Humour est-africain
Depuis des mois, le Burundi s’enfonce dans une crise politique potentiellement très dangereuse. Cette crise est due à la volonté du président sortant de se présenter pour un troisième mandat, en violation de la constitution du pays et de l’esprit des accords d’Arusha qui mirent fin à la guerre civile. Le 13 mai dernier, une tentative de coup d’Etat militaire a eu lieu. Des affrontements se produisent quotidiennement dans les quartiers populaires de Bujumbura, la capitale, faisant des morts et des blessés. Le CNDD-FDD[1], parti au pouvoir, a mis sur pied une milice afin d’intimider l’opposition. Le pouvoir s’est obstiné à maintenir le calendrier électoral et les élections locales et législatives se sont déroulées le 29 juin dernier, malgré le boycott des partis d’opposition. Sans surprise, le parti présidentiel a obtenu la majorité des sièges à l’Assemblée Nationale. La semaine dernière, des combats ont eu lieu dans le nord du pays entre des rebelles armés venus du Rwanda et l’armée burundaise. Connaissant l’histoire tragique de ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs et y ayant vécu, je ne peux que m’inquiéter de cette dérive qui pourrait fort bien signaler le début d’une nouvelle guerre civile.
Les médiateurs de l’Union Africaine ont échoué : la partialité du premier a été mise en cause par l’opposition tandis que celle du second l’a été par le pouvoir. Le dernier sommet de la Communauté Est-Africaine[2] a obtenu une concession du président burundais : les élections présidentielles qui devaient se tenir le 15 juillet, ont été remises au… 21 juillet ! Cette rencontre de Dar-es-Salaam a surtout permis la désignation d’un nouveau médiateur. C’est un véritable expert qui a été choisi. Cet homme est au pouvoir dans son propre pays depuis 29 années. Arrivé au pouvoir en 1986 à l’issue d’une sanglante guérilla qui dura 5 ans, il a été élu au suffrage universel une première fois en 1996[3], pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Il a depuis été réélu en 2001, 2006 et 2011 et il prépare en ce moment sa prochaine réélection prévue pour 2016 ! Pour ce faire, il n’a pas hésité à modifier la constitution qu’il avait lui-même promulguée, afin d’éliminer la limite constitutionnelle des deux mandats. Pour se faire réélire, tous les moyens ont été utilisés : intimidations, trucages électoraux, arrestations d’opposants, utilisation des moyens de l’Etat pour les campagnes du candidat-président et de son parti, etc… Il y a seulement quelques jours de cela, les deux personnalités politiques les plus en vue pour se présenter contre lui en 2016 ont été arrêtées. C’est donc cet expert es-réélections et ce champion du maintien au pouvoir qui a été choisi par ses pairs pour tenter de faire assoir à la même table le président sortant du Burundi et son opposition ! Ce médiateur exemplaire, on l’aura reconnu, c’est le président de la République d’Ouganda, Yoweri Museveni.
Pourquoi donc le président Nkurunziza renoncerait-il à son troisième mandat alors que le médiateur en est à son quatrième et qu’il prépare son cinquième ? Quand son voisin du nord Paul Kagamé est en train de faire modifier la constitution qu’il a lui-même imposée au Rwanda afin de pouvoir se représenter en 2017 ? Quant à son collègue de l’ouest, Joseph Kabila, il a lui aussi entamé les premières démarches qui lui permettront, en 2016, de se présenter pour un troisième mandat à la tête de la République Démocratique du Congo, après une nouvelle modification de la constitution.
Dans cette partie de l’Afrique, le seul signe d’espoir semble venir de Tanzanie. Ce grand voisin du Burundi a définitivement tourné la page de l’époque du parti unique des lendemains de l’indépendance. Son père fondateur, Julius Nyerere, avait su donner un exemple lumineux à l’ensemble du continent en se retirant de son plein gré en 1985, après avoir passé 21 ans au pouvoir. Il se retira alors dans sa ferme, jusqu’à son décès en 1999. Durant cette retraite bien méritée, sa réputation de sage africain l’a amené à effectuer des médiations pour telle ou telle crise africaine. Cette réputation de sagesse n’était pas usurpée et l’Église catholique ne s’y est d’ailleurs pas trompée en ouvrant la cause de béatification de ce Catholique pratiquant[4]. Depuis le départ de Nyerere, tous ses successeurs se sont également retirés du pouvoir après avoir effectué deux mandats présidentiels de cinq années : Ali Hassan Mwinyi, qui dirigea la Tanzanie de 1985 à 1995, puis Benjamin Mkapa, de 1995 à 2005 et enfin Jakaya Kikwete, dont le second mandat doit s’achever en octobre prochain. A Dodoma, le 12 juillet dernier, alors que le Burundi s’enfonçait un peu plus dans la crise, le CCM[5], parti au pouvoir en Tanzanie, investissait en toute quiétude John Pombe Magufuli, actuel ministre des travaux publics, comme candidat pour les élections présidentielles devant se tenir le 25 octobre prochain. Cette stabilité politique remarquable a permis au pays de décoller économiquement et d’attirer chaque année des millions de touristes qui semblent désormais bouder le Kenya voisin, du fait des troubles politiques et des attentats terroristes que ce pays a connu, ces dernières années.
L’Afrique est un continent divers et les situations varient d’un pays à l’autre. Alors que les Yoweri Museveni, Paul Kagamé, Joseph Kabila et Pierre Nkurunziza ne reculeront devant rien pour s’accrocher au pouvoir indéfiniment, Jakaya Kikwete, en Tanzanie, se prépare à profiter d’une retraite elle aussi bien méritée. Il est cependant pour le moins incongru que la Communauté Est-Africaine ait jugé bon de faire appel à Museveni pour régler la crise burundaise. Il s’agit là sans doute d’une nouvelle facette de l’humour est-africain. Je ne suis cependant pas certain que les Burundais l’apprécient à sa juste mesure !
Hervé Cheuzeville
[1] Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie.
[2] Ensemble régional regroupant le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi.
[3] J’ai eu l’honneur d’être observateur des Nations Unies lors des élections de 1996 !
[4] Ce Vénérable est fêté le 14 octobre.
[5] Chama Cha Mapinduzi (Parti de la Révolution, en swahili).