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L’Inquisition et les persécutions anticatholiques en Angleterre. De la cinquième lettre de Joseph de Maistre sur l’Inquisition

Les fondamentaux de la Restauration

Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole, Paris, Méquignon Fils ainé, 1822.

De la cinquième lettre de Maistre sur l’Inquisition

Dans cette lettre Joseph de Maistre met au point des réflexions essentielles et perçantes sur des évidences qui ont été obscurcies à propos de la religion et des feux dangereux et faux de la tolérance, écorchant bien agréablement au passage nos chers voisins les Anglais, au cynisme proverbial.

« L’Angleterre tolère toutes les sectes et ne proscrit que la religion (dont toutes ces sectes se sont détachées). L’Espagne, au contraire, n’admet que la religion et proscrit toutes les sectes : comment deux lois fondamentales pourraient-elles être défendues par les mêmes moyens ? »

Remarquons sa force dialectique et sa précision dans l’usage des mots. Il est, en cela déjà, un antirévolutionnaire, les modernes déformant les mots, leur donnant un autre sens, dans le but de distiller une certaines idée des choses.

La religion est, par excellence, ce qui relie Dieu et les hommes. La secte, au contraire, est ce qui se sépare du tronc. La religion par excellence étant la Religion catholique, c’est-à-dire universelle, toute secte se rebellant contre elle, et sortant de son sein, ne peut qu’être une antireligion qui détruit le lien entre Dieu et les hommes. Quel belle démonstration pour faire prendre conscience du problème espagnol ! Toute secte cherchant à détruire l’unité de la Foi dans le royaume est une menace incommensurable, tant pour la société d’ici-bas que pour le Royaume céleste : la tolérance est une chimère coupable, intolérable et en réalité intolérante. Voici les mots que Joseph de Maistre place dans la bouche d’un Espagnol typique :

— « Dieu a parlé : c’est à nous de croire. La religion qu’il a établi est une, précisément comme lui. La vérité étant intolérante de sa nature, professer la tolérance religieuse, c’est professer le doute, c’est-à-dire, exclure la foi. Malheur et mille fois malheur à la stupide imprudence qui nous accuse de damner les hommes ! C’est Dieu qui damne ; c’est lui qui a dit à ses envoyés : Allez, enseignez toutes les nations ! Celui qui croira sera sauvé ; les autres seront condamnés. Pénétrés de sa bonté, nous ne pouvons cependant oublier aucun de ses oracles : mais quoiqu’il ne puisse tolérer l’erreur, nous savons néanmoins qu’il peut lui pardonner. Jamais nous ne cesserons de la recommander à sa miséricorde : jamais nous ne cesserons ni de tout espérer pour la bonne foi, ni de trembler en songeant que Dieu seul la connaît. »
Telle est la profession de foi d’un Espagnol et de quelques hommes encore. »

Quel beau plaidoyer, si actuel ! Que nos contemporains aient la grâce de recevoir au cœur ce cri de vérité, si prophétique, puisque nous subissons aujourd’hui de plein fouet les mauvaises graines de la dite tolérance ! Et quelle juste mesure, preuve de Vérité : seul Dieu damne et l’intolérance est intrinsèque à la Vérité, mais le Seigneur pardonne toujours à celui qui se repent sincèrement ! Tout est dit. Nous ne pouvons que prier pour les contemporains de bonne foi, pour qu’ils aient, à la suite de Joseph de Maistre, la grâce de la transmission et du style : avec ce petit « et quelques hommes encore », de toute élégance, l’auteur souligne que ce n’est pas l’Espagnol qui parle, mais bien le catholique ; ce n’est pas l’Espagnol qui est attaqué dans cette histoire, mais bien le catholique. Aujourd’hui, tout cela est limpide, malheureusement.

Joseph de Maistre enchaîne ensuite sur l’exemple anglais, pour illustrer ce que donne en pratique la politique de la tolérance et de l’irreligion :

« Cette foi suppose nécessairement dans ses adeptes un prosélytisme ardent, une aversion insurmontable pour toute innovation, un œil toujours ouvert sur les projets et les manœuvres de l’impiété ; un bras intrépide et infatigable toujours élevé contre elle. Chez les nations qui professent cette doctrine, la législation se tourne avant tout vers le monde futur ; croyant que tout le reste leur sera ajouté. D’autres au contraire disent négligemment : Deorum injuriae diis cura (« Les injures faites aux dieux sont leur affaire ». Tacit. Annal., Liv. 73). Pour elles, l’avenir n’est rien. Cette vie commune de vingt-cinq ans environ accordée à l’homme attire tous les soins de leurs législateurs. Ils ne pensent qu’aux sciences, aux arts, à l’agriculture, au commerce, etc. Ils n’osent pas dire expressément : pour nous la religion n’est rien ; mais tous leurs actes le supposent, et toute leur législation est tacitement matérialiste, puisqu’elle ne fait rien pour l’esprit et pour l’avenir. »

Il faut replacer ce passage dans son contexte. L’Anglais des XVIIIe-XIXe siècles n’ose pas encore nier la religion clairement et frontalement, mais il n’en est pas loin : toutefois, il feint encore son indifférence religieuse par une pseudo-tolérance, encouragée en cela par les autorités publiques du royaume. Il est à noter au passage que cette critique serrée de l’Angleterre, ici sans concession, contraste quelque peu avec d’autres textes, dans lesquels Joseph de Maistre considère l’Angleterre, malgré ses défauts, comme le pays protestant le plus proche du retour à la communion de l’Église, et il met beaucoup d’espoir dans cette possibilité. Mais passons, et remarquons comment Joseph de Maistre souligne ce qui fait la différence entre le catholique et le protestant : le premier est prosélyte et confiant, tant dans le présent que dans l’avenir, tout en étant toujours dirigé vers ses fins dernière ; le protestant — l’anglican en particulier — se fiche de la religion, éloigne Dieu de la terre et instille ainsi les germes du matérialisme et du présentisme. Supprimer l’optique des fins dernières, c’est escamoter l’éternité, mais c’est aussi détruire toute conscience du futur temporel, qui se réduit progressivement, jusqu’à l’extrême, au point qu’on ne sache plus se projeter à plus de quelques jours dans l’avenir, comme en témoigne tristement notre temps contemporain.

Joseph de Maistre s’étend sur l’hypocrisie de la tolérance anglaise :

« Sous la féroce Élisabeth, l’Anglais qui retournait à l’Église romaine ; celui qui avait le bonheur de lui donner un partisan, étaient déclarés coupables de lèse-majesté. Tout homme âgé de plus de seize ans, qui refusait, pendant plus d’un mois, de fréquenter le service protestant, était emprisonné. S’il lui arrivait de récidiver, il était banni à perpétuité ; et s’il rentrait (pour voir sa femme, par exemple, ou pour assister son père), on l’exécutait comme traître. »

L’Espagne, grâce à l’Inquisition, a évité les flots de sang des guerres de religion, flots dont même l’Angleterre n’a pas été épargnée. Maistre soulève alors une objection qui ne peut manquer de venir :

« Vous direz peut-être : les convulsions de l’Angleterre ont cessé ; son état actuel lui a coûté des flots de sang, mais enfin cet état l’élève à un point de grandeur fait pour exciter l’envie des autres nations.
Je répond d’abord que personne n’est obligé d’acheter un bonheur futur et incertain par de grands malheurs actuels ; le souverain capable de faire ce calcul est également téméraire et coupable. Par conséquent, les rois d’Espagne qui arrêtèrent, par quelques gouttes du sang le plus impur, des torrents de sang le plus précieux prêt à s’épancher, firent un excellent calcul, et demeurent irréprochables. »

En clair, c’est une mise ne garde contre la tendance téléologique, à dimension humaine s’entend — l’interprétation allégorique de la Bible, voire du reste de l’histoire, est encore un sujet différent — dans l’interprétation de l’histoire : c’est-à-dire juger des évènements et décisions passés sur le résultat présent. Pour Joseph de Maistre, il faut juger des décisions politiques passées comme si elles étaient présentes, se fonder sur des critères universels avant de juger sur des critères relatifs et circonstanciels. En effet, l’histoire permet de disposer du recul et de la vue globale nécessaires à la compréhension des évènements, néanmoins, pour juger de ces évènements, il faut pouvoir le faire sur des critères universels, en se plaçant dans la peau des décisionnaires. Faire couler le sang pour rien de la part des rois d’Angleterre fut donc forcément une mauvaise décision ; ce n’est pas le cas en Espagne, où les Rois Catholiques limitèrent la peine de mort à quelques forcenés, dans le but d’éviter le grand déchirement que tant d’autres pays connurent au même moment. La pseudo-prospérité postérieure de l’Angleterre n’a a priori rien à voir, surtout lorsqu’on pense à l’Espagne, l’une des plus grandes nations du XVIIe siècle, devant l’Angleterre

Ainsi, dans l’ordre politique, les décisions furent bonnes d’un côté et mauvaises de l’autre. Nous pourrions nuancer et complexifier cette conclusion mais, en moyenne et selon les critères de vérité universelle, l’Inquisition espagnole fut incontestablement bonne et juste, tandis que les persécutions anticatholiques en Angleterre furent mauvaises mauvaises et injustes.

« Celui qui croit doit être charitable, sans doute, mais il ne peut être tolérant sans restriction. Si l’Angleterre tolère tout, c’est qu’elle n’a plus de symbole que sur le papier des trente-neuf articles. »

Le symbole, c’est la confession de Foi. Le mécréant n’a plus qu’un ersatz de foi et d’identité, dont témoignent encore quelques écrits, mais c’est tout. Les protestants, pour Joseph de Maistre, n’ont en effet d’unité que dans leur haine de la vérité universelle, incarnée et protégée par l’Église, et cela malgré tous les écarts des pêcheurs qui la composent :

« Un des plus grands hommes d’État de notre siècle (quoiqu’il n’ait exercé ses talents que sur un théâtre rétréci), et protestant par sa naissance, me disait jadis : Sans vous nous n’existerions pas. C’était un mot bien vrai et bien profond, il sentait bien que la religion de tous les négatifs quelconques, n’est qu’une haine commune contre l’affirmation ; or si l’on vient à supprimer l’objet d’une haine, que reste-t-il ? Rien. »

Laissons Joseph de Maistre conclure en beauté, sur la tolérance et sur les Anglais, comme il sait si bien le faire, dans un tacle intellectuel d’anthologie :

« […] il faut certainement être doué d’une raison bien indépendante, d’une conscience bien délicate et d’un courage bien rare pour exprimer, avec cette franchise, l’égalité présumée de tous les systèmes, c’est-à-dire, la nullité du sien. […] Or, c’est précisément le cas où se trouve l’Angleterre ; la tolérance dont on s’y vante n’est et ne peut être que de l’indifférence. »

Paul-Raymond du Lac


Dans cette série d’articles intitulée « Les fondamentaux de la restauration », Paul-Raymond du Lac analyse et remet au goût du jour quelques classiques de la littérature contre-révolutionnaire.

Mgr Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État (1911) :

Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole (1822) :

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