[CEH] Les Français de Philippe V, par Catherine Désos. Partie 2 : L’influence de l’entourage français du Roi
Partie 2 : L’influence de l’entourage français auprès du premier Bourbon d’Espagne.
Il n’est pas exagéré de dire que les Français contribuèrent, dans de nombreux domaines, à ouvrir l’Espagne sur l’Europe. Henry Kamen, dans la biographie qu’il consacra à Philippe V, n’hésitait pas à écrire que « todas las reformas tenian su origen en la politica francesca durante la Guerra de Succession. »[1] L’activité des Français fut foisonnante et, en l’espace de peu de temps, a concerné tous les secteurs de la monarchie. De là datent les profondes réformes du système politique espagnol (appelé à connaître de nouveaux développements au cours du siècle), mais aussi une plus grande ouverture culturelle. Cependant, rien n’aurait pu être fait si certains Espagnols n’avaient accompagné tous ces changements de leur zèle et de leurs compétences administratives.
1) La fin de l’étiquette et l’introduction de la mode française.
La vie de la cour, reflet de l’exercice du pouvoir, se modifia en profondeur. Contrairement à ce qui se pratiquait à Versailles, le dernier Habsbourg était isolé dans palais, livré à ses grands officiers qui, seuls, accédaient à sa personne. Si Philippe II sut jouet de cette étiquette pour incarner la majesté suprême, elle se transforma en un poids insupportable sur les épaules de Charles II. Le valido (ou favori) accroît son importance, tandis que les Grands sont dans une compétition continuelle. A Versailles, au contraire, si le roi soleil est lui aussi soumis à une lourde étiquette, celle-ci l’oblige justement à une visibilité permanente[2] ! Louis XIV craignait que son petit-fils ne se laissât isoler ; aussi dans les diverses instructions à ses ambassadeurs, leur préconisait-il de battre en brèche les étiquettes, « barrière(s) insurmontable(s) entre le prince et ses sujets. »[3]
La présence importante des Français à la cour madrilène dans les bas-officies allait d’ailleurs dans le même sens, ne serait-ce que par leurs libres allées et venues auprès du roi. Quoiqu’il en soit, l’opposition de la noblesse, habituée à avoir, seule, accès à la personne royale, ne se fit pas attendre ; c’est ainsi que le marquis de Villafranca, mayordomo mayor, passe ses journées à « cadenasser et visiter ses cadenas »[4] pour maintenir de force le roi sous cette emprise. Tout en se montrant très attaché à Philippe V, Villafranca est « Espagnols jusqu’aux dents, attaché aux maximes, aux coutumes, aux mœurs, aux étiquettes d’Espagne jusqu’à la dernière minutie », écrivait Saint-Simon[5]. Les Grands vont jusqu’à mener une petite fronde en 1703, scandalisés par les libertés prises dont ils sont témoins : dîner du roi en public, concerts ouverts à tous, audiences… Le roi a profité aussi de sa vie de campements pour assouplir certaines contraintes.
En 1705, Philippe innove en se créant une garde du corps et impose que son capitaine des gardes soit assis sur un petit banc, immédiatement à ses côtés à la chapelle, au grand déplaisir des Grands d’Espagne, mécontents de la place prise par ce militaire, Flamand d’origine[6] ; ils boudèrent la cour pendant de longues semaines sans que le roi ne cède. Cette affaire fut comme celle du banquillo. L’opposition des Grands est moins vaine qu’il n’y paraît. Ils ne défendent pas seulement leur rang mais déjà l’importance de leur place dans l’état et leur proximité de la personne royale. De leur côté, les Français sont conscients d’être en train de substituer à la cour oligarchique de Charles II la conception française du palais, autoritaire et hiérarchique[7]. Un nouveau règlement des étiquettes est mis en place en 1709[8] à mi-chemin entre ce qui se pratiquait dans les deux cours et, désormais, la résistance des Grands ne s’exprima plus que de façon sporadique. L’ultime opposition a lieu en 1724, pendant le règne éphémère de Louis Ier, fils aîné de Philippe V, durant lequel son entourage cherche à faire revivre l’étiquette de Charles II. En vain[9]. Désormais, les aspects protocolaires institutionnels ont perdu de l’importance au profit des relations strictement personnelles voulues par le monarque. D’autant que le cadre de vie du roi s’est transformé. L’Alcazar de Madrid connaît de profondes modifications sous la houlette de la princesse des Ursins : des enfilades et des perspectives sont créées là où il n’y avait que des couloirs tortueux, effaçant progressivement la présence séculaire des Habsbourg. La langue française s’impose dans les salons et les officiers du roi lui jouent dans son intimité des pièces de Molière, Racine ou Corneille[10], auxquelles sont invités quelques Grands plus francophiles, tandis que le confesseur jésuite entreprend de créer la bibliothèque royale et de soutenir l’initiative d’une académie de langue espagnole sur le modèle de l’académie française.
Dans le domaine vestimentaire, la mode espagnole qui avait régné sans partage au XVIe siècle, imposant dans toutes les cours européennes son vêtement noir, sobre et élégant, s’estompe progressivement au profit de la mode française que certains moralistes assimilaient à de la corruption[11]. La princesse des Ursins est la première à essuyer une tempête à la cour en introduisant la mode française ; en supprimant le tontillo[12] (pour un vertugadin allégé), et à la traîne, en remontant les corsages, en relevant les cheveux pour les friser et les coiffer de fontanges. La reine continue de s’habiller à l’espagnole mais de moins en moins. Sur ce terrain-là aussi, la noblesse se bat pour garder ses coutumes : le secrétaire d’ambassade remarque qu’il y a des « maris assez extravagants pour dire qu’ils aimeraient mieux voir leurs femmes mortes que ce qu’on leur voye les pieds[13] ». Madame des Ursins eut affaire à quelques opposantes acharnées, les épouses « des hommes qui croient que le salut de la monarchie espagnole consiste dans la conservation de la golille »[14] se moquait-elle. En effet, cet élément de l’habit masculin était en passe d’incarner l’opposition à l’influence française[15]. La golille se présentait comme un collet en carton qu’on ajustait sur son habit. Philippe s’habille alternativement avec l’un ou l’autre costume, ainsi que le prouvent les comptes de sa garde-robe, mais progressivement évince l’espagnol. La noblesse, et en particulier les austracistas partisans de l’archiduc, résiste pour conserver la pièce maîtresse de son costume qui devient son emblème national face à l’hégémonie vestimentaire que lui impose son puissant voisin. En 1701, Montviel voyait en la golille « le dernier retranchement de l’étiquette et de la haine pour la France ce qui doit engager à la proscrire le plus tôt que l’on pourra ». Il existait une fête nationale pour cet accessoire et le Conseil, en 1703, aurait voulu obliger les domestiques français à la porter, en vain. Le marquis de San Esteban et le marquis de Villena, les plus francophiles de tous les Grands, l’abandonnèrent dès les premiers mois de règne. Le marquis de Villafranca, lui-même, fit l’effort de s’habiller à la française pour accueillir le roi à son retour d’Italie. Finalement, par le biais de l’armée, où s’impose l’habit français, plus commode lorsqu’on monte à cheval, celui-ci se répand à la cour. La cravate se substitue à la golille, tandis que l’habillement reprend les trois pièces essentielles en vogue en France depuis les années 1670 : le justaucorps, la casaque et la culotte. Après le succès d’Almanza, en 1707, en signe de joie, la cour abandonne définitivement la golille et le marquis d’Amelot constate que « tout ce qu’il y a de gens de qualité (…) ont renoncé absolument à l’habit espagnole[16] ». Seuls, quelques cas isolés persistent, tel le comte de la Niebla, original à demi-sauvage, qui s’entête encore en 1713 à la porter, ce qui le tient éloigné de la cour. Désormais cet habit est réservé aux avocats. Le commerce français en tire profit car les golilles étaient faites avec des bayettes (fin tissu de laine blanche) d’Angleterre. Les importations de produits de bouche comme les vins de Bordeaux et de Bourgogne ou les champagnes s’ajoutent à ce commerce de rubans, chemises, toiles, chaussures, perruques et autres dentelles de Rouen ou d’ailleurs en France.
2) L’évolution dans l’exercice du gouvernement
L’esprit de ces Français, en particulier au moment des années qui virent le plus de réformes entre 1705 et 1709 et entre 1712 et 1714, est tourné vers un seul but : rendre le roi maître souverain en renforçant son autorité contre tout ce qui pouvait lui porter atteinte. Le pays est tiraillé entre deux pôles : un pouvoir local régi par une oligarchie municipale largement autonome, et un pouvoir central, où règne un souverain en principe absolu, mais qui, en réalité, définit sa politique, notamment extérieure et fiscale, par consensus avec ce pouvoir local. L’action du souverain, entravée par ce premier obstacle, en rencontre deux autres : la diversité des provinces qui oppose la Castille aux territoires « foraux » que sont l’Aragon, Valence et la Catalogne, et le noyautage de l’administration royale et des Conseils par ces oligarchies locales paralysant toute mesure novatrice risquant à leurs yeux de conduire à une restriction de leur autonomie[17].
Le noyau français se resserre autour de la princesse des Ursins et du marquis d’Amelot qui, à eux deux, « n‘oublieront rien pour rendre le roi catholique absolu[18] ». L’ambassadeur fut l’âme de ces changements, s’attelant à la tâche avec modestie, offrant un heureux contraste avec ses prédécesseurs et confiant les réformes financières à Jean Orry[19]. Il écouta les Grands mais sans leur laisser trop de latitude et chercha les hommes qui lui semblaient les plus compétents pour mettre en œuvre ses projets, comme le marquis de Grimaldo[20] ou le marquis de Canales[21]. On fit ainsi appel à une noblesse peut-être moins titrée mais plus technique et efficace[22] et qui, depuis longtemps, souhaitait, elle-aussi, s’impliquer dans la réforme de l’État.
L’Espagne possédait un système polysynodal comptant des Conseils thématiques (Indes, Finances, État) ou régionaux (Italie, Flandres, Castille, Aragon), dont le fonctionnement avait fait ses preuves mais qui devenait trop lourd. Une sourde lutte s’engage contre ceux-ci. Elle court tout au long du XVIIIe siècle, notamment contre le Conseil de Castille[23].
Lorsque Madrid, temporairement occupée par les troupes de l’archiduc est reprise en 1706, Amelot en profite pour mener une première réforme des conseils en supprimant les postes de ceux des membres qui avaient eu une fidélité chancelante. « Le temps est venu qu’il faut faire ce qui convient au service préférablement à toute autre considération[24] », écrit-il alors. Deux secrétaires d’État émergent pour travailler directement avec le roi. Mais il faut attendre 8 ans encore, sous l’influence de Jean Orry, le 30 novembre 1714, pour assister à une réorganisation plus profonde du despacho en sections thématiques : ses deux secrétaireries se transforment en cinq officines indépendantes : Estado, Excclesiastico y justicia, Guerra, India y marina, Hacienda. Les titulaires de ces charges sont des Espagnols à la fois francophiles et régalistes[25]. La nouvelle disposition fut alors communiquée à tous les Conseils pour qu’ils remettent les affaires aux secrétaires d’État correspondant à leur titulature. La centralisation du pouvoir est réussie, le roi domine la pyramide administrative et contrôle l’ensemble des affaires grâce à ses secrétaires. Pour eux, une « voie réservée » est créée, par où transitent les affaires dont le roi ne veut pas que traitent les Conseils, et par où remontre en double toute l’information. Philippe V s’est doté de moyens de gérer personnellement le royaume en s’entourant de collaborateurs qui ne dépendent que de lui, sur la fidélité personnelle desquels il peut compter, et à qui leur nombre et leur dotation en moyens bureaucratiques donnent une véritable capacité d’action.
Dans les provinces, à la suite des succès de la guerre de Succession d’Espagne et de la reprise des territoires par les généraux français sur les armées anglaises ou autrichiennes, les lois de Castille sont étendues aux royaumes de Valence et d’Aragon[26] puis en Catalogne après la reconquête de Barcelone en 1714. Louis XIV y encourageait son petit-fils, voyant dans les fueros « un prétexte que les peuples avaient toujours de s’exempter de contribuer aux charges de l’État[27] ». C’est ce qu’on a appelé la politique de Nueva Planta[28], dans un but d’unification pour reprendre le contrôle des villes jusque-là tenues par les oligarchies municipales en s’appuyant sur l’assimilation de ces royaumes à la Castille en une série de dispositions échelonnées de 1707 (reconquête de Valence) à 1719 (reconquête de la Sardaigne).
Désormais, le capitaine général de provinces est l’homme fort de ce nouveau régime. Il occupe la place antérieurement dévolue au vice-roi. Il est la principale autorité politique et militaire, disposant d’amples pouvoirs, du commandement militaire, de la présidence de l’Audience et de la nomination des fonctionnaires. Tout le réseau des anciennes oligarchies municipales est court-circuité, au profit de l’influence directe du roi[29]. Et ce, dans tous les domaines : militaire, où la réforme de l’armée rend le roi maître absolu[30], religieux où le confesseur se charge des propositions pour les postes vacants dans ces provinces, et même dans le secteur médical, puisque le tribunal du protomedicat exerce un contrôle sur l’accès au corps des médecins, par le biais du premier médecin du roi, un Français[31].
J-P. Dedieu, dans un essai récent, a montré que Philippe V était tout à fait dans la continuité de ses prédécesseurs en appliquant cette politique[32]. Car ceux-ci, patiemment, au XVIe et XVIIe siècles, se sont imposés maintes fois contre les royaumes, les aristocraties ou les municipalités en créant des liens directs avec des classes dirigeantes locales. La mise au pas de l’aristocratie par les rois catholiques et harles Quint ou la dissolution des Cortès en tant que corps politiques capables de tenir tête au roi, en sont les étapes essentielles. Ces acquis n’ont pas même été remis en cause par la faiblesse de Charles II : les Grands qui l’entouraient ne voulaient pas du régime ancien mais cherchaient à exploiter l’État à leur profit. Vers 1700 pour l’essentiel, « la cause est entendue ». Mais il faut le premier Bourbon pour liquider les fueros, mettre au pas les derniers grands nobles encombrants (d’autant plus facilement qu’ils furent souvent dans le camp des vaincus) et s’en prendre au dernier concurrent qui lui restait pour « devenir le centre unique du monde social et tout également du politique » : l’Église.
3) Susciter une réforme de l’Église en Espagne.
A l’arrivée de Philippe V en Espagne, existait déjà un courant réformateur souhaitant se dégager de la tutelle trop lourde de Rome. La doctrine n’est pas en question ? Est en jeu le droit qu’a le pape de nommer à tous les postes de l’Église d’Espagne, qui ne sont pas de strictes fondations privées, soit plusieurs dizaines de milliers, dont l’essentiel est constitué des cures de paroisses. Le problème pour le roi n’est pas tant la qualité des promus que le fait qu’ils ont obtenu leur poste du pape et non de lui-même[33]. Ce point de vue est bien entendu, celui de l’entourage français du roi qui rejoint ainsi le nationalisme ecclésiastique encore dans ses prémices[34] et déjà divisé[35].
Cela concerne aussi les matières fiscales. Si le clergé lui-même n’échappe guère à la fiscalité royale, toutes les contributions frappant l’Église d’Espagne procèdent de privilèges apostoliques concédés en faveur des souverains. Donc, le souverain est extrêmement contraint et toujours soumis à Rome. Ainsi, lorsqu’on 1707, Philippe V demande directement à tous ses sujets (dont le clergé) une contribution extraordinaire comme effort de guerre, il suscite le mécontentement romain. Un des rôles du père confesseur fut de cautionner les initiatives en ce domaine. Il fallait agir lentement car tous les esprits n’étaient pas encore prêts pour une transformation fondamentale des relations unissant le roi et le pape. Le P. Robinet soutient le marquis d’Amelot quand celui-ci décide de s’emparer de l’argent mis en dépôt dans les Églises. De même, quand cet ambassadeur veut soustraire à la juridiction ordinaire des évêques le cas des religieux convaincus de crime de lèse-majesté, il soulève un tollé général de la part des ecclésiastiques, et le confesseur doit encore intervenir à l’appui de cette nouveauté. Enfin, en 1709, après que le pape eût reconnu l’archiduc Charles comme le prétendant officiel au trône d’Espagne, le père confesseur donna son appui au parti de la rupture avec Rome au sein d’une junte de 12 personnalités qui décidèrent, en outre, le renvoi du nonce et la fermeture de son tribunal[36]. C’est à cette date que Madrid enclenche le processus qui va conduire à l’abolition du droit de patronage romain par le concordat de 1753.
Robinet favorisa l’action du fameux juriste Macanaz, qui voulait, lui aussi, renforcer l’autorité royale et, entre autres choses, briser les immunités de l’Église. Ferme partisan de l’extension du pouvoir royal, Macanaz affronta directement l’évêque de Valence, Folch de Cardonna, qui s’opposait au nom des immunités ecclésiastiques, à la confiscation des biens des clercs ayant soutenu le prétendant autrichien. C’est un conseiller écouté. En 1712, alors qu’il était procureur du roi près le Conseil de Castille, il réforma cet organisme, provoquant une levée de bouclier dont l’évêque de Murcie prit le commandement. Mais Macanaz dénia à l’Église le droit d’évaluer les actions du souverain en matière civile et, dans son fameux texte de 1714, le Pedimento de los 55 parrafos, il remit en cause le clergé trop nombreux, les biens détenus par les couvents, les immunités financières, et projeta même une réforme du tribunal de l’Inquisition. Rendu public à l’insu de son auteur et du roi, ce texte suscita de grandes controverses. Le confesseur le soutint notamment face au Grand Inquisiteur, le cardinal Giudice. En conséquence, des libelles se mirent à courir les rues de Madrid, qualifiant le confesseur d’hérétique ou d’athée.
Finalement, Philippe préféra exiler Macanaz pour lui éviter l’humiliation d’une comparution qui aurait, de fait, signifié une mise en accusation du roi, et remit le conseil de Castille dans l’état d’avant la réforme[37]. Par politique, Philippe préféra aussi se séparer de son confesseur et reprendre des relations moins tendues avec son Église et son Grand Inquisiteur. Durant toutes ces procédures, Louis XIV avait manifesté une prudente discrétion, ne souhaitant par envenimer les relations de son petit-fils avec le Saint-Siège, alors même qu’il s’en était pour sa part rapproché, notamment en réclamant au Pape Clément XI la bulle Unigenitus contre les jansénistes.
Pour la lutte contre les conseils, il faudra désormais attendre la deuxième moitié du siècle ; leur recrutement est alors modifié. « Les juristes purs, les docteurs en droit (…) les porte-parole en un mot de l’ordre politique défini par l’Église au sein de l’appareil d’État, sont progressivement remplacés par des avocats (…) pour qui l’efficacité compte plus que les principes et la loi royale plus que le droit commun[38] ». Quant aux rapports avec le pape, il faudra quarante-cinq ans d’effort et trois étapes marquées par les concordats de 1717, 1737 et 1753, date à laquelle le roi se substitue à l’autorité romaine pour toutes les nominations aux bénéfices ecclésiastiques. Seuls, les évêques continuaient à être nommés par le pape mais, comme antérieurement, sur proposition du roi.
À suivre…
Catherine Désos
Conservateur d’État des Bibliothèques
[1] H. Kamen, Felipe V. El Rey que reino dos veces, 2000, p.147.
[2] Sous Philippe II déjà, le chroniqueur Pierre Matthieu s’étonnait des coutumes espagnoles : « Si un roi de France traitait ses sujets de cette façon, s’il se cachait à Saint-Germain ou à Fontainebleau, ils croiraient ne plus avoir de roi (car) les Français veulent avoir leurs princes devant leurs yeux, en temps de paix comme en temps de guerre ».
[3] Recueil des instructions aux ambassadeurs, Espagne, au comte de Marcin en 1702, éd. 1989, II, p. 10.
[4] Louville, op, cit, I, p.162, à Torcy, mais 1701.
[5] Saint-Simon, Mémoires, publiés par A. de Boislisle, Paris, VII, p. 258.
[6] C’était alors le prince de Tserclaes, capitaine de la compagnie des gardes à cheval wallons et Grand d’Espagne. Cf. T. Glesener, « Les « étrangers » du roi. La réforme des gardes royales au début du règne de Philippe V (1701-1705 », Mélanges Casa Velάzquez, n° 35 (2), 2005, pp. 219-242.
[7] Y. Bottineau, op. cit., 1962, p.187, n. 161 ; lettre de la Princesse, dans Lettres inédites de Madame de Maintenon et de Madame la Princesse des Ursins, Paris, Bossange, 1826, III, pp. 211-212.
[8] C. Gomez Centurion Jimenez, « La Corte de Felipe V : et ceremonial y las Casas Reales durante el reinado del primer Borbon », XIV Coloquio de historia Canario-Americano. Felipe V y el Atlάntico. III Centenario del Advenimiento de los Borbones, 2002, pp. 189-248 ; du même, « Etiqueta y ceremonial palatino durante et reinado de Felipe V : el reglamento de entradas de 1709 y el accesoala persona del rey », Hispania, 56 (3) (1996), pp. 965-1005.
[9] Archivo general de Palacio, Madrid, Luis Ier, C4, exp. 4.
[10] Andromaque en 1708, Le Misanthrope ou Cinna en 1711 etc, cf. L’entourage français…, p. 134.
[11] Les Espagnols avaient des idées aussi précises qu’elles étaient fausses sur les principes français. Cf. par ex. le pamphlet conservé à la BN de Madrid, mss 2578, ff. 200-223 (1701).
[12] Le costume féminin espagnol comportait cette pièce importante, que l’on appelait aussi garde-infant, qui servait à étaler largement l’ampleur de la jupe sur les hanches.
[13] Tremoille, Madame des Ursins et la Succession d’Espagne. Fragments de sa correspondance, 1902-1907, II, p.64, Blécourt à Torcy, Madrid, 24 juin 1702.
[14] Ibid, p. 61, Mme des Ursins à Torcy, Alagon, 17 juin 1702.
[15] A. Descalzo Lorenzo, « El real Guardarropa y la introduccion de la moda francesa en la Corte de Felipe V », La Herencia de Borgoña, (1998) ; pp. 151-187 ; du même auteur, « El traje francés en la Corte de Felipe V », Anales del Museo Nacional de Antropologia, 4 (1997), pp. 189-210.
[16] MAE, CPE, t. 168, f. 139, Amelot à Louis XIV, Madrid, 30 mai 1707.
[17] J-P. Dedieu, « La haute administration espagnole au XVIIIe siècle. Un projet », Les figures de l’administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, 16-19esiècle, 1997, pp. 25-44.
[18] Lettres inédites…, Bossange, III, p. 334, Burgos, 19 août 1706.
[19] Nous n’évoquons pas davantage de Anne Dubet, Jean Orry et la réforme du gouvernement de l’Espagne (1701-1706), 2009. Concentrée sur les années 1701-1706, l’étude restitue la genèse du secrétaire d’Etat et des dépêches chargées de la Guerre (septembre 1703), puis de la Guerre et des Finances (juillet 2005), l’apparition simultanée d’un Trésorier Général pour les dépenses de la guerre (octobre 1703, puis juin 1705) et de commissaires des guerres (novembre 1703, puis juillet 1705) et ; de façon plus informelle, l’entrée en activité de quelques intendants (1705). Les réformes d’Orry visent à garantir une voie de décision financière unifiée, centralisée et hiérarchisée.
[20] C. de Casto, A la sombra de Felipe V : José de Grimaldo, ministro responsable (1703-1726), 2004.
[21] C. de Castro, « Las primeras reformas institucionales de Felipe V : el Marqués de Canales, 1703-1704 », Cuadernos dieciochistas, Salamanque, I (2000), pp. 155-183.
[22] J-L. Castellano, « El gobierno en los primeros años del reinado de Felipe V. La influencia francesa », Felipe V de Borbón, 1701-1746, 2002, pp. 131-142 et C. de Castro, « El estado español en el siglo XVIII : su configuración durante los primeros años del reinado de Felipe V », Historia y Políca. Ideas, Procesos y Movimiento Sociales, 4 (2000), pp. 137-169.
[23] J-P. Dedieu, Après le roi. Essai sur l’effondrement de la Monarchie espagnole, Madrid, 2010, pp. 33-34.
[24] MAE, CPE, t. 162, f.1, Amelot à Louis XIV, 2 novembre 1706.
[25] José Grimaldo, Manuel Vadillo, Miguel Duran, Bernardo Tinajero et Lorenzo Armengual, l’évêque de Gironda.
[26] Le 29 juin 1707, un décret royal est publié, portant que les royaumes d’Aragon et de Valence perdent leurs droits pour être soumis aux lois de Castille ; en conséquence, le 15 juillet 1707, un autre décret supprime le Conseil d’Aragon.
[27] MAE, CPE, t. 174, f. 134, Louis XIV à Amelot, 27 juin 1707. Le comte-duc Olivares ne disait pas autre chose dans son Gran Memorial adresse à Philippe IV en 1624.
[28] J-P. Deideu, « La Nueva Planta en su contexto », Manuscrits, 18 (2000) ; E. Giménez López, Gobernar con una misma ley : sobre la Nueva Planta borbónica en Valencia, 1999 ; F. Canovas Sanchez, « Los decretos de Nueva Planta y la nueva organizacion politica y admnistrativa de la Corona de Aragon », Historia de España, R. Menendez Pidal, t. 29, vol. 1, 1992, pp. 3-77 ; P. Perez Puchal, « La abolición de los fueros de Valencia y la Nueva Planta », Revista de la Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad de Valencia, 12 (1963), pp. 179-198.
[29] Teresa Nava Rodriguez et Gloria Franco Rubio ont avancé l’idée que les membres de la nouvelle administration appartiennent à des milieux sociaux différents de ceux des serviteurs de l’ancien appareil étatique. Ils sont moins liés aux oligarchies locales et doivent leur carrière et leur ascension essentiellement au roi. Il est vrai que Philippe V récompensera ceux qui lui ont été fidèles pendant la Guerre de Succession. Ce que montrent Maria Angeles Pérez Samper et Miguel Angel Martínez Rodríguez pour les juristes nommés aux audiences d’Aragon, dans Descimon, Schaub et Vincent, Les figures de l’administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, 16-19e siècle, 1997. Cf. aussi J-P. Dedieu, Après le roi…, pp. 63-64.
[30] L’entourage français…, pp. 241-252.
[31] C. Désos, « Du contrôle à l’évolution des pratiques : l’influence de la « faculté » française à la cour de Philippe V d’Espagne (1700-1746) », Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la 1ère Guerre mondiale, Paris, Encrage, 2013.
[32] J-P. Ded.ieu, Après le roi…, 2010, p. 24.
[33] Ibid, p. 68.
[34] Ce nationalisme ecclésiastique est différent du gallicanisme français. Les nationalistes ecclésiastiques s’étaient constitués par opposition au Tribunal du Nonce, tout puissant en Espagne ; celui-ci s’était renforcé au détriment des tribunaux ecclésiastiques nationaux et des prérogatives des ordinaires. A la même époque, depuis le concordat de Bologne en 1516, tous les procès ecclésiastiques en France se jugent dans le royaume par des magistrats sujets des rois de France, C. Hermann, L’Église d’Espagne sous le patronage royal, 1476-1834 : essai d’ecclésiologie politique, 1988, pp. 67-69.
[35] Il existe en effet une tendance (très minoritaire) prônant un régalisme absolu, qui se définit par la prétention de l’administration monarchique à sortir du rôle d’auxiliaire de la juridiction ecclésiastique, pour exercer un rôle directeur de cette juridiction et de police du clergé. Les épiscopaliens, au contraire, pensent que la couronne doit se contenir dans un rôle tutélaire : elle mettra le bras séculier au service de la juridiction ecclésiastique sans que les immunités de l’Église souffrent la plus légère atteinte, ibid, p. 83.
[36] MAE, CPE, t. 189, f. 169, Amelot à Louis XIV, 11 février 1709.
[37] J-M. Vallejo García Hevía, « Macanaz y su propuesta de reforma del Santo Oficio de 1714 », Revista de la Inquisición, 5 (1996), pp. 187-291 ; J. Fayard, « La tentative de réforme du Conseil de Castille sous le règne de Philippe V (1713-1715) », Mélanges de la Casa Velazquez, 2 (1996), pp. 259-282.
[38] J-P. Dedieu, Après le roi…, p. 64.
Publication originale : Catherine Désos, « Les Français de Philippe V : un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne, 1700-1724 », dans Collectif, Actes de la XIXe session du Centre d’Études Historiques (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne, CEH, Neuves-Maisons, 2013, p. 193-231.
Consulter les autres articles de l’ouvrage :
► Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5).
► Avant-propos. Le vingtième anniversaire du Centre d’Études Historiques, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).
► De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret (p. 37-41).
► Le baron de Vuorden. De la cour d’Espagne à la cour de France, par Odile Bordaz (p. 43-55).
► La rivalité franco-espagnole aux XVIe-XVIIe siècles, par Laurent Chéron (p. 73-92) :
- Partie 1 : Les représentations d’une rivalité
- Partie 2 : L’empire des Habsbourg d’Espagne sur la défensive
- Partie 3 : Un siècle et demi de compromis ambigus / Conclusion
► Les mariages franco-espagnols de 1615 et de 1660 ou le deuil éclatant du bonheur, par Joëlle Chevé (p. 93-114) :
- Partie 1 : Le trône met une âme au-dessus des tendresses
- Partie 2 : L’orgueil de la naissance a bien des tyrannies
- Partie 3 : Il faut que le pouvoir s’unisse à la tendresse
► L’Espagne vue par l’Émigration française à Hambourg, par Florence de Baudus.
► L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774), par Ségolène de Dainville-Barbiche (p. 135-150).
- Partie 1 : Parme
- Partie 2 : Les acteurs / Partie 3 : Le déroulement de l’affaire
- Partie 4 : Le dénouement de l’affaire
► « Carlistes espagnols et légitimistes français », par Daniel de Montplaisir (p. 151-177).
► « Blanche de Castille et les sacres de Reims », par Patrick Demouy (p. 179-192).
► « Les Français de Philippe V : un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne, 1700-1724 », par Catherine Désos (p. 193-231) :
- Partie 1 : Constitution et développement de la maison française du roi d’Espagne
- Partie 2 : L’influence de l’entourage français auprès du premier Bourbon d’Espagne
- Partie 3 : Les causes du déclin de l’influence française
Consulter les articles des sessions précédemment publiées :
► Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV
► Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle