HistoireLittérature / Cinéma

[CEH] La Henriade de Voltaire, par Jean-Noël Pascal. Partie 3 : Synopsis de l’œuvre

Une épopée à la gloire du fondateur de la lignée des Bourbons : La Henriade de Voltaire

Par Jean-Noël Pascal

Partie 1 : La Henriade, une œuvre à succès

Partie 2 : Écriture et publication de l’épopée

Partie 3 : Synopsis de l’œuvre

La trame de l’épopée, dans sa version londonienne de 1728, est relativement simple : Henri III, qui cherche à soumettre les ligueurs, a commencé le siège de Paris… Il envoie Henri de Bourbon à Londres, solliciter le secours de la reine Élisabeth. Le héros, contraint de relâcher à Jersey par une tempête, se fait prédire par un vieillard sa prochaine conversion et son accession au trône, avant d’aborder en Angleterre (chant I). Admis en présence de la souveraine, il lui fait le récit – largement inspiré de celui de la chute de Troie, au chant II de l’Énéide de Virgile – des malheurs de la rance, remontant jusqu’aux massacres de la Saint-Barthélemy, qu’il narre en détail (chant II). Henri poursuit l’évocation des guerres civiles, s’arrêtant notamment sur la mort de Charles IX, l’accession au trône d’Henri III, les protagonistes de la Ligue (Guise, d’Aumale, Mayenne), jusqu’à sa réconciliation avec son cousin. La reine d’Angleterre promet son secours et exhorte son interlocuteur – qu’elle a soin de ne pas confondre avec « Valois », allié stratégique d’un moment d’Henri de Bourbon – à combattre l’Espagne et la papauté pour « venger la liberté » des nations (chant III). Pendant ce temps, Henri III et ses troupes sont dans une situation désespérée, que seul le retour de Bourbon va pouvoir renverser, comme par miracle. Mais les ligueurs n’ont pas dit leur dernier mot : Mayenne, leur chef, se rend à Rome auprès du pape Sixte Quint. Il y trouve le secours de la Discorde et de la Politique, allégories épiques qui, gagnant Paris, sèment le désordre à la Sorbonne et au Parlement, arment les moines, jettent la capitale dans le trouble et la confusion et s’efforcent d’éliminer tous ceux qui étaient restés fidèles au roi Henri III (chant IV). Mais cela ne suffit pas à faire se relâcher la pression des assiégeants et le Discorde, évoquant du fond de l’enfer le Fanatisme hideux, convainc le moine Jacques Clément à perpétrer l’assassinat d’Henri III. Une fois ce régicide abominable commis, l’armée reconnaît Henri de Bourbon, désormais Henri IV, comme successeur légitime de son cousin (chant V). Les ligueurs, quant à eux, ne l’entendent pas ainsi : ils délibèrent pour choisir un roi et Henri IV profite de leur réunion pour tenter de prendre Paris d’assaut. Le combat, longtemps indécis malgré l’appui d’un bataillon anglais, semble tourner à l’avantage assiégeants quand l’ombre de saint Louis apparaît à Henri IV (chant VI). Le « père des Bourbons » va transporter son lointain héritier – qui s’est symboliquement retiré à Vincennes – aux cieux et lui faire apercevoir, dans le palais des Destins, sa postérité et les grands hommes que la France doit produire (chant VII). Mais pour l’heure la situation militaire est grave : les ligueurs reçoivent le soutien des Espagnols, commandés par le comte d’Egmont. La bataille d’Ivry est cependant remportée par Henri IV, qui fait preuve d’autant de courage que de clémence (chant VIII). Rien ne semble donc capable de l’arrêter. La Discorde tente alors un dernier obstacle, qui est celui de l’amour, destiné à briser le courage du brave Béarnais qui – comme Énée retenu auprès de Didon au chant IV dans l’Énéide ou Renaud enchanté par Armide aux chants XV et XVI de la Jérusalem délivrée du Tasse – file longuement le parfait amour auprès de Gabriuelle d’Estrées. Le fidèle Mornay1 vient le retirer des bras de sa maîtresse et le roi retourne à son armée (chant IX). Le siège reprend avec le combat singulier du ligueur d’Aumale avec le vicomte de Turenne. La famine commence à affamer Paris et, généreusement, Henri IV concède une trêve pour faire porter de la nourriture aux habitants. Ce geste de charité prélude à la conversion du roi : se rendant aux prières de saint Louis, l’Éternel permet que la Vérité vienne éclairer « le juste des princes » qui, miraculeusement converti, n’a plus qu’à entrer dans Paris où son peuple l’acclame (chant X).

On demande pardon de ce résumé cavalier, qui doit d’ailleurs énormément aux arguments joints aux éditions anciennes2. Il fait apercevoir, quoi qu’il en soit, la manière dont Voltaire s’empare à son profit de la tradition épique : certes, il lorgne sans chercher à s’en cacher vers Homère, relu croit-on à la Bastille dans une version latine (on combat énormément sous les remparts de la ville) et Virgile (Henri trouve en Gabrielle sa Didon). Certes aussi, il use sans retenue du merveilleux épique (fortement christianisé) et des allégories ; certes encore, il s’efforce de maintenir autant que possible (même si au départ Henri III concurrence, en fonction de héros, son cousin Bourbon) la sacro-sainte unité recommandée par les théoriciens autour de la figure centrale de son héros et même autour du lieu (Paris et ses environs immédiats, malgré le voyage du Béarnais en Angleterre au chant II ou celui de la Discorde à Rome au chant IV) ; mais il s’autorise nombre d’écarts destinés – sans rompre avec le rôle traditionnel de l’épopée, qui est essentiellement de véhiculer un message national fédérateur et une vision historique glorieuse – à créer un espace où il puisse donner libre cours à sa propre réflexion sur l’histoire, le pouvoir ou la religion. La Henriade, sous l’habit du poème épique, cache un véritable poème philosophique, que Voltaire veut inspiré par la vérité et non pas par une muse héritée de la fable, dont le centre de la gravité est la figure d’Henri de Bourbon, métamorphosé – en conformité avec ce qui deviendra bientôt une obsession des auteurs des Lumières – en un véritable (et un peu anachronique) « roi philosophe ».

À suivre…

Jean-Noël Pascal
Professeur à l’université de Toulouse-Le Mirail


1 Dans La Ligue de 1723, c’est Sully qui est le compagnon principal d’Henri de Bourbon : son remplacement par Mornay – après les démêlés de Voltaire avec le chevalier de Rohan – a fait couler beaucoup d’encre.

2 Nous nous appuyons particulièrement sur le Sommaire général ou Tableau analytique de La Henriade, joint par Fontanier à son édition classique de 1823.

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