Histoire

[CEH] Henri IV après Henri IV (1610-2010), par Jacques Perot. Partie 1 : Le temps de l’émotion et des témoignages

Henri IV après Henri IV (1610-2010)

Par Jacques Perot

Il y a quatre siècles, le 14 mai 1610, le geste d’un homme exalté, Ravaillac, mettait tragiquement fin à la vie d’Henri IV, interrompait brusquement un règne qui a marqué durablement la France.

Vingt ans plus tôt, l’époque était l’une des plus terribles de notre histoire. Souvenons-nous : depuis près de quarante années, des Français massacraient des Français, des puissances étrangères se mêlaient à des luttes qui n’avaient plus de religieuses que le nom. Souvenons-nous : la France exsangue, ruinée, ses terres en jachères. Monté sur le trône en 1589, Henri IV, par la force autant que par la persuasion, dut conquérir son royaume, s’en fit le libérateur et le restaurateur, lui réapprit la tolérance.

Comme le rappelle fort justement Jean-Pierre Babelon, membre de l’Institut et président d’honneur de la Société Henri IV :

« La date de 1610 a marqué profondément l’histoire de la France, car elle a sanctionné une réalité nouvelle : l’entrée dans l’époque moderne, c’est-à-dire un nouveau système politique, sociologique et mental qui tranche avec le XVIe siècle, celui de la Renaissance et de la Réforme, celui des guerres de religion. Henri IV a été le passeur de cette mutation, il lui a consacré ses efforts personnels, il a utilisé et fédéré les actions des hommes, et notamment Sully, qu’il a choisis pour cette tâche particulière dont il a compris peu à peu la nécessité afin de donner au royaume meurtri par les guerres une existence nouvelle. »

Notre pays n’oublie pas et a placé cet anniversaire parmi les plus importantes célébrations nationales de 2010. Place désormais à la mémoire, une mémoire qui est l’occasion de retrouver un passé qui nous fascine et nous enseigne la volonté politique, la tolérance, le respect de l’autre et la réconciliation, aujourd’hui comme hier.

Si les manifestations commémoratives sont si nombreuses, en cette année du quadricentenaire de l’assassinat d’Henri IV, c’est certainement parce que le Bon roi Henri n’a pas été oublié des Français et que son image, véhiculée par l’histoire, par la légende, et par son utilisation politique, est toujours présente dans l’imaginaire de nos compatriotes.

Assassiné à un moment où les mécontentements se faisaient nombreux dans le royaume, il entre, au lendemain de sa mort tragique, dans une popularité qui ne connaîtra guère d’éclipse au cours des quatre siècles qui nous mènent au XXIe siècle.

Des témoignages de ses contemporains aux livres d’histoire, des considérations politiques du siècle des Lumières à celles de la Restauration jusqu’aux grandes célébrations du XXe siècle, Henri IV se révèle le souverain le plus populaire. Il est tour à tour pacificateur, promoteur de la tolérance, reconstructeur du royaume, roi proche du peuple et Vert galant, célébré, à leur manière, par la monarchie comme par la République, c’est-à-dire par l’ensemble des Français. La permanence de ce succès affectif et médiatique et la variété de ses expressions méritent un examen révélateur et parfois surprenant.

Partie 1 : Le temps de l’émotion et des témoignages : déplorations et mémoires

Comme l’a écrit Roland Mousnier, « ç’avait été une idylle que ce règne contre qui, à la veille de l’assassinat, tout le monde criait. » et il ajoutait : « C’est un grand art chez un homme d’État soucieux de sa gloire que de savoir être assassiné à propos. »

Les premiers témoignages sur la vie du roi furent les déplorations, comme les nombreuses oraisons funèbres, on en connaît au moins de trente-huit, dues à des prédicateurs souvent provinciaux. Guillaume Du Peyrat, aumônier du roi, en a publié trente-deux en un volume édité en 1611. Les titres sont de circonstance : Déplorations, Discours lamentables, Larmes et sanglots de la désolée France, Recueil de vers lugubres, La Chemise sanglante… On retiendra néanmoins qu’au-delà du dithyrambe s’esquissent déjà des portraits du roi et que toutes ces oraisons funèbres, prononcées devant des publics nombreux, ont contribué à « établir la tradition orale du mythe Henri IV », comme l’a souligné J. Hennequin, auteur de l’important Henri IV dans ses oraisons funèbres ou la naissance d’une légende (1977). Prononcés par des ecclésiastiques, parfois des jésuites, qui ont vu passer le vent du boulet, accusés qu’ils étaient de prôner le tyrannicide, ces discours ne manquent pas de montrer un roi pieux et dévot qui est soutenu par la volonté divine, mais aussi un roi vainqueur, père du peuple et clément.

Vint aussi le temps des premiers historiens et des mémorialistes. L’avocat Pierre Matthieu, historiographe du roi, avait publié, dès 1605, son Histoire de France et des choses mémorables advenues aux provinces estrangeres durant sept années de paix. En 1611 il fit paraître une Histoire de la mort déplorable de Henry IIII, Roy de France et de Navarre : ensemble un poème, un panégyrique et un discours funèbre dressé à sa mémoire immortelle. On pourrait nommer également, parmi les historiens, le chroniqueur Pierre de L’Estoile et ses Registres-Journaux, Pierre-Victor Palma-Cayet, calviniste converti devenu prêtre et mort la même année qu’Henri IV qui publia ses précieuses Chronologie septenaire, puis Chronologie novenaire, Scipion Dupleix ou Claude Fauchet. Parmi les mémorialistes, citons François de Bassompierre, maréchal de France et diplomate, compagnon de jeu et fidèle ami du roi, Brantôme, le maréchal de Tavannes, les huguenots Philippe Duplessis-Mornay, le maréchal de La Force, seul de sa religion dans le carrosse du roi, rue de la Ferronerie, le vicomte de Turenne, duc de Bouillon. Mais, parmi les auteurs, trois d’entre eux méritent d’être évoqués particulièrement. Acteurs importants et témoins du règne, leur témoignage est de première main.

L’Histoire universelle, 1544-1607 est due au magistrat, homme d’influence et bibliophile Jacques-Auguste de Thou, celui qui se chargea de l’enregistrement, difficile, d’un édit capital pour la France, l’édit de Nantes (1598). Parue en latin en 1604-1608, et en français à Londres, en 1734, elle a l’avantage d’avoir été écrite par un témoin de la période et un homme très bien informé.

Théodore Agrippa d’Aubigné, auteur de l’Histoire universelle, fut un acteur huguenot de la geste henricienne de première importance, ayant passé de longues années à chevaucher aurpès du roi de Navarre. Homme de conviction, il fut un témoin privilégié, ce qui n’exclut pas des sentiments critiques alliés à un certain humour. Citons-le : « Étant revenu de Gascogne de ma longue et périlleuse course, mon Maistre me donna, à moi, d’Aubigné, son Écuyer, son portrait pour toute gratification ; de quoi je fus si piqué que j’écrivis au bas ce quatrain :

« Ce prince est d’étrange nature
Je ne say qui diable l’a fait
Car il récompense en peinture
Ceux qui le servent en effet ».

Ce portrait, représentation du jeune Henri à la fin de l’adolescence, est très vraisemblablement celui conservé à la Bibliothèque de Genève, mais il a perdu son quatrain persifleur.

On ne saurait non plus évoquer le règne sans avoir recours aux Œconomies royales de Sully, plus précisément Mémoires des sages et royales œconomies d’Estat (…) de Henry le Grand, (…) et des servitudes utiles, obéissance convenables et admnistrations loyales de Maximilian de Béthune, (…) dont la première édition date de 1638 et fut publiée clandestinement au château de Sully même, avec la mention Amselredam chez Aléthinosgraphe de Cleartimelee et Graphexechon de Pistariste, à l’enseigne des trois Vertus couronnées d’amaranthe. Cette édition in-folio, est dite des Trois V verts. Procédé étrange : ces mémoires sont à la deuxième personne. Sully se fait raconter sa vie par ses secrétaires, le médecin La Brosse, son écuyer Maignan, Choisy-Morelly, Le Fond, Balthasar, etc., ce qui lui permet de s’adresser des éloges et parfois de passer sous silence certains faits qui le gênent. S’il faut se servir avec précaution des Œconomies royales, ces mémoires n’en gardent pas moins, en raison de la personnalité de l’auteur, une valeur historiographique de premier ordre, que Jean-Pierre Babelon qualifie d’« usuel » du règne.

À suivre…

Jacques Perot
Président de la Société Henri IV

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