La Patagonie, ou l’illustration de la nécessité des Lois fondamentales
Pour les régnicoles du royaume de Patagonie-Araucanie, il y a de quoi en avoir le cœur déchiré. Cette couronne que l’on peut dire sans territoire a depuis (presque) toujours suivi des règles de dévolution plus ou moins fantaisistes, en tout cas très humaines et donc particulièrement sujettes à caution. Le résultat, fort malheureux pour les sujets patagons, est là : le trône d’Araucanie-Patagonie est actuellement revendiqué par quatre prétendants¹. Il est triste d’observer toute la presse officielle se gausser de ces péripéties, certes assez flokloriques.
Si la constitution physique du premier roi de Patagonie immortalisé par Jean Raspail ne lui permettait vraisemblablement pas d’assurer sa descendance, ce triste état dynastique nous donne malgré tout l’occasion de rappeler que la loi salique est non seulement bénéfique, mais tout à fait nécessaire aux successions sans heurts.
La sagesse de la loi salique
La grande force des premiers capétiens a été une transmission de la couronne par primogéniture masculine, avec de surcroît des règnes de longue durée. La loi salique prenait ainsi pied au royaume des Francs qui avait souffert des partages des deux premières races. Cette loi salique n’est autre que le droit d’aînesse le plus pur, le respect de « la loi d’Adam » donnée par Dieu aux hommes, si présente dans la Bible et inscrite dans la loi naturelle. Ce n’est pas pour rien que la loi salique des rois de France, porteuse d’une légitimité incontestable, se soumettait également au sacre. L’avènement par l’onction venait confirmer l’élection de la naissance.
Avec le recul de l’Histoire, la meilleure défense de la loi salique est sans doute de regarder ce qu’il se passe quand elle est abandonnée.
La loi salique peut d’abord être contestée par des hommes prétendant demeurer dans la forme monarchique de gouvernement. C’est ce que l’on a pu voir en France avec la maison d’Orléans, où l’aîné choisi de Dieu devait selon elle être supplanté par un lointain cadet plus conforme aux plans d’en bas. Si l’on a pu broder sur certains prétextes, à l’instar des renonciations d’Utrecht (dont Louis-Philippe a montré ne faire absolument aucun cas dans l’affaire des mariages espagnols), ce n’est toujours que pour faire passer le choix des hommes (plus exactement : de certains hommes) à la place du choix de Dieu s’exprimant par la nature, la naissance. Et même sur le plan strictement humain ces prétextes sont bien faibles, comme l’ont montré La tradition monarchique de Paul Watrin et beaucoup d’autres travaux depuis.
Une même contestation a été visible en Espagne, où la loi salique rétablie par les Bourbons devait être contestée dans le sillage de l’occupation bonapartiste de la péninsule Ibérique. Depuis lors, ce furent révoltes et guerres civiles à répétition, et d’un point de vue intellectuel et culturel il semble que la guerre d’Espagne ne soit pas totalement terminée.
Il est cependant possible de mettre en lumière le bénéfice de la loi salique (du droit d’aînesse appliqué à la couronne) en l’étudiant en elle-même. Le rôle le plus éminent du pouvoir temporel est sans doute d’instaurer et de maintenir l’ordre. Or, aucune succession ne saurait être plus sûre, claire, transparente, systématisée et ordonnée qu’à travers la loi salique. Cette dernière élimine en amont toute velléité de crise de succession, d’ambition, de conspiration, etc. Et l’on a bien vu que ces dernières réalités n’ont pu se frayer un chemin que par le renversement, ne serait-ce que momentané ou partiel, de la loi salique : l’Angleterre du XVIIe siècle, la monarchie de Juillet en France…
D’ailleurs, les historiens notent souvent que les minorités royales et les régences avaient été propices en France à l’affaiblissement du pouvoir royal et, partant, du pays. C’est vrai, car dans les cas où le roi était ainsi en situation de faiblesse les intrigues mentionnées ci-dessus pouvaient avoir cours avec cabales, pressions, frondes, guerroiements… Cela suffit-il à condamner la loi salique ? Absolument pas, tout au contraire : cette faiblesse n’est ici que passagère et limitée, alors qu’elle serait permanente et aggravée, comme institutionnalisée, dans tout régime délaissant la loi salique. Et l’instabilité sera d’autant plus profonde que l’on s’éloignera de la loi salique – et il en est de même pour les familles vis-à-vis du droit d’aînesse. La difficulté n’est que de trouver un bon mode de régence pour un temps, ce qui n’empêche pas de faire du progrès en la matière.
Les conséquences de l’abandon de la loi salique
Abandonner la loi salique, c’est comme nous l’avons vu laisser la porte ouverte à toutes les intrigues et ambitions, en émiettant la légitimité du pouvoir. C’est en réalité porter un coup fatal au principe monarchique, de sorte qu’il ne faille pas s’étonner que les monarchies officiellement en place aujourd’hui en Europe ne sont que des façades de théâtre. Ce sont plutôt des républiques déguisées, où le monarque est invité à endosser un vague rôle de chef d’État. Car voilà la réalité nouvelle : l’État. Ce mot, totalement absent du De Regno de saint Thomas d’Aquin entre autres textes fondamentaux, est en revanche bien présent chez Rousseau et les révolutionnaires. C’est une façon toute nouvelle d’envisager les choses où la continuité du pouvoir n’étant plus placée dans une personne responsable qui ne meurt jamais et la loi salique (parfaitement exprimée par l’expression « le roi est mort, vive le roi ! » ou « le roi ne meurt jamais »), elle se trouve intégrée à une fiction juridique dénommée État et investie de prérogatives démultipliées et grandissantes au gré des prétentions des légistes et jurisconsultes qui s’abrite sous son parapluie doré. La royauté parfaite, celle de la loi salique, était ainsi un rempart de liberté, tandis que son effritement permet la naissance de tous les monstres, dont le totalitarisme. L’État peut d’ailleurs très bien naître et se consolider avant même le délaissement de la loi salique puis de la royauté, de façon à ce qu’il n’y ait plus qu’à chasser le roi et garder l’État qui, de facto, avait déjà accaparé le pouvoir et l’autorité du premier. C’est ce qui s’est passé en France, aussi bien en 1789-1792 qu’en 1830 : l’État-grande fiction qui ne meurt jamais est le nouveau prince et la nouvelle loi salique. Un prince et une loi contre nature bien sûr. Et une forme de divinisation, surtout lorsque l’on scande « la République ».
Les détracteurs de la loi salique, hier et aujourd’hui, lui reprochent de donner trop de champ au « hasard » de la naissance (car ils ne croient généralement pas en Dieu ni n’accordent trop d’importance à la « nature » qu’ils aiment à manipuler, transformer et malmener comme n’importe quel moyen de production ou outil – ces esprits refusent toute notion de donné). Ils se trompent pourtant : non seulement le « sort » permet d’éviter de possibles conflits, mais en plus nous aurons beaucoup de peine à trouver parmi nos rois de France des monarques réellement indignes. À l’inverse, nous pouvons toujours attendre que la République française place un saint Louis à sa tête, et ce ne sont que chefs indignes qui s’y succèdent, alors que les remaniements et le sang neuf ne manquent pas ! Si les Mérovingiens de jadis ou les sultans de Byzance éliminaient leurs frères pour régner seuls, les gouvernants modernes font de même, sans effusion de sang (normalement !), mais pour des places où leur responsabilité individuelle équivaut au néant.
La loi salique en haut, c’est aussi le droit d’aînesse en bas. C’est l’ordre partout, les maisons fermement conservées, et les cadets mis en capacité de former leurs propres maisons alors qu’aujourd’hui l’esprit révolutionnaire et les lois successorales héritées de 1789 ont abouti à la quasi-systématisation du principe du fils unique, la démographie française du XIXe siècle étant à cet égard une monstruosité en Europe. Mais fils unique ou non, le véritable aîné aujourd’hui n’est autre que l’État qui s’accapare des parts dans tous les domaines, sans souffrir de contre-pouvoir.
Revenons au royaume de Patagonie. Sans postérité, et pas même aîné lui-même d’ailleurs, Antoine de Tounens n’a guère survécu dans la personne de son successeur via le principe « le mort saisit le vif ». Il a fallu attendre quelque temps avant qu’un prétendant ne relève sa couronne, en arguant d’un testament. Cet avènement même était déjà illégitime, et annonçait les déboires futurs et actuels. Selon la loi salique, l’abdication de la couronne ou la pseudo-liberté de tester n’ont aucune valeur (sinon les risques de pressions, de combinaisons et d’ambitions reviennent au galop !). Certes, le plus proche parent mâle d’Antoine de Tounens n’était guère intéressé par le « jeu du roi » (un peu comme les premiers rois de France successeurs d’Henri V ?), mais c’est parmi ces cousinages qu’il conviendrait actuellement pour les généalogistes de retrouver le véritable roi de Patagonie.
Heureux donc celui qui, grâce à la loi salique, peut tranquillement affirmer : « Je ne prétends pas, je suis ! »
Jean de Fréville
1 Le premier se nomme Franz Quatreboeufs et prétend avoir été nommé par son prédécesseur, le défunt « prince Philippe » ; le deuxième, Stanislas Parvulesco, petit-fils de Jean Parvulesco, est élu par les membres de l’association historique du Souvenir franco-araucanien ; le troisième, l’héraldiste Frédéric Luz, reconnu par une majorité de « sujets patagons », est élu par une partie des membres du « Conseil du Royaume » fin 2018 [1] ; enfin, celui-ci étant accusé « de ne plus assurer le rôle du représentant du royaume de défense du peuple Mapuche », il est destitué par un « coup d’État » en avril 2023, qui nomme à sa place le journaliste Philippe Delorme [2].
Cher Monsieur ;
Vous me faîtes beaucoup d’honneur, mais je n’ai jamais prétendu à la couronne d’Araucanie. J’ai signalé à feu M. Jean-Michel Parasiliti que je serais bien volontiers désigné par le conseil qu’il présidait ; il a jugé plus opportun de se faire désigner lui-même. Ce que voyant, j’ai pensé sage de soutenir quelqu’un d’autre. Il m’a semblé depuis lors, peut-être à tort, que l’insistance persistante d’un wikipédiste peu anonyme à me prétendre prétendant, avec mention systématique de ma profession et de mon étiquette politique, était avant tout fondée sur l’intention de me nuire. Neuf ans plus tard, cela ne m’a jamais nui, et je ne suis toujours pas prétendant.
Cordialement vôtre,
Franz Quatreboeufs (l’un des quelques Araucans à porter un patronyme conforme à l’état-civil, parfois accompagné d’un titre Araucan accordé à feu mon grand’père par le Prince Philippe ; modestie partagée avec M. Delorme, que j’assure de ma sympathie).
Pardonnez-vous si nous avons propagé une information fausse : nous tirons cette infox de l’article du Point suscité. Cordialement vôtre.