Pour bien commander, il faut savoir bien obéir !, par Paul-Raymond du Lac
« Pour pouvoir bien commander, il faut savoir obéir. La suite montrera que la réciproque est vraie. » (Père Jean-Dominique, O.P., Le bien commun, Chiré, 2022, p.106)
Commander c’est appliquer la prudence politique, soit la connaissance pratique moral de ce qu’il faut faire dans telle situation et à tel moment. L’homme prudent est d’autant plus prudent qu’il agit comme il faut quand il faut, et son expérience compte donc beaucoup pour savoir comment appliquer les principes à chaque moment.
L’expérience en particulier de l’obéissance est ainsi essentielle, puis qu’ayant appliqué une véritable vertu d’obéissance, on en connaît les difficultés et les nécessités, ce qui permet de commander aux subordonnés pour les aider à pratiquer les vertus, dont la vertu d’obéissance.
Ajoutons encore que tout le monde est chef de quelque chose, mais sujet d’autre chose. Même le dernier des hommes dans la hiérarchie reste maître de lui-même, même l’esclave reste maître de lui-même : chacun a le voir de se diriger, de diriger ses passions et ses pensées pour la perfection.
Sans aller à cet extrême toute personne est chef de quelque chose ou de quelqu’un aussi minime cela soit-il, aussi intermittent cela soit-il : son bout de jardin, des animaux, son carnet de notes, le guichet de réception à une kermesse, une boutique, un cours devant des élèves, quand on cuisine, ce que vous voulait.
Inversement le chef, aussi grand soit-il, est toujours subordonné dans un certain ordre de quelqu’un d’autres ou de quelque chose d’autre : dans les hiérarchies militaires ou civiles tout chef est subordonné d’un plus grand chef, c’est clair. En dernière instance, nous sommes tous soumis, dans l’ordre naturel, à nos limitations corporelles, et à la Nature sans laquelle nous ne pouvons subsister et survivre : tout en nous est dépendance, tant matériellement que spirituellement. Pour rester à la dimension naturelle, nous sommes encore tous soumis à la raison, ce qui permet de comprendre pourquoi un inférieur a le devoir de remontrer son supérieur quand il dévie de la raison : quelque soit la dignité du chef, il est soumis aussi à la raison, et donc n’importe qui peut le rappeler à l’ordre sur ce sujet, en ce faisant comme un émissaire et un sujet de la raison, ce qui lui donne le droit de remontrer – sans que cela remettre en cause un lien hiérarchique quelconque.
Les ordres s’enchevêtrent, et chacun obéit ici, mais commande ailleurs. La mère est soumise au mari, mais commande aux enfants. Les enfants sont soumis aux parents, mais les aînés commandent aux cadets. Et le cadet est soumis à ses aînés, mais peut commander aux domestiques. Et ainsi de suite. Mais même le père de famille sera soumis à sa femme pour les soins aux petits enfants, car c’est elle la maîtresse de ces choses-là, il sera soumis au précepteur quand il enseigne dans son domaine de savoir, même s’il lui commande en tant qu’employeur pour les choses temporelles de savoir quand, où et comment ; mais il ne saurait lui commander dans sa matière.
Nous vous laissons décliner, à l’infini, cette belle harmonie d’obéissance et de commandements, dans les différents ordres. Encore un exemple : le père de famille, comme d’ailleurs tout laïc, sera soumis aux ordres spirituels divins passant par les ministres (la messe le dimanche, l’enseignement doctrinal, etc), mais le clerc sera soumis au laïc quand il rentre chez lui pour des matières temporelles (ce n’est pas le clerc qui décide de la politique familiale – et cela s’étend évidemment à toute relation politique d e plus grande ampleur) ; et en même temps, tout laïc peut remontrer au ministre quand il dévie de la vérité du Christ ou de la discipline de son église, car l’autorité de tous n’est que « vicaire » ou « ministériel ».
Allons plus loin : le bon chef chrétien sera d’autant meilleur qu’il sera obéissant aux commandements divins et aux inspirations de Dieu ; il sera d’autant meilleur qu’il fond sa volonté dans la volonté divine, qu’il devienne obéissant à Dieu jusqu’à supprimer dans une humilité toujours de plus en plus profonde sa volonté propre.
Plus le chef chrétien est obéissant aux préceptes divins, et à Dieu directement, plus il sera sage et commandera mieux selon les desseins divins pour élever les âmes de ses subordonnés en accomplissant ses devoirs de chef à tous les niveaux.
Ainsi même le chef suprême est complètement soumis, et tous les chefs, en chrétienté, quel qu’ils soient et quel que soit l’ordre, sont d’autant meilleurs qu’ils se soumettent à Dieu.
Cette sagesse se retrouve déjà sous la plume de Salomon dans le chapitre 4 des proverbes :
« Écoutez, mes fils, l’instruction de votre père, et soyez attentifs pour connaître la prudence. Je vous ferai un excellent don ; n’abandonnez pas ma loi. Car moi aussi, j’ai été le fils d’un père, le tendre enfant, et comme le fils unique de mère. »
Tout père a été enfant avant de devenir père, et donc soumis à ses parents, ce qui est une bonne raison pour redoubler d’obéissance, et de prudence dans l’application de son commandement. Si on y réfléchit bien, on est tous passé, et on passe toujours tout le temps dans l’ordre spirituel par l’obéissance.
Étant des êtres doués de raison et de volonté, le bon commandement ne sera coercitif que rarement et en cas d’extrême nécessité : sinon il captera au mieux le consentement d’une soumission volontaire d’autant que lui-même a su bien obéir, et donc connaît toutes les difficultés de bien obéir, par humilité et détachement de l’amour propre. Inversement un chef bien humble et sans volonté propre, grâce la pratique de l’obéissance, se fera bien mieux accepter.
Donc plus on sait obéir, plus on sera un bon chef, humble et tranquille, sans volonté propre.
Alors que tout le monde obéisse à Dieu ! Et que tous ceux qui doivent commander tremblent devant le jugement divin ! Et obéissons ainsi bien à tous nos chefs, par charité, pour leur faciliter la tâche, déjà si compliquée, de commander ! Sans oublier que nous sommes aussi des ministres de Dieu vrai, bon et vivants, et qu’il est un devoir, en bon sujet fidèle et charitable, de remontrer avec les formes et avec douceurs, quand il faut, quand son chef dévie – maous sans rébellion ni amour propre ! (il est des cas où le silence est la meilleur posture, car pour remontrer, il faut que le chef puisse entendre, et d’ailleurs l’inverse est vrai : pour expliquer au subordonné un ordre, il faut qu’il soit capable de le comprendre – là l’exercice de la prudence est clef, et au cas par cas…)
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
Merci pour cette réflexion si pleine de bon sens !
Merci pour cette belle réflexion !