Sermon sur la parabole des ouvriers envoyés travailler à la vigne
Introduction
Dans la parabole d’aujourd’hui le Maître de maison envoie travailler à sa vigne un premier groupe d’ouvriers. Ces derniers acceptent de travailler pour un salaire déterminé, à avoir un denier. Plus tard dans la journée, le Maître de maison envoie un second groupe d’ouvriers travailler à sa vigne, et ceux-ci acceptent de travailler simplement sur la promesse d’être payé «selon ce qui sera juste». En fin de journée, le Maître envoie un troisième groupe d’ouvriers travailler à sa vigne, et ceux-ci acceptent de travailler sans même que le Maître leur promette quoi que ce soit. Le soir, le Maître donne à tous les ouvriers sans exception le même salaire : un denier. Et aux ouvriers du premier groupe qui se plaignent de ne pas recevoir plus que les autres, le Maître répond : «Ne m’est-il pas permis de faire en mes affaires ce que je veux ?» (Mt 20;15).
Il y a en cette parabole une leçon que Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus a bien expliquée dans ses écrits, à savoir que notre espérance de la vie éternelle ne doit pas s’appuyer sur nos mérites, mais sur le seul amour miséricordieux de Dieu. Je vous rappellerai d’abord la doctrine catholique du mérite surnaturel, et ensuite l’enseignement de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus à ce sujet. Rappelons-nous que Ste Thérèse a été proclamée Docteur de l’Église.
- Le mérite
Le mérite est la qualité d’une œuvre bonne qui donne à son auteur un droit à une récompense. Par exemple, un soldat qui se bat héroïquement sur le champ de bataille a droit à la gloire ; un ouvrier qui fait bien son travail a droit à son salaire.
Le mérite peut être naturel ou surnaturel. Le mérite est naturel quand il s’agit d’une œuvre qui donne droit à un bien terrestre (honneur, gloire, richesses, reconnaissance, connaissance…) ; il est surnaturel quand il s’agit d’une oeuvre qui donne droit à un bien surnaturel, à savoir partager la vie et le bonheur divins. Ce qui nous intéresse ici, c’est évidemment le mérite surnaturel.
Avant d’aller plus loin, posons-nous cette question : est-ce que le mérite surnaturel existe vraiment ? Pouvons-nous réellement, par nos œuvres, acquérir un droit à un bien surnaturelle, à savoir la vie éternelle ? La réponse est «oui», parce que Dieu l’a décidé ainsi. Il est évident que la valeur de nos œuvres humaines est limitée, que par elles-mêmes elles ne donnent aucun droit à une récompense surhumaine. C’est Dieu lui-même qui, par pure bonté, s’est engagé à récompenser de façon surnaturelle, illimitée, les bonnes œuvres que nous faisons par amour pour Lui. Cette promesse de Dieu se trouve répétée à travers toute la Bible. C’est elle qui se trouve exprimée dans la parabole de l’Évangile : le Maître envoie les ouvriers travailler, c’est-à-dire faire des bonnes œuvres, après avoir décidé de leur donner un denier, c’est-à-dire la vie éternelle.
Dieu ne nous donne pas la vie éternelle automatiquement. Il veut que nous la méritions par notre Foi en Jésus Christ et l’accomplissement de bonnes œuvres. Rappelez-vous dans l’Évangile comment Notre-Seigneur nous a prévenu qu’Il nous jugera sur nos bonnes actions : «J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, etc.» (Mt 25;42). Rappelez-vous ce que St Paul dit à St Timothée avant de mourir : «J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la Foi ; désormais m’est réservée la couronne de la justice que m’accordera en ce jour-là le Seigneur, le Juste Juge, et non seulement moi, mais à tous ceux qui auront chéri son apparition.» (2Tim 4;7-8). Autrement dit, la gloire du Ciel se mérite par nos efforts.
Dieu récompense nos œuvres quand nous vivons en état d’amitié avec Lui et agissons pour son amour. Or ce qui nous met en état d’amitié avec Dieu, c’est la grâce sanctifiante. C’est pourquoi Dieu, qui créa les hommes afin de leur offrir le bonheur éternel, créa Adam avec la grâce sanctifiante. Malheureusement, par le péché originel, Adam perdit cette grâce, pour lui-même et pour tous les hommes ; en conséquence il devint impossible pour lui et tous les hommes de mériter le Ciel. Et comme Adam et tous les hommes étaient incapables d’offrir à Dieu une réparation parfaite pour leurs péchés, ils perdirent définitivement la grâce sanctifiante et la possibilité de mériter.
Seul Notre-Seigneur Jésus-Christ, étant à la fois Dieu et homme, a pu offrir à Dieu au nom des hommes une compensation parfaite pour leurs péchés, et ainsi mériter que Dieu re-donne aux hommes son amitié, sa grâce sanctifiante, le pouvoir de mériter la vie éternelle. Dieu ne re-donne pas tout cela automatiquement à tous les hommes, mais à ceux qui croient en Notre-Seigneur Jésus Christ, se rattachent à Lui en devenant membre de son Église, et obéissent à ses commandements.
Notre mérite surnaturel se fonde entièrement sur les mérites de Notre-Seigneur Jésus Christ. Il nous l’a dit lors de la dernière Cène : «Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure uni la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus si vous ne demeurez en moi.» (Jn 15;4). Nous ne méritons surnaturellement que si nous croyons en Jésus, que si nous recevons de Lui la grâce sanctifiante, que si nous vivons en état de grâce. Ceux qui vivent dans le péché mortel ne peuvent pas mériter. Leurs bonnes œuvres ne donnent aucun droit à la vie éternelle. Serait-il donc inutile que les pécheurs prient et fassent des bonnes actions? Non, car Dieu a dit par le Prophète Zacharie : «Revenez à moi et je reviendrai à vous.» (Zach 1;3). Par leurs prières et bonnes œuvres, les pécheurs attirent sur eux la miséricorde de Dieu et des grâces de conversion.
- Ne pas s’appuyer sur nos mérites.
La parabole de l’Évangile nous dit que nous devons mériter la vie éternelle par nos bonnes œuvres, mais en même temps elle nous dit qu’il ne faut pas nous appuyer sur nos mérites pour obtenir la vie éternelle. En effet le Maître de maison de la parabole donne à tous les ouvriers le même salaire, le denier ; ce qui signifie que la raison première pour laquelle le salaire est donnée aux ouvriers, ce n’est pas leurs mérites mais la bonté du Maître.
Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus a parfaitement compris cela et l’a bien expliqué dans ses écrits. Elle dit par exemple dans son acte d’offrande à l’Amour Miséricordieux : «Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides ; car je ne vous demande pas, Seigneur de compter mes œuvres… Toutes nos justices ont des taches vos yeux ! Je veux donc me revêtir de votre propre justice, et recevoir de votre amour la possession éternelle de vous-même.» «Toutes nos justices ont des taches», c’est-à-dire qu’en raison des blessures du péché originel et de nos propres péchés, toutes nos bonnes œuvres sont généralement entachées d’orgueil, de recherche de soi, de volonté propre, de sensualité ou d’avarice. Facilement nous nous aveuglons sur la valeur de nos mérites : nous croyons avoir fait de grandes choses pour Dieu, mérité une grande récompense, mais en fait non car ce que nous avons fait a été plus motivé, par exemple, par l’orgueil que l’amour vrai de Dieu. Voyez dans la parabole les premiers ouvriers : ils pensaient qu’ils avaient droit à plus qu’un denier parce qu’ils avaient travaillé plus longtemps et plus durement : hé bien non, ils ne reçoivent qu’un denier. Ils ne méritaient pas plus en raison de leur orgueil et dureté de cœur.
Dans la parabole, qu’est-ce que le Maître récompense d’abord et avant tout ? C’est la confiance des ouvriers en sa justice, en sa bonté, en sa miséricorde. Voyez le deuxième groupe des ouvriers : le Maître leur dit simplement «Je vous donnerai ce qui sera juste», et ils vont travailler sans demander plus, confiants dans la justice du Maître. Encore mieux, voyez le troisième groupe des ouvriers : le Maître ne leur promet rien du tout : «Allez vous aussi à ma vigne», et ils y vont sans rien demander, confiants dans la bonté du Maître. Hé bien, ces derniers reçoivent autant que les autres. C’est cela que le Bon Dieu attend de nous : une confiance absolue en sa justice, en sa bonté, en sa miséricorde ; c’est cela qu’Il récompense d’abord et avant tout. Rappelez-vous le bon larron. C’est pourquoi Ste Thérèse dit : «Je paraîtrai devant vous les mains vides… Je veux me revêtir de votre propre justice, et recevoir de votre amour la possession éternelle de vous-même.»
Mais vous direz : à quoi bon alors se fatiguer à faire des bonnes œuvres ? Ste Thérèse vous réponds quand elle dit à Dieu : «Je veux travailler pour votre seul amour, dans l’unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Cœur sacré, de sauver des âmes qui Vous aimeront éternellement.» L’amour se prouve par les œuvres ; l’amour se nourrit de sacrifices, de renoncements en faveur de l’être aimé. Plus on aime sincèrement, plus on se renonce et plus on agit pour faire plaisir à celui qu’on aime. Un amour sans les œuvres, ce n’est pas un amour vrai. Un amour sans sacrifice, ce n’est pas un amour vrai. «Ce n’est pas celui qui m’aura dit ‘Seigneur, Seigneur’ qui entrera dans le royaume des Cieux, mais celui qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les Cieux.» (Mt 7;21).
La conséquence pratique de ce qui précède, Ste Thérèse l’exprime à Jésus ainsi : « Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par amour… Ah! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces pétales fragiles et sans aucune valeur, ces chants d’amour du plus petit des cœurs te charmeront, oui, ces riens te feront plaisir. »
Conclusion :
Chers Fidèles, les conclusions pratiques à tirer pour notre vie spirituelle sont les suivantes.
-D’abord il faut nous tenir à tout prix en état de grâce et faire toutes nos actions pour l’amour de Dieu afin de mériter le bonheur éternel. Sans la grâce sanctifiante, nos actions n’ont aucune valeur pour la vie éternelle.
-Ensuite, si nous menons une vie sainte et objectivement pleine de bonnes actions, soyons-en très reconnaissants envers Notre-Seigneur Jésus, mais ne nous appuyons aucunement sur nos mérites pour espérer le Ciel. Ne faisons nos bonnes œuvres que comme des moyens de prouver à Jésus que nous l’aimons sincèrement, comme des moyens pour l’aimer davantage. Ne fondons notre espérance de la vie éternelle qu’en la bonté miséricordieuse de Notre-Seigneur Jésus, ne voulant recevoir que ce qu’Il jugera bon de nous donner et en étant persuadés que ce sera toujours le meilleur pour chacun de nous.
-Enfin, supportons-nous nous-mêmes patiemment dans toutes nos misères et limites ; ne nous décourageons jamais à cause de nos fautes quotidiennes ; ne désespérons jamais à cause de nos péchés passés, du temps perdu loin de Dieu. Car tout cela, Notre-Seigneur peut l’effacer d’un clin d’œil. Ce que Notre-Seigneur attend de nous, c’est d’avoir et de garder toujours une confiance humble et totale en sa bonté miséricordieuse, comme un petit enfant envers ses parents. Avec cela dans nos coeurs, Jésus fait des merveilles et nous conduit au bonheur éternel. Que notre Mère la Vierge Marie et Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus nous aident à bien comprendre tout cela et à le vivre chaque jour.
Un prêtre missionnaire en Asie