Vae victis !
Le génocide rwandais fait à nouveau la Une de l’actualité. Et, de nouveau, les grands médias rivalisent en matière de contre-vérités flagrantes et d’insupportables raccourcis.
Dans mes quatre livres, je n’ai cessé de combattre la désinformation qui prévaut depuis le début des années 90 au sujet de cette tragédie. Me voici à nouveau, aujourd’hui, à l’heure où le premier procès d’un génocidaire présumé s’ouvre à Paris, contraint de tenter de faire entendre une autre vérité, une vérité qui ne serait pas celle des vainqueurs.
Un petit retour en arrière s’impose.
Tout d’abord, il convient de rappeler que la guerre du Rwanda dura près de quatre années, d’octobre 1990 à juillet 1994. Or, les médias n’évoquent que les tragiques cent jours qui suivirent l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, c’est-à-dire la période allant d’avril à juillet 1994. Toujours au sujet de cette guerre, on omet de nous dire qu’elle fut déclenchée par une unité de l’armée ougandaise, lorsque cette dernière attaqua un poste frontière rwandais, au nord du pays. Il ne s’agissait donc pas d’une guerre civile, mais d’une agression externe. Certes, ceux qui composaient cette unité ougandaise étaient, dans leur majorité, d’origine rwandaise, mais ils ont attaqué le Rwanda avec leur uniforme ougandais, avec des armes et de l’équipement ougandais, et leur logistique était assurée depuis le territoire ougandais. Qui pourra croire que le dictateur ougandais n’était pas au courant qu’une partie de son armée quittait ses casernes pour attaquer le pays voisin, ou que cette opération n’avait pas été planifiée et organisée, en Ouganda, à l’instigation des autorités de ce pays ?
Il faut ensuite mentionner que les massacres de populations civiles ne débutèrent pas en avril 1994, mais qu’ils commencèrent dès les premiers jours de l’incursion d’octobre 1990. Malheureusement, durant toute la durée de cette guerre, la presse internationale n’a jamais pu se rendre en zone contrôlée par le « Front Patriotique Rwandais », alors qu’elle était très présente à Kigali et en territoire contrôlé par les forces gouvernementales. Les tueries commises par ces dernières, ou par les milices armées (les interahamwe), furent donc dénoncées, avec raison, par l’opinion internationale alors que celles perpétrées derrière la ligne de front ne furent jamais médiatisées. Or, de nombreux témoins, en particulier des anciens de l’armée « rebelle », ont rompu la loi du silence qui leur était imposée pour expliquer comment le FPR massacrait les populations civiles dans les zones qui tombaient sous son contrôle.
L’affaire de l’attentat contre l’avion présidentiel est un exemple flagrant de désinformation. Pour la première fois dans l’histoire moderne deux chefs d’Etat étaient assassinés en même temps (le président burundais se trouvait également à bord du Falcon). Depuis 20 ans, aucune enquête internationale[1] n’a été diligentée pour établir les faits, alors que l’assassinat d’un ancien premier ministre libanais a mobilisé les enquêteurs onusiens ainsi que les grandes puissances. C’est pourtant cet attentat qui fut l’élément déclencheur des massacres perpétrés durant les cent jours de 1994. Qui veut comprendre ce qui s’est réellement passé durant cette horrible période doit commencer par tenter de savoir qui a donné l’ordre d’abattre l’avion du président.
On ne cesse de nous affirmer que le génocide (c’est-à-dire les massacres d’avril-juillet 1994) avait été planifié de longue date par l’entourage du président assassiné. Or, malgré vingt années d’enquêtes, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) n’a jamais été en mesure d’apporter la moindre preuve de planification. Aucune des personnes condamnées par le TPIR n’a pu l’être au titre du chef d’accusation de « planification de génocide ». Par contre, personne ne semble avoir relevé le fait que le FPR a été en mesure de lancer une offensive générale, sur tous les fronts, dans les heures qui suivirent l’assassinat du président. Quiconque a quelques notions de science militaire sait qu’une offensive générale ne s’improvise jamais. Elle nécessite des jours, des semaines et même des mois de préparations minutieuses : mouvements d’unités, d’équipements, mise en place de moyens logistiques, etc. N’y avait-il pas là, de la part du FPR, ce que l’on pourrait appeler « planification » ? Or, si ce n’est pas le FPR qui a abattu l’avion présidentiel, comment savait-il qu’il allait l’être cette nuit-là ? De nombreux témoins étrangers et rwandais rapportent que, le lendemain de l’attentat, les officiels du gouvernement rwandais semblaient être en état de choc. La relève n’était pas prête. Si l’attentat avait été le fait de militaires gouvernementaux comme on l’affirme, il se serait agi d’un coup d’Etat. Un coup d’Etat, tout comme une offensive générale, ça ne s’improvise pas. La panique qui prévalait au sein des autorités rwandaises et l’absence d’un leader pour prendre les rênes du pouvoir semble indiquer qu’il n’y avait aucune planification.
Aujourd’hui comme chaque fois qu’il est question du génocide rwandais, les médias affirment que l’immense majorité des victimes était d’origine tutsi. Les Tutsi représentaient entre 10 et 12 % d’une population qui s’élevait alors à environ 7 millions de Rwandais. Le génocide fit environ 800 000 victimes. Si la
“seuls les « génocidaires » du camp des vaincus ont été poursuivis et jugés” |
majorité de ces victimes avait été tutsi, il ne serait quasiment pas resté de Tutsi au Rwanda en juillet 1994. La vérité est que le génocide fit des victimes hutu et tutsi. Durant la première phase du conflit, c’est-à-dire entre octobre 1990 et mars 1994, la majorité des victimes fut certainement hutu. Entre avril et juillet 1994, les victimes furent majoritairement tutsi en zone gouvernementale, et hutu en territoire « libéré » par le FPR. La fin de la guerre n’a malheureusement pas coïncidé avec la fin des massacres. Ceux-ci continuèrent dans les années qui suivirent la prise de pouvoir par le FPR, comme à Kibeho par exemple, en avril 1995, lorsque des milliers de déplacés hutu furent massacrés par l’armée du nouveau pouvoir. Ces massacres se poursuivirent en territoire zaïrois à partir de 1996, lorsque des centaines de milliers de réfugiés hutu furent liquidés par l’armée du FPR, qui avait entrepris la conquête de l’immense Zaïre qui allait ensuite être renommé République Démocratique du Congo.
Il ne s’agit pas ici de faire une macabre comptabilité afin de déterminer qui a tué le plus. Dans les deux camps, il y eut des crimes contre l’humanité. Malheureusement, seuls les « génocidaires » du camp des vaincus ont été poursuivis et jugés. Aucun bourreau du camp des vainqueurs n’a été à ce jour inquiété. Cela ne confirme-t-il pas que la formule inventée par le chef gaulois Brennos en 390 avant Jésus-Christ, après la prise de Rome, est toujours d’actualité : Vae victis, malheur aux vaincus ?
Hervé Cheuzeville
[1] En dehors de celle diligentée par le juge Bruguière et poursuivie par le juge Trévidic, à la suite de la plainte déposée par les familles de l’équipage français de l’avion.