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La Nouvelle guerre froide

Je suis né en 1961… année de la construction du mur de Berlin : Génération « guerre froide » ! J’y ai même d’une certaine façon participé, ayant servi en 1985 dans la Force Océanique Stratégique (autrement dit, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) pour mon service militaire.

Pour l’anecdote, c’est en 1945, sous la plume de l’écrivain anglais George Orwell (encore lui !), que l’expression « Cold War » apparaît pour la première fois.

Pour les moins de 25 ans (que j’espère nombreux à nous lire), quelques étapes marquantes de la guerre froide :

  • Aout 1961 : Construction du mur de Berlin ;
  • Octobre 1962 : Crise des missiles de Cuba ;
  • 20 juillet 1969 : première victoire de l’ouest : le premier homme à marcher sur la Lune est américain !
  • Mars 1983 : Ronald Reagan lance la grande intox de la « Guerre des étoiles » qui mettra financièrement à genoux l’URSS ;
  • 9 novembre 1989 : Chute du mur de Berlin ;
  • 26 décembre 1991 : Effondrement de l’empire soviétique et dissolution du Pacte de Varsovie.

Clap de fin, pile pour mes 30 ans (je suis né le 16 décembre).

Cette guerre froide fut finalement courte et facile à gérer : 2 blocs symétriques, face à face, n’ayant aucun intérêt à s’affronter directement car se partageant tranquillement le monde.

Si aujourd’hui on retient que la guerre froide a été perdue par le modèle socialiste, on peut se poser à présent la question de la pérennité du modèle capitaliste.

Tout d’abord, précisons que le capitalisme soit disant victorieux est essentiellement celui de la « branche historique », à savoir un capitalisme connecté à l’économie réelle.

C’est le « capitalisme financier », terme que l’on emploiera avec prudence tant il peut à raison être considéré comme un pléonasme abusivement mis en exergue par les altermondialistes de tout poil, qui est attaqué.

Par qui ? Par les Etats, qui voient en lui (de façon opportuniste ?) le responsable de leurs faillites, instaurant ainsi une nouvelle forme de guerre froide.

Plus de 20 ans se sont déjà écoulés depuis la fin de la guerre froide, alors reprenons notre petite chronologie à la fin des années 80, début de ma carrière professionnelle sur les marchés financiers.

Cette période correspond précisément avec une avancée technologique déterminante, la dématérialisation des échanges financiers, intervenant de façon accélérée dans un contexte de mondialisation de l’économie. Le virtuel, petit à petit, l’emporte sur le réel.

Qu’est-ce que la dématérialisation ? Internet évidemment, mais pas seulement :

  • Généralisation des paiements par carte de crédit : qui se promène encore avec 1000 € en poche ? Au fait : savez-vous quel est le montant maximum que vous avez le droit de régler en liquide en France ?
  • Informatisation des bourses : les cours du marché français des actions sont gérés par informatique depuis 1987, par un super serveur secrètement gardé, le palais Brongniart n’étant plus désormais qu’un musée !
  • Tous les titres (actions, obligations) sont aussi dématérialisés : ils ne sont que des traces informatiques dans les serveurs des chambres de compensation et des dépositaires[1] et non plus de jolies œuvres d’art finement gravées sur papier (pensez à l’emprunt russe de vos aïeux !) ;
  • Les virements d’argent se font bien entendu aussi depuis longtemps de façon électronique, avec au niveau européen l’aboutissement en ce moment même du projet SEPA (Single Euro Payments Area – Espace unique de paiement en euros) ;
  • Les techniques financières, aidées par le progrès informatique se sophistiquent de plus en plus, voyant notamment les produits financiers dérivés (summum de la virtualité ayant déclenché la crise des subprimes !) atteindre des volumes phénoménaux.[2]

Toute cette technologie permet donc de faire à la vitesse de la lumière toutes sortes de transactions d’un bout à l’autre de la planète. Sans elle, la mondialisation n’existerait pas : qui de la poule ou de l’œuf ? …

Les Etats ont accompagné et encouragé le mouvement, mais se retrouvent à présent dans la position de l’arroseur arrosé.

La crise des subprimes de 2008 a marqué le commencement d’une nouvelle guerre froide entre d’une part les Etats et d’autre part les grandes sociétés multinationales (toutes les grandes banques bien sûr, mais aussi les grands groupes mondiaux tels qu’Apple, BAT… (Je vous laisse continuer la liste).

Tous les bénéfices issus de la spéculation sur les marchés pour les grandes banques, tous les montages d’optimisation fiscale des grandes sociétés mondiales, s’appuient et ne sont possibles que grâce à la simplicité (un clic !) des transferts de valeurs dématérialisées.

Ainsi, en absence d’une harmonisation des règles fiscales à l’échelle de la planète (impossible : le gouvernement mondial n’est pas pour demain et serait nécessairement dictatorial) et grâce à l’habileté des avocats spécialisés, une grande partie des bénéfices des grandes sociétés multinationales (Total inclu pour la France) échappe en toute légalité à l’impôt.

Exemple le plus célèbre, Apple : fin 2012, la trésorerie d’Apple frôlait les 100 milliards de dollars (oui : vous avez bien lu milliards) soit plus de liquidités que n’en disposaient les Etats-Unis eux-mêmes… à qui pourtant Apple ne paye quasiment pas d’impôts ![3]

Ambiance glaciale, car les Etats semblent bel et bien piégés par les compagnies mondiales : quelle gouvernance ?

  • S’ils laissent faire, la position politique deviendra rapidement intenable, car on serait alors quasiment dans une logique d’abandon de souveraineté ;
  • S’ils agissent, ce ne pourra être que de façon très autoritaire (déclarer la guerre à tous les paradis fiscaux ? saboter les plateformes électroniques de transfert de valeur ?) et avec des conséquences difficiles voire impossibles à évaluer.

Le spectacle a commencé et risque de durer quelques années. Le moins que je puisse dire, c’est que je suis curieux de la suite.

Arnaud de Lamberticourt



[1] Par ailleurs sociétés privées tout comme les bourses : le saviez-vous ? Comme par hasard, on constate depuis la fin des années 90 une lutte stratégique sans merci entre l’Europe et les Etats-Unis pour le contrôle de ces sociétés…

[2] On estime que les positions ouvertes sur le marché des produits dérivés se montent en volume en ce moment même à l’équivalent des PIB cumulés des 10 pays les plus développés !

[3] Les nouvelles structures économiques mondiales sont « plates », flexibles, mobiles géographiquement et difficiles à taxer, tout le contraire des grandes structures pyramidales étatiques…

 

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