Histoire

[CEH] L’Affaire de Parme, par Ségolène de Dainville-Barbiche. Partie 4 : Le dénouement de l’affaire

L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774)

 Par Ségolène de Dainville-Barbiche

► Partie 1 : Parme

► Parties 2 et 3 : Acteurs et déroulement

Suite et fin. Le dénouement de l’affaire de Parme.

Dès son avènement, Clément XIV, qui avait remplacé le cardinal Torrigiani par le cardinal Pallavicini (ancien nonce à Madrid) comme secrétaire d’État, s’efforça de mener une politique d’apaisement avec les souverains. Dans un premier temps, il chercha à temporiser au sujet de la Compagnie de Jésus. Mais il finit par céder aux pressions des cours d’Espagne et de France, auxquelles s’était jointe l’Autriche de Marie-Thérèse : son bref Dominus ac Redemptor du 21 juillet 1773 supprima la Compagnie de Jésus et sécularisa ses membres[1]. Comme nous l’avons déjà dit, celle-ci ne subsista plus qu’en Pologne russe. Elle fit rétablie par Pie VII à son retour à Rome en 1814.

À Parme, la situation prenait une tournure inattendue. En juin 1769, le duc Ferdinand épousa l’archiduchesse Marie-Amélie, fille de Marie-Thérèse et sœur de Marie-Antoinette. Très vite, la nouvelle duchesse fit preuve d’un caractère fantasque et autoritaire, gouvernant à la fois son mari et les États de celui-ci. Très jalouse de Dutillot, Marie-Amélie s’efforçait de s’en débarrasser et de remplacer l’influence franco-espagnole à Parme par celle de l’Autriche. Elle réussit à faire exiler Dutillot en novembre 1771. Il se réfugia à Paris où il mourut à la fin de 1774. Quant au duc, il tombait sous l’emprise de la religion et des moines, au point que dès la fin de 1769, son grand-père l’admonestait en ces termes : « Quand on est prince, on ne peut sans ridicule être moine » ! Sans révoquer le bref son prédécesseur, Clément XIV l’avait mis en sommeil. Le duc Ferdinand conclut sa réconciliation avec la cour de Rome en écrivant au pape à la fin de 1773 une lettre où il exprimait ses regrets pour qui s’était passé[2].

En France, l’arrêt du 26 février 1768 avait fortement déplu au clergé. Celui-ci dénonçait les lenteurs et les frais supplémentaires qu’imposait aux particuliers la formalité du visa du Parlement sur les expéditions de cour de Rome, sans compter les risques d’indiscrétion. Or, soulignaient les évêques, « les dispenses qui viennent de Rome sont quelquefois demandées pour des causes qui doivent être ensevelies dans l’oubli ». Cela visait évidemment les dispenses pour mariage dans les cas de grossesse de la future, à une époque peu indulgente pour les filles-mères[3].

La disgrâce de Choiseul en décembre 1770, victime en partie de ses connivences avec les parlements, la réforme radicale de la justice entreprise par Louis XV et le chancelier Maupeou à partir du début de 1771 pour anéantir l’opposition parlementaire, aboutirent au règlement de l’affaire de Parme dans ses conséquences françaises. Sans abroger l’arrêt de Parme dans ses conséquences françaises. Sans abroger l’arrêt de Parme du 26 février 1768, une déclaration royale du 8 mars 1772 excepta les dispenses pour mariage — comme les absolutions — de la formalité du visa. Mais celui-ci était maintenu pour les autres types d’expéditions destinées à des particuliers. En ce qui concerne Avignon et le Comtat, alors que Choiseul voulait les garder moyennant finances, son successeur aux Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon, suivit une autre politique. La décision concertée des roi Bourbons de rendre au pape Avignon et le Comtat, ainsi que le duché de Bénévent et Ponte-Corvo, fut prise à la fin de 1773 (en remerciement de la suppression des jésuites ?). Clément XIV l’annonça au Sacré-Collège le 17 janvier 1774. La restitution d’Avignon et du Comtat fut effective le 25 avril 1774[4]. Deux jours plus tard, Louis XV tombait malade de la variole, dont il mourut le 10 mai 1774. Moins de 20 ans plus tard (septembre 1791), l’Assemblée nationale constituante décrétait l’annexion d’Avignon et du Comtat Venaissin à la France, sans compensations financières.

L’affaire de Parme n’a pas beaucoup retenu l’attention des historiens français, à l’exception d’Henri Bédarida, dont les travaux publiés en 1927 font encore référence (cités ci-dessus note 4). Ainsi, il n’est est pas question dans l’ouvrage collectif publié en 2003b sous la direction de Lucien Bély sur les Bourbons en Europe du XVIe au XXIe siècle. Pourtant, il subsiste toujours des traces des séquelles de l’affaire de Parme dans notre législation actuelle, plus exactement dans la législation propre à l’Alsace-Moselle. L’article premier de la loi d’application du concordat conclu en 1801 entre Bonaparte et Pie VII pour rétablir la paix religieuse, connue sous le nom d’articles organiques (18 germinal an X, 8 avril 1802) porte qu’aucune expédition de la cour de Rome (bulle, bref, etc.), même ne concernant que les particuliers ne peut être reçue et exécutée en France sans l’autorisation du Gouvernement. IL reprend presque dans les mêmes termes l’arrêt du parlement de Paris du 26 février 1768. Cela n’est pas étonnant : le rédacteur des articles organiques, le conseiller d’État Portalis, était avant la Révolution avocat au Parlement de Provence, spécialiste des affaires matrimoniales et ecclésiastiques. Précisons que les expéditions de cour de Rome concernant les particuliers sont désormais en nombre beaucoup plus restreint que sous l’Ancien Régime. Par exemple, les évêques de France avaient reçu des facultés beaucoup plus larges pour accorder des dispenses pour mariage pendant la Révolution. Ces facultés furent renouvelées par la suite. Il reste cependant quelques types d’expéditions de coure de Rome destinées aux particuliers. C’est ainsi que dans le Journal officiel du 20 avril 2007 on peut lire l’insertion suivante :

« Par décret du Président de la République en date du 20 avril 2007, le Conseil d’État (section de l’intérieur) entendu, est reçue la bulle donnée à Rome le 22 février 2007 portant institution canonique de Monseigneur Jean-Pierre Grallet comme archevêque de Strasbourg »[5].

On sait, en effet, que le concordat est toujours en vigueur en Alsace-Moselle.

L’affaire de Parme est révélatrice de la manière dont a fonctionné le pacte de famille au temps de Louis XV et de Charles III. Plus généralement, elle fait ressortir la complexité de l’histoire des relations diplomatiques et la nécessité de l’aborder à un échelon supra national. Au plan intérieur, elle montre comment le Gouvernement français s’est servi de la défense des intérêts du jeune duc de Parme pour étendre son contrôle sur les actes émanant de la cour de Rome et pour envisager l’annexion des enclaves pontificales d’Avignon et du Comtat Venaissin.

Ségolène de Dainville-Barbiche
Conservateur général honoraire aux Archives nationales


[1] Notice « Cléments XIV », dans Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de Philippe Levillain, Paris, 1994, p. 394-397.

[2] Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, tome X : Parme, op. cit. p.217-225.

[3] Ségolène de Dainville-Barbiche, « Autour du gallicanisme politique. La réception en France des bulles, brefs et autres expéditions de la cour de Rome, de Louis XV à Bonaparte (XVIIIe-1802) », dans Papes, princes et savant dans l’Europe moderne. Mélanges à la mémoire de Bruno Neveu, réunis par Jean-Louis Quantin et Jean-Claude Waquet, Genève, 2007, p.143-160

[4] Archives vaticanes, Correspondance des nonces en France avec la Secrétairerie d’État, volumes 461, 535, 560 et 561, 1771-1774.

[5] Journal officiel N° 94 du 21 avril 2007 (version électronique), texte 72.


Publication originale : Ségolène de Dainville-Barbiche, « L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774) », dans Collectif, Actes de la XIXe session du Centre d’Études Historiques (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne, CEH, Neuves-Maisons, 2013, p. 135-150.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5).

Avant-propos. Le vingtième anniversaire du Centre d’Études Historiques, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret (p. 37-41).

Le baron de Vuorden. De la cour d’Espagne à la cour de France, par Odile Bordaz (p. 43-55).

► La rivalité franco-espagnole aux XVIe-XVIIe siècles, par Laurent Chéron (p. 73-92) :

► Les mariages franco-espagnols de 1615 et de 1660 ou le deuil éclatant du bonheur, par Joëlle Chevé (p. 93-114) :

L’Espagne vue par l’Émigration française à Hambourg, par Florence de Baudus

► L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774), par Ségolène de Dainville-Barbiche (p. 135-150).

Consulter les articles des sessions précédemment publiées :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle

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