[CEH] Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis, par Odile Bordaz. Partie 1 : Le cérémonial de la quarantaine
Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis
Par Odile Bordaz
L’assassinat d’Henri IV, le 14 mai 1610, plongea la France dans le deuil, un deuil ponctué de nombreuses cérémonies à travers tout le royaume. Les funérailles du roi à Saint-Denis, le 1er juillet 1610, s’inscrivent dans un cycle cérémoniel allant du jour de sa mort à la messe solennelle dans l’abbatiale, nécropole des rois de France. Cette période d’un mois et demi, précédant les funérailles, a été marquée par une succession de rites qui, malgré une évolution au cours des siècles, comportait néanmoins des traditions immuables.
Il était de tradition d’enterrer les rois quarante jours après leur mort. Comme le disent les chroniqueurs, « c’est la coutume de ne célébrer les funérailles de nos Rois que quarante jours après leur mort. Ce temps est employé à faire les préparatifs de la pompe funèbre. » Pour Henri IV le délai a été prolongé ; sa mort brutale et soudaine n’y est bien sûr pas étrangère. Entre le 14 mai et le 1er juillet, plus de quarante jours se sont écoulés, dépassant largement le temps habituel du cycle des funérailles royales. À cet égard, comme sur plusieurs points, les obsèques d’Henri IV font date dans l’histoire, car elles marquent un certain nombre de changements.
Parmi les différentes sources qui permettent de connaître dans le détail ces événements plusieurs textes apportent des informations précieuses. Il s’agit de L’Histoire de la mort déplorable de Henry IV Roy de France et de Navarre, de Pierre Matthieu, du récit publié dans le Mercure français, de l’ouvrage de Claude Morillon, L’Ordre de la pompe funèbre observée au convoi et funérailles Très-Chrétien, Très Puissant et Très-Victorieux Prince, Henry le Grand, publié à Lyon en 1610, ainsi que des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France.
Partie 1. Le cérémonial de la « quarantaine »
On procéda à l’embaumement du corps d’Henri IV le lendemain même de sa mort, le samedi 15 mai, en présence de quatorze médecins et de onze chirurgiens du Roy. Comme cela se pratiquait depuis la mort de Philippe IV en 1314, le cœur et les entrailles durent ôtés du corps et mis dans des vases séparés et enterrés à part.
Les entrailles furent envoyées à Saint-Denis avant les funérailles dans une cérémonie particulière. Quant au cœur, une fois embaumé et placé dans un petit sac de toile cirée, lui-même enfermé dans une boîte de plomb scellée et entourée d’un tissu de taffetas, il fut déposé dans une urne d’argent en forme de cœur et porté au collège de La Flèche. Constitué de quelque 1 200 cavaliers, le cortège du cœur du roi partit de Paris le 31 mai 1610 et arriva le 4 juin suivant à La Flèche, où eurent lieu des funérailles solennelles. Le monument destiné à recevoir l’urne contenant le cœur du roi ne devait être érigé que des années plus tard, entre 1648 et 1651.
Quant au corps embaumé d’Henri IV, après avoir été déposé dans un cercueil de plomb, il fut porté dans sa chambre et mis sur son lit couvert d’un drap d’or, à l’exception de la face qui était découverte et placée à la vue du peuple. La chambre elle-même avait été richement décorée de tapisseries. Deux hérauts d’armes montaient la garde son pied du cercueil, de part et d’autre d’un bénitier et d’une croix d’argent. Dans les chandeliers d’argent disposée autour du lit brûlaient en permanence de gros cierges. Chaque jour, cent messes étaient célébrées aux différents autels dressés dans la chambre et la galerie. Des bancs, disposés dans la chambre, étaient destinés aux cardinaux, évêques, aumôniers, religieux qui psalmodiaient jour et nuit les prières des heures. Les regalia, insignes de la royauté – la couronne, le sceptre, la main de justice -disposés sur un coussin brodé, avaient été posés sur le corps du roi, à défaut de l’être sur son effigie.
En effet, l’effigie de cire, qui depuis Charles VI était exposée pendant tout le cycle des funérailles, revêtue du manteau royal et des insignes de la royauté, n’était pas prête. Cette effigie avait une signification importante, car en montrant le roi dans sa majesté elle signifiait que le roi ne meurt jamais. La personne royale peut mourir, en revanche, le roi de France en tant que « personne morale perpétuelle » ne meurt jamais1. Le Mercure français rapporte que le jour de la mort du roi, son épouse, Marie de Médicis, sortant de la chambre où il avait été déposé, soupira : « Hélas ! Le Roy est mort. », et le chancelier Sillery lui répliqua : « Vostre Majesté m’excusera, les Rois ne meurent pas en France. »2 La remarque du chancelier est caractéristique du contexte politique de l’époque. Elle est en quelque sorte l’expression de ce qui a été appelé par des historiens « les deux corps du roi » ; à côté du cercueil contenant la dépouille mortelle de l’homme, l’effigie représente le corps politique, celui qui ne meurt pas. Une autre interprétation, plus généralement adoptée aujourd’hui, présente l’effigie comme le substitut du corps, représentant le roi vivant.
1610 est l’année de parution d’un livre qui fit autorité et contribua à diffuser la maxime : « Le roi ne meurt jamais » ; il s’agit du traité sur les Offices, de Charles Loyseau, ouvrage fondamental pour la constitution de l’Ancien Régime. « …au mesme instant que le Roy defunct a la bouche close, son successeur est Roy parfait par une continuation immédiate, et du droit et de la possession de l’un à l’autre, sans qu’on y puisse imaginer aucun intervalle d’interrègne. (…) Je dy Roi parfaict, sans attendre son Sacre (…) C’est pourquoi nous disons vulgairement que Le Roy ne meurt point, c’est-à-dire que la Royauté est toujours remplie et non jamais vacante3. »
Pour Henri IV, on a célébré les offices des morts d’abord autour de son cercueil, dans sa chambre, puis pendant les onze derniers jours, devant son effigie, dans la grande salle du Louvre, la salle des Cariatides, où elle avait été installée sur un lit de parade richement décoré et dressé sur une estrade. La grande salle du Louvre avait été tapissée de haut en bas avec les plus belles tapisseries du roi et des tapis de Turquie couvraient le sol. Comme on peut le voir sur les gravures, l’effigie de cire du roi était revêtue des habits royaux, du manteau royal et elle portait le collier de l’ordre du Saint-Esprit ; elle avait les mains jointes, la couronne sur la tête, le sceptre à sa droite, la main de justice à sa gauche. Chacun pouvait venir lui rendre hommage. Comme précédemment dans la chambre, des autels avaient été dressés et l’on y célébrait des messes de Requiem en musique, ainsi que des messes basses.
Le délai des quarante jours ayant expiré, le 25 juin, « le jeune Roi (Louis XIII) prit l’habit de Longueville, d’où il se rendit au Louvre accompagné des Princes du sang, des autres Princes, et d’une foule de courtisans. Il y jeta sur le cercueil de l’eau bénite, qui lui fut présentée par un Prêtre. »4
Le lendemain, 26 juin, ce fut au tour des membres du parlement de Paris, de venir au Louvre pour « donner l’eau bénite » au roi, puis à ceux de la Chambre des comptes et des Aydes, au prévôt de Paris, au prévôt des marchands, aux échevins de la ville…
C’est aussi pendant les onze derniers jours précédant les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis que l’on put procéder à un autre cérémonial, le traditionnel service de table. En effet, pendant les quarante jours qui précédaient la messe des funérailles on effectuait le service de table du roi. Deux fois par jour, à l’heure du dîner et du souper, la table était dressée dans la salle où se trouvait exposée l’effigie du souverain, et alors que les maîtres d’hôtel et officiers de la Chambre apportaient les mets et les déposaient sur la table, les hérauts prononçaient par trois fois la phrase : « Le Roi est servi ! », puis après un moment de silence ils s’écriaient : « Le Roi est mort ! », puis ils remportaient les plats dans les cuisines, où les mets étaient distribués aux pauvres.
Au cours de la période qui précédait les funérailles royales, des messes et des prières étaient célébrées un peu partout dans les églises du royaume. Des oraisons funèbres étaient prononcées dans les cathédrales. Trente-huit ont été publiées et sont parvenues jusqu’à nous5.
Conformément à la tradition, avant les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis, il fallut procéder à l’inhumation de son prédécesseur, Henri III, mort en 1589 et dont la dépouille, qui n’avait pu être enterrée dans la nécropole en raison des circonstances, attendait à Compiègne. Le 22 juin 1610, on ramena donc le recueil d’Henri III à Saint-Denis, sous la conduite du duc d’Epernon, escorté par un grand nombre de nobles et d’officiers du roi ; le lendemain, son service funèbre fut célébré par le cardinal de Joyeuse, puis le cercueil déposé dans le monument où reposaient déjà ses parents et ses frères. La rotonde des Valois, édifiée du côté nord de l’abbatiale était restée inachevée et en raison de son état de délabrement elle dut être démolie au début du XVIIIe siècle, sous la Régence. Le tombeau d’Henri II, de Catherine de Médicis et de leurs enfants, fut alors transféré dans le bras nord du transept, où il se trouve aujourd’hui.
À suivre…
Odile Bordaz
Conservateur aux Archives nationales
1 Ralph E. Gisey, Le Roi ne meurt jamais, Paris, Flammarion, coll. « Nouvelle bibliothèque scientifique », 1987, p. 218.
2 Id. Le Mercure français (Jean Richier), I, 1611, 424.
3 Charles Loyseau, « Du droit des Offices », I, x, 58, dans Les Œuvres de Loyseau, Paris, 1666, p. 98.
4 Ralph E. Gisey, op. cit., p. 250.
5 BNF, Manuscrit français, 2762, t. 1, f° 29 – 195, Recueil des harangues funèbre du rou Henri IV ; f° 215 et suiv. Trépas et funérailles d’Henri IV ; Ms fr. 4101, Huit discours du duc Henri de Rohan. Discours sur la mort d’Henry le Grand, 1610.
Publication originale : Odile Bordaz, « Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis », dans Collectif, Actes de la XVIIe session du Centre d’Études Historiques (8 au 11 juillet 2010) : Henri IV, le premier Roi Bourbon, CEH, Neuves-Maisons, 2011, p. 57-74.
Consulter les autres articles de l’ouvrage :
► « Henri IV et Sully : un « couple politique » exemplaire ? », par le Pr. Bernard Barbiche (p. 21-35).
- Partie 1 : Sully, un Premier ministre avant la lettre ?
- Partie 2 : Sully a-t-il toujours été fidèle à Henri IV ?
► « Les doctrines du tyrannicide au temps des guerres de religion », par Guillaume Bernard (p. 37-56).
► « Les funérailles d’Henri IV à Saint-Denis », par Odile Bordaz (p. 57-74).
- Partie 1 : Le cérémonial de la quarantaine
- Partie 2 : Le cortège funèbre du Louvre à Notre-Dame de Paris
- Partie 3 : De Notre-Dame à Saint-Denis
- Partie 4 : Changements intervenus lors des funérailles d’Henri IV
Consulter les articles des sessions précédemment publiées :
► Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV
► Articles de la XIXe session (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne
► Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle