La monarchie, une solution envisagée pour l’Irak ?
Avec une invasion orchestrée sous de fallacieux prétextes, il aura fallu à peine un mois, entre mars et avril 2003, pour que les Américains et leurs alliés ne renversent le régime baasiste du président Saddam Hussein, en place depuis 1979. Pour les Etats-Unis, il s’agissait désormais de redonner ses lettres démocratiques à une république qui, depuis sa proclamation en 1958, n’avait jamais connu un seul président civil, tout en s’assurant la signature de juteux contrats pétroliers. L’administration du président Georges W. Bush négocia alors avec le Congrès national irakien (CNI), cette opposition hétéroclite qu’elle finançait depuis 1992, afin de mettre en place les premières élections libres en Irak. Parmi tous ces nombreux partis qui se disputaient déjà le strapontin suprême, celui du prince Sharif Ali Ben Al-Hussein semblait alors être une option sérieuse et envisagée. Finalement écartée, c’est depuis un Irak, divisé religieusement, qui subit la violente agression armée de l’Etat Islamique. Le Premier ministre Haider Al-Abadi, le 31 mars dernier, a proposé au parlement de confier le poste des Affaires étrangères au prince Sharif. Un premier pas vers la restauration de la monarchie ?
Partie intégrante de l’empire Ottoman depuis le XVIème siècle, l’Irak n’a jamais eu de réelles frontières et a toujours été au centre d’un conflit entre la Sublime Porte et la Perse voisine. La première guerre mondiale, qui voit naître les principaux mouvements nationalistes arabes, va permettre aux Britanniques et aux Français de se partager le gâteau mésopotamien, riche en ressources naturelles. Sous mandat britannique, l’état d’Irak est alors constitué le 11 novembre 1920. Non sans certaines difficultés.
Après avoir réprimé une rébellion des chiites irakiens, on s’empresse de doter l’Irak d’une constitution monarchique et de placer sur son trône le prince Faysal ben Hussein al Hashemite, âgé de 36 ans. Etrange cérémonie, ce 23 août 1921, pour un homme que l’on couronne sous les notes du « God save the King » britannique et devant les yeux d’une population incrédule. Il est pourtant loin d’être un inconnu. Il a été l’un des leaders de la grande révolte arabe au côté du fameux Lawrence d’Arabie et il est monté brièvement sur le trône de Syrie (mars à juillet 1920) avant d’en être chassé par les Français. Enfin, sa famille garde les lieux saints de la Mecque situé au sein du royaume du Hedjaz. Un curriculum vitae qui a vite achevé de convaincre les Britanniques de le désigner sur ce trône créé de toutes pièces. Monarque parlementaire, le roi est vite dépassé par les querelles politiciennes et l’antagonisme chiite/sunnite qui agitent le pays. Si Faysal entend réaliser son rêve panarabe en renforçant l’idée de cohésion nationale, il échoue à rallier les kurdes et les assyriens qui restent dans l’opposition armée. Faysal meurt un an après le départ des Britanniques du pays et un mois après le massacre de Simele où l’armée exécute plus de 600 assyriens sur tout le mois d’août 1933. Son fils Ghazi hérite d’un pouvoir qui ne l’intéresse pas. Les gouvernements de coalitions nationales se succèdent (pro-Britanniques et nationalistes), les élections sont entachées d’irrégularités, les inégalités sociales se creusent. Un coup d’état en 1936 chasse les nationalistes du pouvoir et le nouveau gouvernement s’empresse de négocier des traités avec la Turquie et l’Iran. Le roi organise alors un contre- coup d’état en septembre 1937 mais il n’aura pas le loisir d’exercer son pouvoir très longtemps. Alors qu’il se préparait à envahir le Koweït, séparée de l’Irak sur la demande des Britanniques, il meurt dans d’étranges circonstances, lors d’un accident de voiture, le 4 avril 1939. Son fils et successeur n’a que 4 ans. Faysal II monte sur le trône avec à ses côtés, son oncle et régent Abdul Illah et l’omniprésent Premier ministre (pro-Britannique) Nouri Al Saïd. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’Irak est loin du front européen, tant militaire que diplomatique, mais une autre guerre se joue au Proche-Orient. La Palestine est au bord de la révolte, et son leader, le mufti de Jérusalem, Mohammed Amin Al Husseini, a été exilé à Bagdad.
Les nazis s’intéressent de près à ce soulèvement naissant. Le chancelier Hitler rencontre le mufti et lui propose la reconnaissance des nations arabes sous domination britannique en échange d’un soutien au régime allemand. C’est l’alliance de la Svastika et du Croissant. En avril 1941, un coup d’état pro nazi orchestré par le mufti permet le retour au pouvoir du nationaliste Rachid Ali, déjà deux fois Premier ministre. Pour les nazis c’est un succès qui leur permet d’accéder aux réserves pétrolifères du pays quand pour les anglais, c’est une coupure avec la route des Indes. En Palestine cependant, c’est un échec. Raul Arafat, le père du futur dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine, n’arrive pas à déclencher une insurrection. Les Britanniques réagissent alors très vite et en mai 1941, reprennent le pouvoir. Nouri Al Saïd est de nouveau Premier ministre. La politique pro-occidentale du gouvernement heurte l’armée profondément nassérienne. La signature du Pacte de Bagdad en 1955 est vécue comme une véritable trahison patriotique. Toutes les manifestations sont violemment réprimées notamment lors de la crise de Suez. La création de la République Arabe Unie en février 1958, entre l’Egypte et la Syrie, provoque le rapprochement des 2 états Hashémites d’Irak et de Jordanie. Le gouvernement prend alors la décision d’intervenir en Jordanie afin d’aider le roi Talal à consolider son pouvoir après l’assassinat de son père en 1951, à Jérusalem, probablement sur l’ordre du mufti.
Mais au lieu de passer la frontière, l’armée se révolte et au son de la Marseillaise, s’empare du palais royal le 14 juillet 1958. Date symbolique s’il en est. Le roi est âgé de 19 ans. Cet adolescent qui vient juste de se fiancer, et qui inspira plus tard le dessinateur Hergé, est immédiatement passé par les armes. Le corps de l’ancien régent, mis à nu, est traîné derrière un pick-up dans les rues de la capitale, le premier ministre Nouri Al Saïd, déguisé en femme est reconnu et assassiné le lendemain. La monarchie irakienne a vécu.
Certains membres de la famille royale ont échappé au massacre. Sharif Ali Ben Al-Hussein, issu de la lignée du Hedjaz, n’a que deux ans quand la révolution éclate. La veille, son père appelait encore le roi Faysal II au téléphone. Il avait refusé une protection armée et la demeure qu’il occupait avec sa famille lui avait permis d’échapper à un terrible assassinat. Réfugié dans l’ambassade d’Arabie Saoudite, il prit le chemin de l’exil au Liban puis en Angleterre où le prince Sharif deviendra banquier et opposant politique. Il rencontre des émissaires américains en octobre 2002, tentant devant de vagues promesses, de les convaincre de l’opportunité de restaurer la monarchie légitime. Il débarque le 10 juin 2003 à Bagdad. Les chefs bédouins se sont réunis pour l’accueillir. Ils sont peu nombreux sur le tarmac de l’aéroport où flotte un drapeau américain. Ironie de l’histoire quand on sait que ce fut un autre drapeau anglo-saxon que le premier souverain d’Irak aperçu à son arrivée dans la capitale irakienne. Dans sa poche, un programme : Le rétablissement de la sécurité, du système de santé et de la justice. Après s’être recueilli dans le mausolée royal, parfaitement entretenu, le prince rencontre le ministre des Affaires étrangères. Il s’agit de négocier le retour de la monarchie via un référendum. Les Américains en décideront finalement autrement, contraignant le prince à se diriger seul avec son parti vers les urnes.
Tout au plus, obtient-il la tête de la représentation de la délégation du CNI, le 28 octobre 2003, chargée de négocier avec le ministre des Affaires étrangères de Syrie. Sa participation aux élections sera constellée d’échecs répétés. Ainsi lors des législatives du 30 Janvier 2005, son mouvement est crédité de 0,16% des voix (13740 voix) en dépit d’une forte distribution d’affiches avec son portrait et ce slogan, « un espoir pour l’Irak ». Le 3 Avril suivant, il échoue à se faire élire au poste de vice–président de la nouvelle République et n’obtient pas d’élus aux nouvelles élections parlementaires de décembre 2005. Amère, le prince déclarait en 2004, lors d’un entretien accordé au Figaro : «bien avant la guerre, j’ai suggéré aux Américains d’organiser des élections au plus vite dès que le régime tomberait. Ils se sont malheureusement fiés à leurs propres copains en exil et ont complètement échoué dans la reconstruction du pays. Dès le départ, l’erreur a été de créer un Conseil de gouvernement transitoire sous la coupe de Paul Bremer, le proconsul américain ». Qualifiant le gouvernement irakien élu de «trop proche des Américains, trop opportuniste » il concluait ainsi: « le retour de la monarchie peut se présenter comme le remède idéal aux maux de l’Irak ». « Je suis convaincu que seule une monarchie constitutionnelle pourra assurer la diversité des partis politiques et éviter que l’un d’entre eux cherche à dominer les autres ».
Vaines chimères ? En 2007, certains députés américains républicains avouaient cependant que le rétablissement de la monarchie en Irak, permettrait de mettre fin à l’instabilité politique qui règne dans le pays. Est-ce pour cela que, le 17 Juin 2009, le prince a rencontré durant deux heures, le ministre des Affaires étrangères turque au nom du gouvernement irakien ? Et la veille, n’avait-il pas été reçu par le ministre des Affaires étrangères d’Iran qui confessait ne pas voir d’un mauvais œil, la formation d’une monarchie amie à ses frontières ? En 2010, son mouvement avait de nouveau participé aux élections législatives au sein de la liste « Bloc Chiite ou Alliance Nationale Irakienne » occupant la 11ième place. En Jordanie, le roi Abdallah II avait cependant interdit au moindre membre de la famille royale d’interférer dans les affaires internes du pays. En effet, si le prince Sharif était prétendant au trône d’Irak, il n’était pas le seul à vouloir cette hypothétique couronne. Le cousin du roi Ghazi, le prince Ra’ad bin Zeid prétendait aussi à ce trône. Né à Berlin en 1936, son père qui fut un vice–régent du royaume irakien, fut aussi reconnu chef de la famille royale en 1958 par la seule cour royale de Jordanie. Ce prince compte des partisans et un parti s’est constitué afin de faire valoir ses droits au trône, l’Alliance démocratique monarchique. Qui a eu autant de succès électoraux que son adversaire, et obligé également de se fondre dans une coalition.
Le sable balaye aujourd’hui la forteresse de Bagdad et les passions politiques s’exacerbent de part et d’autres au sein des partis irakiens. Les Etats-Unis, incapables d’assurer la sécurité des frontières d’un pays qu’ils ont contribué à déstabiliser, pourraient désormais retenir l’option monarchique et fédérale comme solution définitive aux violents tourments confessionnels que traverse le pays. Reste à savoir si le prince Sharif Ali Ben Al-Hussein sera à même de pouvoir écrire un nouveau chapitre de ce conte des mille et nuits dont seule, cette Mésopotamie millénaire garde farouchement le secret, au creux de sa main, et la lumière de son destin.
Frederic de Natal