L’État, c’est vraiment lui !, par François des Millets
19 juin 2022. Brutalement, la canicule exceptionnelle qui régnait sur la France s’achève et, dans un concert brutal d’orages, la France prend connaissance des résultats des dernières élections législatives. Ensemble !, le parti de l’État républicain obtient une majorité relative avec 246 sièges tandis que la Nup’s, attelage disharmonieux de tout ce que la gauche et l’extrême-gauche républicaines ont pu perdre comme élections depuis le non regretté livreur de croissants, projette 142 députés à l’Assemblée nationale. Le Rassemblement National, lui, sous la houlette de l’ex-avocate défenseuse d’immigrés clandestins1, réalise le score provoqué de 89 députés tandis que le centrisme libéral-républicain, LR et UDI, enregistre son Waterloo avec 64 députés.
La France croit alors respirer, en finir avec ce gouvernement d’un seul, autocrate, hautain et méprisant, dispensateur, tel un maître sorcier, de petites phrases blessantes à l’encontre de ceux qui ne sont rien mais qui sont le peuple, à chaque fois qu’il veut faire se dresser les uns contre les autres, à chaque fois qu’il fait se jeter les Françaises et les Français dans les rues et jouit, depuis son Palais bunkerisé, du spectacle de ses forces aux ordres gazer, matraquer, interpeller, blesser, parfois gravement.
Pour mieux pouvoir ensuite, au milieu d’images sélectionnées de villes dévastées largement diffusées par une presse agrainée, condamner les vilains « casseurs », attenteurs à l’ordre républicain, dangers pour la république, menaces pour la démocratie… Qui sème le vent… pour mieux se plaindre de la tempête !
Enfin, les Français croient en avoir fini de ces politiques brutales dictées par un électorat égocentré en mouchoir de poche victorieux d’une abstention massive qui sait, elle, que rien ne viendra des urnes. De ce pouvoir qui n’est plus Français en France, de ces fins de mois angoissantes qui font que, partout, l’on enfile des gilets qui ne sont pas doublés d’hermine, de cet asservissement massif des services publics anémiés à des logiques de rentabilité de banquiers. De la soumission de la société à des théories économiques inventées par des boutiquiers corrompus. Du monoculturalisme imposé par un mondialisme esclavagiste. De la politique du malheur, du déclassement et de la division, de la violence, du gaz, de la matraque, des éborgnés et des estropiés, de toutes celles et de tous ceux qui vivaient côte à côte et qui, maintenant, se dressent les uns contre les autres.
De la division, inlassable, insatiable qui, on le sait depuis la Bible, est l’œuvre de l’adversaire et de ses disciples quand ils ont réussi à prendre le pouvoir, notamment par le biais de l’élection. Machiavel est bien leur meilleur maître.
Las !
Du fait de cet « éclatement » en chambre, la « démocratie » devait renaître.
Législatives : « Une heureuse surprise pour la démocratie et une chance pour la France »2, titrait d’ailleurs le journal La Croix le 21 juin 2022 relayant les propos de l’ancien ministre républicain Agayon. Pour Mediapart, c’était une gifle démocratique3.
Désormais, nombreux étaient celles et ceux qui se prenaient à croire que la France pouvait souffler…
Mais, déjà, le parti de l’Élysée reprenait la main : Élisabeth Borne était nommée au poste de Premier ministre de la république et le gouvernement était nommé.
Sans attendre.
Car les réformes devaient reprendre en train d’enfer et, en premier lieu, celle, phare du second « mandat » du président sur lequel toutes et tous viendront s’échouer douloureusement. Je veux parler de la tristement fameuse réforme des retraites.
Dès janvier 2023, le Gouvernement, « en ordre de bataille » selon ses propres mots, présentait son « projet pour l’avenir du système de retraite français ».
Et annonçait déjà son calendrier sur le site de son ministère du travail4 :
- 10 janvier 2023 : Présentation de la réforme ;
- 23 janvier 2023 : Conseil des ministres ;
- Février-mars 2023 : Examen par le Parlement ;
- 1er septembre 2023 : Entrée en vigueur de la réforme.
Et ce fut le grand baroud des manifestations syndicales monstres pendant qu’à l’Assemblée, la Nup’s organisait la pétaudière et la droite s’écartelait devant un RN encravaté et muet.
On pérora, on déclara, on proféra, on insulta, on gesticula, on affronta, on déposa, on amenda et on invoqua à peu près tous les concepts que la république a pu inventer pour faire croire en elle.
On mentit, bien sûr, aussi. Beaucoup, comme d’habitude.
Devant un peuple silencieux et souffrant, hostile à cette réforme5, soutenant la mobilisation mais qui, plus lucide que jamais, avait déjà perdu tout espoir puisque convaincu depuis l’origine que la réforme passerait6.
Ce qui était prédit se réalisa.
Il suffit au président de passer la 5ème pour écraser toutes les oppositions au pas de charge par le recours à la magie noire de la constitution républicaine.
Le corbillard du projet de loi rectificatif de financement de la sécurité sociale démarra tout d’abord afin de véhiculer une réforme qui n’en relevait pas. Le barillet à 10 coups du 49 alinéa 3 était vide, déchargé sans vergogne par la 1ère ministre. Dès lors, on passa au calibre de l’article 47.1, particulièrement efficace, passant le muselet au parlement républicain pour mieux lui lier les mains dans le dos.
Or, et faut-il le rappeler, ce même article 47.1 tant décrié par bon nombre de parlementaires républicains cet hiver fut pourtant voté dans le cadre de l’adoption d’une loi constitutionnelle de 1996 par le congrès tout entier. Clin d’œil de Jacques Chirac à titre posthume. Les motifs du projet de loi indiquaient pourtant, sardoniques, dans un tour de passepasse maléfique : « Dans une démocratie, la responsabilité des grands choix économiques et sociaux revient au premier chef au Parlement. Pourtant, celui-ci n’a aucun pouvoir dans la détermination de l’équilibre financier de la sécurité sociale alors que les masses financières mobilisées dépassent celles des lois de finances. Ce paradoxe s’explique par le silence de notre loi fondamentale qui ne prévoit aucune procédure annuelle permettant au Parlement de déterminer les conditions générales de l’équilibre de la sécurité sociale ».
Ni vu ni connu, je t’embrouille.
Quoiqu’il en soit, le Parlement, en vertu de cet article, ne disposait plus que de 50 jours pour se prononcer sur la retraite des Français. Sous peine d’ordonnance.
Et l’assemblée nationale, quant à elle, de 20 jours pour le voter. Ce qu’elle ne put pas faire, comme entendu et compte tenu de la somme des amendements déposés, haute comme Khéops.
Sans vote de l’assemblée, le texte fut transmis au sénat qui, lui, disposait, toujours en vertu de l’article 47.1, d’encore moins de temps, c’est-à-dire de 15 jours pour l’adopter. Ce qu’il fit consciencieusement, avec l’aimable collaboration du parti bien républicain mais peu représentant du peuple non sans avoir abondamment abhorré sa jumelle, accusée de tous les maux pour le cirque qu’elle avait monté dans l’ancien palais Bourbon odieusement confisqué à la famille qui en était pourtant le légitime propriétaire.
Mais non sans recours ensuite au troisième calibre, l’article 44.3 de la constitution républicaine pour bloquer le vote permettant ainsi au sénat de se prononcer en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.
Il faut dire qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Exit, désormais, ladite assemblée nationale pourtant soi-disant et selon son site internet7 « au cœur de (leur) démocratie » et élue « pour représenter la Nation tout entière et le peuple français ».
La procédure accélérée d’adoption des lois s’appliquant de manière automatique aux projets de loi de finance de la sécurité sociale, la commission mixte paritaire pouvait, dès lors, se réunir. Au passage et en l’hôtel de Lassay injustement confisqué lui aussi, la présidente de l’assemblée nationale refusa, dans une lettre du 14 mars à la nation la possibilité d’assister aux débats de cette même commission qui pourtant la concernait au plus haut point. C’est donc à l’abri de tout regard et à huis clos que, sans surprise, la commission la valida, sourde aux vociférations de la foule.
Il faut dire que l’on fait toujours mieux à 14 qu’à un peuple tout entier surtout quand on est 10 contre 4 à être favorables8 à une réforme dont le peuple ne veut pas à 8 contre 10.
Comme par hasard ?
16 mars, au milieu des immondices et sous les menaces des syndicats, se tient une réunion exceptionnelle à 8 h 15, à l’Élysée, entre le président de la république, les présidents des groupes parlementaires, les chefs des partis de la majorité (Renaissance, Horizons, MoDem) et en présence, bien évidemment, confusion des pouvoirs oblige, de la présidente de l’assemblée nationale. Il s’agit selon la presse de « gagner le vote9 ».
Magnifique exemple de la manière dont les pouvoirs sont concentrés dans notre pays et dont la volonté de tout un peuple est tordue.
Et le vote est gagné au sénat dans la matinée.
Nouvelle réunion du président, des ministres et des chefs du camp présidentiel.
Le parlement est marqué à la culotte. On parle de « magouilles et de corruption ». On appelle à la saisine de la cour de justice de la république10.
Il aura fallu pas moins de 4 réunions pour que finalement et bien qu’ayant affirmé le contraire, le gouvernement ne déclenche le 11ème 49 alinéa 3, faute de majorité.
Les motions de censure s’annoncent. Bien entendu, le parti bien républicain annonce qu’il n’en votera aucune. Au mépris de la France en colère.
Désormais, le jeu est définitivement plié.
La suite est connue : les deux motions de censure sont rejetées, dont la principale, à 9 voix près avec le concours du parti toujours très républicain et peu représentant. Le texte est adopté. Puis les saisines du conseil constitutionnel présidé, faut-il le rappeler par le très responsable M. Fabius et composé entre autres du bien condamné par la justice dans une affaire d’emplois fictifs11 Alain Juppé débouchent sur le nettoyage du texte dans un sens contraire à celui des salariés et sur un certain nombre de considérants particulièrement croustillants comme par exemple celui selon lequel la circonstance que des « sous-amendements n’aient pas pu être défendus par leurs auteurs est insusceptible d’avoir porté, en l’espèce, une atteinte substantielle au droit d’amendement des parlementaires ».
Ou encore que « si les dispositions relatives à la réforme des retraites (…) auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard ».
Ou encore « le recours par le Gouvernement à la procédure du vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion de chacune des dispositions du texte sur lequel il était demandé au Sénat de se prononcer ».
Ou bien encore « si l’application de ces dispositions (demandes prioritaires d’examen d’amendements) a conduit à ce que mille trois cents amendements n’aient pas pu être présentés par leurs auteurs du fait de l’adoption des amendements appelés en priorité avec lesquels ils étaient incompatibles ou qui les ont rendus sans objet, cette circonstance n’a pas eu pour effet de porter une atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ».
Ou encore « la circonstance que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues ».
Ou bien encore « si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre (des articles 47-1 et du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution) a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution12 ».
Le texte sera promulgué dans la foulée et publié dans la nuit suivante pour devenir ce que les républicains appellent une loi, censée exprimer la volonté de la nation lorsqu’elle s’oppose à la volonté de tout un peuple.
Car la division est le moyen que la république, en France, trouve pour régner en usurpatrice.
Dans l’ombre des montagnes qu’elle est capable de faire se battre, elle abrite ses petitesses, déploie sa rouerie pour mieux ourdir ses mésactions en se réjouissant à l’avance des méfaits qu’elles causent.
Au passage, l’urgence était-elle telle qu’elle imposait une pareille célérité ?
On peut en douter également. Mais, en tout cas, cette précipitation signait le souhait d’un homme d’en finir avec l’opposition d’un peuple « pour passer à autre chose » et « accélérer encore les réformes »13, démontrant ainsi et plus que jamais, que l’État, c’est vraiment lui.
Et nul autre.
Alors, vive le Roi !
François des Millets
1 M. Suc, « Nour-Eddine Hamidi, le clandestin défendu par Marine Le Pen », Le Monde, 9 oct. 2014, https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/10/10/le-clandestin_4504461_3224.html
2 https://www.la-croix.com/Debats/Legislatives-heureuse-surprise-democratie-chance-France-2022-06-21-1201221165
3 https://www.mediapart.fr/journal/france/200622/legislatives-macron-prend-une-gifle-democratique
4 https://travail-emploi.gouv.fr/retraite/projet-pour-l-avenir-de-notre-systeme-de-retraite/
5 https://harris-interactive.fr/opinion_polls/observatoire-de-la-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-2023-vague-10-realisee-apres-les-decisions-du-conseil-constitutionnel/
6 https://www.bfmtv.com/politique/parlement/retraites-pres-de-8-francais-sur-10-pensent-que-la-reforme-sera-votee-et-appliquee-en-forte-hausse_AN-202303110048.html
7 https://www.assemblee-nationale.fr/
8 https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/retraites-qui-sont-les-membres-de-la-commission-mixte-paritaire-239916
9 https://www.midilibre.fr/2023/03/16/reforme-des-retraites-assemblee-senat-votes-quel-est-le-programme-de-cette-journee-decisive-du-16-mars-11065434.php
10 https://www.lesechos.fr/economie-france/social/en-direct-reforme-des-retraites-le-point-sur-la-situation-ce-jeudi-16-mars-1916278
11 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006945132/
12 Conseil constitutionnel, décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/2023849DC.htm
13 https://www.midilibre.fr/2023/04/15/le-temps-des-progres-sociaux-nest-pas-fini-apres-la-reforme-des-retraites-elisabeth-borne-veut-passer-a-autre-chose-11136293.php