusèrent les ornements nécessaires. Le peuple s’émut, et les cardinaux étant arrivés ne se trouvèrent point en sûreté ; de sorte qu’après la première session, ils transportèrent le concile à Milan, ou ils ne furent pas mieux reçus.
(1512) Gaston de Foix, neveu du roi, à qui il avait donné depuis peu le gouvernement du Milanais, put bien forcer le clergé à célébrer, et le peuple à se taire; mais il ne put point les obliger à avoir pour le concile le respect que méritait un si grand nom; on n’y voyait point paraître à l’ordinaire les légats du Saint-Siège ; à peine y avait-il quinze ou seize prélats français: l’empereur n’avait pas eu le crédit ou la volonté d’y en envoyer un seul d’Allemagne ; en un mot, on ne voyait rien dans cette assemblée qui sentît la majesté d’un concile général, et on savait qu’elle se tenait pour des intérêts politiques. L’empereur, qui paraissait auparavant si uni avec le roi, commençait à se ralentir ; durant un long temps il ne fit que se donner bien des mouvements inutiles, quoique le roi, sans y être obligé, lui eût envoyé la Palice avec des troupes. Ses irrésolutions et les nouvelles que le roi eut de la ligue, l’obligèrent à faire entrer Gaston de Foix dans la Romagne, avant que l’armée d’Espagne eût joint cette du Pape.
Il n’avait que vingt-deux ans, et déjà il s’était signalé sous Trivulce dans les guerres d’Italie, où il avait fait des actions de grand éclat ; il brûlait d’envie d’agir de son chef, mais il fut un peu retardé par les Suisses, qui s’assemblèrent et menacèrent le Milanais d’une irruption. Le roi avait négligé de les satisfaire, parce qu’il se croyait assuré des rois d’Angleterre et d’Aragon, qui ne cessaient de lui faire dire qu’ils voulaient toujours vivre avec lui en bonne intelligence : ainsi cette nation, se croyant méprisée, conçut une haine mortelle contre la France, à qui elle devait toute sa considération.
Gaston, ayant appris qu’ils s’étaient assemblés en assez grand nombre, mais sans ordre, méprisa cette multitude confuse, et avec beaucoup moins de monde il leur présenta la bataille qu’ils n’osèrent accepter. Il se fit ensuite diverses propositions d’accommodement, et les Suisses, tantôt hautains et tantôt timides, se retirèrent enfin sans rien entreprendre
Cependant l’armée ecclésiastique, celle des Espagnols et celle des Vénitiens, s’étaient jointes, et toutes ensemble avaient assiégé Bologne durant le mois de janvier, malgré la rigueur de la saison: leur canon avait fait une grande brèche; mais ils ne voulurent point donner l’assaut général, qu’ils n’eussent fait jouer une mine qui devait ouvrir un plus grand passage : en effet, une partie considérable de la muraille sauta mais elle retomba si droite, avec une chapelle qui y tenait, qu’il ne parut point qu’elles eussent été enlevées.
Au dixième jour du siège, Gaston, qui avait marché à grandes journées, arriva près de Bologne ; l’obscurité était si grande, la neige tombait si épaisse, et la place était d’ailleurs si mal assiégée, qu’il y entra avec toute son armée sans que les ennemis s’en aperçussent ; ils le surent le lendemain assez tard, et levèrent aussitôt le siège. Gaston, ravi de leur retraite, apprit en même temps que les Vénitiens avaient été introduits dans la ville de Bresse par intelligence ; mais comme la citadelle était restée aux Français, il ne crut point l’affaire sans re mède ; l’hiver, ni deux rivières qu’il fallait passer, c’est-à-dire le Pô et le Mincio, n’empêchèrent point sa marche ; il trouva en son chemin Paul Baglione, un des chefs des Vénitiens, il le battit, entra dans le château de Bresse, exhorta ses soldats, força les retranchements que les ennemis avaient faits entre le château et la ville, et attaqua les ennemis en bataille, dans la place d’armes, dont il tua huit mille, et chassa les Vénitiens.
Au milieu de ces bons succès, le roi vit du changement dans les affaires. L’empereur commençait à vaciller, et Ferdinand l’avait obligé à une trêve avec les Vénitiens. Il avait aussi tellement flatté le roi d’Angleterre, son gendre, de recouvrer la Guienne, qu’on le croyait prêt d’entrer dans la ligue. Ainsi, Louis, à la veille d’être attaqué de tant d’ennemis, manda à Gaston de donner la bataille et de marcher droit à Rome ; il ne perdit pas un moment à exécuter ses ordres, et, après avoir vainement tenté d’attirer ses ennemis au combat, il résolut d’assiéger Ravenne, jugeant bien qu’ils ne laisseraient pas sans secours une place de si grande importance ; il ne se trompa pas dans sa pensée, et l’armée confédérée le suivit de près.
À peine Gaston eut-il vu une petite brèche dans la muraille, qu’il donna un furieux assaut ; les bourgeois effrayés commencèrent alors à parlementer à l’insu de la garnison. Sur cela, les ennemis se résolurent de tenter le secours ; Gaston, pour les empêcher de rentrer dans la ville, entreprit de les attaquer dans leur camp, où ils étaient fort bien retranchés.
Le onzième d’avril, qui était le jour de Pâques, il passa à leur vue, moitié à gué, moitié sur un pont, la rivière de Ronco, dont ils étaient couverts d’un côté, et, résolu d’être partout, il choisit trente hommes d’armes pour l’accompagner : il trouva les ennemis en bataille dans leurs logements ; mais Alfonse d’Esté, duc de Ferrare, fit battre en flanc par le canon leur cavalerie ; ce qui la mit en désordre. Raimond, comte de Cardonne, vice-roi de Naples, et le duc d’Urbin, s’enfuirent d’abord ; mais Pierre Navarre, général de l’infanterie espagnole, ayant de son côté renversé par son artillerie la fleur de l’infanterie gasconne, tint longtemps ferme, quoique la plus grande partie de ses gens eussent été tués ou mis en fuite.
À la fin, les Français remportèrent, animés par la vigueur de leur général ; mais comme quatre mille Espagnols, après avoir combattu avec beaucoup de valeur, se retiraient en bon ordre, sous la conduite de Pierre Navarre, Gaston victorieux les poursuivit trop chaudement, et malgré toute sa valeur il fut tué à coups de piques au milieu d’un bataillon qui l’enveloppa. Les Français irrités tuèrent beaucoup d’Espagnols, et prirent Pierre Navarre ; ils avaient déjà pris le cardinal de Médicis, légat du Pape, et plusieurs autres officiers généraux.
Quand on sut dans l’armée la mort de Gaston, on ne crut pas avoir gagné la bataille. La consternation de l’armée passa bientôt à la Cour, et le roi était inconsolable d’avoir perdu un neveu dont la vertu promettait de si grandes choses. Mais ce qu’il y eut de plus fâcheux, c’est que les chefs, accoutumés à lui obéir, eurent peine à reconnaître la Palice, et pour comble de malheur la division se mit entre lui et le cardinal de Saint-Séverin, légat du concile, qui partageait avec lui le commandement.
Cette division fit perdre de précieux moments et empêcha le fruit de la victoire ; car, après qu’on eut pris Ravenne et que la Romagne se fut rendue aux vainqueurs, au lieu de marcher droit à Rome où l’épouvante était extrême, la Palice, sous prétexte de quelques menaces des Suisses, se retira vers le Milanais et ne laissa au cardinal que fort peu de troupes.
Le roi le renvoya bientôt contre Rome ; mais le Pape s’était déjà rassuré, et il arriva dans cette affaire des contre-temps surprenants. Dans le premier effroi, Jules, pressé par les cardinaux, promit par écrit de faire la paix, à condition de ravoir Bologne, que le roi lui avait offerte avant la bataille ; mais, après la victoire, Louis refusa assez longtemps de la rendre, et quand il se fut résolu à faire la paix à cette condition, le Pape à son tour ne le voulut plus, parce que le roi d’Angleterre s’était déclaré et était entré dans la ligue.
Cependant les Suisses, envenimés contre la France et irrités par ses succès, armèrent puissamment contre elle ; et comme ils étaient irrésolus s’ils commenceraient à attaquer par le duché de Ferrare ou par celui de Milan, une lettre interceptée de la Palice, qui marquait la faiblesse extrême du dernier, les détermina à y entrer. La Palice y revint trop faible pour leur résister, parce qu’après la victoire de Ravenne les trésoriers, trop confiants et trop ménagers, avaient mal à propos réformé les troupes. En même temps l’empereur retira quatre mille hommes qu’il avait donnés à Louis, et les Français, contraints d’abandonner Pavie, perdirent leur arrière-garde par la rupture d’un pont : ainsi Trivulce et la Palice ne songèrent qu’à se retirer avec les faibles restes de l’armée.
Tout le Milanais fut livré aux Suisses qui accouraient de toutes parts, pour la contribution de toutes les villes, et il n’y resta à Louis que le château de Milan avec celui de Crémone ; il perdit même le comté d’Ast qu’il avait reçu de ses pères. Gènes ne manqua pas de secouer le joug ; les Benlivoglie abandonnèrent Bologne, et toute la Romagne retourna au Pape. Voilà les révolutions des choses humaines, et tel fut enfin le fruit de la victoire la plus signalée que les Français eussent jamais remportée en Italie.
Les Suisses firent rétablir dans le duché Maximilien Sforce, fils de Ludovic, à qui ils firent présenter les clefs de Milan par le cardinal de Sion, au nom de tout le corps helvétique. L’empereur, se vantant de s’être enfin vengé de tous les affronts reçus de la France, entra publiquement dans la ligue et adhéra au concile de Latran ; alors le Pape y fit faire des décrets terribles : l’assemblée de Pise, qui avait suspendu le pouvoir du Pape, et tous ceux qui lui adhéraient, furent condamnés comme schismatiques ; le roi, les prélats de France et les parlements furent cités pour dire les raisons par lesquelles ils prétendaient empêcher l’abolition de la pragmatique.
Après les affaires achevées, la division ne tarda pas à se mettre parmi les confédérés : chacun d’eux avait ses prétentions, et en même temps que l’empereur entra dans la ligue, les Vénitiens en furent exclus pour avoir refusé de faire la paix avec lui aux conditions que le Pape proposait. Les affaires de France n’en allaient pas mieux, et six mille Anglais étaient déjà descendus à Fontarabie, dans le dessein d’entrer en Guienneavec les troupes que Ferdinand avait promis de joindre ; mais il avait bien d’autres desseins, et il ne flattait son gendre de la conquête de la Guienne, que pour faire, sous ce prétexte, celle du royaume de Navarre ; il envoya demander passage au roi Jean d’Albret, et, sans attendre la réponse, il entra à main armée dans son royaume.
Ce prince, dépourvu de toutes choses, se retira en Béarn, et laissa son royaume en proie à Ferdinand, qui prit tout sans résistance. Ce malheur lui était arrivé pour avoir trop ménagé Ferdinand, qui le ruina ; car comme il était parent et allié de Louis, il crut que, s’il s’armait, Ferdinand en prendrait de la jalousie ; et de peur de lui donner un prétexte de le perdre, il se perdit en effet lui-même.
Quand la Navarre fut prise, les Anglais pressaient Ferdinand de faire avec eux le siège de Bayonne ; mais il avait fait son coup, et se souciait peu de la prétention des Anglais, de sorte qu’il les payait toujours de nouveaux délais ; et les Anglais, voyant enfin qu’il se moquait d’eux, repassèrent la mer. Alors Louis, qui ne craignait plus pour la Guienne, employa toutes ses forces à recouvrer la Navarre.
La division se mit entre Charles, duc de Bourbon, et le duc de Longueville, qui commandaient l’armée ; de sorte que le roi fut obligé d’y envoyer François, duc d’Angoulême. L’autorité de ce jeune prince, héritier présomptif de la couronne, calma les dissensions ; mais elle ne put pas réparer le temps perdu. On manqua l’occasion de couper les vivres au duc d’Albe, général de l’armée d’Espagne. Le siège de Pampelune, capitale de la Navarre, que les Français méditaient, fut poussé trop avant dans l’hiver, et il fallut lever le siège : ainsi le roi d’Aragon demeura maître de la Navarre, dont il se prétendit légitime possesseur, sous prétexte, à ce que disent les auteurs espagnols, que Jean d’Albret reconnaissait le concile de Pise, dont le Pape avait interdit et excommunié tous les adhérents, comme si l’autorité ecclésiastique pouvait disposer des royaumes.
Ferdinand, content de ses exploits, ne songea plus qu’à faire la paix avec Louis, et Louis écoutait tout, dans le dessein qu’il avait de rétablir ses affaires en Italie. Il fit tous ses efforts pour gagner les Suisses, mais ce fut vainement. L’empereur, prince fécond en projets, lui offrit de renouveler l’alliance, s’il voulait lui donner, pour l’archiduc Charles, Renée sa seconde fille, avec ses prétentions sur le royaume de Naples et sur le duché de Milan ; et quoique le roi eût toujours trouvé tant d’infidélité dans le procédé de l’empereur, cependant, pressé par la reine, il aurait conclu avec lui, si cette princesse ne s’était obstinée à vouloir terminer dès lors le mariage de sa fille, que Maximilien désirait avoir aussitôt après le traité conclu.
(1513) Ce traité étant rompu, celui qui se négociait secrètement avec la république de Venise s’acheva à condition que les Vénitiens assisteraient le roi en Italie de dix mille hommes de pied et de mille cinq cents chevau-légers, et que le roi, de son côté, les assisterait jusqu’à ce qu‘ils eussent repris ce qu’ils possédaient devant le traité de Cambrai.
Le Pape cependant ne méditait que de grands desseins :il croyait accabler le duc de Ferrare ; il avait acheté de l’empereur l’État de Sienne pour le duc d’Urbin, son neveu ; il fulminait contre la France dans le concile de Latran, et méditait un décret pour transporter le royaume et le titre de très-chrétien au roi d’Angleterre, qu’il voulait s’acquérir ; il songeait même aux moyens de chasser les Espagnols d’Italie, où il voulait dominer tout seul, sous prétexte de l’affranchir du joug des Barbares. Car c’est ainsi qu’il parlait des peuples de deçà les monts.
Au milieu de ces grands desseins, la mort l’arrêta, et il fallut aller rendre compte de tant de guerres, que son humeur impérieuse et violente avait excitées. Jean, cardinal de Médicis, fut élu en sa place, et prit le nom de Léon X. Il fut fait Pape par la brigue des jeunes cardinaux, qui, après avoir vu sur le siège de saint Pierre un vieillard si emporté, espérèrent qu’un jeune homme serait peut-être plus retenu.
La mort d’un ennemi aussi fâcheux que Jules releva les espérances de Louis ; dans le même temps, Ferdinand, sans la participation de ses alliés, fit une trêve avec la France, à condition toutefois que Louis n’entreprendrait rien sur la Navarre, et que l’empereur y pourrait entrer avec le roi d’Angleterre, si bon leur semblait ; mais ils avaient bien d’autres pensées, et ils venaient d’envoyer à Ferdinand, pour le sommer d’entrer en France avec eux, quand ils apprirent de lui qu’il avait conclu cette trêve.
Le roi, sans perdre de temps, fit attaquer le Milanais, qu’il savait entièrement dégarni. En effet, la Trimouille avait à peine ramassé la moitié de ses troupes, que tout le duché, et Milan même, se rendirent à la réserve de Côme et de Novare, pendant que les Adornes et les Fiesques, qui avaient des mécontentements particuliers contre Janus Frégose, duc de Gênes, remirent cette place dans l’obéissance.
Aussitôt après, la Trimouille mit le siège devant Novare, où les Suisses, qui gardaient le Milanais, s’étaient retirés ; ils furent si fiers, qu’ils ne voulurent jamais qu’on fermât la porte du côté des assiégeants. La nouvelle d’un grand secours qui leur venait, ayant obligé les Français lever le siège pour aller au devant, ceux de dedans résolurent de les attaquer à deux milles de Novare, où ils étaient campés ; ils partirent la nuit, et troublèrent nos gens par leur arrivée imprévue. Il y avait eu quelque mésintelligence entre les chefs : la Trimouille avait remarqué un poste avantageux, que Trivulce devait aller occuper ; mais par esprit de contradiction et pour épargner quelques terres qui étaient à lui, il aima mieux camper dans un lieu marécageux, où la cavalerie ne pouvait agir : la résistance des Français ne laissa pas d’être vigoureuse ; mais les Suisses, profitant de leur avantage, taillèrent en pièces notre infanterie allemande et gasconne.
La Trimouille fut blessé dans ce combat, et se retira à Suze, d’où il repassa les monts avec sa gendarmerie : tout le Milanais retourna à l’obéissance de Sforce, qui prit bientôt les châteaux de Crémone et de Milan ; les Adornes, à qui le roi avait donné le gouvernement de Gènes, déclarèrent, dans l’assemblée du peuple, qu’ils aimaient mieux renoncer au commandement, que de ruiner leur patrie ; ainsi ils laissèrent la ville en liberté, et il ne demeura aux Français que la lanterne du port.
Après cela, les Vénitiens eurent beaucoup à souffrir, et Venise même fut canonnée par le vice-roi de Naples ; mais Alviane, qui lui coupa les chemins, l’aurait fait périr sans combattre, s’il n’avait mieux aimé l’attaquer. Les Espagnols eurent l’avantage et assurèrent leur retraite.
En perdant le duché de Milan, le roi se vit en danger de perdre en même temps la Bourgogne et la Picardie. Les Suisses, croyant tout possible à leur nation, après la victoire de Novare, mirent le siège devant Dijon, que la Trimouille défendit durant six semaines ; mais il ne put sauver cette place ni la province, qu’en promettant aux Suisses, avec six cent mille écus, une renonciation absolue du roi au concile de Pise et au duché de Milan.
Il fit ce traité sans ordre, et le roi ne le blâma pas d’avoir cédé à la nécessité ; mais il ne put se résoudre à ratifier une renonciation si honteuse : pour l’argent, il n’en fit point de difficulté ; et c’est ce qui sauva la vie aux otages que la Trimouille avait donnés aux Suisses. D’un autre côté, Maximilien, joint au roi d’Angleterre, avait assiégé Térouanne avec cinquante mille hommes.
Louis, duc de Longueville, et Pienne, gouverneur de Picardie, trouvèrent moyen d’y jeter du secours ; mais, dans la retraite, le duc, avec la jeunesse qui le suivait, s’étant approché par bravade du camp des ennemis, fut coupé et fait prisonnier. Le reste prit la fuite en grand désordre, et c’est ce qui donna lieu d’appeler ce combat la journée des éperons, parce que nos gens se servirent mieux de leurs éperons que de leurs épées. Ce malheur arriva près de Guinegate, lieu fatal aux Français. Louis en fut affligé, et blâma d’autant plus la témérité du duc de Longueville, à qui il avait défendu de rien hasarder ; il ne se laissa pourtant point abattre pourtant de malheurs ; et, quoiqu’il eût la goutte, il se fit porter à Amiens, résolu de défendre en personne le passage de la Somme.
Son approche et les bons ordres que donna le duc d’Angoulême qu’il envoya à l’armée, ne purent sauver Térouanne, qui fut démolie par les Anglais. Ensuite ils prirent Tournay, où, arrêtés par l’hiver, ils résolurent de repasser en Angleterre. La plupart des Français attribuaient ces malheurs au concile que le roi tenait contre le Pape. Cette malheureuse assemblée, chassée de Pise à Milan, s’était sauvée à Lyon dans le temps que Milan fut pris par les Suisses, et elle y était fort méprisée. La reine se mit à la tête de ceux qui priaient le roi d’y renoncer ; ce qu’il fit enfin au grand contentement de toute la France.
Il reconnut en même temps le concile de Latran, auquel il soumit l’affaire de la pragmatique ; ainsi le Pape leva les excommunications et les interdits. Mais la reine, ne survécut pas longtemps à la paix qu’elle avait procurée ; elle mourut à l’âge de trente-sept ans, le 9 janvier 1314, et la constance de Louis, invincible parmi tant de pertes, pensa succomber à celle-ci.
Peu après la mort de la reine, le mariage de François avec Claude sa fiancée, qui l’aimait passionnément, s’accomplit. Anne de Bretagne, toujours ennemie de Louise de Savoie, mère de François, et portée à favoriser la maison d’Autriche, n’y avait jamais voulu donner son consentement ; et le roi, qui avait une peine extrême à mécontenter la reine, avait mieux aimé différer la chose, dans l’espérance de la fléchir, que de l’achever malgré elle.
En ce temps les affaires de France commençaient à reprendre un meilleur train. Louis, duc de Longueville, avait une envie extrême de réparer par quelque service important la faute qu’il avait faite à Guinegate. Il vit que le roi Henri était rebuté des tromperies de son beau-père Ferdinand, et des dépenses infinies qu’il lui fallait faire pour contenter Maximilien et les Allemands ; il voyait à la cour d’Angleterre Marie, sœur du roi, jeune princesse parfaitement belle et recherchée de tous les princes, mais que Henri, par des raisons d’État, ne voulait donner à aucun : sur cela le duc se persuada qu’il n’aurait pas de répugnance à en faire le mariage avec Louis, et qu’étant d’ailleurs assez disposé à la paix, elle pourrait se faire par ce moyen. Il jeta quelques propos de ce mariage dans la cour d’Angleterre, et comme il ne se vit point rebuté, il en écrivit à Louis, qui, dans la perte qu’il venait de faire de la reine, ne songeait à rien moins qu’à se marier, ce que même ses médecins lui représentèrent comme contraire à sa santé, devenue depuis quelque temps assez faible : mais l’amour qu’il avait pour son peuple l’obligea à prendre ce parti, il agréa la proposition.
La paix fut conclue, et les deux princes firent alors une ligue offensive et défensive : il en coûta à la France beaucoup d’argent, et la ville de Tournai, que Henri retint ; mais Louis n’achetait pas trop l’espérance presque assurée de recouvrer le Milanais par cet accord. Le duc d’Angoulême fut envoyé pour épouser la princesse au nom du roi. Il n’avait que vingt ans, et il était fait comme il faut pour donner et recevoir de l’amour : il en conçut pour la jeune reine, et la chose aurait pu aller trop avant pour lui, s’il n’eût été averti de retenir sa passion par son intérêt. La même raison lui fit prendre garde au duc de Suffolk, seigneur anglais, qui avait grande part à l’amitié de Marie. Le mariage du roi ne fut pas de longue durée : il était depuis plusieurs années tourmenté de la goutte ; la fièvre, accompagnée d’une dysenterie, le prit, et le conduisit au tombeau, le1er janvier 1515.
Il mourut au milieu des pensées de guerre qu’un mariage fait par intérêt n’interrompit guère. Quoique ses entreprises hors du royaume aient été à la fin malheureuses, on doit le mettre au rang des rois les plus heureux, parce qu’il rendit heureux ses peuples, qu’il n’aimait pas moins que ses enfants : c’est ce qui lui a mérité le titre glorieux de bon Roi et de Père du peuple.
Commentaire de la rédaction :
Tirons quelques enseignements de ce règne méconnu. D’abord ce phénomène très royal qui fait que le Roi, comme Louis XI en son temps, « oublie » en quelque sorte sa vie avant de devenir roi, pour être un bon roi, et détromper les craintes de ceux qui pensent que le Roi aurait pu utiliser sa position pour des vengeances personnelles. Cette mystérieuse « transfiguration royale » est exprimée par la phrase du roi Louis XII, restée à la postérité :
« Que ce n’était pas au roi de France à venger les querelles du duc d’Orléans. »
Ce phénomène montre combien la fonction royale, et le système monarchique est vertueux, aux antipodes d’un système démocratique et républicain : là où le système républicain parvient à corrompre même les plus vertueux des « politiques », puisque tout se fonde sur l’orgueil et le combat féroce pour des places, la royauté, chrétienne, naturelle, et douce, vient foncièrement aider à rendre le Roi vertueux. Il est tellement la source de justice, l’incarnation royale de la justice, que tout va contre l’abus, tant dans les institutions royales françaises, nourries aux biberons de la chrétienté et d’une longue expérience du pouvoir, que dans la nature même de la royauté, avec une autorité incontestable venant de Dieu via les lois fondamentales, et renforcée par le sacre, qui, en plus, oblige le roi à une humilité, puisqu’il ne doit jamais la couronne qu’à sa naissance. Sa position naturelle au-dessus de la mêlée, en dehors de la simple pyramide féodale – aujourd’hui nous dirions au-dessus des partis- le poussent avec une force mystérieuse à faire justice, même si avant de devenir roi il pouvait avoir des querelles, des factions ou mêmes parfois des parties, surtout en cette fin du Moyen-âge.
Tirons un autre enseignement, cette fois du mauvais chef qui n’assume pas ses décisions, même les plus graves, et qui pense plus à se maintenir qu’à servir le bien commun.
« le duc, effrayé lui-même de tant de pertes inopinées, eut recours aux derniers remèdes des désespérés : commença à flatter le peuple, en diminuant les impôts et s’excusant de les voir mis sur la nécessité des guerres. »
Flatter le peuple n’est jamais bon, cela accélère la chute et nourrit l’orgueil facile de tout un chacun.
On pourrait dire que cet exemple, présenté par Bossuet comme un repoussoir, un mauvais exemple à ne pas suivre, est devenu la règle de la démocratie moderne…pour le pire, et systématisé d’une façon effrayante.
Un autre enseignement sur l’occupation d’un pays conquis, avec le consentement de ce pays en plus : quand on respecte les particularités et les conditions, sans faire son « occupant », tout se passe bien et l’assimilation avance, comme fait Louis XII, mais quand le général Trivulce impose ses vues et blesse l’amour propre, tout va mal…
Notons aussi un fait majeur pour comprendre les grands troubles de religion qui vont naître par la suite : l’hérésie n’est pas là, mais l’atmosphère qui va la voir naître est déjà en place. Tout le monde, depuis déjà pas mal de temps, est convaincu que le pape est une catastrophe. Déjà Charles VIII aurait dû le déposer, mais il ne l’a pas fait, et il a été comme puni par le Ciel… Encore ensuite tout le monde se scandalise de trouble que met le pape dans l’ordre féodal :
« Il fut parlé, dans ces conférences, de faire la guerre aux Vénitiens, dont l’ambition choquait les deux princes, et de réformer l’Église, principalement dans son chef, qui troublait l’Italie et scandalisait toute l’Église. »
Mieux, Bossuet n’hésite pas à faire de ce pape un danger aussi grand que le Turc, l’infidèle. C’est intéressant, car un mauvais chef est souvent plus dangereux qu’un véritable ennemi, qui s’affiche tel quel.
« Le gouverneur de Milan avait fait connaître à Louis que ce duché dans la suite ne serait pas en sûreté, s’il ne retenait un homme si entreprenant. Aussi avait-il déclaré, en sortant de France, qu’il allait faire la guerre à Alexandre VI, et que cette guerre était plus sainte contre un si méchant Pape que contre le Turc. »
Cela permet aussi de comprendre aussi la place normale du pape, à qui on doit le respect, et dont on doit reconnaître l’autorité, mais qu’il ne s’agit pas d’idolâtrer comme un Dieu vivant sur terre, dans une certaine « papolâtrie » bien contemporaine…
La tenue du conclave après la mort d’Alexandre VI, empoisonné par erreur – mais le fait même que le duc de Valentinois voulait empoisonner un cardinal montre déjà à quel point le machiavélisme pratique avait pignon sur rue – manifeste à quel point l’Église de cette époque va mal dans sa tête, et combien les manœuvres humaines prennent le pas sur les volontés divines. Après un pape de transition, qui ne vécut que 26 jours, Jules est élu par manœuvre, contre le bon cardinal d’Amboise, dont la simplicité et l’humilité sont la risée des grands de l’époque… Quand les vertus chrétiennes deviennent critiquables, c ‘est que cela va mal… On comprend pourquoi Dieu prépara peu après de grandes épreuves à la chrétienté, qui décidément abusait de sa bonté, malgré ses Jeanne d’Arc et ses nombreux signes…
Et en même temps personne n’allait dire que le pape n’était pas pape, ou que les cardinaux ne l’étaient, car leurs mœurs étaient mauvaises, ou leurs volontés mauvaises… là aussi le monde contemporain devrait se souvenir de ces enseignements, et à l’époque le bon Dieu a eu la bonté, comme punition, de donner des hérétiques se séparant de l’Église, plutôt que des néo-jansénistes se disant pour le Pape, mais sans pape, sedevacante…
Cette période charnière nous enseigne vraiment beaucoup de choses, et déstabilise le contemporain. Le Roi de France dans les guerres d’Italie ne cherche pas à faire une guerre d’expansion, mais à faire reconnaître son droit légitime à devenir roi de Naples, duc de Milan ou autre : cela se vérifie par la volonté, et la nécessité, d’obtenir l’investiture de l’empereur Maximilien pour que sa conquête soit légitime.
Le Roi de France en Italie ne se targue pas de sa titulature royale pour aller contre le bon droit de l’empereur, il y respecte au contraire ses prérogatives (très faibles en pratique) et surtout les structures existantes des différents royaumes, duchés et territoires. Le Roi de France quand il devient roi de Naples est avant tout roi de Naples.
Cet état d’esprit « féodal » au bon sens du terme, devrait nous interpeller devant la décadence moderne, qui ne sait plus qu’imposer par la force un « imperium » quelconque, en fondant peuples et territoires dans des moules administratifs et culturels artificiels. C’est la repaganisation. Autrefois les princes chrétiens ne pouvaient jamais aller contre le bien commun, contre les peuples et les territoires sans être un tyran, aujourd’hui il est admis que se comporter comme un tyran est légitime, et que profiter de son état de force est le fondement de l’intelligence « politique »…
Retenons encore la prospérité de la France sous ce bon Roi, et la paix générale, au point que l’on entend à peine parler des affaires intérieures :
« Au milieu de tant de guerres, le roi donna si bon ordre à ses finances, que jamais il n’augmenta les impôts : les gens de guerre ne faisaient aucun désordre, le commerce était sûr et abondant, tout le monde vivait à son aise, et le roi était appelé le Père de la patrie, qui est le plus beau titre que puisse avoir un roi, pourvu que la flatterie n’y ait point de part ; il avait grand soin de la justice, et il voulait que les magistrats préposés à la rendre eussent non seulement le savoir, mais encore la gravité convenable à une si grande charge. On remarque qu’étant entré dans un jeu de paume, il trouva des conseillers du parlement qui y jouaient ; et, comme cet exercice paraissait en ce temps plus propre aux gens de guerre qu’à ceux de leur robe, il leur dit qu’une autre fois, s’il les y trouvait, il les mettrait dans ses gardes. »
Louis XII fut ainsi un bon roi pour ses peuples dans une période prospère, mais dont les meurs ecclésiales de haut niveau étaient troubles n’aidaient pas la reformation de la chrétienté comme elle était avant le grand schisme.
Quand l’Église va mal, le monde va mal, et quand le Roi très chrétien fait du bien, l’Église et la chrétienté vont mieux.