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Ukraine : halte à l’engrenage guerrier !

En mars 2014, j’écrivais un article intitulé “L’Ukraine (et la Crimée) pour les nuls”[1]. Contrairement à de nombreux observateurs et analystes, j’évitais de prendre parti pour Kiev ou pour Moscou. Nos grands médias semblent, depuis le début, soutenir les thèses ukrainiennes et occidentales et, jour après jour, ils diabolisent un peu plus Vladimir Poutine, devenu, selon eux, une sorte de nouvel Hitler. Certains chroniqueurs indépendants ont, quant à eux, pris fait et cause pour Moscou et servent de relais à la « Voix de la Russie ». Pour ma part, bien que n’étant pas un spécialiste de cette partie du monde, je me contentais, dans l’article en question, d’énoncer certains faits incontournables. Je démontrais par exemple que l’Ukraine a eu, tout au long de son histoire, des frontières pour le moins fluctuantes, modulables au gré des circonstances, des alliances et de la montée en puissance de tel ou tel de ses voisins. Cet article m’a valu des insultes des deux côtés, ce qui m’a encouragé: quand on est attaqué des deux côtés à la fois, c’est que l’on est proche de la “vérité”, si tant est que cette dernière existe. Aujourd’hui, je pourrais réécrire ce que j’écrivais il y a près d’un an. La situation est seulement beaucoup plus désespérante, avec ces milliers de morts, ces centaines de milliers de déplacés et réfugiés, ces destructions et cette montée des extrémismes.  

François Hollande et Angela Merkel ont eu raison de se rendre à Kiev et à Moscou afin de tenter d’y proposer un plan de paix. Il faut souhaiter que cette tentative franco-allemande de médiation puisse aboutir. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore le contenu du plan de paix discuté dans les deux capitales. Pour qu’il ait des chances de réussir, ledit plan devrait contenir des clauses permettant à tous les Ukrainiens de l’accepter, tout en rassurant la Russie. Il devrait, par exemple, garantir une reconnaissance par les autorités ukrainiennes des droits de toutes les minorités nationales, y compris de leurs droits linguistiques. Cette reconnaissance devrait être inscrite en toutes lettres dans la  constitution ukrainienne.  Un système fédéral pourrait même être envisagé, afin que toutes les minorités nationales ukrainiennes puissent gérer leurs propres affaires au sein d’une Ukraine démocratique. La France et l’Allemagne quant à elles devraient s’engager à s’opposer toute velléité  d’intégration de l’Ukraine au sein de l’OTAN. L’Ukraine a certainement vocation à devenir un « partenaire privilégié » de l’Union Européenne, comme l’est la Turquie, mais certainement pas à en devenir membre à part entière. Cela aussi devrait être exposé clairement, tant à Kiev qu’à Moscou. Une fois ces points acquis, un processus de désarmement et de démobilisation des groupes armés ukrainiens devrait être mis en place. La possibilité d’une éventuelle intégration au sein de l’armée nationale ukrainienne devrait être offerte aux démobilisés. 

Reste la délicate question de la Crimée. Si l’action unilatérale russe est condamnable, les justifications historiques qui la motivent sont solides. La Crimée, comme expliqué dans mon article de mars dernier, n’a jamais été ukrainienne. Elle a été russe aussi longtemps que la Corse a été française. Remettre en question la « russité » de la Crimée ouvrirait la porte à un questionnement de la « francité » de la Corse, voire même de Nice ou de la Savoie. Le rattachement  de la péninsule à l’Ukraine décrété par Kroutchev en  1954 était une décision purement administrative, comme le fut la loi du 19 avril 1941  qui séparait la Loire-Inférieure[2] de la Bretagne : de telles décisions ne touchaient pas aux frontières internationalement reconnues des pays concernés, URSS ou France. Quel compromis pourrait-il être trouvé au sujet de la Crimée, qui satisfasse à la fois Kiev et Moscou ? Pourquoi ne pas proposer à la population criméenne un statut qui n’a jusqu’à présent pas été envisagé ? Je pense à l’indépendance. Ce statut ménagerait les susceptibilités nationalistes tant de l’Ukraine que de la Russie tout en rassurant la plus ancienne population de la péninsule, devenue au fil des siècles très minoritaire : les Tatars. La Russie conserverait, bien-sûr, sa base navale de Sébastopol. Cette indépendance pourrait être proposée à la population de Crimée, ainsi que les options russe et ukrainienne,  lors d’un référendum supervisé par l’ONU et garanti par la communauté internationale. Que l’on ne vienne pas me dire que la Crimée et ses 2 millions d’habitants, presque aussi vaste que la Belgique, n’ait aucune vocation à devenir indépendante.  Le Kossovo, berceau historique de la nation serbe, en avait-il davantage ? C’est d’ailleurs, pour une grande part, cette indépendance kossovar, voulue par les Etats-Unis et l’Allemagne, qui rendent particulièrement incongrues les protestations occidentales face aux actions unilatérales de Moscou.

L’accord qui pourrait être trouvé à Minsk devrait permettre à l’Ukraine de trouver sa place, entre Union Européenne et Russie. Cette Ukraine respectueuse des droits de ses minorités nationales pourrait ensuite faire les choix diplomatiques et économiques que lui dictent sa position géographique et sa longue histoire. Elle deviendrait alors le trait d’union naturel et indispensable entre deux grands ensembles qui n’ont pas vocation à être antagonistes mais que tout devrait au contraire contribuer à rapprocher : l’Union Européenne et la Fédération de Russie. Pour cela, il faudrait d’abord que les dirigeants européens aient la conviction que les intérêts bien compris de l’UE peuvent parfois ne pas coïncider avec ceux des Etats-Unis d’Amérique.

Hervé Cheuzeville



[1] https://www.vexilla-galliae.fr/actualites/europe-international/731-l-ukraine-et-la-crimee-pour-les-nuls

[2] Actuel département de Loire-Atlantique, rattaché depuis cette loi de l’Etat Français à la région Pays de la Loire. 

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