La sainteté à la païenne : l’exemple bouddhique japonais, par Paul-Raymond du Lac
La sainteté catholique a une définition tout à fait claire. Elle a certes un sens polysémique, mais pour le dire en un mot, être saint pour un chrétien, c’est être comme un « transparent du Christ » : il s’agit d’effacer son ego pour laisser la place complètement à l’action de la vie de Dieu, c’est-à-dire la vie de la grâce ou encore la vie du Christ. Il s’agit encore de se laisser mouvoir complètement par cette vie de la grâce qui est la vie de Dieu dans notre âme. C’est ainsi le début du paradis sur terre, puisque la vie dans l’éternité ne consiste qu’à l’union parfaite de notre âme à Dieu, et donc de cette vie avec Dieu en Dieu et par Dieu. Les saints canonisés sont ceux que l’Église a défini pour modèles des autres chrétiens comme ayant réussi à imiter et à suivre le Christ de façon particulièrement élevée, en pratiquant en particulier de façon héroïque de nombreuses vertus. Il ne s’agit pas simplement des vertus naturelles, mais bien des vertus théologales et des vertus naturelles rehaussées par les vertus surnaturelles : tout est fait pour Dieu, par charité, et donc aussi pour le prochain par charité.
Qu’en est-il alors pour la « sainteté » chez les païens ? Elle est en fait tout à fait éloignée de la sainteté chrétienne : il faut même le dire de façon tout à fait nette, elle est aux antipodes de la sainteté chrétienne.
Quand nous disons “païen”, cela vaut aussi pour les hérésies chrétiennes et les autres fausses religions plus ou moins issues d’une réaction ou d’une imitation à l’Église catholique, comme l’islam ou le rabbinisme, par exemple.
Cette pseudo sainteté à la païenne est tout à fait différente: Il ne s’agit plus d’imiter Jésus-Christ, que l’on ne connaît même pas ou que l’on nie même, mais il s’agit d’être reconnu comme une sorte de héros ou de sage, ou encore d’avoir un succès matériel, mondain, humain, bref, naturel. Prenons par exemple les protestants qui sont censés être chrétiens, et donc non païens: Si nous suivons les thèses de Weber sur le capitalisme et le protestantisme, il est assez clair, et l’histoire le démontre, que les protestants prouvent leur salut par le succès sur cette terre, qu’il soit financier, humain, industriel, politique ou autre. Le protestant cherche ainsi à prouver son succès dans l’autre monde par son succès en ce monde, et cela vient directement des théories sur la prédestination, théories qui sont erronées et fausses du point de vue du dogme catholique. En effet, pour prouver le salut dans notre monde, qui est prédestiné (c’est-à-dire que le salut ou la damnation est déjà décidée avant de naître), la seule façon pour un protestant de s’en sortir, c’est de chercher à se rassurer en liant son salut au succès en ce monde, qui est censé le prouver. Bref, en pratique, même chez les protestants, la sainteté redevient païenne et se fonde essentiellement sur les mêmes éléments de la sainteté païenne que nous essayons de décrire humblement dans cet article.
Nous avions déjà dans ces colonnes souligné ce phénomène par l’anecdote des noms funéraires que nous trouvons dans la culture bouddhique au Japon1. Pour résumer, cette culture montre bien que la hiérarchie sur cette terre correspond parfaitement et intégralement à la hiérarchie postmortem: si vous êtes grand sur cette terre, vous serez grand dans les cieux; si vous êtes pauvre sur cette terre, vous serez pauvres dans les cieux. Tout cela est évidemment aux antipodes de la foi catholique. Et malgré les différences notables de doctrine entre les sectes protestantes et bouddhiques, nous retrouvons exactement les mêmes conséquences, ce n’est pas pour rien; à savoir que la réussite terrestre conditionnerait la réussite céleste.
Prenons un autre fait tout à fait symptomatique de cette tendance païenne. Le mot que l’on traduit habituellement par “saint” en japonais se dit « 聖(ひじり) ». Cela signifie mot à mot, celui qui connaît les choses du jour, ce qui veut dire en clair, celui qui connaît les choses de la vie. Bref, c’est au fond le sage, celui qui sait, celui qui peut aider les gens sur cette terre et pour des choses terrestres. Le sens étymologique de la sainteté en chinois et en japonais est ainsi tout à fait différent, voire opposé au sens catholique. Ici, nous avons la nuance du sein qui devrait savoir, être sachant, de l’intellectuel.
C’est bien une des grandes caractéristiques de cette sainteté à la païenne qui, après les héros qui seraient des sortes de parangon des vertus naturelles poussées à bout – mais des vertus tout à fait déséquilibrées, jamais dirigées vers le bon Dieu, et qui peuvent parfois prendre des proportions tout à fait peccamineuses, en perdant l’équilibre entre les vertus et en exagérant certaines vertus par rapport à d’autres, par exemple, comme la vertu de force contre toutes les autres qui pourraient justifier même le massacre en masse de tous les ennemis (et plus), ce qui suffit à faire à un grand héros en général chez les païens -, et cette autre forme de sainteté que l’on pourrait définir comme gnostique et qui se manifestet par la connaissance de ces pseudos saints.
Si l’on regarde les tentations aujourd’hui, même parmi les chrétiens, ptovoqué par la démesure de l’orgueil chrétien, nous avons bien soit la réussite sociale, c’est-à-dire l’envie de devenir héros, ou encore un justicier (et de nombreux films jouent sur cette veine), soit cette tentation de la connaissance pour la connaissance, qui fait devenir une sorte de gourou, et cette croyance que c’est la connaissance qui va faire notre salut, sorte de gnosticisme qui peut faire notre sainteté, en tout cas qui permet d’impressionner les autres hommes et qui font croire aux hommes que nous sommes plus forts que les autres et meilleurs. Voilà comment naissent les gourous qui, d’ailleurs, pour obtenir ces connaissances vont souvent communiquer avec des « esprits », prendre leur pouvoir, se faire posséder… Comme quoi, rien de nouveau sous le soleil.
Les pseudos-saint païens sont soit ces héros qui n’ont rien de vertueux si ce n’est peut-être simplement quelques pauvres vertus naturelles, soit des intellectuels pratiques qui souvent pratiquent la magie et l’ésotérisme, et qui, grâce à leur intellect supérieur à la moyenne, arrivent à impressionner le tout-venant, mais sont tout à fait éloignés de l’humilité chrétienne et de la connaissance pour atteindre la vérité de Dieu, et qui est toujours soumise aux grâces, puisque la véritable connaissance ne nous est pas accessible par nos faibles lumières purement humaines.
Notons au passage que quand on regarde toutes les grandes figures religieuses dans l’histoire du Japon, il est tout à fait impressionnant de remarquer qu’ils ont tous des visions de divinités de l’autre monde ou de défunts – en clair, des démons si on analyse à la lumière de la théologie catholique – qu’ils pratiquent systématiquement des pratiques magiques, ou des augures, ou des tentatives de capter le pouvoir des dieux en se faisant posséder. Ils sont quasiment systématiquement et toujours initiés avec des cérémonies qui, dans la forme, peuvent différer, mais dans la pratique, ressemblent tout à fait aux cérémonies initiatiques que nous connaissons dans les sociétés secrètes en Occident. Cela est pour le moins troublant et devrait nous faire réfléchir plus avant combien la réalité du combat eschatologique n’est pas une blague, mais bien un élément de la révélation.
Notons encore un phénomène important, c’est que dans ces sociétés dites traditionnelles et païennes, tous ces faux prophètes, et c’est peut-être la seule différence, au fond, avec les lumières et les révolutionnaires, vont toujours se revendiquer d’une très longue tradition – comme le font d’ailleurs les francs maçons, les illuminés et les autres sociétés secrètes, vous le remarquerez, en cherchant à se reliant qui de la tradition primordiale, qui des religions antiques, etc. Si on y réfléchit, cela est logique puisque en monde païen il n’y a pas d’Église catholique, donc on peut très bien se revendiquer de très longues traditions qui sont toutes plus ou moins démoniaques2, et broder en inventant pas mal de choses. Et c’est là où l’orgueil va se manifester peut être un tout petit peu différemment de ce qui existe chez les révolutionnaires français ou modernes : ces orgueils païens vont se cacher derrière des masques de vertus, de fausse humilité et de continuateur de la tradition. En pratique néanmoins, tous ces faux prophètes vont se détacher de leur ancienne secte dès qu’ils le peuvent, et à leur mort, leurs disciples vont se diviser en une multitude de sectes qui toutes sentent trop l’humain, le rapport de force et l’orgueil. Ajoutons que derrière les paillettes de la tradition et le masque de la soumission aux anciens, tous ces faux prophètes vont en fait développer leurs propres théories originales en utilisant des éléments des anciennes doctrines, mais en les remaniant à leur sauce et comme ils veulent pour créer quelque chose d’original et devenir des sortes de gourous. En bref, toutes les figures religieuses qui ne sont pas chrétiennes sont en fait des hérétiques au sens étymologique du terme: ils choisissent ce qu’ils veulent dans les anciennes doctrines qui sont déjà fausses, et les réorganisent à leur sauce pour toutes les bonnes raisons du monde, sauf pour le Dieu créateur et trinitaire.
Alors, disons le, la restauration ne pourra se faire que par une restauration de la foi et nous avons la chance en France d’avoir une royauté très chrétienne qui permet, par une restauration politique d’aussi travailler à la restauration de la foi. La restauration doit être autant naturelle que surnaturelle et cela passe en France par la fidélité au roi Louis XX, élu par Dieu via les lois fondamentales, lieutenant de Dieu sur terre.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
2Cela se remarque par exemple tout à fait dans l’étude de Shigeyoshi Murakami, La religion au Japon (日本の宗教), Yoshikawa Bunkan, 2022, lue à la lumière de la foi catholique.