Censurons, censurons… mais censurons bien !
On nous bassine – passez-nous l’expression, mais elle convient bien – à longueur de temps sur la liberté d’expression. Et pourtant il n’a certainement jamais eu d’époques aussi liberticide sur ce point que la nôtre : certains sujets – beaucoup de sujets – sont interdits de cité, des opinions sont criminelles, les lynchages publics se multiplient, sans parler de tous ces lynchages privés qui restent cachés aux yeux de tous mais que « facebook » et autres réseaux ont rendu si facile à réaliser.
Paradoxal, direz-vous. En un certain sens, certes. Nous espérons que la plupart des français se rendent compte que la liberté d’expression alléguée n’est qu’une bouffonnerie aidant à mieux faire passer une censure qui ne dit pas son nom, mais qui est en un certain sens bien plus dure et lourde qu’à toutes les époques où la censure était officielle…
Tout cela sont des faits. Un autre est de constater que ceux qui se disent conservateurs, parfois catholiques, souvent dans nos rangs, vont s’indigner du « muselage » scandaleux sur tout un tas de sujets en criant à la protection de la liberté d’expression…
Erreur. Tout à fait compréhensible, mais grave.
« Mais que dites-vous, enfin ? Seriez-vous d’accord avec la République qui punit des gens qui disent des choses vraies ? »
Evidemment non. Toute choses vraie, vraiment vraie, ne doit pas être censurée. Mais toute chose nuisible, très nuisible devrait l’être, c’est cela la question. Pour le dire autrement, nous disons que si la situation devient irrespirable comme nous devons l’expérimenter si douloureusement au quotidien, c’est du fait du faux principe de la liberté d’expression, faux et nuisible de sa nature, et qui explique la situation présente.
« Mais que dit-il, il débloque ? »
Attendez une seconde, regardez un peu l’histoire, ce serait intéressant. A y réfléchir la censure a toujours existé à toutes les époques et partout. Que cela se transcrive par des tabous primitifs, des interdits religieux, des interdits civils, ou même des interdits coutumiers, cela a toujours existé. Notre époque contemporaine confirme cette observation de la façon la plus paradoxale qui puisse être : sous couvert de liberté d’expression débridée, la censure n’a jamais été aussi sévère; elle a atteint un niveau qui dépasse l’entendement, un paroxysme même en ce sens que si la version officielle dit « vous pouvez tout dire », dans la réalité certaines –beaucoup en fait – choses sont tout simplement des délits, voire des crimes – le «révisionnisme » par exemple, le « racisme » et tout ce que l’on veut – de nombreux autres contraintes sont imposées par pression totalitaire, et d’autres interdits encore, et c’est certainement le pire, sont intériorisés au point que les gens s’auto-censurent sur les sujets dont ils devraient justement parler pour dire la vérité haut et fort…
Reconnaissons alors que la censure fait partie de la société humaine sur cette terre et que nous ne pourrons jamais nous en débarrasser – comme nous ne pourrons jamais nous débarrasser de la mort. Ni de la famille. Ni de la société. La censure est un donné de toute société humaine, comme si elle existait pour protéger la société et contribuer au perfectionnement de l’homme : tout ce que nous pouvons faire c’est de reconnaître ce fait universel ou le nier, et où se place et doit se placer cette censure. En tout cas, le fait restera une réalité qu’on le reconnaisse ou non…
Chez les païens sains de corps et d’esprit, les tabous servaient la société et l’harmonie entre les hommes, en interdisant par exemple sévèrement certains actes ou paroles pouvant mettre en danger la société – l’inceste, le blasphème religieux ou civil, l’atteinte à l’honneur, etc. Les tabous ou les interdits religieux pouvaient parfois conduire à des abus – la dureté du système pénal païen par exemple-, ou devenir sans objets –l’absurdité des interdits alimentaires sémites-, mais rarement faux en soi.
La censure chrétienne, menée par l’Eglise à travers l’index par exemple, a purifié ces censures païennes : l’objet de censure ne se trouvait plus dans les causes secondes ou indifférentes, mais dans la cause des causes, Dieu. Il s’agissait de protéger la Vérité par excellence, la Foi et le Dogme, et de censurer toute erreur qui pouvait conduire à blesser la Vérité, ou plutôt à exposer les âmes au risque de la (re-)chute. C’est tout et c’est déjà beaucoup, mais la censure ne sortait pas de ces bornes cardinales, enfin bien canalisée pour notre Salut.
Chez les apostats contemporains, la censure indirecte, qui ne dit pas son nom, est au service du maintien d’une société inique en protégeant systématiquement le faux et le vil et en censurant systématiquement le vrai et le beau – regardez par exemple les politiques culturelles… – : la société est inversée.
Donc oui, il faut censurer et abolir la liberté d’expression – qui n’est qu’un poison relativiste qui met la liberté en but ultime avant toute considération du vrai, du beau et du bien. Qui pourrait dire en effet que l’on peut dire ce que l’on veut, même si cela blesse, même si c’est un mensonge, même si cela déclenche une guerre ? On voit bien que c’est absurde, et toute personne qui a des responsabilités le vit au quotidien et le sait. Seul un peuple enfant ou malin peut prôner la liberté d’expression pour elle-même. Des fous, des ignorants ou des diables, à vous de choisir.
La seule question c’est de dire encore et encore la vérité à temps et à contre-temps – c’est le rôle de l’Eglise en particulier- et de limiter les dégâts du mensonge et du scandale – d’où la condamnation du blasphème ou de la diffamation.
Donc censurons traditionnellement : juste ce qui est évidemment un mal – le blasphème contre Dieu, le mensonge – et que ce mal est volontaire comme l’ont toujours fait nos sociétés – l’hérésie n’était ainsi matérialisée, par exemple, que quand l’allégation de l’erreur est volontaire, répétée et obstinée, en sachant que c’est une erreur. D’ailleurs, la censure d’autrefois était douce, puisqu’elle ne concernait que les quelques Vérités universelles et absolues sur lesquelles on n’avait pas de doute. Son champ était limité et sain, préservant la religion et la société – le lèse-majesté par exemple.
Aujourd’hui la censure est folle : elle s’étend à tout puisqu’elle ne sert plus objectivement le bien et la vérité, mais ne sert qu’à maintenir des intérêts, imposer des idéologies fausses, cacher tout ce qui est surnaturel et spirituel, détruire la nature humaine…
Pour combattre la tyrannie de la pensée unique, il ne faut certainement pas se battre pour la liberté d’expression, qui a entrainé cette tyrannie, mais pour une censure juste, tempérée par la pratique séculaire, fondée dans la vérité, et dirigée par le souci du salut des âmes.
Dans un autre genre on pourrait dire que se battre pour la paix n’est pas se battre contre la guerre, mais contre la guerre injuste : car tant que les hommes pérégrinent sur cette terre, la guerre ne disparaitra jamais. Nous sommes l’église militante, ne l’oublions pas.
Pour conclure, laissons la parole à Blanc de Saint-Bonnet, légitimiste notoire héritier de Joseph de Maistre, qui parlait, en son temps, de la liberté de la presse et d’autres libertés ainsi :
« Sans parler des erreurs occultes, trois erreurs politiques constituent le libéralisme : la liberté de la presse, la liberté intrinsèque de conscience, et la liberté politique; ou du moins ce qu’il nomme ainsi.
La liberté de la presse (condamnée par les Encycliques) livre au premier venu l’âme et l’esprit du peuple. Elle l’abandonne aux factions, le rend la proie des faiseurs d’utopies, des envieux, des mécontents et des pervers.
La liberté de conscience (condamnée par les Encycliques) constitue une égale protection en faveur du bien et du mal. Elle aboutit en définitive, par suite de l’état actuel de la nature humaine, à l’oppression du bien par le mal, de la vérité par l’erreur.
La liberté politique, (condamnée par les révolutions successives qui détrônèrent Louis XVI, Charles X, Louis-Philippe, etc.) établit une égalité dangereuse entre l’autorité royale et celle des assemblées. Elle soumet en définitive l’autorité du Roi au pouvoir de la multitude, la livre aux ambitieux, aux envieux, à la Révolution. »[1]
« A ces trois erreurs politiques, l’histoire et nos traditions françaises opposent trois vérités.
A la liberté politique, qui livre aux foules les droits des souverains, elles opposent la constitution de la province, c’est-à-dire les droits publics et privés, qui sont les droits des individus, des corporations, des ordres, des cités.
A la liberté de conscience elles opposent la condescendance pour les personnes, la tolérance pour l’erreur existante, mais aussi la sauvegarde du bien, et la protection honorablement assurée à la vérité.
A la liberté de la presse, elles opposent d’abord l’enseignement de l’Eglise, à laquelle seule il a été dit Docete gentes; ensuite, l’exemple et l’ascendant des classes vertueuses et éclairées sur les classes inférieures, qu’il faut, ainsi que la jeunesse, mettre à l’abri du mal et de ses illusions. »[2]
A méditer. Ne pas chérir les causes dont on dénonce les effets…
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France,
Paul-Raymond du Lac
[1] Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité,H.Casterman, Tournai, 1873, p.234-235
[2] Ibid, p.235-236
Oui, liberté de la presse, que dire de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo ?… Crime politique ? Nous le saurons bien un jour.