Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 17 Louis VIII : roi preux et pieux
Abrégé de l’histoire de France (17)
Texte de Bossuet:
LOUIS VIll. (An 1224.)
Henri, roi d’Angleterre, ne voulut pas se trouver au couronnement de Louis VIII, qui se fit à Reims le 6 août 1223 (il y était cependant obligé en qualité de duc de Guienne); au contraire, il l’envoya sommer de lui rendre la Normandie. Le roi, au lieu de lui rendre des provinces justement confisquées par le jugement des pairs, lui ordonna de quitter les autres pays qu’il avait en France ; mais les affaires de cette nature ne s’achèvent point par des paroles, et il en fallut venir aux armes.
Louis entra dans le Poitou, où d’abord il défit l’armée anglaise, et se saisit de plusieurs places. La Rochelle se défendit longtemps; mais enfin elle se rendit, après avoir attendu en vain le secours d’Angleterre. La Guienne, épouvantée, fut prête à suivre cet exemple, et les Anglais eurent peine à la conserver. Ils ne purent empêcher que le vicomte de Thouars, qui était le plus grand seigneur du Poitou, ne se soumit au roi. Ce prince vaillant et guerrier, qu’on appela Lion, à cause de la grandeur de son courage, étendit ses conquêtes jusqu’à la Garonne. Il s’était mis en possession du comté de Toulouse, qui lui avait été cédé par Amaulri, et augmentait tous les jours le royaume par de nouvelles conquêtes.
Il arriva aux environs de ce temps-là de grands troubles dans la Flandre : un imposteur qui ressemblait à Baudoin, empereur de Constantinople, disait qu’il était le vrai Baudoin, et qu’il s’était sauvé des prisons des Bulgares. Il avait déjà attiré à lui beaucoup de sujets de la comtesse Jeanne, fille de Baudoin. Louis ayant appris une nouvelle si surprenante, le fit venir sur sa parole, et voyant qu’il soutenait opiniâtrement qu’il était Baudoin, lui fit ces interrogations : « Parlez, lui dit-il, quand est-ce que le roi mon père, d’heureuse mémoire, vous a donné l’investiture de la Flandre? dans quelle chambre vous a-t- il fait chevalier? devant qui? De quelle couleur était le baudrier qu’il vous donna? quelles pierreries étaient dessus? car le vrai Baudoin ne doit pas ignorer ces choses. » L’imposteur, qui ne s’était préparé qu’à des choses plus générales, se coupa et fut obligé d’avouer sa fraude. Le roi le renvoya, parce qu’il lui avait donné sa parole; mais il tomba entre les mains de Jeanne, qui le fit pendre.
Louis ayant assuré ses conquêtes contre les Anglais, tourna dans le comté de Toulouse ses armes victorieuses contre les Albigeois. Comme il voulut passer en Provence, Avignon lui ferma les portes; il résolut de prendre celte place, quoique la peste se fût mise dans son camp. Avignon se rendit le 12 septembre 1226.
Louis mourut en revenant du siège, prince digne d’une plus longue vie, et recommandable par sa piété autant que par sa valeur ; au reste, quand il n’aurait point été illustre par ses grandes actions, il aurait une gloire éternelle parmi les hommes, pour avoir été père de saint Louis.
Sa mort arriva le 8 novembre 1226, au château de Montpensier en Auvergne, d’où son corps fut transporté à Saint-Denis, où il fut enterré auprès de son père. Son règne ne dura que trois ans et quatre mois.
Commentaire de la Rédaction
Louis VIII est souvent oublié, pris en étau entre un père illustre et un fils saint : et pourtant, malgré un règne court, il fut preux et pieux, digne de la lignée de ses ancêtres. Il mit non seulement fin à la guerre des albigeois, en se rendant en personne dans le sud et dont la présence mit naturellement fin au combat – jusque-là le roi roi son père ne s’était jamais rendu dans le sud, et Louis VIII visita ainsi pour la première fois ces terres vassales. La présence royale sacrée a comme un effet qui calme les ardeurs et ramène la paix : ce phénomène que l’on ne souligne pas assez montre en creux combien l’autorité royale était respectée, et combien le comté de Toulouse et les autres terres féodales, quoique en guerre, et quoique assez indociles, n’en reconnaissaient pas moins l’autorité royale, et la respectait !
Ceux qui disent le midi de la France a été envahi par les seigneurs du nord n’ont rien compris et raisonne selon des schémas modernes (j’allais dire païen) : le roi de France était à la fois suzerain du comte de Toulouse et roi, puisque le comté de Toulouse a toujours fait parti du royaume de France – et l’indépendance politique de faction pendant les temps féodaux n’ont rien changé à cela.
Philippe Auguste a démarré la croisade des Albigeois sur demande du pape, et assez à contre-coeur : il avait d’autres chats à fouetter avec l’Angleterre et l’Empire germanique, il ne s’est d’ailleurs pas rendu lui-même dans le Sud.
L’incurie des comtes de Toulouse, en particulier du numéro VII, est proverbiale : il ne cessait de piétiner ses promesses faites au pape et au roi, qui ne cessaient de temporiser. Malgré cela, le traité de paix de 1229 ne dépossède pas le comte de Toulouse ! Ce fait est tout bonnement incroyable hors de chrétienté : n’importe où ailleurs le comte de Toulouse aurait été au moins dépossédé, si ce n’est simplement tué, vu toutes les trahisons faites.
Mais en terre chrétienne et française on est charitable et doux : le comte de Toulouse, légitime à être seigneur, est confirmé dans son comté, malgré sa défaite, malgré ses mensonges, malgré ses actions interlopes. On respecte la légitimité, quelque soit les limites du prince en question…. Cela est un enseignement pour notre temps, et pour tous ceux qui font la fine bouche en discutant du Prince comme s’ils pouvaient le choisir, ou l’améliorer pour le faire correspondre à leur idée : quel orgueil ! Quel tour d’esprit moderniste individualiste qui veut modeler la réalité, ici royale, selon son idée personnelle ! Un chrétien féodal ne fait rien de tout cela : il reconnaît la réalité et s’y soumet. Et, quoique pécheur, et commettant des péchés, le chrétien féodal se repend et revient à la réalité : le comte de Toulouse s’amende et garde la couronne comtale.
Le traité, néanmoins, prévoit qu’il meurt sans héritier mâle, le comté tombera dans le domaine royale. Donc sous gestion directe du roi, qui jusque-là, quoique roi et suzerain du comté de Toulouse, n’avait pas de prérogatives dans le gouvernement direct du comté, simplement les devoirs régaliens de justice et de paix, d’où d’ailleurs l’appel du pape pour régler un problème de bien commun supérieur au comté de Toulouse, car cela mettait en danger toute la chrétienté, et la société politique de l’époque (ce qui confirme encore s’il en faut qu’il était très clair que le roi de France était roi, puisque le Pape lui demande de faire son travail de Roi).
Nous voyons encore ici la belle « subsidiarité » chrétienne : tout est fait pour ne pas manger les prérogatives locales, et les « compétences » locales, même quand l’incurie des locaux incitent à prendre la main : seule la Providence en a décidé autrement pour le comté de Toulouse, en refusant au comte un fils, pour que le comté rentre dans le domaine royal… Les punitions divines sont toujours plus justes et plus grandes que les punitions humaines mêmes royales : les rois chrétiens le savaient, alors ils laissaient autant que possible la punition ultime à Dieu, sans le presser (ici, cela aurait consister à justement déposséder le comte de Toulouse).
Sans faiblesse pourtant : dans le cas de la Normandie, le roi de France confisque ces terres au roi d’Angleterre, non dans une décision « arbitraire », mais selon la loi féodale, donc avec le consentement des pairs, car il y a des limites à l’injustice, et le principe de réalité joue aussi – la Normandie jouxtant le domaine royal, il est une menace directe et permanente d’un vassal, certes roi d’Angleterre, qui « oublie » opportunément qu’il est un vassal…et se laissant aller à l’orgueil au point de refuser d’aller au sacre du roi en tant que duc de Guyenne…
Louis VIII est ainsi plus qu’un intermède, il révèle beaucoup de nos rois et de notre royauté. Comme le dit Bossuet, Louis VIII n’aurait rien fait qu’il serait quand même inoubliable, en tant que père de saint Louis, qui va nous arrêter plus longuement.