Attention et mortification : aux fondements de l’éducation, par Antoine Michel
Il faut éduquer les enfants à la dure. Exit les droits des enfants, leur avis et leur confort. Ce qui compte est qu’ils deviennent d’honnêtes hommes, bons et vertueux, forts et intègres, pour discerner le bien et le mal, protéger et pratiquer le bien, et fuir et combattre le mal.
Les théories de l’enfant-roi et de l’éducation positive ou « bienveillante », avatars des théories rousseauistes, ne résistent pas à la réalité : nous, la jeune génération, nous sommes tous victimes peu ou prou de cette anti-éducation rendant les volontés faibles et les intelligences obscurcies.
Cette contre-éducation est avantageuse pour certains : elle crée de bonne bêtes à manger du foin, bien dociles… Elle pose néanmoins un problème, même aux tyrans : à force de détruire et de rendre les gens vulgaires, on ne peut plus rien en tirer, ils ne travaillent plus, ou deviennent barbares, violents. La réalité et la nature reprennent toujours leurs droits : soit avec douceur quand on les reconnaît telles qu’elles sont, soit violemment si on s’entête à nier cette réalité et notre nature humaine.
La fin principale de l’éducation est de former une volonté forte, qui ne peut être forte que si elle est éclairée par une intelligence qui raisonne bien. Et cela demande deux choses, absolument nécessaires, et malheureusement pas innées : la maîtrise de ses passions et de son corps d’une part et, d’autre part, une attention qui porte la volonté sur des objets pour que l’intelligence se les approprie et trouve les vérités justes.
Bossuet, enseignant au Dauphin, rappelle simplement ces vérités, après une analyse philosophique tout à fait classique du fonctionnement de notre âme, et de l’articulation entre le corps et l’âme :
« En commandant aux membres des exercices pénibles, elle (la volonté) les fortifie, elle les durcit aux travaux, et se fait un plaisir de les assujettir à ses lois.
Ainsi elle se fait un corps plus souple, et plus propre aux opérations intellectuelles. La vie des saints religieux en est une preuve. Elle étend aussi son empire sur l’imagination et les passions, c’est-à-dire sur ce qu’elle a de plus indocile.
L’imagination et les passions naissent des objets; et par le pouvoir que nous avons sur les mouvements extérieurs, nous pouvons ou nous approcher ou nous éloigner des objets.
Les passions, dans l’exécution, dépendent des mouvements extérieurs : il faut frapper pour achever ce qu’a commencé la colère, il faut fuir pour achever ce qu’a commencé la crainte ;
mais la volonté peut empêcher la main de frapper, et les pieds de fuir. » (Bossuet, Œuvres Complètes, 1879, Tome IX, p.67)
Il faut ainsi se mortifier, c’est une évidence, et donner aux enfants qui nous sont à charge la routine de la mortification, de la discipline, et leur en donnant le goût peu à peu. Il faut ensuite donner le goût de la vérité, qui nécessite l’attention bien dirigée :
« C’est donc proprement par l’attention que commence le raisonnement et les réflexions; et l’attention commence elle-même par la volonté de considérer et d’entendre. » (Bossuet, Œuvres Complètes, 1879, Tome IX, p. 68)
« Par ces choses on peut comprendre la nature de l’attention, et que c’est une application volontaire de notre esprit sur un objet. Mais il faut encore ajouter que nous voulions considérer cet objet par l’entendement, c’est-à-dire raisonner dessus, ou enfin y contempler la vérité. Car, s’abandonner volontairement à quelque imagination qui nous plaise, sans vouloir nous en détourner, ce n’est pas attention ; il faut vouloir entendre et raisonner. » (Ibid., p. 68)
Il ne s’agit pas de tomber dans un stoïcisme stérile, ou dans un « néant » à la bouddhique : il s’agit simplement de soumettre nos passions à la raison, et savoir en user habilement comme de bons ressorts :
« Il faut pourtant remarquer, pour ne rien confondre, que le raisonnement peut servir à faire naître les passions. Nous connaissons par la raison le péril qui nous fait craindre, et l’injure qui nous met en colère : mais, au fond, ce n’est pas cette raison qui fait naître cet appétit violent de fuir ou de se venger; c’est le plaisir ou la douleur que nous causent les objets ; et la raison, au contraire, d’elle-même tend à réprimer ces mouvements impétueux.
J’entends la droite raison. Car il y a une raison déjà gagnée par les sens et par leurs plaisirs, qui, bien loin de réprimer les passions, les nourrit et les irrite. Un homme s’échauffe lui-même par de faux raisonnements qui rendent plus violent le désir qu’il a de se venger ; mais ces raisonnements, qui ne procèdent point par les vrais principes, ne sont pas tant des raisonnements, que des égarements d’un esprit prévenu et aveuglé.
C’est pour cela que nous avons dit que la raison qui suit les sens n’est pas une véritable raison, mais une raison corrompue, qui au fond n’est non plus raison, qu’un homme mort est un homme. » (Ibid., p.36)
Notons à quel point il est important de nous connaître tels que nous sommes : ni la raison ni les passions ne peuvent disparaître. Et toutes nos actions participeront des passions et de la raison : simplement, les bonnes actions sont dirigées par la raison, avec l’aide des passions, ou, le cas échéant, contre les passions que l’on remet à leur place. De la même façon, les mauvaises actions sont dominées par les passions que la raison va servir, parfois de façon très « intelligente » (comme dans une vengeance bien calculée et « froide » par exemple).
Sachons cela et appliquons-le pour nous mêmes et nos enfants. Soyons intelligents d’abord, car sinon nous ne saurons pas comment agir. Mais ayons une volonté de fer, car sinon nous pourrons voir ce qu’il faut faire sans jamais le faire, ou en ne le menant pas au bout, ce qui revient au même. Et pour cela, il faut travailler en nous imposant de durs exercices, et développer une attention soutenue. Et de la même façon pour ceux que nous aimons et qui sont à notre charge, que ce soit nos enfants, nos ouailles, nos sujets ou nos employés.
Une fois les bases naturelles posées, la grâce pourra travailler comme elle l’entend sur des hommes bien rodés. La surnature ne travaille que sur la nature, et la nature bâclée, mal formée ne se redresse pas si facilement… alors travaillons, car elle a toujours tendance à se tordre, sous l’effet de nos mauvais penchants.
Antoine Michel
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !