Bicentenaire, ou Le non-mystère Napoléon
Cette année, nous célébrons le bicentenaire de la mort de Napoléon. Mais, que retenir de l’Empereur pour notre temps ? Il nous donne beaucoup d’enseignements nécessaires à la compréhension de la catastrophe qui se déroule sous nos yeux.
Napoléon était certes talentueux, mais pas spécifiquement génial. Il fut avant tout le produit de ce que l’Ancien Régime faisait de meilleur : Napoléon, petit noble désargenté de Corse, profita d’une bourse royale pour étudier dans les meilleures écoles militaires du temps. Son talent de chef militaire ne venait pas de nulle part, en effet, et se fondait sur les meilleures études de son époque, à l’école des plus grands stratèges, qui avaient déjà posés toutes les bases de ce que Napoléon ne fit ensuite qu’appliquer — ce qui ne remet pas en cause son talent dans l’application.
Napoléon illustre aussi parfaitement l’assimilation d’Ancien Régime, car, né en 1769, soit un an après l’acquisition de la Corse par la France, Napoléon aurait pu être italien. Il lisait un stylo à la main, et surtout lisait tout et n’importe quoi, dont peu d’ouvrages militaires. Sa mémoire fit le reste, et ses connaissances extensives lui furent toujours d’un grand secours sur les champs de bataille. Il ne faut jamais se borner à une spécialité pour réussir !
Facteur de sa réussite plus tard, il était de l’extérieur. Bien que plus Français qu’Italien, puisqu’il quitta la Corse pour Paris à 11 ans, pour ne plus y revenir qu’à l’âge adulte, il connaissait tout de la France, mais n’avait rien à faire des révolutionnaires, ni de la monarchie, qu’il considérait comme le nouveau maître illégitime de sa Corse natale.
Autre facteur de réussite : il était trop jeune au début de la Révolution pour se mouiller dans les événements, qu’il regarda de loin, et il réussit à ne pas trop se compromettre avec les jacobins à l’apogée de la Terreur. En même temps, il put tout observer de loin, sans s’impliquer ni d’un côté ni de l’autre. C’est ce qui lui permit de tromper tout le monde, un peu plus tard, en se faisant passer, au gré des circonstances, pour un révolutionnaire ou pour un garant de l’ordre, voire un crypto-royaliste.
Néanmoins, Napoléon fut foncièrement révolutionnaire : si sa culture superficiellement catholique ne le rendait pas aussi hargneusement anticatholique que les jacobins — qui devinrent d’ailleurs un repoussoir absolu pendant longtemps après la Terreur —, il était imprégné des Lumières, comme la plupart de ses contemporains lettrés, et il sut manœuvrer l’Église pour le plus grand malheur de cette dernière.
Napoléon fut pratiquement le sauveur de la Révolution : il permit à la Révolution non seulement de ne pas périr en évitant la Restauration, mais il la répandit et lui donna un prestige à travers toute l’Europe. Disons-le : Bonaparte empêcha au moins cinq fois la Restauration de se produire : Vendémiaire en 1795, Fructidor en 1797, Brumaire en 1799, l’assassinat du duc d’Enghien et l’Empire en 1804 (plus le concordat, qui empêcha toute restauration) et les Cent-Jours.
Il ne faut pas se faire avoir par les aspects « conservateurs » de Napoléon : il fut toujours soutenu par les révolutionnaires historiques et les jacobins, dans tous ses gouvernements jusqu’à l’Empire. Les révolutionnaires le voyaient comme le champion de la Révolution, le César sauvant la République contre la Restauration, contre l’invasion. Prenons l’Empire : la création d’une nouvelle dynastie fut encouragée par les révolutionnaires de toujours, car ils craignaient que, à la mort de Napoléon, la Restauration se réalisât. Tant qu’à restaurer un régime monarchique, autant qu’il fût révolutionnaire et moderniste ! Cela n’a rien de contradictoire : pour le révolutionnaire qui veut faire perdurer la révolution, la monarchie, qui est le meilleur régime pour faire durer les choses, est idéale. Ce qui importe, c’est que cette monarchie soit révolutionnaire, et elle le fut. Tout Napoléon est là.
- Le Concordat fut une catastrophe pour l’Église et pour la Foi. Il ne faut pas le mettre au crédit de Napoléon : n’importe quel gouvernement aurait été obligé de composer avec l’Église à ce moment-là dans une France qui reste unanimement catholique. C’est un peu comme dire qu’en 1945 c’est un exploit de ne pas avoir déclencher une nouvelle guerre : non, plus personne ne voulait de guerre, la pire des politiques n’aurait pas permis une guerre.
- Ce Concordat fut hautement pervers : tromperie de l’Église et des fidèles, relégation officielle de la religion catholique au niveau des autres (celle-ci profitait encore de sa position monopolistique, mais c’est tout, on ne reconnaissait plus ses statuts de Vraie Religion, ni de Religion historique de la France : cela empêcha par la suite toute restauration de l’Autel au côté du Trône).
- Ce Concordat (et les articles organiques), avec les guerres, endormit les non-révolutionnaires, voire les contre-révolutionnaires, qui purent se faire avoir, complaisamment, par une apparente tranquillité retrouvée. Les clercs furent manœuvrés magnifiquement : on laissa les prêtres dire la Messe, ainsi ils cessèrent de soutenir la contre-révolution. Mal leur en a pris !
- Le sacre pseudo-impérial fut une parodie honteuse. Le pauvre pape Pie VII fut utilisé comme un faire-valoir, qui donna une apparence de légitimité à l’Usurpateur. Tout ce qui plaît chez Napoléon, c’est en fait une mauvaise imitation de l’Ancien Régime.
- Le Code civil fut une catastrophe révolutionnaire, consacrant à jamais la loi positive comme absolue, tout en niant les coutumes particulières, fondant des scléroses qui devinrent plus tard des prétextes pour les marxistes et autres enragés de toute jeter. Ne nous leurrons-pas : ce n’est pas parce que les diverses institutions napoléoniennes, comme celle du mariage civil, se fondent par force — ils étaient tous catholiques au départ — sur les bons fruits christiques, que le Code civil est bon par nature. Au contraire ! Il est d’autant plus pervers qu’il use de systèmes modérément mauvais, mais coupés de la sève des sacrements, et installe donc une logique purement révolutionnaire dans les rapports de force. La religion du Code civil est d’ailleurs bien ridicule ! Ledit Code est aujourd’hui en lambeau, il n’a pas tenu. C’est bien la preuve qu’il n’a jamais rien fait tenir. Seules la Foi et la Loi naturelle peuvent faire tenir une société durablement.
- Les guerres napoléoniennes furent catastrophiques. Des millions de morts. La généralisation de l’horrible conscription, donnant un avantage militaire certain à la France moderne, mais ouvrant la guerre totale du XXIe siècle, et ruinant toute la civilisation catholique de la guerre juste. Sans compter la déstabilisation sans retour de l’ordre mondial, et l’absurdité sans suite de ces guerres vouées, dès le départ, à l’échec.
« Déjà désabusé, Carnot pressentait que la liberté serait pour beaucoup une compensation médiocre. Il disait : « Un bien imaginaire. »
Ainsi, la Révolution ne peut renoncer à ses conquêtes sans se détruire elle-même. Si elle y renonce, il n’y a plus qu’à rappeler les Bourbons. C’est le sens du refus que Napoléon, moins de vingt ans plus tard, opposera aux Alliés quand ils offriront la paix à condition que la France revienne à ses anciennes limites. La Révolution expirante enchaîne ses successeurs à la guerre éternelle. C’est le sens du refus que Napoléon, moins de vingt ans plus tard, opposera aux Alliés quand ils offriront la paix à condition que la France revienne à ses anciennes limites. La Révolution expirante enchaîne ses successeurs à la guerre éternelle. Il faudra que l’Angleterre soit vaincue ou que la Révolution le soit. Napoléon tentera de mettre l’Angleterre à genoux par le blocus continental, et le blocus continental le conduira à entreprendre la soumission de l’Europe entière. Ce sera encore un héritage de la Révolution. Déjà, par un décret rendu le 9 octobre 1793, sur la proposition de Barère, les marchandises d’origine britannique ont été prohibées et Clootz avait dit que cette mesure devait être imposée aux neutres pour « détruire Carthage ». En 1796, la même prohibition sera renouvelée. L’empereur n’inventera ni cette politique ni ce système. Mais l’Empire sera nécessaire pour les continuer. »[1]
- Rongé par la gloriole et l’ambition, Napoléon ne lâcha jamais l’idée d’un retour, comme en témoignent les Cent-Jours. Pire encore : même en retraite il travailla à sa propre sa légende, pour se survivre, et fonda ainsi le bonapartisme, malheur jusqu’à aujourd’hui, car ayant détourné tant d’honnêtes gens d’une claire conscience des causes de nos malheurs et des remèdes — le Roi légitime et la Foi catholique…
- Napoléon consacra un machiavélisme sans frein. Utiliser tout le monde et tout pour sa cause n’était pas pour lui un problème. Constatons de façon intéressante que, croyant se servir lui-même, il fut en réalité un bel esclave de la Révolution qu’il continua, arrima, et protégea.
- Peu importe qu’il soit mort en catholique ou pas. Nous espérons pour lui et son Salut qu’il s’est converti, mais cela ne change rien, politiquement, à la catastrophe qu’il a produite.
- Ne pas se faire avoir par les discours patriotiques du temps : la Patrie, c’était la Révolution. Pour eux, la France c’était la Révolution. Or, si la France devait faire la guerre à toute la planète, c’est que le cosmopolite du temps était « français », puisque seule la France était jugée libérée et régénérée. Une fois que la Révolution fut répandue, c’est l’Europe, le Marxisme, puis le globalisme qui nia les États, maintenant des obstacles à la régénération plus profonde du Great Reset. La France de Napoléon fut le gouvernement mondial de l’époque, s’opposant aux particularismes locaux en France, et aux royautés traditionnelles voisines en Europe (l’Europe unie de Napoléon peut d’ailleurs être considérée comme un précédent direct et substantiel de l’UE, du gouvernement mondial).
Alors, oui, si j’étais moderniste et révolutionnaire, je dirais : Merci Napoléon !
Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !
[1] Jacques Bainville (1879-1936), Napoléon, Paris, Arthème Fayard, coll. « Le livre de poche historique », n° 427-428, 1931, 500 pp., p. 56.
“Si j’étais moderniste et révolutionnaire, ou zemourien, je dirais : Merci Napoléon !”
Je pense que Zemmour à un authentique amour de la France et de sa grandeur. Il a reconnu maintes fois que les rois avaient construit ce pays et rappelle toujours ce qu’il doit au Christiannisme. Il cite souvent de Maistre Bainville ou Maurras. Mais la judéité de Zemmour l’empeche d’admettre que la royauté de droit divin est la seule vraie légitimité de gouvernance de la France. De plus, qui veut se faire élire doit aujourd’hui faire les vertus royalistes car les chiens veillent !