Anacharsis Cloots (1755-1794), prophète de la République universelle
La France républicanisée qui se montre à nos yeux aujourd’hui, cette « France de métissages » ouverte à l’afflux de « nouveaux citoyens », cette France mondialisée et sans patrie ayant aboli ses frontières, renié son identité et abandonné son nom, cette France déchue et humiliée a été, il y a plus de deux siècles, décrite par Anacharsis Cloots comme l’aboutissement sublime du projet républicain.
Anacharsis Cloots ne fait pas partie des figures retenues par l’hagiographie républicaine. C’est d’autant plus injuste que les idées de ce révolutionnaire décapité en 1794 imprègnent les esprits de nombreux républicains depuis la Révolution. Député de l’Oise, membre puis secrétaire du Club des Jacobins, les délires mondialistes de Cloots, le mot n’est pas anachronique ici, annoncent le dire et le faire de la République « française » pour les deux siècles à venir, et même son accomplissement final par la dissolution de la francité dans l’universel et le cosmopolite de notre temps.
Cloots pousse la logique républicaine jusqu’au bout. Trop pressé au goût d’un Robespierre contraint de composer avec des réalités implacables, il refuse de transiger sur les principes. Il veut que la République universelle en ses fondements et ses principes se réalise immédiatement par la destruction systématique des nations et des peuples. Trop « pur », Cloots ne peut attendre et dévoile une doctrine qui doit être tue pour que les Français, au nom de la Patrie et de la Nation, soient les bons outils sacrificiels dont l’entreprise républicaine se servira durant deux siècles. Cloots le paiera de sa vie et de la place qui lui revenait dans le roman républicain. Il annonce pourtant Coudenhove-Kalergi, Attali, Soros et notre société multiraciale. Il partage avec nos élites d’aujourd’hui la même haine des nations, des identités, des frontières et la même certitude en l’avènement prochain d’une société planétaire. Cloots, dont l’influence a été déterminante, est un personnage étonnement « moderne ».
Cloots, un « cosmopolite »
Tout d’abord Cloots est un « cosmopolite ». Il revendique le mot et en fait une profession de foi. Il annonce que lorsque tous les hommes seront « cosmopolites », la République sera « universelle » (« Le baiser fraternel des cosmopolites sera le sceau de la république universelle »). D’ailleurs, le mot « français » dérange le député. Il proclame qu’il ne faut être ni Français, ni Anglais, ni Européen, ni Américain mais « homme » tout simplement, citoyen de la même cité avec les autres hommes. Ce « citoyen de la république des hommes » n’a qu’une patrie : « le monde » ! Aussi demande-t-il la suppression du nom « Français » : « je demande la suppression du nom Français […] Tous les hommes voudront appartenir à la république universelle ; mais tous les peuples ne voudront pas être français ». La République ne doit donc plus se proclamer « française », c’est une dénomination qui est « fausse et préjudiciable » dit Cloots.
On ne peut dénier à Cloots une certaine logique. Effectivement la République, fondée sur des principes qui se veulent universels, n’est pas plus « française » que zoulou ou berbère. Effectivement encore, la mise en avant de la francité, c’est-à-dire de l’identité spécifique, n’est pas le meilleur moyen pour intégrer dans l’universel… à moins évidemment de faire de la francité une simple catégorie juridico-administrative non signifiante. C’est l’option, plus douce, choisie par le camp républicain depuis Cloots. De fait aujourd’hui, le mot « français » a quasiment été supprimé dans la mesure où il n’a plus aucun sens identitaire, donc plus aucun sens du tout. Tout le monde pouvant se dire « français » plus personne ne l’est vraiment, d’autant que le personnel politico-médiatique s’accorde pour dire que les Français de souche, « ça n’existe pas » (Hollande) et que la France n’est qu’un « conglomérat de peuples » aléatoire et changeant (Éric Besson).
Un cosmopolite hargneux
Comme tous les philanthropes et autres néocons qui organisent aujourd’hui des coups d’État, des révolutions de couleur et des guerres libératrices, Cloots déborde d’amour pour son prochain. Il veut lui assurer un « bonheur durable », le libérer et lui apporter une existence paisible. Comment ? Par la guerre bien sûr ! Au procès du Roi, « premier Tribunal de l’univers » dit-il (sic), il propose d’envoyer Louis XVI à l’échafaud « au nom du genre humain » (il faut « prendre la hache du bon sens pour couper la fibre royale »). Il en va de « l’indivisibilité du monde ». Car le monde doit être « régénéré ». Aussi Cloots demande-t-il la guerre au nom du genre humain. Il faut propager la « doctrine » républicaine : « l’âge d’or est au bout de nos baïonnettes, le sort de l’univers ». Il faut submerger le monde sous un « torrent démocratique », il faut propager les « droits de l’homme » jusque dans la capitale du Dalaï Lama, il faut imposer un « système de liberté universelle » et une « régénération universelle ». Car la Déclaration des droits n’est pas que pour la France seule, écrit Cloots. Non plus que la République, la démocratie, la « loi commune » ou même l’organisation en départements ! Cloots compte sur « nos armées libératrices » (en fait sur le sang des Français dont il dit vouloir effacer le nom) pour apporter les valeurs de la République jusqu’en Asie, en Mauritanie, au Japon, au Kamtchatka ou au Spitzberg ! Cloots se pose comme le précurseur des théoriciens du devoir d’ingérence (« marchons aux tyrans» pour libérer les peuples et imposer la démocratie) et de la violence légitime (tuer les hommes au nom des droits de l’Homme).
La destruction des nations
Les nations et les peuples qu’elles incarnent sont pour Cloots la base de l’anarchie, du despotisme, de la « dévastation » et de la guerre : « il n’y a pas de fléau plus désastreux que les corporations nationales ». Ici encore, le discours de Cloots apparaît étonnement moderne dans sa manière très « européiste » de relier le fait national à la barbarie et à la guerre. Le « morcellement politique » de la planète doit donc disparaître. Il faut substituer au cri de vive la nation , le «cri plus beau, plus généreux, plus éclatant de vive le genre humain ! ». La République doit abattre les frontières, imposer une « constitution universelle » et un « système planétaire », de manière qu’il n’y ait plus au monde qu’une seule « Nation », une « confédération des individus sur l’autel de la loi » (c’est nous qui soulignons) gouvernée par un « sénat du genre humain ». Pour pouvoir abolir les nations et les ramener à une somme d’individus, il faut auparavant les « niveler », un mot qui revient souvent sous la plume de Cloots (ainsi veut-il « niveler » l’Espagne, l’Angleterre, le Mexique, le Pérou, le Sénégal, la Gambie…). La « nation nivelée » est une nation « départementalisée » – c’est-à-dire réduite à un statut administratif – qui a renié ses erreurs, notamment en matière de religion, et reconnu les droits de l’homme, la démocratie et la « République universelle ». La nation ainsi détruite peut alors s’emboîter dans un « monde organisé départementalement » (« le damier départemental va niveler la terre »).
La destruction des frontières n’a que des avantages pour Cloots. C’en sera fini de la guerre : « les hostilités seront bannies du monde […] lorsque les nations n’auront plus de frontières. […] le principe de l’unité souveraine du peuple humain rendra le monde heureux et paisible ». Et puis, plus de problème de change monétaire, de concordance dans les poids et mesures, de lois. Le commerce régulé par le pouvoir des « juges de paix » deviendra permanent et la valeur des marchandises ne sera plus troublée par la diversité des règles et des monnaies. Cloots nous propose le meilleur des mondes : « Tous les individus se précipiteront dans le sein de la république des individus unis, dans les bras du genre humain ».
Un cosmopolitisme qui suppose le mélange des peuples et l’immigration de peuplement
« Tous les individus se précipiteront… ». Pour Cloots, cela ne fait aucun doute : « les peuples sauront franchir les barrières pour s’embrasser fraternellement ». Anticipant les grandes invasions de notre siècle, il prédit qu’une « force incalculable attirera journellement de nouveaux citoyens ». Il est persuadé que la République « mettra tout le monde d’accord », bien qu’il lui faille pour cela impérativement bannir son qualificatif de « française ». D’ailleurs, Cloots ne connaît pas un homme, quel que soit le climat, qui réfuterait un seul article de la déclaration des droits, base de la loi commune. Tous les hommes sont frères et il prévient : « ceux qui veulent exclure de notre association fraternelle […] les individus qui habitent hors de l’Europe, commettent une injustice… ». Aussi Cloots propose-t-il un « nivellement absolu » et un « renversement total de toutes les barrières » qui séparent la « famille humaine ». Le mélange des hommes dissociés de leurs peuples (« je ne veux ni despote, ni peuples ») donne des accents lyriques au cosmopolite Cloots : Italiens, Danois, Espagnols, « tous le monde s’empressera de se confondre dans la grande société, pour en partager les bénéfices, pour en goûter les délices […] le bonheur sera sans borne ». Dans le sillage de Clermont-Tonnerre, Cloots demande un décret qui interdise toute agrégation collective de peuple à peuple. L’agrégation à la République universelle (l’intégration dirait-on aujourd’hui) doit être « individuelle ». Les rivalités d’autrefois disparaîtront tout naturellement avec la disparition des « anciens noms » et des « anciennes démarcations ».
Une incarnation de la République
Cloots est un théoricien fondamental du républicanisme. Il s’attache au cœur nucléaire de la doctrine, à son espérance profonde, à cet ADN seul à même d’expliquer la biologie républicaine et le visage monstrueux et déformé de malformations congénitales que montre la République. Cloots « révèle » que le colonialisme et la guerre (« l’envahissement universel ») ; la société ouverte et multiraciale (la « république des hommes ») ; le mondialisme (« l’Etat des individus-Unis ») ; le cosmopolitisme ; le rejet des identités et des appartenances (la « régénération sainte ») ; la conception utilitariste du peuple français, simple outil au service d’une idéologie universaliste ; la « haine civique » des patries et des nations ; le « nivellement » des hommes et des peuples ; le devoir d’ingérence (« au nom du genre humain ») ; la destruction des frontières ; la volonté de construire un espace sans barrière tel un jour l’Union européenne ; l’agrégation des hommes de toutes origines à la république universelle… sont inscrits dans les gènes de la République « française » et ne sont absolument pas « accidentels ». La France républicanisée qui se montre à nos yeux aujourd’hui, cette « France de métissages » ouverte à l’afflux de « nouveau citoyens », cette France mondialisée et sans patrie ayant aboli ses frontières, renié son identité, abandonné son nom, cette France qui cherche à intégrer et à niveler sa population, cette France portant la guerre dans la monde au nom des droits de l’homme et de la démocratie, cette France qui se dilue dans l’Union européenne et la soumission à une gouvernance globale… a été décrite par Cloots comme l’aboutissement sublime du projet républicain.
Cloots est un républicain pressé, il veut tout, tout de suite. C’est un révolutionnaire en décalage avec une République qui adoptera une stratégie réformiste. De 1789 à aujourd’hui, par étape successives et de déstructurations en déconstructions, les idéaux républicains, véritable entreprise d’ingénierie sociale, vont progressivement effacer le nom « français » et tous les noms comme le voulait Cloots. «L’orateur du genre humain », comme il aimait à s’appeler, incarne ainsi à la fois le cosmopolitisme, le mondialisme et la République « française ». Il est l’un des fondateurs du régime politique qui opprime aujourd’hui notre peuple.
Antonin Campana
L’article a été reproduit sur Vexilla Galliae avec l’aimable autorisation d’Antonin Campana. Pour chaque citation, vous retrouverez les références précises ici.