Attentats terroristes à N’djamena : la vengeance de Boko Haram ?
Lorsque je vivais au Tchad, entre 2010 et 2013, je disais souvent qu’il ne fallait pas se demander SI des attaques terroristes allaient se produire, mais plutôt QUAND elles se produiraient. Cela a malheureusement fini par arriver, ce lundi 15 juin, lorsque N’djamena, la capitale, a été ensanglantée par deux attentats suicides. Les dépêches d’agence de presse indiquent que le bilan s’élèverait à au moins 27 morts et des centaines de blessés. Le commissariat central, où se trouve Direction de la Sécurité Publique, a été visé. Un motard s’y serait fait exploser. Sans doute ceux qui ont planifié cet attentat-là espéraient-ils faire des victimes étrangères, car c’est à ce commissariat que tout étranger arrivant au Tchad a l’obligation d’aller se faire enregistrer. En lundi matin, il devait certainement y en avoir, entrés dans le pays depuis vendredi. L’autre cible des terroristes a été l’Ecole de Police. Deux symboles de l’appareil sécuritaire tchadien, deux camouflets pour l’homme fort du Tchad.
Le Tchad est longtemps resté dans l’ « œil du cyclone ». A l’est de ce pays se trouve le Soudan et sa région du Darfour, ravagée par une guerre civile depuis plus d’une décennie. Au nord, il y a la Libye, dévastée par une guerre intestine depuis la chute du dictateur Kadhafi, chute provoquée en 2011 par Sarkozy et Camerone, avec la bénédiction d’Obama. Au sud, c’est la République Centrafricaine, minée par l’instabilité et, depuis 2013, par une guerre qui a pris l’apparence d’un conflit religieux. A l’ouest, séparé du Tchad par une mince bande de territoire camerounais, se trouve le Nigéria, géant africain aux pieds d’argile, dont les populations du nord-est sont terrorisées depuis des années par un groupe islamiste composé de combattants analphabètes et loqueteux nommé « Boko Haram ». Enfin, beaucoup plus à l’ouest, au-delà du Niger, autre voisin occidental du Tchad, il y a le Mali qui ne se remet toujours pas de l’occupation de sa partie septentrionale par des bandes armées de fondamentalistes islamistes mâtinées de trafiquants en tout genre et associés à des indépendantistes touaregs. Dans tous ces conflits qui entourent le « pays de Toumaï », le Tchad a joué et continue à jouer un rôle important.
Au Darfour, une partie de la rébellion est issue de l’ethnie Zaghawa, à laquelle appartient aussi le président Idriss Déby et tout ce que son régime compte d’hommes riches et puissants. Les relations entre Tchad et Soudan ont longtemps été exécrables, le pouvoir de Khartoum accusant celui de N’djamena de soutenir les rebelles darfouris tandis que les autorités tchadiennes affirmaient que le Soudan soutenait l’opposition armée au président tchadien. Des centaines de milliers de réfugiés ayant fui le Darfour campent dans des camps de la zone frontalière, au Tchad. Des dizaines de milliers de Tchadiens, déplacés par l’insécurité, continuent à vivre dans des camps de personnes déplacées, dans cette même région orientale. Les relations entre Déby et Béchir ont fini par s’améliorer, permettant ainsi la relative sécurisation de la frontière, où patrouille une force militaire mixte, composée d’éléments provenant des forces armées des deux pays.
Le Tchad, dans les années 70 et 80, était en guerre avec la Libye de Kadhafi. L’actuel président tchadien a même participé en 1987 à une audacieuse opération qui permit la prise de la base aérienne de Ouadi Doum, loin à l’intérieur du territoire libyen, infligeant ainsi une terrible humiliation au dictateur de Tripoli. Cependant, c’est Kadhafi qui permit à Idriss Déby de renverser Hissène Habré en 1990. Le nouveau dirigeant tchadien établit ensuite d’étroites relations avec le Guide libyen. Des dizaines de milliers de migrants tchadiens allèrent travailler en Libye, tandis qu’une partie importante du commerce tchadien se faisait à travers le Sahara, permettant aux biens de consommation fabriqués en Chine ou ailleurs d’atteindre les marchés du Tchad, pays enclavé, via la Libye. Le chef de l’Etat tchadien n’avait pas caché son opposition à l’opération franco-britannique qui amena la chute de Kadhafi. Il craignait que cela ne provoque la déstabilisation de toute la région sahélo-saharienne. Les évènements qui suivirent, au Mali et ailleurs, ont prouvé qu’il n’avait pas tort. Le Tchad a subi de plein fouet les contrecoups de la guerre entre milices libyennes : retour massif des émigrés tchadiens, fermeture de la route commerciale transsaharienne, transit de rebelles islamistes et de trafiquants (souvent les mêmes) entre la Libye et le Mali et peut-être même le Nigéria, à travers les zones désertiques du Nord tchadien, et sans doute afflux d’armes en provenance des arsenaux de Kadhafi ouverts à tous vents.
En Centrafrique, le régime de l’ex-président Bozizé a pendant des années été soutenu militairement par le Tchad. Fin 2013, à la suite d’obscures tractations, le président Déby a laissé tomber son protégé centrafricain, ce qui permit à une rébellion faite de bric et de broc nommée Séléka de s’emparer de Bangui, la capitale, envoyant Bozizé en exil. Depuis, la paix n’est toujours pas revenue dans ce pays, malgré une intervention militaire française et le déploiement casques bleus onusiens. Des dizaines de milliers de Tchadiens établis en RCA depuis des années, voire des générations, ont été contraints de regagner leur pays d’origine, après avoir, pour la plupart, tout perdu. Dans le sud du Tchad, plus de cent mille Centrafricains vivent dans des camps de réfugiés.
Au nord-est du Nigéria, l’armée de ce pays n’est pas parvenue à venir à bout des terroristes de Boko Haram et le conflit a dégénéré, les actions de ce groupe rebelle commençant à s’étendre aux territoires frontaliers du Cameroun et du Niger. Cette aggravation de la situation a amené le Tchad à envoyer son armée au Nigéria, dans le cadre d’une opération militaire régionale. Rappelons que N’djamena est située au bord du Chari, fleuve formant la frontière avec la petite bande de territoire camerounais séparant le Tchad du Nigéria. L’Etat nigérian de Borno, fief de Boko Haram, n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de la capitale tchadienne.
Au Mali, depuis 2013, l’armée française a eu la chance de pouvoir compter sur le contingent tchadien, l’armée tchadienne étant la seule force véritablement aguerrie de cette partie de l’Afrique. Le Tchad en a payé le prix le fort, perdant des dizaines d’hommes dans l’opération qui permit la libération du nord du Mali.
Ces attentats terroristes constituent une grande première pour la capitale du Tchad. Il ne fait guère de doute qu’ils représentent la vengeance de la mouvance islamo-terroriste, probablement de Boko Haram, contre le président Idriss Déby. Cette vengeance s’arrêtera-t-elle là ou bien doit-on craindre d’autres attentats, d’autres attaques ? L’homme fort du Lorsque je vivais au Tchad, entre 2010 et 2013, je disais souvent qu’il ne fallait pas se demander SI des attaques terroristes allaient se produire, mais plutôt QUAND elles se produiraient. Cela a malheureusement fini par arriver, ce lundi 15 juin, lorsque N’djamena, la capitale, a été ensanglantée par deux attentats suicides. Les dépêches d’agence de presse indiquent que le bilan s’élèverait à au moins 27 morts et des centaines de blessés. Le commissariat central, où se trouve Direction de la Sécurité Publique, a été visé. Un motard s’y serait fait exploser. Sans doute ceux qui ont planifié cet attentat-là espéraient-ils faire des victimes étrangères, car c’est à ce commissariat que tout étranger arrivant au Tchad a l’obligation d’aller se faire enregistrer. En lundi matin, il devait certainement y en avoir, entrés dans le pays depuis vendredi. L’autre cible des terroristes a été l’Ecole de Police. Deux symboles de l’appareil sécuritaire tchadien, deux camouflets pour l’homme fort du Tchad.
Le Tchad est longtemps resté dans l’ « œil du cyclone ». A l’est de ce pays se trouve le Soudan et sa région du Darfour, ravagée par une guerre civile depuis plus d’une décennie. Au nord, il y a la Libye, dévastée par une guerre intestine depuis la chute du dictateur Kadhafi, chute provoquée en 2011 par Sarkozy et Camerone, avec la bénédiction d’Obama. Au sud, c’est la République Centrafricaine, minée par l’instabilité et, depuis 2013, par une guerre qui a pris l’apparence d’un conflit religieux. A l’ouest, séparé du Tchad par une mince bande de territoire camerounais, se trouve le Nigéria, géant africain aux pieds d’argile, dont les populations du nord-est sont terrorisées depuis des années par un groupe islamiste composé de combattants analphabètes et loqueteux nommé « Boko Haram ». Enfin, beaucoup plus à l’ouest, au-delà du Niger, autre voisin occidental du Tchad, il y a le Mali qui ne se remet toujours pas de l’occupation de sa partie septentrionale par des bandes armées de fondamentalistes islamistes mâtinées de trafiquants en tout genre et associés à des indépendantistes touaregs. Dans tous ces conflits qui entourent le « pays de Toumaï », le Tchad a joué et continue à jouer un rôle important.
Au Darfour, une partie de la rébellion est issue de l’ethnie Zaghawa, à laquelle appartient aussi le président Idriss Déby et tout ce que son régime compte d’hommes riches et puissants. Les relations entre Tchad et Soudan ont longtemps été exécrables, le pouvoir de Khartoum accusant celui de N’djamena de soutenir les rebelles darfouris tandis que les autorités tchadiennes affirmaient que le Soudan soutenait l’opposition armée au président tchadien. Des centaines de milliers de réfugiés ayant fui le Darfour campent dans des camps de la zone frontalière, au Tchad. Des dizaines de milliers de Tchadiens, déplacés par l’insécurité, continuent à vivre dans des camps de personnes déplacées, dans cette même région orientale. Les relations entre Déby et Béchir ont fini par s’améliorer, permettant ainsi la relative sécurisation de la frontière, où patrouille une force militaire mixte, composée d’éléments provenant des forces armées des deux pays.
Le Tchad, dans les années 70 et 80, était en guerre avec la Libye de Kadhafi. L’actuel président tchadien a même participé en 1987 à une audacieuse opération qui permit la prise de la base aérienne de Ouadi Doum, loin à l’intérieur du territoire libyen, infligeant ainsi une terrible humiliation au dictateur de Tripoli. Cependant, c’est Kadhafi qui permit à Idriss Déby de renverser Hissène Habré en 1990. Le nouveau dirigeant tchadien établit ensuite d’étroites relations avec le Guide libyen. Des dizaines de milliers de migrants tchadiens allèrent travailler en Libye, tandis qu’une partie importante du commerce tchadien se faisait à travers le Sahara, permettant aux biens de consommation fabriqués en Chine ou ailleurs d’atteindre les marchés du Tchad, pays enclavé, via la Libye. Le chef de l’Etat tchadien n’avait pas caché son opposition à l’opération franco-britannique qui amena la chute de Kadhafi. Il craignait que cela ne provoque la déstabilisation de toute la région sahélo-saharienne. Les évènements qui suivirent, au Mali et ailleurs, ont prouvé qu’il n’avait pas tort. Le Tchad a subi de plein fouet les contrecoups de la guerre entre milices libyennes : retour massif des émigrés tchadiens, fermeture de la route commerciale transsaharienne, transit de rebelles islamistes et de trafiquants (souvent les mêmes) entre la Libye et le Mali et peut-être même le Nigéria, à travers les zones désertiques du Nord tchadien, et sans doute afflux d’armes en provenance des arsenaux de Kadhafi ouverts à tous vents.
En Centrafrique, le régime de l’ex-président Bozizé a pendant des années été soutenu militairement par le Tchad. Fin 2013, à la suite d’obscures tractations, le président Déby a laissé tomber son protégé centrafricain, ce qui permit à une rébellion faite de bric et de broc nommée Séléka de s’emparer de Bangui, la capitale, envoyant Bozizé en exil. Depuis, la paix n’est toujours pas revenue dans ce pays, malgré une intervention militaire française et le déploiement casques bleus onusiens. Des dizaines de milliers de Tchadiens établis en RCA depuis des années, voire des générations, ont été contraints de regagner leur pays d’origine, après avoir, pour la plupart, tout perdu. Dans le sud du Tchad, plus de cent mille Centrafricains vivent dans des camps de réfugiés.
Au nord-est du Nigéria, l’armée de ce pays n’est pas parvenue à venir à bout des terroristes de Boko Haram et le conflit a dégénéré, les actions de ce groupe rebelle commençant à s’étendre aux territoires frontaliers du Cameroun et du Niger. Cette aggravation de la situation a amené le Tchad à envoyer son armée au Nigéria, dans le cadre d’une opération militaire régionale. Rappelons que N’djamena est située au bord du Chari, fleuve formant la frontière avec la petite bande de territoire camerounais séparant le Tchad du Nigéria. L’Etat nigérian de Borno, fief de Boko Haram, n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de la capitale tchadienne.
Au Mali, depuis 2013, l’armée française a eu la chance de pouvoir compter sur le contingent tchadien, l’armée tchadienne étant la seule force véritablement aguerrie de cette partie de l’Afrique. Le Tchad en a payé le prix le fort, perdant des dizaines d’hommes dans l’opération qui permit la libération du nord du Mali.
Ces attentats terroristes constituent une grande première pour la capitale du Tchad. Il ne fait guère de doute qu’ils représentent la vengeance de la mouvance islamo-terroriste, probablement de Boko Haram, contre le président Idriss Déby. Cette vengeance s’arrêtera-t-elle là ou bien doit-on craindre d’autres attentats, d’autres attaques ? L’homme fort du Tchad est à la tête d’un Etat fragile, théâtre d’un long conflit durant les trois décennies qui suivirent l’indépendance, obtenue en 1960. C’est aussi un pays extrêmement sous développé, même si l’exploitation pétrolière a permis un début de développement et amené la prospérité pour une petite élite. Le régime en place depuis 1990 est également fragile, car il repose sur un seul homme. Le Tchad, avec ses interventions au Mali et au Nigéria, est devenu un élément incontournable de la lutte antiterroriste, et un allié indispensable pour la France, qui y dispose de plusieurs bases militaire. Celle de N’djamena a d’ailleurs joué un rôle capital lors de l’Opération Serval au Mali.
Dans le contexte actuel de cette partie de l’Afrique, il est essentiel que le Tchad demeure stable et en paix. Une évolution contraire serait catastrophique, non seulement pour le peuple tchadien, mais aussi pour toute la région allant du Soudan à la Mauritanie et de la Centrafrique à la Libye et même au Maghreb et à l’Egypte. Ce qui s’est passé ce lundi à N’djamena est donc extrêmement préoccupant.
Hervé CheuzevilleTchad est à la tête d’un Etat fragile, théâtre d’un long conflit durant les trois décennies qui suivirent l’indépendance, obtenue en 1960. C’est aussi un pays extrêmement sous développé, même si l’exploitation pétrolière a permis un début de développement et amené la prospérité pour une petite élite. Le régime en place depuis 1990 est également fragile, car il repose sur un seul homme. Le Tchad, avec ses interventions au Mali et au Nigéria, est devenu un élément incontournable de la lutte antiterroriste, et un allié indispensable pour la France, qui y dispose de plusieurs bases militaire. Celle de N’djamena a d’ailleurs joué un rôle capital lors de l’Opération Serval au Mali.
Dans le contexte actuel de cette partie de l’Afrique, il est essentiel que le Tchad demeure stable et en paix. Une évolution contraire serait catastrophique, non seulement pour le peuple tchadien, mais aussi pour toute la région allant du Soudan à la Mauritanie et de la Centrafrique à la Libye et même au Maghreb et à l’Egypte. Ce qui s’est passé ce lundi à N’djamena est donc extrêmement préoccupant.
Hervé Cheuzeville