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Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 20 Philippe IV : roi de fer autoritaire

Texte de Bossuet :

Philippe IV, dit le Bel. (An 1285.)

Philippe IV, son fils aîné, surnommé le Bel, ramena l’armée, et se fit sacrer à Reims, où Jeanne, sa femme, reine de Navarre et comtesse de Champagne, fut couronnée avec lui. Il tint un parlement au commencement de son règne, où Édouard Ier, roi d’Angleterre, se trouva eu qualité de duc d’Aquitaine. Il demanda plusieurs choses, tant pour lui-même que pour le roi d‘Aragon, au fils aîné duquel il avait donné sa fille eu mariage ; n’ayant pu rien obtenir, il alla à Bordeaux, où il reçut les ambassadeurs des rois de Castille, d’Aragon et de Sicile. Cela donna lieu à Philippe de croire qu’il lui voulait faire la guerre mais ce n’était pas son dessein, il ne pensait qu’à traiter de raccommodement de Charles le Boiteux.

Enfin ce jeune prince, après avoir été prisonnier quatre ans, fut relâché à ces conditions, qu’il payerait vingt mille livres d’argent ; qu’il ferait en sorte que le Pape investirait l’Aragonais du royaume de Sicile, et que Charles de Valois se désisterait des prétentions qu’il avait sur le royaume d’Aragon. Quand il fut en liberté, il ne se crut point obligé à tenir les promesses qu’on avait extorquées de lui pendant sa prison ; au contraire, il se fit couronner roi de Sicile par le Pape, et obligea Charles de Valois, son cousin, à soutenir ses droits contre la maison d’Aragon.

(1291) La guerre dura longtemps ; mais enfin, après plusieurs négociations, Alphonse, roi d’Aragon, étant mort sans enfants, la paix fut faite avec Jacques, roi de Sicile, son frère, à condition que la France lui abandonnerait l’Aragon, et qu’il laisserait à la maison d’Anjou tout le royaume de Sicile. Jacques tint si fidèle ment son traité, que Frédéric, son frère, s’étant fait élire roi par les Siciliens, il se joignit avec Charles le Boiteux pour le réduire. La guerre continua quelque temps ; par le traité qui fut fait ensuite, la Sicile de deçà le Far (c’est le royaume de Naples) demeura à Charles, et celle de delà le Far, c’est-à-dire l’île, fui laissée à Frédéric.

Charles le Boiteux mourut fort regretté des siens, à cause de sa bonté et de sa justice. Charles Martel, son fils aîné, fut roi de Hongrie, à cause de Marie sa mère, sœur de Ladislas IV et héritière de ce royaume ; il mourut avant son père (1299). Après sa mort, son fils Charles II, appelé vulgairement Carobert, lui avait succédé au royaume de Hongrie ; et son grand-père, Charles le Boiteux, étant mort aussi, il voulut prendre possession de celui de Naples. Robert, son oncle, troisième fils de Charles le Boiteux, le lui disputa, et l’emporta contre lui. Par cette branche d’Anjou la maison de France a régné longtemps en Hongrie et à Naples.

J’ai voulu représenter tout de suite, en peu de paroles, les affaires des princes d’Anjou et de Sicile, afin de raconter sans interruption celles de Philippe le Bel. Il eut contre le roi d’Angleterre une guerre considérable, qui dut sa naissance à un sujet très-léger. Deux mariniers, dont l’un était Normand et l’autre Anglais, eurent querelle ensemble. Chacun d’eux engagea ceux de sa nation dans sa querelle, et enfin les deux rois s’en mêlèrent (1293). A l’occasion de cette guerre, on mit de nouveaux impôts qu’on appela subsides, et qui firent beaucoup crier les peuples.

Raoul de Néelle, connétable de France, entra dans la Guienne, prit plusieurs places, et même Bordeaux. Édouard, pour se soutenir contre Philippe, engagea dans son parti l’empereur Adolphe, et Gui de Dampierre, comte de Flandre, en lui faisant espérer qu’il marierait le prince de Galles, son fils aîné, à la fille de ce comte. L’empereur envoya défier Philippe avec hauteur ; mais le roi, pour lui marquer le mépris qu’il faisait de ses menaces, lui envoya pour toute réponse un papier blanc.

A l’égard du comte de Flandre, Philippe l’ayant invité à le venir trouver à Paris, il le fit arrêter avec sa femme et sa fille : il renvoya, quelque temps après, le père et la mère et garda la fille. Comme Édouard lui suscitait beaucoup d’ennemis, lui aussi de son côté souleva contre Édouard ses sujets de Galles, et lui mit sur les bras Jean de Bailleul, roi d’Écosse. Quant à l’empereur Philippe l’embarrassa de tant d’affaires en Allemagne, qu’il ne put jamais rien entreprendre. Quelques-uns ajoutent qu’il l’apaisa en lui faisant donner de l’argent sous main.

Le roi d’Angleterre n’eut pas beaucoup de peine à mettre ceux de Galles à la raison ; il défit aussi le roi d’Écosse en bataille rangée, et l’ayant fait prisonnier, il le contraignit de lui rendre hommage de son royaume ; mais il ne put résister aux Français en Guienne ; ses troupes y furent toujours battues, et il perdit presque toutes ses places, en ayant à peine sauvé quelques-unes des plus importantes, où il y avait une bonne garnison.

(1297) Nos affaires n’allaient pas moins heureusement en Flandre. Robert, comte d’Artois, général de l’armée de France, prit Lille et défit une armée de seize mille hommes. Le comte de Bar, sollicité par le roi d’Angleterre, entra dans la Champagne. La reine, qui avait un courage héroïque, marcha en personne pour défendre son pays. Le comte effrayé lui demanda pardon et se rendit son prisonnier. Aussitôt elle envoya ses troupes en Flandre, au roi son mari, qui, fortifié de ce secours, prit Furnes et Bruges. Il donna ensuite le commandement de ses troupes qui étaient en Flandre, à Charles de Valois son frère, un des plus renommés capitaines de son temps, qui poussa plus loin les conquêtes et acheva de subjuguer tout le pays. Le comte se retira à Gand, n’ayant plus que cette place, où Charles le pressa si fort qu’il le contraignit de se remettre entre ses mains, lui promettant toutefois de faire sa paix avec Philippe ; mais il n’en put rien obtenir.

La Flandre ne demeura pas longtemps soumise. Les peuples, fatigués des mauvais traitements que leur faisait le gouverneur que le roi leur avait donné, se révoltèrent et mirent à leur tête un boucher et un tisserand borgne qu’ils avaient tirés de prison. Sous de tels chefs, ils conjurèrent contre les Français, et les massacrèrent. Pour réduire ces rebelles, Philippe leva une armée de quatre-vingt mille hommes ; mais le roi d’Angleterre trouva un moyen de rendre inutile un si grand appareil, en disant à sa femme que si Philippe son frère hasardait un combat, il serait trahi, sans toutefois lui découvrir par qui. Cet avis ayant été communiqué à Philippe, ce prince entra en défiance de tous ses chefs, et revint sans avoir rien fait.

Charles d’Artois alla ensuite commander en Flandre avec Raoul de Néelle, connétable de France. Les Flamands avaient assiégé Courtrai, et s’étaient comme enterrés dans de profonds retranchements, résolus de se bien défendre, Charles d’Artois ne laissa pas d’entreprendre de forcer leur camp. Raoul de Néelle s’y opposait ; mais Charles le traitant de traître et de lâche, marcha aux ennemis avec plus d’emportement que de prudence. Le connétable, combattant vaillamment, fut tué. Charles porta aussi la peine de sa témérité, il demeura sur la place avec douze mille Français. Les rebelles furent bientôt châtiés par l’heureux succès delà bataille de Mons-en-Puelle, où les Français remportèrent une victoire complète sur les Flamands qui y perdirent vingt-cinq mille hommes. Leur opiniâtreté indomptable ne se rendit point pour cela. Le roi y retourna en personne, et fut surpris dans son camp : mais s’étant mis aussitôt à la tête du peu de monde qui était autour de lui, les autres se rassemblèrent de tous côtés à son quartier, et les Flamands furent repoussés avec grande perte.

Cependant le roi d’Angleterre, qui pressé par les Français avait d’abord fait une trêve, l’ayant renouvelée et prolongée plusieurs fois, conclut enfin la paix. On lui rendit les places qu’on lui avait prises en Guienne ; il abandonna les Flamands, et remit en liberté Jean de Bailleul, roi d’Écosse, que ses sujets ne voulurent plus reconnaître, le jugeant indigne de régner comme un homme qui avait plié le genou devant le roi d’Angleterre et lui avait fait hommage.

(1304) Quant aux Flamands, quoique battus en tant de rencontres, ils furent si opiniâtres, qu’ils envoyèrent prier le roi, ou de leur donner encore un dernier combat, ou de leur accorder la paix, en leur conservant leurs privilèges. Philippe aima mieux accepter cette dernière condition que de hasarder une bataille contre des hommes désespérés. Il relâcha le comte de Flandre, et la paix fut faite à condition que les places qui sont au deçà de la Lys demeureraient aux Français avec Lille et Douai, en attendant que le comte se fût entièrement accommodé avec Philippe, et que les Flamands lui eussent payé huit cent mille livres. Ce fut en ce temps qu’éclatèrent les inimitiés qui avaient commencé depuis longtemps entre Boniface VIII et Philippe le Bel.

Comme ce Pape parvint au pontificat avec une adresse extraordinaire, il faut ici raconter les commencements de son élévation. Il était cardinal sous le Pape saint Pierre Célestin ; on le tenait très habile dans les affaires, et autant homme de bien que savant. Mais son ambition ternissait l’éclat de tant de belles qualités ; et comme il avait une grande réputation, il savait bien qu’on le ferait Pape, si Célestin quittait la place. Ce bon Pape avait beaucoup plus de piété que de science. Bénédict Cajetan l’aborde (c’était le nom du cardinal) ; il lui représente qu’il n’avait pas les qualités nécessaires pour soutenir le fardeau des affaires ecclésiastiques et qu’il ferait une chose très agréable à Dieu s’il retournait dans sa solitude, où il avait été élevé à la papauté. Persuadé par ces raisons, il abdiqua le pontificat, et on fit Pape le cardinal, qui prit le nom de Boniface. Comme il s’était élevé par ambition à une charge si haute et si sainte, il en faisait les fonctions avec un orgueil extrême. Mais si ce Pape était hautain, Philippe n’était pas endurant. C’est ce qui fit naître entre eux de grandes haines, dont il n’est pas aisé de marquer précisément la cause. Il arrivait tous les jours des choses qui aigrissaient l’esprit du roi.

Dans le temps que Philippe avait, comme nous avons déjà dit, délivré de prison le comte de Flandre, en y retenant sa fille, le Pape, choisi pour arbitre par les deux parties, ordonna que la fille du comte lui serait rendue, et prononça la sentence avec beaucoup de faste en plein consistoire. Le roi en fut offensé, parce qu’il crut que le Pape s’était voulu donner de l’autorité et de la gloire au préjudice de la majesté royale. D’ailleurs les Sarrasins, profitant de nos divisions, avaient pris Acre, c’est-à-dire la seule place importante qui restait aux Latins dans la Syrie. Le Pape fut touché, comme il devait, de la perte de cette ville, et il crut qu’il était de son devoir d’exciter les Chrétiens à la reprendre (1296). Mais, par sa fierté naturelle, il le fit d’une manière trop impérieuse. Il ordonna aux rois de France et d’Angleterre, qui étaient alors en guerre, de faire d’abord une trêve et ensuite de s’accorder pour tourner leurs armes contre les ennemis de la foi. Il ajouta de grandes menaces s’ils n’obéissaient : ce que Philippe trouva très-mauvais, parce que, dans les affaires politiques, le Pape traiter avec les rois par voie d’exhortation et de conseil, et non par commandements et par menaces.

Le Pape, non content de cela, envoya en France Bernard de Saisset, évêque de Pamiers, qui, prenant l’esprit de celui qui l’avait envoyé, traitait Philippe, son souverain, d’une manière fort hautaine (1301). Le roi, ayant ouï dire que cet évêque parlait de lui en termes injurieux, le fit arrêter. Le pape convoqua tous les évêques de France à Rome, pour résoudre dans un concile les moyens de s’opposer aux entreprises que faisait Philippe contre l’autorité ecclésiastique. Le roi leur défendit de sortir du royaume, et défendit aussi d’en transporter ni or ni argent. En même temps, à la prière du clergé, il remit l’évêque de Pamiers entre les mains de l’archevêque de Narbonne, son métropolitain. Le clergé et la noblesse assemblés écrivirent au Pape, que dans le temporel ils ne reconnaissaient que le roi pour souverain. Mais, comme on se lassait d’avoir querelle avec un Pape, quelques-uns soutinrent que Boniface ne l’était pas, parce qu’il était simoniaque, magicien et hérétique ; ce qu’ils s’offrirent de prouver devant le concile général ; et le roi promit d’en procurer au plus tôt la convocation.

Cependant il déclara qu’il appelait au Saint Siège, qu’il prétendait vacant, et au concile universel, de tout ce que le Pape avait ordonné ou ordonnerait contre lui. Le Pape qui de son côté avait déjà excommunié le roi, préparait de plus grandes choses : il songeait à publier une bulle par laquelle il le privait de son royaume et le donnait au premier occupant ; ce qu’il espérait faire exécuter par l’empereur Albert d’Autriche. Mais ce grand dessein fut sans effet ; car s’étant retiré à Agnanie, qui était son pays, et où il croyait être le plus en sûreté pendant la publication de sa bulle, Guillaume de Nogaret, gentilhomme français, joint avec les Colonne (c’étaient des seigneurs romains d’une noblesse fort ancienne, que le Pape avait bannis et maltraités), gagna les Agnaniens par argent, et entra dans le palais du Pape avec les soldats que lui et Sciarra Colonne avaient ramassés.

Le Pape, ayant appris celle nouvelle, se fit revêtir de ses habits pontificaux, et parut avec beaucoup de constance et de majesté. D’abord qu’il vit Nogaret : « Courage, » dit-il, « sacrilège ! frappe le pontife, suis l’exemple de tes ancêtres les albigeois : » car Nogaret était descendu de parents infectés de cette hérésie. Quoiqu’il eût résolu de se saisir de la personne du Pape pour le mener, disait-il, au concile général, cependant, retenu par sa présence et par le respect de sa dignité, il n’osa pas mettre la main sur lui, et se contenta de le faire garder. À peine s’était-il retiré, que les Agnaniens se repentirent de leur perfidie, et relâchèrent le Pape, qui, étant retourné à Rome, mourut trente jours après. Benoît XI lui succéda et ne tint le siège que huit mois. Il révoqua quelques bulles de son prédécesseur, injurieuses à Philippe.

(1305) Bertrand Got, archevêque de Bordeaux fut élu à sa place, et prit le nom de Clément V. On le croyait ennemi de Philippe ; mais ce prince le ménagea si bien, qu’il l’obligea de s’arrêter en France. Il se fit couronner à Lyon et tint le siège d’Avignon, où ses successeurs demeurèrent fort longtemps : ce qui causa de grands maux à l’Église et au royaume. Il tint un concile général à Vienne (1311), où le roi assista, à la droite du Pape, mais sur un siège plus bas. Clément V, quelque instance que le roi lui en pût faire, refusa d’y condamner la mémoire de Boniface : il cassa seulement toutes les bulles qu’il avait données contre la France, et ordonna qu’on ne remuerait jamais rien contre le roi, pour la violence faite à Boniface ; et Nogaret se contenta de l’absolution qui lui avait été donnée, à condition qu’il irait à la guerre contre les infidèles.

Dans ce même concile, à la poursuite de Philippe, on condamna les Templiers. C’étaient des chevaliers de noble extraction, qui faisaient profession de faire continuellement la guerre contre les infidèles, et la faisaient en effet avec beaucoup de valeur et de succès. On les accusait de crimes énormes, qu’ils avouèrent à la torture et qu’ils nièrent au supplice. Cependant on les brûlait vifs à petit feu, avec une cruauté inouïe, et on ne sait s’il n’y eut pas plus d’avarice et de vengeance que de justice dans cette exécution. Ce qui est constant, c’est que ces chevaliers, par trop de richesses et de puissance, étaient devenus extraordinairement orgueilleux et dissolus. Cet ordre fut éteint par l’autorité du concile de Vienne. Leurs trésors furent confisqués au roi ; leurs terres et les biens qu’ils avaient en fonds furent donnés aux hospitaliers de Saint- Jean de Jérusalem, qu’on a appelés depuis chevaliers de Malte. Ceux-là, après la prise d’Acre, se réfugièrent premièrement en Chypre ; et ensuite, ayant pris sur les Turcs Rhodes, cette île célèbre, ils la défendirent vaillamment contre eux, avec le secours d’Amédée V, duc de Savoie.

Cette action fut de grand éclat, car la puissance des Turcs commençait en ce temps à devenir plus redoutable que jamais. Ce fut vers l’an 1300 qu’Osman ou Othoman, leur premier empereur, ayant fait de grandes conquêtes, établit le siège de son empire à Pruse, ville de Bithynie. De là est sortie celte superbe maison ottomane, qui étend tous les jours le vaste empire qu’elle possède en Asie, en Afrique et en Europe. Un peu avant le concile de Vienne, Louis, fils aîné de Philippe, fut couronné roi de Navarre à Pampelune, ce royaume lui étant échu par la mort delà reine Jeanne, sa mère, décédée le 2 avril de l’année 1304. Cette princesse fut renommée par si vertu, et tellement favorable aux gens de lettres, qu’elle fonda dans l’université de Paris un collège célèbre qu’on appelle le collège de Navarre, d’où il est sorti un grand nombre de personnes illustres en toutes sortes de sciences, et principalement en théologie. Cet exemple doit porter les princes à aimer et à protéger les lettres, puisque même on voit une femme prendre tant de soin de les avancer.

(1312). La guerre de Flandre se renouvela, parce que le comte Robert prétendait qu’on lui devait rendre Lille, Douai, et Orchies, et que les habitants du pays refusaient de payer les sommes à quoi ils s’étaient engagés par le traité de paix. Philippe fit des levées extraordinaires d’hommes et d’argent pour cette guerre. Elles furent inutiles, parce qu’Enguerrand de Marigny, qui avait le principal crédit auprès du roi, gagné, à ce que l’on dit, par argent, le fit consentir à une trêve.

Philippe avait trois fils de Jeanne, sa femme : Louis, Philippe et Charles. Leurs femmes furent accusées d’adultère en plein parlement, le roi y séant. Marguerite, femme de l’aîné, et Blanche, femme du troisième, furent convaincues. On les enferma dans un château, où Marguerite mourut quelque temps après. Jeanne, femme du second, fut renvoyée de l’accusation, ou par sa propre innocence, ou par la bonté, ou par la prudence de son mari. Les galants furent écorchés tout vifs, traînés à travers les champs, et enfin décapités. Au reste, le règne de Philippe fut plein de séditions et de révoltes, parce que le peuple et le clergé furent fort chargés, et aussi parce qu’on haussait et baissait les monnaies à contre-temps, même qu’on les fabriquait de bas aloi : ce qui causait de grandes pertes aux particuliers et ruinait tout le commerce. Le roi alla en personne en Languedoc et en Guienne, pour apaiser les mouvements de ces provinces ; ce qu’il fit en caressant la noblesse et en traitant doucement les villes.

Les révoltes des Parisiens furent poussées plus loin, car ils pillèrent la maison d’Étienne Barbette, trésorier de Philippe. Ils osèrent bien l’assiéger lui-même dans sa maison et l’environner avec de grands cris. Les ministres du roi trouvèrent moyen d’apaiser ces mutins, et après on châtia les plus coupables. Philippe réunit à sa couronne la ville de Lyon, et érigea, en 1307, la seigneurie de cette ville, qui n’était qu’une baronnie, en comté qu’il laissa avec la justice à l’archevêque et au chapitre de Saint-Jean. C’est là l’origine du litre de « comtes de Lyon, » que prennent les chanoines de cette église. Les comtés d’Angoulême et de la Marche lui furent aussi cédés par Marie de Lusignan, et il érigea, en 1297,1a Bretagne en duché-pairie. On a cru que c’était lui qui avait rendu le parlement de Paris sédentaire, l’ayant établi dans son palais, où il rend encore la justice, quoique quelques autres attribuent cet établissement à son fils. Il fut le premier qui environna de murs le palais, et qui ajouta des bâtiments au Louvre, qui a depuis été rebâti et augmenté par ses successeurs avec tant de magnificence. En mourant il recommanda à son fils de ne point charger les peuples, comme il avait fait lui-même. Mais ces avertissements, que les princes donnent souvent à l’extrémité de la vie, ont peu d’effet parce qu’ils ne réparent point les désordres passés, et qu’ils ne sont plus en état d’empêcher les maux avenir. Il mourut à Fontainebleau en 1314.

Commentaire de la rédaction :

Cette page est d’autant plus importante pour notre histoire que l’affaire Boniface VIII – Philippe le Bel est souvent utilisée pour justifier un prétendu déclin de la royauté : Bossuet, transcrivant la tradition sur le sujet, montre bien que le règne de Boniface VIII avait quelque chose de problématique dans sa façon orgueilleuse de gouverner, et dans son style directif et « autoritaire » face aux rois, en oubliant qu’il devait conseiller et recommander mais pas forcer. Il est intéressant de noter encore que Boniface VIII fut élu après la démission de Célestin, seule démission de pape dans l’histoire avant Benoît XVI et son successeur assez autoritaire François. Il semble qu’une démission, pas plus qu’un certain style autoritaire, ne sied au vicaire du Christ sur cette terre…

Philippe le Bel certainement aurait gagné à être plus saint en étant plus patient avec ce pape légitime, et en prenant de bonnes décisions, mais son style s’est révélé bien malvenu et en rupture avec une longue tradition.

Quoi qu’il en soit, reprocher à Philippe le Bel d’avoir été un mauvais roi au simple motif qu’il a repris un pape qui fautait est une erreur historique : il a tenté de rétablir une relation saine et traditionnelle avec le pape, le reprenant dans ses excès.

Nous avons en tout cas un enseignement vraiment important : les clercs, et le pape en particulier, doivent montrer l’exemple de ne jamais être « hautains » et de ne jamais chercher à user trop frontalement de leur autorité dans des matières temporelles, pour leur malheur. Quelle que soit l’intelligence de ce pape, l’humilité est le fondement de l’office papal : si le pape n’est plus humble, alors faut-il s’étonner de la crise ?

La haine qui s’installe pour des raisons obscures entre deux personnages comme Philippe le Bel et Boniface VIII fut une catastrophe pour la chrétienté, puisque ces deux personnages en étaient les piliers fondamentaux.

Le Roi n’a pas su être plus saint, passer au-dessus de cette âme, ni calmer son amour propre blessé : c’est désagréable, mais dans nos vies aussi, apprenons à être humiliés sans murmurer quand la seule chose blessée est notre amour propre : c’est au contraire une bonne école d’humilité ! Évidemment, si la justice ou la charité sont blessées, c’est une autre histoire ; mais même quand justice, honneur et charité s’en mêlent, tâchons de tuer tout amour propre, qui ne manque jamais de s’incruster et d’envenimer des relations jusqu’à des conséquences terribles… au point d’excommunier injustement et de donner le royaume à un autre ou de vouloir déclarer un trône papal vacant, commettant ainsi un péché d’hybris.

La charité fraternelle, surtout entre grands, et encore plus entre vicaire et lieutenant du Christ, est essentielle, et doit s’opérer sans murmures. Car le murmure s’envenime vite en conflit, en  désobéissance ou en justification de son amour propre.

Quand un des frères, surtout important, commence à dévier, redoublons de charité et de fermeté tranquille, sans pique d’amour propre.

Notons que l’affaire d’Agnagnie s’est plutôt bien terminée : Nogaret n’a pas franchi le Rubicon en se saisissant de lui, il le fit simplement garder ; le pape put finalement fuir, et la Providence permit qu’il mourût rapidement pour cesser ces disputes, paix à son âme.

Bossuet décrit encore la fameuse affaire des templiers, et sa plume reflète la vision traditionnelle, et qui semble objective : l’ordre était devenu dissolu et il fut dissous, mais la cruauté du jugement et de l’exécution était tout aussi excessive et ne semblait pas dirigée par la charité chrétienne. Bossuet prend garde de se prononcer sur le fond de l’affaire, suivons-le dans cette prudence saine.

Sachons en tout cas que quand la charité faiblit, la chrétienté vacille, et appliquons cet enseignement à nos temps.

Retenons encore l’enseignement de Bossuet aux dauphins de cultiver les lettres, les vraies et les bonnes, et pas l’art contemporain.

Enfin, Bossuet conclut bien : la mauvaise gestion de Philippe le Bel sur la monnaie et les impôts ont créé des désordres, et les affaires d‘adultères de son fils démontrent bien qu’un certain esprit était perdu, et que certains vices s’installaient.

Mais la Providence règne et, via les morts et les lois fondamentales, les descendants indignes de saint Louis verront leur règne écourté.

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