Le spectacle Shen Yun : la chine ancestrale ou artificiellement traditionnelle ?, par Paul de Beaulias
J’ai assisté tantôt au spectacle de danse Shen Yun à Tokyo, sur le conseil élogieux d’un ami japonais sectateur du Falun Dong et journaliste d’Epoch Time. Je n’aurais a priori eu l’idée d’aller assister à ce spectacle sans ce conseil.
Il s’agit ici de faire une critique après avoir assisté à ce spectacle de danses qui durent environ 2h.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons le contexte : la secte du Falun Dong, mouvement religieux né en Chine dans les années 9, se fondant sur une sorte de syncrétisme de taoïsme et de bouddhisme à base de mouvements « gymnastiques » a été persécuté par le parti communiste à la vue de l’augmentation exponentielle du nombre de sectateurs, avec des personnes a priori torturés, déportés, en lien aussi avec du trafic d’organes. Le gourou de la secte ainsi que de nombreux sectateurs ont fui la Chine, et se sont réfugiés aux Etats-Unis : le fondateur-gourou, fortuné, a fondé un maillage de médias (dont Epochtimes) et d’instruments culturels férocement anticommunistes d’une part, se disant conservateurs d’autre part, et pour le renouveau de la culture traditionnelle chinoise.
La compagnie de danse ShenYun, lancé en 2006, en fait partie, et ils font aujourd’hui des tournées dans le monde entier, avec 8 compagnies.
Notons tout de suite qu’en fonction des régions du monde, la communication – très rodée, à l’américaine – est légèrement différente : ainsi le sous-titre en français du spectacle est « La Chine avant le communisme », en japonais « une civilisation de 5000 ans ressuscite aujourd’hui ».
Le spectacle se veut ainsi présenter la culture traditionnelle chinoise et en particulier la danse, un peu sur le modèle d’un Puy-du-Fou, mais qui tourne dans le monde, centré sur la danse uniquement et chinois.
Je suis allé voir ce spectacle en sachant ces choses-là, et en pensant que le spectacle serait essentiellement culturel. J’étais intéressé de voir ce que pouvait être cette culture traditionnelle chinoise.
Alors, qu’en est-il ?
Le spectacle est composé de pièces indépendantes les unes des autres, qui alternent des danses, des saynètes dansées mettant en scène quelques légendes chinoises, et un ou deux solos (un chant, un instrument).
Disons tout de suite que le premier défaut du spectacle, un peu surprenant, est que chaque pièce est introduite par un homme et une femme, qui expliquent en japonais, en anglais puis vite fait en chinois, ce que raconte la saynète : on perd un temps fou, et la présentation dans une salle d’opéra est un peu déplacée. Le public aussi, visiblement, n’est pas éduqué aux spectacles classiques, et applaudit à la moindre figure un petit peu acrobatique ou gymnastique comme si cela était extraordinaire. J’en suis venu à me demander qui vient voir ce genre de spectacle en Europe par exemple : les chinois de la diaspora, les anti-communistes, ou le tout-venant attiré par l’exotisme sinisant ? En tout cas le public habitué par le spectacle classique, que ce soit la musique ou la danse, ne peut qu’être déçu.
Disons que le spectacle reste intéressant, mais globalement décevant, pour plusieurs raisons que je vais présenter.
D’un point de vue artistique, nous sommes dans du « sous-ballet » et de la « sur-comédie musicale ». Expliquons-nous : le spectacle se fonde clairement sur la culture du ballet classique occidentale, et l’accompagnement avec un orchestre symphonique. La touche chinoise se trouve dans quelques instruments, comme le Gong ou l’instrument à une ou deux cordes de là-bas, et des teintes sinisantes dans la musique et les costumes. Mais le fond est classique : sauf que l’on a l’impression que c’est du « sous-ballet » : à part quelques figures de danse acrobatique, assez rares, la prestation chorégraphique et artistique, quoique propre et d’un bon niveau, n’est pas non plus impressionnante, et clairement en deçà du ballet classique. L’ensemble instrumental, avec ses violons, ses bois, ses cuivres, est aussi « sous-utilisés » dans des pièces de musique qui font plus film américain que concert, et avec une certaine grandiloquence sans cohérence d’ensemble qui gêne ici et là – dans les pièces elle-même on a des ruptures musicales que même moi je remarque…
D’un point de vue de la danse, les alignements et les effets des vêtements est harmonieux, mais la technique de danse est faible : les danseurs sont quasiment tout le temps à plat, et les figures de danse reste faibles. Les mêmes danseurs sont ainsi capables de faire le spectacle deux fois d’affilé dans la même journée et cela sur deux ou trois jours, ce qui montrent que la technicité n’est pas si élevée que ce qu’on m’en a dit, ou ce qui peut sembler apparaître sur les vidéos de promotion.
Et tout de suite, on a un doute : qu’est-ce qui est traditionnel chinois là-dedans ? Que ce soit la musique ou le fond des chorégraphies, c’est une tradition qui semble inventée, ajustée, artificielle, et qui profite surtout de la grandeur de la civilisation classique occidentale, pour vendre une tradition chinoise bien imaginée.
Mais passons, le second défaut vient du contenu lui-même. Quoique ce soit intéressant ici et là, avec quelques danses folkloriques, l’ensemble est décousu et sans fil directeur.
Surtout, on a des saynètes anti-communistes qui sont presque trop caricaturales – et pourtant c’est moi qui le dis – les milices communistes dansent forcément mal sur de la musique discordante, là où les sectateurs de la secte sont forcément gentils et harmonieux… On a l’impression du simplisme des protestants évangéliques avec une touche sinisante… On sent presque un esprit revanchard…mais pourquoi pas.
Les saynètes mettant en danse certains mythes populaires asiatiques (et aussi connus au Japon, dont par exemple Son Goku qui a inspiré Dragon bal, ou tana-bata) mériteraient d’être mis en opérette pour que ce soit intéressant réellement. Sans chants, la saynète pâtit de deux faiblesses : les danses sont faibles, du fait de l nature de la pièce, et en même temps on ne comprend pas forcément très bien l’histoire, même avec la présentation préalable…
D’un point de vue technique, pas de décors, mais un grand écran mural expose toujours un décor virtuel, et parfois dans le spectacle il y a interaction entre ce mur de fond et les danseurs, comme si certains danseurs sortaient de l’écran ou y rentraient. Pourquoi pas, mais ce n’est pas très « classique » et un peu comédie musicale.
Mais surtout, ce qui est dérangeant pour un catholique, est le retour plusieurs fois d’une « propagande » de leur propre secte : la première pièce par exemple annonce que la Chine antique, ou supposée telle, était le pays où les dieux sont descendus sur terre (comme d’ailleurs les mythes japonais) et que les dieux sont devenus des hommes. Ils appellent ainsi à refonder à nouveau un monde divin chinois sur terre aujourd’hui, à la place des communistes (un messianisme terrestre). Le solo du ténor, de style occidental, mais en chinois, expose comme un « credo » de leur secte, appelant à la venue de leur messie un peu bouddhisé qui doit venir refonder et réparer le monde sur terre. La dernière pièce fanfaronne avec la venue de leur messie un peu bouddhique plein de lumières, et comme un dieu solaire sur terre. Les scènes d’ailleurs où les danseurs s’agenouillent devant leur Dieu, ou un ersatz (parfois l’empereur de Chine), et la venue incessant des danseurs de la cour céleste qui viennent sauver, avec le dieu céleste, un homme en souffrance, vient à faire sérieusement douter sur la sélection traditionnelle de ces mythes et légendes : on a l’impression plutôt que c’est le pseudo-syncrétisme de la secte qui a choisi dans les histoires ce qui lui plaisait pour appuyer leur propre doctrine et leurs croyances messianiques.
On m’avait dit que ce spectacle était bien pour les enfants, mais la propagande religieuse est bien trop importante pour amener ses enfants catholiques, sachant que l’on sent que les créateurs du spectacle, à la protestante, jouissent quelque peu d’instiller – mais de façon plutôt grossière – leurs propres dogmes, soit directement, soit indirectement en instrumentalisant une tradition chinoise artificiellement réinventée dans un néo-roman national.
On sent ainsi qu’ils voguent sur un anti-communisme légitime et de véritables persécutions, avec une certaine objectivité de dénoncer ce qui ne va pas dans leurs médias ; mais comme toujours dès qu’on en vient au contenu « positif » nous sommes dans une autre nouvelle erreur syncrétique.
Cette secte est-elle dangereuse ou pas ? Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’ils prônent une certaine vertu naturelle, une certaine morale de « l’honnête homme » en insistant sur des valeurs familiales traditionnelles, et « détestateurs » de la révolution, mais que tout cela cache un certain nationalisme tout aussi révolutionnaire, car réinventée, sur fond de syncrétisme religieux à touches orientales mais très protestantisés (mais au fond, l’aspect ésotérique, cabalistique ou franc-maçon que l’on pressent est en fait un fond commun de toutes les religions qui ne sont pas catholiques, et plus que commune, même fondamentale pour toutes les religions traditionnelles orientales).
Ils dénoncent en tout cas certains aspects sombre de la Chine, et des trafics des mondialistes.
Pour le spectacle, malgré ces défauts, l’essai n’est pas inintéressant.
C’est très américain enfin, avec la petite boutique de produits dérivés, la communication très (trop) bien pensée mais avec une certaine « délicatesse » qui sait mettre en avant sans trop de vulgarité non plus.
Ils sont en tout cas peut-être des alliés objectifs matériels dans le combat contre le mondialisme, et peut-être que nombre de leurs sectateurs, en recherche, seraient sensibles à la vérité catholique…mais si des conversions avaient lieu en nombre important j’imagine que le gourou et les chefs commenceraient à montrer les dents.
Prions pour eux, priez pour mes amis de cette secte et leur conversion.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias