Les Provinces défigurées
Il serait injuste d’en vouloir à la république jacobine: elle n’a jamais su s’y prendre avec les provinces françaises. Rappelons-nous: lors de la révolution, la terreur des rues parisiennes avaient imposé à toute la France un régime nouveau dont elle ne voulait pas. Ainsi de la Vendée à la vallée du Rhône, en passant par la Catalogne et la Normandie, les paysans français se sont soulevés pour Dieu et pour le Roi. La conscription n’avait été que la source d’ignition d’un mélange explosif qui ne demandait qu’à être activé.
Alors marianne a centralisé. Elle a dû centraliser : contrairement aux assertions de certains politiciens amnésiques, la centralisation jacobine et parisienne n’est pas une simple erreur d’orientation politique. La centralisation était nécessaire à la révolution pour étouffer la voix des provinces et imposer aux vastes plaines les idéologies mortifères des salons parisiens. Ces salons mêmes qui ont vu le tissu charnel français, héritage de siècles d’histoire chrétienne et royale être charcuté par les inventions parisiennes. Le département n’a pour but que de déraciner le français moyen de sa province et de sa terre, en substituant l’histoire d’une région à des considérations fluiviales: on en revient au paganisme.
Puis la haine républicaine s’est faite plus discrète avec les années, et il n’était plus nécessaire de massacrer les brigands de Vendée (les excellents ouvrages de Reynald Seycher sont très bien documentés et lèvent le voile sur ces épisodes). La Première Guerre mondiale, où les régiments de l’ouest ont été saignés en première ligne (un pur hasard, à une époque où l’on craignait encore les chouanneries) a terminé le travail.
Ainsi le général de Gaulle a proposé une régionalisation, qui a vu le jour quelques années après. Bretagne, Alsace, Aquitaine, Picardie, Provence, Poitou-Charentes, Corse: on en revenait à une certaine réalité que l’histoire n’avait pas encore enterrée. Ce n’étaient pas les Saintonge et autres Comtat-Venaissin d’ancien régime, mais on avançait, tout en gardant le département que les français se sont appropriés.
Et voici que le président de la république française, François Hollande, souhaite adapter la France et son “mille-feuille territorial” aux exigences économiques et européennes. On comprend bien, par ailleurs, l’intérêt bruxellois de favoriser des “super-régions”: ce qui reste de la réalité nationale, prise en sandwich entre “super-région” et Europe, aura tôt fini de disparaître complètement.
La carte a été rendue publique en début de semaine, et a été dessinée à la va-vite: les journaux régionaux, dixit le Figaro, ont reçu les paroles présidentielles avant la finition de ladite carte…Celle-ci constitue un véritable scandale.
On est plongé dans la bêtise bureaucratique et déracinée de la république. Plongé entièrement. Si la fusion des deux Normandie est très souhaitable (l’existence de deux entités était aberrante), des incompréhensions se font entendre. Pourquoi créer des régions immenses, englobant trois anciennes régions administratives, et laisser le Nord-Pas-de-Calais seul ? Pourquoi la Loire-Atlantique restera détachée de la province bretonne ?
Et quel nom porteront les immenses régions ? Ira-t-on puiser dans l’histoire ou les conseillers de François Hollande en inventeront-ils de nouveaux ?
Il ne s’agit pas de reconstruire le tissu français exactement tel qu’il était avant 1789. Les exigences économiques sont importantes et la contribution de Jean-Christophe Fromantin, maire UDI de Neuilly-sur-Seine, le décrit très bien en réclamant “une métropole ouverte sur le monde pour tirer chaque région”).
Toujours est-il que les inventions de technocrates n’ayant jamais traversé le périphérique pourraient très mal passer au travers de la France, car les populations pourraient mal digérer les expériences de petit chimiste entreprises par l’Elysée.
Concluons en paraphrasant Didier Barbelivien: le palais de l’Elysée parle de la France comme si elle était à lui, la Bretagne, la Provence, ses forêts, ses cailloux. La France n’est pas une île entre Moscou et les Etats-Unis.
Julien Ferréol