ActualitésLes chroniques du père Jean-François Thomas

Prône pour la Messe solennelle de Requiem pour le repos de l’âme du Roi Louis XVI, par le P. J-F Thomas (sj)

                                             Eglise Saint-Eugène-Sainte-Cécile, Paris

                                                                   21 janvier 2025

                       Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes chers Frères,

 

 

Un silence écrasant recouvre la ville enserrée dans la froidure extrême de ce jour neigeux. La stupeur paralyse les rues de Paris après le vacarme et l’agitation du matin. Sur la place de la Révolution les mégères et les tricoteuses trempent des bouts de tissu dans le sang de Capet et dansent comme des sorcières célébrant leur funeste sabbat. Ce sol détrempé de sang est celui où se vautrèrent plusieurs générations de philosophes, d’esprits forts, de bourgeois et de nobles ambitieux, de libertins et de magistrats, tous soucieux de renverser l’ancien ordre afin d’en ériger un nouveau, celui de l’émancipation et de la démocratie. La France, qui fut si grande, était ainsi couchée dans la fange tout en proclamant au reste du monde que Dieu n’était plus le maître et que son lieutenant sur terre gisait dans la fosse commune. Louis XVI eut le malheur, -ou bien la grâce, car tout est providentiel sur cette terre-, de vivre dans le siècle le plus petit de notre Histoire, une petitesse qui éclate au regard de celui qui sait voir et lire au-delà de la jocrisserie prétentieuse des héritiers de cette Révolution qui proclamèrent au contraire sa grandeur. Louis XVI eut le malheur, – ou bien la grâce, car il fut marqué comme serviteur fidèle-, de naître dans un siècle enrubanné, poudré, parfumé, maniéré, tout occupé à attiser la haine, une haine à nulle autre pareille, haine de l’héroïsme, haine de la sainteté, haine de la divinité. Louis XVI eut le malheur, – ou bien la grâce, car les lauriers furent sa seconde couronne-, de grandir dans un temps d’encyclopédies où les beaux esprits dressaient la liste de leurs futures victoires ornées de frontispices consacrés à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. Siècle qui se veut champêtre, celui du retour à la nature bonne par elle-même, siècle de troubadours et de pastoureaux endimanchés contant fleurette à des bergères habillées en marquises, siècle dont l’animal de prédilection fut le singe, bondissant, ricanant, remplaçant Notre-Seigneur sur les autels des salons parisiens où se faisait et se défaisait l’opinion. Siècle de Voltaire qui prépare Robespierre car, avant que le sang ne coulât, il fallait pervertir les âmes et empoisonner les esprits, il fallait dévorer la vérité et les vertus avec un appétit de démon.

Louis XVI grandit en taille et en sagesse devant une cour de Versailles pourrie par cet esprit mauvais, fine fleur de la Régence. Il n’eut sous les yeux que l’exemple du superficiel car tout ce qui était haut faisait alors horreur. Un bon mot, méchant si possible, y était plus apprécié qu’une parole de charité. Plus personne ne semblait rien entendre aux choses du ciel. Il est miraculeux que le Roi ait pu échapper à cette putréfaction des mœurs et des esprits. Il fut préservé de ce fanatisme de petitesse et de mollesse, d’abandon dans les bras des déesses antiques. Lorsqu’il se dresse sur l’échafaud, il est à l’opposé des mièvreries de Greuze et de Boucher et sa tête qui va rouler tout droit dans le panier de la guillotine signe la condamnation d’une époque de ténèbres grimée sous des couleurs sucrées et des ormentations sirupeuses. Cette tête tranchée fait sortir ce monde de sa torpeur, de ses superstitions, de ses idées éclairées si étriquées. La rhétorique des philosophes et des révolutionnaires se heurte violemment à l’instrument du supplice dont le couperet peine sous la tâche. Tous les roseaux pensants du XVIIIe siècle ne peuvent que demeurer muets lorsque le Roi meurt car leur rhétorique de tolérance et de lumière trouve à cet instant sa dénonciation. Le jeune Léon Bloy, déjà lion rugissant, écrit à ce propos : « Sous le masque sanglant d’une rhétorique transcendante poussée jusqu’à l’égorgement et jusqu’à la terreur suprême, l’homme immuable, le misérable Homme de la Chute, suait et haletait dans son éternelle lamentation. » (La Chevalière de la mort) Les rombières auront beau se trémousser dans le sang du Roi, la foire de la Liberté a fait long feu et le peuple parisien comprend de façon confuse que le temps de la grande pénitence s’ouvre avec la mort du Roi. Ce temps n’est pas clos, nous y marchons en chancelant, hébétés, désorientés par le spectacle terrifiant de l’accélération, année après année, de notre chute. Les démocrates sont au pouvoir. Comme le signalait justement Georges Bernanos à un de ses correspondants : « Grattez un démocrate, vous trouverez un théologien. » (Correspondance inédite I, 1904-1934) Comme Louis XVI fut assassiné par haine de ce Dieu qui l’avait investi d’autorité sur ses peuples, les dignes successeurs des bourreaux de la Révolution poursuivent de leur haine tout ce qui est transcendant, à commencer par le respect de la vie humaine innocente. La main qui a apposé la signature de l’acte de condamnation du Roi est la même que celle qui a ratifié l’acte d’inscription de l’avortement dans la Constitution : Moloch mène le monde, et sa voix résonne partout, des palais du pouvoir aux voûtes des cathédrales. Faire couler le sang du Roi fut le premier pas dans l’engrenage du crime parfait, comme si ce dernier pût jamais exister sans être découvert à la fin, et puni pour l’éternité.

Louis XVI, monarque hésitant, trop soucieux de ne pas blesser, souvent mal conseillé, et trahi par les plus proches, n’est jamais aussi glorieux qu’en ce matin du 21 janvier. Il sait et il croit que la gloire de Dieu est de capituler lorsqu’il s’agit de témoigner de la vérité. Alors que partout le blasphème essayait d’atteindre Dieu dans son essence, le Roi courba la tête, vaincu apparemment par la justice des hommes, mais vainqueur car, remettant toute sa confiance en son Seigneur, il participa à la gloire de Dieu. La gloire de Dieu, c’est le miracle sur terre. Le Roi traversa cette mort ignominieuse afin que la gloire de Dieu pût, un jour, irradier en bouleversant ce monde infidèle. Par son sacrifice, accepté, embrassé, il retint le bras de Dieu, mais il ne put empêcher que le choix de ses enfants fût de poursuivre sa longue marche d’épouvante à l’écart de Dieu. Il fut le dernier fruit de cet arbre franc qui bourgeonna, florissant, durant tant de siècles, un arbre croissant de façon naturelle sous le regard de Dieu et non point en suivant un programme rédigé par des imposteurs et des ambitieux se réfugiant derrière une Constitution et une Assemblée. Comme l’écrit Leonardo Castellani, « […] Bien des gens que nous voyons magnifiquement et despotiquement triompher en “politique” ne sont rien d’autre que des démoniaques agités. » (La Vérité ou le néant) La haine formelle de Dieu est le plus grave péché qu’un homme puisse commettre car elle réduit à néant la relation essentielle entre le Créateur et ses créatures, elle supprime la fin ultime et elle bafoue la vertu de charité. Péché du Malin et péché de l’Antéchrist, péché de ceux qui servent l’un et l’autre. Le vœu révolutionnaire est d’« éteindre les étoiles » comme l’avouera plus tard René Viviani, cofondateur de L’Humanité avec Jean Jaurès. Ce souhait prométhéen est promis à l’échec. Les forces démoniaques occultes qui guidèrent le tribunal révolutionnaire se heurtent aux forces de la Foi : les bras levés vers le ciel de l’orant, et les bras en croix des martyrs. Debout près de la guillotine, Louis XVI unit les deux gestes en sa personne. Louis XVI est ici le chevalier. Sans cette chevalerie, la foi ne peut être annoncée et progresser. Mystère douloureux que ce sang versé nécessaire pour que Dieu triomphe en un temps qu’Il choisira.

Il fut souvent reproché à Louis XVI, de façon caricaturale, d’avoir sans cesse inscrit sur son Journal, chaque jour, le mot rien. Or il ne s’agissait ici que de mentionner son tableau de chasse. Admettons cependant que le vide de la Cour le conduisît à ne jamais désespérer du cœur des Français et à regarder le monde de façon débonnaire. Ce Rien serait tout à son honneur car les gesticulations de la société des Lumières ne pouvaient lui apparaître que bien vaines. Ce Rien royal prend toute son ampleur dans la sinistre procession le menant du Temple à la place anciennement Louis XV. Ce Rien devient un Tout, englobant, rassemblant, pacifiant. Il est son avènement, plus que les acclamations de son couronnement rémois. Les tambours de la garde couvrent sa voix en ces derniers instants, mais cela importe peu. Les paroles du Roi n’avaient pas besoin d’être entendues. L’assassinat pompeusement juridique, avec tout son cortège de faux-semblants, de labyrinthe légal manipulé, avec son appareil d’échafaud, couronna Louis XVI d’un diadème impérissable dont les pointes fleurdelysées pénètrent dans le ciel. Ceci est la marque d’une âme d’élection. L’Église, si frileuse depuis qu’elle a voulu composer avec l’ennemi, devrait pourtant reconnaître la mort sainte du Roi, à l’exemple des Russes avec la famille Romanov. Elle ne devrait pas être fonctionnaire de l’État mais honorer un de ses fils les plus fidèles, ceci pour le repentir et la réconciliation des peuples de France. Louis XVI fut non seulement le Roi émissaire pour le péché de ses sujets, mais aussi pour celui de tous ceux qui, dans la race de saint Louis, s’étaient montré indignes de l’onction reçue au sacre. Le Roi confie, dans une lettre au duc de Polignac à l’aube de la Révolution : « Les maux de la France augmentent progressivement d’une manière effrayante ; plus je médite l’histoire de mes aïeux, plus je suis convaincu que nous sommes à la veille de la subversion la plus cruelle dans ses résultats : Il était si facile d’opérer le bien, lorsque moi-même j’allais au-devant de tout ce que le peuple pouvait raisonnablement ambitionner. Je n’ai du moins rien à me reprocher : j’ai tout fait pour étouffer les haines, prévenir les esprits et concilier les cœurs. » Ces traits de caractère, bienfaisance et humanité, absence de mépris et présupposé favorable, étaient un héritage paternel. Ce n’est pas par hasard que la Révolution ait trouvé sur le trône un tel souverain, aux mœurs irréprochables, aux vertus non altérées par la dépravation ambiante, aux vastes connaissances, avec le souci de réparer les dégâts commis avant lui, avec une compassion naturelle propre à un digne fils de saint Louis. Il fallait d’ailleurs que cette Révolution mît à bas un homme juste plutôt qu’un tyran, ceci afin que s’accomplît la destinée du royaume si cher au cœur de Dieu. Seule l’exécution d’un juste pouvait faire jaillir un sang pour le témoignage de la charité et de la vérité. Le Testament que nous avons entendu encore, toujours avec une inaltérable émotion, nous est parvenu quasi miraculeusement car il aurait dû être détruit par ceux qui le reçurent entre leurs mains. Ceux qui le lurent ne purent pas être suffisamment inconscients pour ne pas se rendre compte à quel point ce texte signait leur culpabilité pour les générations à venir. Dans son éloge funèbre du 4 août 1814 Alexandre-Auguste Jamme déclare : « C’est ainsi que la Providence se joue des vains projets des méchants, et qu’elle a tiré des faisceaux de lumière, du sein même des factieux qui avaient fait tant d’efforts pour l’étouffer. Elle a voulu que la gloire de Louis fût propagée par les mêmes hommes qui, par un affreux roulement de tambours, l’avaient empêché de parler à son peuple, fussent les porteurs de l’acte authentique qui dévoile toute son âme aux yeux de l’univers. »

Nul ne sait si le monde reverra un jour quelque chose comme la monarchie chrétienne française. Nous pouvons l’appeler de nos vœux alors que nous sommes encore vêtus des habits de deuil, mais nous devons être honnêtes et reconnaître que cela ne sera point si nous ne retrouvons pas le souffle de la vraie foi et d’une charité qui brûle l’ivraie. Ce n’est point un roi qui rétablira la France chrétienne, mais c’est la France redevenue chrétienne qui remettra à son roi le trône qui lui revient et qu’il n’a jamais perdu. Sans cette conversion des cœurs, des âmes et des esprits, la nostalgie monarchique sera sans effet et se contentera d’attachements utopiques à un passé idéalisé et irréel. Pour se débarrasser de plus de deux siècles de falsification et de mensonge, il faut des âmes de chevaliers, des cœurs de saints. Permettez-moi de citer encore Leonardo Castellani : « En politique, Dieu semble étrangement plus faible que son adversaire. Maintes et maintes fois, les constructions chrétiennes ont été ravagées, et les chrétiens en portent la responsabilité en grande partie, c’est certain ; mais tout ce qui est matériel n’est qu’apparence. Quand le diable fait chauffer la marmite, il oublie toujours le couvercle. Certes, il fit crucifier le Christ, mais le Christ a dit : “Le prince de ce monde n’a sur moi aucun pouvoir, et dès à présent, il est vaincu.” Il y a une ruse de Dieu : caché dans sa manche, l’as de l’épée, carte de la Résurrection. Quand tout s’obscurcit, soyez sûr qu’alors viendra l’aube. Et souvenez-vous de la parabole du figuier. » (Le Verbe dans le sang. La démocasserie libérale, 1962) Depuis ce matin couvert, au front bas, de 1793, le ciel ne s’est jamais déchiré et les ténèbres nous recouvrent peu à peu malgré certaines éclaircies fugaces. Notre pays est transi et si le sacrifice du fils de saint Louis a un sens, le réchauffement doit avoir lieu, y compris en passant à travers bien des tribulations et des épreuves car nous savons que l’Antéchrist règnera avant d’être vaincu. Il est de notre ressort, de notre responsabilité d’insuffler dans notre société la chaleur dont elle a mortellement besoin. Ne nous réfugions pas derrière de faux prétextes, derrière la paresse ou la lâcheté pour ne pas apporter, chacun, notre braise rougeoyante au feu commun, dussions-nous monter un jour, peut-être proche, sur les échafauds modernes. Le chrétien, même dans sa solitude, est porté par toute l’armée de l’Église triomphante, comme Louis XVI, seul, près du couperet mais déjà soutenu par les anges et par tous les élus, non point ceux du peuple, qui ne comptent guère, mais ceux du patronage de Dieu.

 

Au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

 

Jean-François Thomas s.j.

                                                                      5 janvier 2025

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