La Grèce, laboratoire européen de tout un chacun ?
La Grèce, de la monarchie à la république en passant par la dictature des colonels, connaît entre 1950 et 1975 une croissance rapide que certains n’hésitent pas à appeler le « miracle grec ». Son entrée dans l’Union européenne en 1981 après l’installation de la démocratie et un référendum qui conforte la république comme système politique lui permet de se développer notamment grâce à un produit intérieur brut inférieur à la moyenne de l’ancienne zone européenne.
Mais sous la réussite économique grecque se cache une économie parallèle qui gangrène doucement ce miracle autant que la politique grecque commence à fortement se bipolariser avec l’omniprésence du PASOK (Mouvement socialiste panhellenique) et la Nouvelle Démocratie (équivalent de notre UMP national). Le PASOK estime de droit avoir la légitimité politique pour diriger le pays avec sa dynastie républicaine, les Papandréou plusieurs fois Premiers ministres y compris sous le règne de Constantin II dont ils furent les pourfendeurs acharnés, face à une Nouvelle démocratie (parti hétéroclite rassemblant aussi bien des républicains de droite que nostalgiques de la monarchie) qui peut se targuer d’avoir ramené la démocratie en Grèce.
L’année 1993 est le tournant politique de la Grèce. La Nouvelle démocratie (ND) est évincée du pouvoir par le PASOK (et ce malgré un scandale bancaire de grande ampleur) qui secoue les socialistes) entamant une longue traversée du désert. Depuis 1989, le ND gouvernait le pays avec le parti SYNASPIMOS, une coalition de gauche dissidente du parti communiste grec. Le PASOK est très vite malmené dès son arrivée avec une crise diplomatique entre son pays et la Turquie et le retour inopiné du Roi Constantin II dans le pays où les manifestations de soutien se multiplient à un tel point que le PASOK tente d’interdire l’accès de certains sites au souverain déchu (depuis 1967, la monarchie n’ayant été abolie qu’en 1974). Le gouvernement socialiste flirte néanmoins avec des succès non négligeables comme l’organisation des jeux olympiques en 2004 ou l’admission de la Grèce dans la zone euro 2 ans auparavant. Une crise interne éclate à l’aube des années 2000 entre le Président Costas Simitis jugé trop faible et les nostalgiques de la famille Papandréou amenant le PASOK à une crise d’identité qui lui fait perdre les élections en 2007 et ramène la Nouvelle démocratie au pouvoir. Le chômage est alors l’un des plus bas de la zone euro ne touchant que 7% de la population.
En 2008, le déficit public explose comme un coup de massue sur le pays. Par ricochet, le pays subit la crise économique mondiale dont l’épicentre est américain. Mais les créanciers de la Grèce se mettent à douter de sa capacité à rembourser ses dettes autant que payer les intérêts et qu’elle a manqué de transparence lors de son entrée dans la zone euro. Les cours s’effondrent rapidement devant le fort endettement du pays (120% du PIB). L’augmentation de l’inflation contraint le gouvernement du Premier ministre à prendre des mesures drastiques tel que la diminution du salaire des fonctionnaires, celles des pensions, la création de nouveaux impôts, hausse de la TVA etc. Des mesures impopulaires qui forcent le gouvernement à ployer l’échine devant le Fond international monétaire (FMI) et la zone euro (dont l’Allemagne est le premier poumon économique ) et accepter un ajustement structurel de sa dette entraînant de nouvelles mesures qui saignent financièrement le portefeuille du citoyen grec.
La pression de la rue est tellement forte que le parlement est menacé d’être pris par les manifestants anti austérité qui campent sur la place tous les jours.
En 2009, le PASOK reprend les rênes du gouvernement. Georges Papandréou au cours de sa campagne a défendu l’idée d’un « état social qui garantit le développement » comme « condition indispensable pour la création d’un nouveau modèle de développement ». Des rumeurs de sortie de la Grèce de la zone euro se multiplient et Bruxelles (notamment le tandem France-Allemagne) comme la Banque centrale européenne craignant un effet domino obligeront de nouveau le pays à renégocier sa dette et de voter de nouvelles mesures comme la flexibilité du travail, un impôt sur les résidences illégales, une énième hausse de la TVA ou gel du salaire des fonctionnaires. Face à la spéculation des agences de notation, les tensions s’accroissent. Les gouvernements chutent et les partis bipolaires s’alternent quand ils ne forment pas des coalitions.
Les élections de 2012 sont un choc pour l’Europe. A bout de souffle, les grecs ont opté pour les partis extrémistes toutes tendances confondues. La nouvelle coalition de la gauche radicale (SYRIZA) emmenée par son charismatique leader Alexis Tsipras obtient 52 sièges /300. L’extrême droite d’Aube Dorée fait son entrée dans avec 21 sièges, le Parti communiste KKE maintient sa vingtaine de sièges et le parti DIMAR de la Gauche démocratique créé quelques mois avant l’élection prônant un socialisme démocratique réformateur entre au parlement (Vouli) avec 17 sièges. C’est un camouflet historique notamment pour le PASOK qui n’obtient que 13% des voix.
La formation d’un nouveau gouvernement est maintes et maintes fois reportée. Alexis Tsipras refuse d’entrer dans le gouvernement si celui-ci ne décide pas d’appliquer sa politique de réformes et de renoncer aux mesures d’austérité imposées par l’Europe taclant violemment l’Allemagne dans la presse. Cet échec des négociations renvoie en moins de 2 mois les grecs aux urnes (juin 2012) qui ne sera qu’un bis repetita de l’élection précédente et conforte le choix des électeurs. DIMAR rejoindra la coalition PASOK/ND avant d’en claquer la porte en 2013 suite à la fermeture de la Radio Télévision Hellenique sur décision du gouvernement déclenche une vague de protestation et une grève générale qui dégénère en émeutes. Le gouvernement est fragilisé et ne gouverne plus que le pays avec une marge de manœuvre très faible. A l’aube des renégociations de la dette avec la troïka financière européenne (prévue au 28 février), le gouvernement de coalition décide d’avancer la date des élections au 25 janvier 2015. Cette décision plonge la Bourse d’Athènes dans l’incertitude car elle anticipe la chute du gouvernement face à SYRIZA qui dénonce le « marchandage politique des partis historiques et l’ingérence de l’Europe ».
Le PASOK subit une scission avec le Mouvement des socialistes démocrates (KINIMA) de Papandréou et la Nouvelle démocratie est talonnée sur sa droite par le populiste eurosceptique controversé de Panos Kammemos qui dirige l’ANEL (Grecs indépendants). Dès le départ de la campagne électorale, la Commission européenne et le Commissaire européen aux affaires économiques européenne et monétaires, le socialiste Pierre Moscovici, marquent leur préférence pour le gouvernement sortant rejoint par la Chancelière allemande Angela Merkel et le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy. Le pays devient le jouet électoral de l’Europe et des partis eurosceptiques qui s’emparent de cette élection pour en faire l’exemple de leur programme de rejet de l’Europe (du Front de Gauche au Front national aux socialistes frondeurs comme les Verts ou encore des altermondialistes aux Identitaires pour la France). La victoire attendue de SYRIZA qui obtient 149 sièges est un tsunami dans la politique grecque. Si la Nouvelle démocratie se maintient avec 76 députés, le PASOK est réduit au rang de parti mineur avec 13 sièges (tout comme ANEL) devant Aube dorée devenu la 3ème force politique du pays avec 17 sièges, ou le KKE 15 sièges. L’entrée au parlement du parti de centre gauche TO POTAMI avec 17 sièges confirme le rejet européen à la politique grecque actuelle et de son bipolarisme par une nouvelle génération de jeunes grecs qui n’a pas connu l’antagonisme Est/Ouest de l’après-guerre.
SYRIZA n’est pas le 1er parti de la gauche radicale à entrer dans les hautes sphères politiques de la zone d’influence grecque. Il a déjà été devancé sur ce terrain par le Parti communiste chypriote (AKEL) de Dimítris Khristófias entre 2008 et 2013 dont le programme économique a plongé l’île dans une crise financière sans précédent. Mais alors si ses confrères chypriotes ont échoué, la gauche grecque peut-elle faire mieux avec son leader quadragénaire qui entame son marathon de visites officielles dans les pays de la zone euro?
Il présente un programme économique en rupture avec les coalitions précédentes, entend renégocier la dette, augmenter à la hausse les salaires minimums, quitte à menacer de sortir de l’Euro et remettre la Drachme en service. Démagogue, Aléxis Tsípras l’est certainement. Néanmoins, on ne peut que louer sa réelle volonté ou son excès de naïveté de vouloir mettre fin à la politique clientéliste qui prévaut en Grèce depuis des… siècles ! Peut-il appliquer son programme en toute tranquillité sans hérisser le poil de nos technocrates de Bruxelles voir de l’Allemagne ?
Si on regarde de près son programme économique, sa mise en place conduirait inévitablement vers un nouvel accroissement du déficit extérieur et ce serait perdre tous les bénéfices des efforts accomplis depuis 2008. D’autant que la pression de Bruxelles était devenue moins forte depuis que le budget est presque à l’équilibre selon les exigences de la Troïka. SYRIZA sera contraint à court terme de revoir sa ligne de conduite quitte à mettre plus d’eau dans son retsina et Aléxis Tsípras à adopter plus de pragmatisme tant sa marge de manœuvre est quasi étroite.
Si la France prend acte de l’élection de Tsipras, ce n’est pas pour autant qu’elle lui accorde du crédit. Le message de félicitations du Président François Hollande est clair et met la Grèce devant ses responsabilités tout en demandant au nouveau premier ministre de tenir les engagements précédents pris par ses prédécesseurs : “il y a d’ailleurs un programme qui est en cours d’aide à la Grèce au plan européen, et il doit se poursuivre. Et également le principe de la responsabilité. Des engagements ont été pris et doivent être tenus”. Pourquoi une telle distance entre les économistes du Parti socialiste et ceux de SYRIZA ? Le calcul est simple. La renégociation de la dette grecque selon les conditions de SYRIZA coûterait pas moins de 727 € aux français qui devraient débourser cela de leur poche contre 600 aujourd’hui 240 milliards d’Euros ont été prêtés depuis 2008 à la Grèce et la part française se porte à 40 milliards d’€. La République française n’entend donc pas perdre le bénéfice de ses intérêts d’autant que la coalition que forme SYRIZA avec l’ANEL est fragile. Une alliance populiste droite/gauche qui a eu le don d’agacer fortement Angela Merkel qui entend combattre toute création de front social-démocrate anti européen. La première rencontre entre le président de l’Eurogroupe et Tsipras a été aussi tendu, bien que le nouveau Premier ministre ait finalement exclu de sortir de la zone euro afin de rassurer ses partenaires. La chancelière allemande se retranche déjà dans ses positions telle qu’elle le déclare au journal « Hamburger Abendblatt. » aujourd’hui : « Il y a déjà eu un renoncement volontaire des créanciers privés, les banques ont déjà renoncé à des milliards de créances sur la Grèce” (…) Je ne vois pas de nouvel effacement de la dette”. Dont acte. Une nouvelle tragédie grecque est sur le point de s’écrire. Avec un nouvel acteur improbable…. l’Ukraine. En effet, Alexis Tsipras serait tenté de rallier la Russie afin de faire plier l’Allemagne qui craint un embrasement général de la zone slave et la perte d’un accès au gaz ukrainien.
L’Europe regarde la Grèce désormais dans une sorte d’attentisme mais ne semble pas prête à lui laisser la moindre chance de renégociation. Un nouvel échec renverrait de nouveau une population épuisée aux urnes. Après avoir essayé les partis traditionnels comme eurosceptique, la Grèce serait-elle tentée de jouer la carte monarchique comme symbole d’unité ? Interrogé à ce sujet, Alexis Tsipras a balayé la question en rappelant que cette question avait été tranchée par un référendum. Un Premier ministre qui a déjà une mémoire courte car il avait rencontré à l’écart d’un salon privé l’ancien souverain afin de lui demander des conseils. Le nouveau dessin de la carte électorale peut-il favoriser également le retour de la monarchie ? Un possible joker qui avait fait l’objet d’une étude au sein du parlement européen en 2013. Mais la quasi absence de prise de position du Roi Constantin II qui semble résigné à son sort où le peu de communiqués officiels de ses fils ne profitent pas aux mouvements monarchistes plus tolérés par la démocratie grecque que réellement reconnu. Néanmoins avec moins de 1% aux élections de juin 2012, les monarchistes ne semblent pas une menace de taille pour la République. Bien que l’histoire ait démontré à plusieurs reprises que le système monarchique a été le dernier rempart à toutes les crises diverses grecques, il se peut qu’à court terme Constantin II soit rappelé à l’issu d’un référendum si SYRIZA échoue. Après tout l’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?
Frédéric de Natal
Quelques liens :
http://www.liberation.fr/monde/2015/01/26/direct-grece-l-ue-va-devoir-composer-avec-syriza_1188826
http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-charline-merkel-hollande-tsipras-un-plan-a-trois
http://www.slate.fr/story/97395/syriza-partis-politique-grecs