Politique

Culture de sécurité ? (3)

Le pouvoir républicain est extraordinaire. Il ne se documente pas, il n’analyse pas, il ne planifie pas, il réagit. Ça serait risible si ce n’était pas tragique. Face à une situation de désordre il ne sait faire qu’une chose : envoyer des CRS ou des Gardes Mobiles. Il arrive que cela se justifie. Quand même. Ainsi, lorsque des émeutes urbaines embrasent certaines banlieues, l’urgence consiste à rétablir l’ordre, retrouver la maîtrise du terrain, et traduire les meneurs devant la justice. Pourtant, il y a des situations qui mériteraient une autre approche. Seulement voilà, il est difficile de lutter contre des réflexes pavloviens, de cesser de croire aux recettes magiques.

Ainsi, fin juin, le premier ministre se trouvait en Guadeloupe. C’est que la situation y est catastrophique. Le chômage frappe 30% de la population active et il monte à 60% chez les jeunes. Du coup, la population étant désœuvrée, elle tombe dans les addictions. Ainsi, la Guadeloupe présente le plus fort taux de psychoses alcooliques avec un taux de prévalence de 16,9 pour 100.000 habitants, la moyenne métropolitaine étant de 6,6. Quant aux drogues, si le taux de prévalence (49,5 pour 100.000h) toutes drogues confondues est moins élevé qu’en métropole (65,8), bien qu’inquiétant, le cannabis représente 40% de la consommation, héroïne et crack 33%, héroïne et opiacés divers 26%. Miracle de l’organisation, c’est en Guadeloupe et en Guyane qu’on trouve la plus basse densité de psychiatres, à raison de 6 pour 100.000 habitants. Cerise sur le gâteau, le nombre de lits en psychiatrie a connu une baisse de 8,1% en hospitalisation complète et 17,5% en hospitalisation partielle. 82% des hospitalisés ont moins de 25 ans, 83,4% sont âgés de 25 à 44 ans. Enfin, et c’est plutôt édifiant, le taux de prévalence des hospitalisations d’office est de 53,4% pour 100.000 habitants de 20 ans et plus, alors qu’il n’est que de 19,6 pour la métropole.

Toutes ces données sont publiques, il suffit de se donner la peine de les rechercher, de les consulter, de les compiler. Je gage que l’Etat, et tout particulièrement les services du premier ministre, dispose d’une armée de fonctionnaires en charge de l’étude de milliers de données de toute sorte. Aussi, on ne peut que s’étonner de ce que M. Ayrault ait annoncé à Pointe-à-Pitre l’envoi de policiers et d’un escadron de gendarmerie supplémentaires en Guadeloupe. Certes, il y a une recrudescence d’activités relevant de la délinquance, mais a contrario de certains quartiers métropolitains où on peut parler de montée du crime organisé, de mise en coupe réglée, ce qui se passe en Guadeloupe ainsi que les solutions relèvent d’un autre domaine que celui de la sécurité publique. Tout le monde sait que l’économie est aux mains d’une poignée d’individus grâce à leurs relations (sans oublier quelques petits cadeaux et services) avec des politiciens métropolitains. De fait, au lieu de permettre à ces territoires de se tourner vers des importateurs proches, tout est importé depuis la France, ce qui ne contribue pas à la constitution d’un coût de la vie raisonnable. Les DOM-TOM vivent du tourisme et ne produisent rien ou si peu, du coup, l’emploi est réduit, d’autant que bon nombre de postes de la fonction publique sont occupés par des métropolitains attirés par le climat, le salaire, la majoration de la retraite et autres menus avantages.

Ainsi donc, pour M. Ayrault, la réponse à la misère, c’est la matraque pour tous. C’est certainement plus simple que de monter un plan Marshall pour créer une véritable économie qui ne fonctionne pas sous perfusion. C’est moins compliqué que de se fâcher avec les politiciens locaux qui bizarrement tiennent non seulement les fiefs électoraux mais également les entreprises. C’est moins hasardeux que de risquer la grogne des fonctionnaires métropolitains en leur fermant la porte de ces paradis ensoleillés où ils peuvent se monter un véritable petit pactole sur le dos du contribuable et aux dépens des guadeloupéens forcés de s’exporter. Et puis quelques pandores de plus, ça coûte moins cher que la création de lits d’hôpitaux, l’installation de médecins spécialisés dans les addictions, de psychiatres. Et si ça ne suffit pas, vont-ils envoyer Manuel Valls ?

Pascal Cambon

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