Divorces à la française
Celui entre l’entreprise et l’État.
« Dans le monde actuel il n’y a pas que les entreprises qui sont en concurrence, il y a aussi les États ».
Cette théorie, émise en 1986 par A. Madelin à l’époque ministre de l’Industrie, s’appuyait sur l’exemple de l’Irlande qui offrait des conditions fiscales ultra avantageuses aux sociétés implantées sur son territoire.
Dans le monde d’aujourd’hui encore plus ouvert, dans lequel plus d’États sont en compétition pour attirer les entreprises, la guerre économique moderne se joue sur deux fronts, attractivité entre les États et prix entre les entreprises.
Aux armes financières classiques, monnaie, fiscalité, subvention, coût de la main-d’œuvre, les États ont ajouté celles des nouvelles technologies à l’image des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste) aujourd’hui déjà extraits aux États-Unis et demain en l’Angleterre, qui vient de délivrer 27 permis de forage.
Une conséquence du vagabondage des entreprises sur une planète sans frontière est le divorce entre leurs intérêts et ceux de leurs pays d’origine, notamment en matière d’emplois.
Celui entre l’entreprise et le citoyen.
La trinité citoyenne réunit en une seule personne le salarié, le consommateur et le contribuable.
Le premier veut gagner plus alors que l’entreprise cherche à contenir son prix de revient.
Le second exige des prix toujours plus bas quand l’entreprise cherche à préserver ses marges.
Le troisième revendique le maintien d’une protection sociale généreuse mais, pour ne pas assécher son pouvoir d’achat, rechigne à s’acquitter des impôts et taxes qui la financent.
Enfin les entreprises cotées doivent compter avec les actionnaires qui guettent leurs dividendes.
En période de croissance quasi nulle, ces conflits d’intérêts tournent au drame : en attendant des jours meilleurs l’entreprise rogne ses marges pour fidéliser ses clients consommateurs, lâche du lest sur les rémunérations pour motiver ses salariés et sur les dividendes pour éviter d’être massacrée en bourse. Résultat, faute de marges pour investir, ses gains de productivité sont insuffisants pour compenser ses largesses envers ses salariés, ses clients et ses actionnaires ; la suite de l’histoire s’inscrit dans les chiffres du chômage. Et que font les politiciens pour briser ce cercle vicieux ?
Eh bien ils organisent…
Le divorce entre la politique et le citoyen.
D’abord parce qu’ils se sont constitué prisonniers des règles du jeu de l’UE ; depuis le Traité de Maastricht tous les présidents français ont contribué à réduire la marge de manœuvre de leurs gouvernements en matière de politique économique. Dernier en date, F. Hollande qui, frappé d’amnésie, oublia ses promesses et ratifia le pacte européen de stabilité budgétaire.
Ensuite parce que le président élu, après avoir été sélectionné au cours d’une primaire par au plus quelques dizaine de milliers d’encartés, ne rassemble même pas la totalité de sa clientèle électorale sous son nom. Ce qui ne l’empêche pas de s’autoproclamer président de tous les Français, les pour, les contre, les futurs cocus de son parti qui ne l’ont pas sélectionné… et aussi des abstentionnistes déjà divorcés d’une classe politique si prompte à promettre pour s’emparer du pouvoir mais si frileuse à l’exercer une fois en place…
Depuis le choc pétrolier de 1979, tous les gouvernements de droite comme de gauche se sont cassé les dents sur quatre hausses, chômage, déficits commercial et budgétaire, dette publique. Devant ce manque de résultats, les Français ont progressivement réalisé que leurs gouvernants ne pouvaient pas maîtriser toutes les conséquences d’évènements extérieurs, qu’ils soient planétaires : mondialisation des échanges, concurrence des pays émergents, guerre des monnaies, cours des matières premières… ou européens : souveraineté monétaire transférée à Francfort, transcription en droit français des directives de Bruxelles, accords de Schengen…
S’ils ont compris qu’une part du pouvoir échappait à la classe politique nationale ils ne comprennent pas que les candidats en campagne électorale persistent à faire des promesses intenables parce qu’elles ne tiennent pas compte de la réalité des contraintes extérieures. Plus que le manque de résultats, ce déni de réalité est la cause majeure du divorce entre les hommes politiques du pays légal et les électeurs du Pays réel.
Le divorce franco-russe.
Le problème c’est la Russie de Vladimir.
En Ukraine où B. Obama (Bob dans la suite de l’exposé) souhaite installer l’OTAN et Angela quelques entreprises allemandes en quête d’une main-d’œuvre bon marché. Vladimir n’étant pas d’accord, Bob et Angela sanctionnent la Russie et François, dont on sait l’attachement aux valeurs du mariage, suit le mouvement pour éviter le divorce du couple franco-allemand.
En Syrie, afin qu’éclosent les fleurs du Printemps arabe, Bob et François armaient les rebelles de « l’opposition modérée » pendant que Vladimir cherchait à calmer le jeu en invitant Bachar et ses opposants à négocier.
Pour Bob et François pas question de discuter avec Bachar, d’abord c’est un monstre et ensuite il suffit d’attendre sa défaite sous les coups des rebelles et des islamistes de Daech qu’il convient de ne pas frapper en Syrie. Et encore moins depuis l’intervention du Hezbollah iranien aux côtés des troupes de Damas qui pourrait retarder la chute du régime. Sans compter qu’à Tel Aviv B. Netanyahou, dit Bibi pour les intimes, ne comprendrait pas que Bob et François tapent sur un adversaire de l’Iran. Et surtout depuis le 14 juillet dernier où, à Vienne, au terme d’une douzaine d’années de négociations sur le dossier nucléaire et en dépit des efforts de L. Fabius pour freiner les discussions, un accord « historique » a été signé entre l’Iran et le groupe des six, Angleterre, France, Allemagne, Chine, États-Unis et la Russie avocate de Téhéran dans cette affaire.
Pour Bibi « Israël n’est pas liée par un accord qui est une erreur historique […] parce que l’Iran continue de chercher à nous anéantir ».
Erreur ou pas, cet accord consigné sur plus de cent pages est suffisamment ambigu pour que Bob ait pu rassurer son copain Bibi et conforter Fabius dans ses réticences en déclarant « ce n’est pas un accord fondé sur la confiance mais sur la vérification » (Ndlr : les contrôles qui seront effectués par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique).
Pour la France, reste à savoir où délocaliser les services du Quai d’Orsay : Washington, Berlin ou Tel Aviv. Au moins ceux qui ne sont pas encore installés à Bruxelles.
Le divorce franco-français.
Divorcer, du latin « divortium » : séparation.
Exemple historique, la Révolution de 1789 fut à l’origine de la séparation de Dieu et de la France, de l’Église et de l’État, de l’art et de la beauté.
Divorcer est aussi faire table rase du passé et construire un avenir sur de nouvelles bases.
Ainsi, pour acter la naissance d’une France nouvelle, les révolutionnaires ont pris une page blanche sur laquelle les Lumières ont posé le mot raison et les droits de l’homme ; comme il fallait lui donner un nom qui ne soit pas de baptême, ils ont retenu celui de République Française.
Pourtant c’est d’abord par amour de la France que les Poilus, et tant d’autres soldats avant, après et sur tant d’autres fronts, ont fait le sacrifice de leur vie. Amour de la France nation et patrie… à cet instant je laisse la plume à Fustel de Coulanges qui écrivait en 1870 :
« Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c’est ce qu’on aime. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française », et la parole à Ernest Renan qui, dans un discours prononcé à La Sorbonne en mars 1882, déclarait :
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
Malgré l’Internationale socialiste de Marx et « la nation voilà l’ennemie » de Rockefeller, l’amour de la patrie était encore chevillé au cœur d’une majorité de Français vers la fin des années 50.
Un peu plus tard Sartre encensait « les porteurs de valise du FLN », unique « interlocuteur valable » avec lequel de Gaulle traita. Six ans après l’air d’Évian polluait le Quartier Latin.
Les fils de la Révolution avaient réalisé que les grands ancêtres n’avaient pas écrit l’acte de naissance sur une page blanche mais sur une feuille de papier à entête de la France.
Afin que le mot abhorré soit oublié, ils ont taillé dans l’enseignement de l’Histoire et pour éviter une éventuelle rupture d’amnésie, ils ont inventé la repentance envers un passé présenté comme une succession d’heures plus sombres les unes que les autres.
À partir de là, même la transmission de l’héritage culturel fut considéré comme une atteinte au libre choix des citoyens, quant au souvenir des racines chrétiennes dont l’odeur nauséabonde agresse le nez délicat de B. Cazeneuve…
Pour meubler le vide ils ont institué les valeurs de la République dont on cherche toujours le contenu spécifique. Qu’importe, elles seules éclairent vos pensées ; d’ailleurs pour vous éviter l’effort de penser, ils ont revu l’apprentissage de la langue française, outil par lequel la pensée s’exprime.
Résultat, la France n’étant plus digne de notre amour, il suffit d’aimer la République Française pour vivre ensemble. Le hic est, qu’il soit sans sel, sans sucre ou sans matières grasses, on n’aime pas un régime, on le subit ; et péniblement quand il s’agit d’un régime politique sans idées et sans volonté autres que celles de gagner quelques points dans les sondages.
Pour remettre le pays en ordre de marche, il faut vaincre les forces centrifuges, corporatismes, avantages acquis, communautarismes…, faire accepter des sacrifices équitablement partagés et persévérer dans l’effort.
Pour que ce qui est nécessaire devienne possible, la voix du Pays réel devra préalablement prononcer la nullité du divorce franco-français afin qu’après avoir retrouvé l’amour de la France, les Français redécouvrent l’envie de faire fructifier et transmettre l’héritage qu’ils ont reçu à leur naissance.
Contre la coalition des rongeurs installés dans le fromage de la République, des médias et des apologistes de la culture contemporaine, la guerre de libération de la voix du Pays réel sera difficile et longue ; c’est pourtant le prix à payer pour que, dans la France de demain, nos enfants ne soient plus déshérités du legs accumulé par leurs anciens, souvent au péril de leur vie.
Prends ton fusil Grégoire
Prends ta gourde pour boire…
Pierre Jeanthon