Chretienté/christianophobiePolitique

Le rôle de l’avocat dans l’Inquisition, par Paul de Lacvivier

L’Inquisition : le tribunal le plus juste de l’histoire

Introduction

Partie 1 : La finalité du procès inquisitorial

« Le rôle de l’avocat est de presser l’accusé d’avouer et de se repentir, et de solliciter une pénitence pour le crime qu’il a commis »

Le traducteur, utilisant le préjugé selon lequel l’avocat est là pour assurer un procès équitable, tire cette citation de son contexte et donne une impression faussée, à charge. Regardons l’ensemble du texte, pour nous faire une opinion objective. Voyons les pages 184-186.

« 31. Admission d’un défenseur

Le fait de concéder une défense à l’accusé est aussi une cause de lenteurs dans le procès et de retard dans la proclamation de la sentence. Cette concession est parfois nécessaire, parfois superflue. 

Lorsque l’accusé avoue le crime — qu’il ait été convaincu ou non par des témoins — et que ses aveux correspondent bien aux accusations portées, il est superflu de lui concéder un défenseur pour parler contre les témoins. En effet, ses aveux sont bien plus probants que les dépositions des témoins. Lorsqu’il nie son crime, qu’il y a des témoins favorables à l’accusé et que celui-ci demande à être défendu, qu’on le croie innocent ou opiniâtre, impénitent ou méchant, il doit pouvoir se défendre : on lui concédera une défense juridique.

On lui désignera un avocat probe, non suspect, expert en droit civil et en droit canon, et connu pour sa grande piété. On nommera également un procureur. Les noms de l’un et de l’autre ne figureront pas dans les actes du procès ; pas davantage, on le sait, que ceux des délateurs — cela afin d’éviter les représailles de la part des forces dont puissent disposer les dénoncés (si aucun danger ne semblait devoir s’ensuivre, l’inquisiteur consignerait tous les noms dans ses actes).

Nous entendons ici par « pouvoir » celui de l’argent et de la méchanceté. On devine sans peine ce qu’il pourrait arriver aux témoins et au procureur si leurs noms figuraient sur l’acte public, dans le cas où les complices de l’accusé n’auraient rien à perdre ; dans le cas aussi où l’accusé serait un puissant — soldat, riche, marchand… Ce sont des choses dont l’inquisiteur fait tous les jours l’expérience.

On fera donc bien attention, avant d’envisager la publication du nom des délateurs et de la défense, à la condition personnelle de l’accusé : que l’on tienne compte de sa méchanceté, que l’on considère s’il s’agit d’un pauvre diable (simplex pauper) ou d’un riche, s’il appartient à un groupe de brigands, etc.

Que l’accusé d’hérésie n’aille pas croire qu’il peut facilement récuser les témoins, car on ne récuse jamais les témoins dans la procédure inquisitoriale, hormis le cas d’inimité mortelle. Tout le monde est admis à témoigner en faveur de la foi. Tout le monde, même les infâmes, les criminels de droit commun et leurs complices, les parjures, les excommuniés, tous les coupables de n’importe quel délit. On ne récuse que le témoignage d’un ennemi mortel, de celui, je veux dire, qui a déjà attenté à la vie de l’accusé, qui lui a juré la mort, qui l’a déjà blessé, etc. Dans ce cas, en effet, et dans ce cas seulement, on présume que le témoin demeure dans le même projet en imposant à son ennemi le crime d’hérésie.

Les autres inimités affaiblissent un peu le témoignage, certes, et on ne leur accorde pas une valeur absolue, mais un témoignage d’inimitié, joint à d’autres petits indices et à d’autres dépositions, peut être parfaitement probant.

Une enquête supplémentaire sera menée par l’ordinaire lorsque l’accusé prétendra faire récuser un témoin à charge sous prétexte qu’il est ou qu’il a été son ennemi mortel. Il appartient à l’ordinaire ou à l’inquisiteur d’établir la vérité ou la fausseté de cette inimitié et d’en déterminer la gravité.

XVI. Des aveux plus probants que tout témoignage ? Dans les autres tribunaux, le seul aveu ne constitue pas une preuve suffisante du délit (toutefois, dans un cas d’homicide, l’aveu du criminel suffit, si on dispose du cadavre de la victime). Devant le tribunal de l’Inquisition, l’aveu de l’accusé suffit à le faire condamner. Le crime d’hérésie se conçoit dans l’entendement et se cache dans l’âme : il est donc évident que rien ne le prouve mieux que l’aveu de l’accusé. Eymerich a donc parfaitement raison de parler d’inutilité absolue[1] d’une défense.

Si avocat il y a, il faut qu’il soit très croyant, dit Eymerich. On exclura de l’Église, a fortiori du tribunal inquisitorial, tout avocat hérétique ou suspect d’hérésie, ou diffamé. On s’assurera que l’avocat soit d’un bon lignage, de très vieille souche chrétienne[2].

Si l’avocat avoue, il n’a pas besoin d’avocat défenseur. S’il ne veut avouer, il sera trois fois sommé de le faire. Après quoi, s’il maintient ses dénégations, l’inquisiteur lui attribuera d’office un avocat assermenté à son tribunal. L’accusé communiquera avec lui en présence de l’inquisiteur. L’avocat, quant à lui, prêtera serment — bien que déjà assermenté — à l’inquisiteur de bien défendre l’accusé, de garder le secret sur ce qu’il verra et entendra. Le rôle de l’avocat est de presser l’accusé d’avouer et de se repentir, et de solliciter une pénitence pour le crime qu’il a commis.

Eymerich précise que l’on nomme aussi un procureur. Dans les instructions de 1561, le Sénat inquisitorial madrilène constate que, dans l’affaire inquisitoriale, le rôle du procureur est devenu insignifiant et il suggère que l’on ne procède plus, sauf dans des cas extraordinaires, à sa nomination. Les avocats inquisitoriaux se chargent aussi des procurations.

En revanche on nommera toujours un curateur pour tout accusé âgé de moins de vingt-cinq ans. Il assistera le mineur afin qu’il dise ou qu’il taise ce qu’il dirait certainement ou ce qu’il tairait certainement s’il était d’un âge plus mûr, et par conséquent plus capable de songer son propre intérêt[3]. »

Nous remarquons d’emblée que la phrase remise dans son contexte n’évoque pas du tout la même chose que tirée de son contexte : tout est fait pour le salut de l’âme de l’accusé d’une part, et ce salut de l’âme, qui passe par la pénitence, le sauve aussi de toute peine temporelle.

Nous comprenons aussi, via le secret regardant les témoins et défenseurs, comment fonctionne l’hérésie en pratique : on pourrait aujourd’hui comparer les sectes hérétiques à des cartels de drogue, des gangs ou des clans, voire à des bandes terroristes, d’où les précautions pour protéger les témoins par exemple. De nombreux inquisiteurs sont d’ailleurs tués au cours de l’histoire, tels saint Pierre de Vérone (en illustration de l’article), saint Pierre d’Arbues ou le bienheureux Antoine Pavoni. D’où les différences de procédures avec le civil. N’oublions pas que les réseaux hérétiques excellent dans l’art de se cacher et reposent historiquement, dans le sud de la France part exemple, mais aussi en Espagne, sur des réseaux familiaux de type clanique ou des sociabilités bien structurées.

L’importance de l’aveu provient de la matière spécifique de l’hérésie, qui est par excellence de for intérieur, avec des conséquences externes, comme la subversion du bien commun et de la société — d’où les tribunaux —, mais qui nécessite un aveu pour être matérialisé en droit.

On remarque au passage que les accusés sont souvent des gens d’importance, que leur position ne protège pas.

On remarque encore qu’à la différence de la conception moderne de l’État ou de la politique, il n’y a pas d’opposition entre les juges et les avocats par exemple, ou les dirigeants et les dirigés, mais une collaboration. On remarque encore que la réputation avait un sens, dans un monde où l’action valait plus que la parole, et où la morale profondément nourrie de catholicisme permettait de donner du crédit à une réputation — ce que nous avons du mal à imaginer dans un monde où tout est inversé, et où, trop souvent, le crédit « public » d’une personne pousserait plutôt à se méfier de ses qualités.

Ainsi, le sujet de l’avocat est un non-sujet : le but est le salut de l’âme de l’accusé sans que la justice ne soit blessée : et le paragraphe parle des cas pratiques où il est bon ou non de donner un avocat pour l’accusé et pour la justice, sans qu’il n’y ait rien d’absolu. Sont donc prises en compte les stratégies d’obstruction systématique et de mauvaise foi de l’accusé pour ralentir la procédure et gagner du temps : ce qui est, somme toute, une preuve supplémentaire de la volonté pratique d’équité. Cela nous parle d’autant plus à notre époque que la procédure semble être devenu un outil pour empêcher la justice d’être faite dans les mains des criminels, quand les mêmes procédures sont ignorées pour les ennemis politiques.

À suivre…

Paul de Lacvivier


[1] On aimerait voir le texte en latin… Nous avons ici l’exemple d’une traduction particulièrement malveillante.

[2] Note du traducteur : C’est des cristianos viejos qu’entend parler l’éditeur romain. Il est remarquable que la glose romaine ayant vocation universelle n’évoque jamais qu’en passant cette distinction espagnole entre cristiano viejo et simple fidèle. Par ailleurs, Peña ne se propose pas, dans l’édition d’Eymerich, la moindre théorisation de cette discrimination typiquement péninsulaire.

[3] À son époque, intérêt « spirituel » certainement, puisque le curateur peut être l’avocat, or l’on vient d’apprendre en quoi consiste le rôle de l’avocat dans les procès inquisitoriaux.


L’Inquisition : le tribunal le plus juste de l’histoire :

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.