Article 2 – Les origines de l’autarcie nipponne : Réflexions sur le sakoku 鎖国et le jôi 攘夷 :
Que désigne donc la politique de Sakoku en définitive ? Elle fait référence à une série de décrets shougounaux du début de l’ère qui s’étalonne sur une dizaine d’années :
« Ce qu’on appelle les ‘décrets de l’isolement du pays [sakoku]’ se composent de 5 édits proclamés de façon échelonnée dans le temps en 1633, 1634, 1635, 1638 et 1639. Le recueil de recherches historiques ‘Annales de l’histoire nipponne’ baptise le troisième édit de 1635 le ‘sakokurei’ – l’édit du sakoku – et date la complétion de l’isolement avec le cinquième édit de 1639. Les deux sommités en la matière, Koushida Shigetomo et Watsuji Tetsuro voient plutôt l’achèvement de l’isolement du pays avec le quatrième édit, qu’ils nomment ‘sakokurei’, interprétation généralement reprise. Le professeur Ebisawa Arimichi, dans son étude détaillée des 5 édits, relève que le système d’isolement commercial est déjà présent en substance dans le premier édit, dont le troisième ne fera que mettre en place les modalités pratiques, ensuite renforcé par les deux suivants. »[1]
Ces cinq édits (ou décrets pour être plus exact puisque c’est le lieutenant général, soit le Shôgoun, qui les proclame) se déclinent de la façon suivante :
1 Interdiction aux bateaux japonais de traverser la mer, interdiction de retour au pays pour tous japonais partis plus de 5 ans (1633)
2 Réaffirmation du premier édit, et début de la construction de Deshima (1634)
3 Restriction des autorisations d’entrée dans le port de Nagasaki aux navires chinois et hollandais seulement, et limitation des navires étrangers au port de Nagasaki seulement. Interdiction complète du retour au pays de Japonais partis à l’étranger (1635)
4 Expulsion de tous les Portugais sans rapport avec le commerce à Macao (287 personnes) et déportation des autres à Deshima (1638)
5 Interdiction du commerce aux portugais (1639).
Précisons que ces décrets mettant en place l’autarcie furent précédés d’une autre série de décrets limitant déjà la présence européenne au Japon, dont le vecteur fut avant tout l’interdiction du christianisme :
1612 Edit interdisant le christianisme
1616 Limitation des ports ouverts pour tous les bâtiments non chinois à Hirado et Nagasaki
1624 Rupture de toute relation avec l’Espagne
L’impulsion de l’autarcie trouve une source importante dans cette volonté d’extirper le christianisme du Japon qui grandit à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, avec pour paroxysme un certain nombre de persécutions bien connues. Nous ne nous attarderons pas sur ce sujet qui mériterait une étude à part ; nous remarquerons simplement que cette politique d’interdiction du christianisme fut d’autant plus radicale que le pays, quelques décennies auparavant, montra une grande tolérance, et un terreau fertile, peut-être le plus fertile de l’Asie, à l’enseignement catholique amorcé par les missions de Saint François-Xavier[2].
En bref, la politique dite « d’autarcie » ne fut pas entamée par un moteur idéologique, mais simplement comme une accumulation de politiques répondant à un problème pratique qui déboucha petit à petit sur une autarcie quasi-effective. Les contemporains n’avaient ainsi la conscience de faire de « l’autarcie », c’était simplement le fruit logique de la résolution d’un problème concret de l’époque, sans que « l’autarcie » ne soit formalisée.
D’où vient donc le mot de « sakoku » et la prise de conscience de cette politique comme « autarcique » par les japonais ? La formalisation du concept viendra par l’Occident, dans un parcours quelque peu détourné.
Paul de Lacvivier
[1] Keiichirô KOBORI, De la pensée du Sakoku (鎖国の思想), Tôkyô, Chuko Shinsho, 1974, p.8/9 : « いわゆる鎖国令は、寛永十年(一六三三)、十一年(一六三四)、十二年(一六三五)、十三年(一六三六)、十六年(一六三九)の五回にわたって発令されている。歴史学研究会編の『日本史年表』は寛永十二年の第三回の発令に「鎖国令」の名を与え、十六年の第五回を以って「鎖国の完成」と記しているが、幸田成友、和辻哲郎両氏は寛永十三年の最も完備した第四回発令のものを以て日本史上通例の「鎖国令」と呼ばれるものだとされている。一方海老沢有氏は五回にわたった発令の条文を逐条精細に検討した上で、寛永十年の第一回目の禁令に於いて貿易統制としての鎖国の趣旨はここにすでに意を尽してとかれているのであり、十二年の第三回で鎖国体制は出来上がり、後の二回の追加発令はその事態をいっそう深刻にしただけのことだ判断されている。 »
[2] Si nous étions dans un autre monde, nous pourrions imaginer que l’invasion musulmane en cours de l’Europe pourrait provoquer une telle politique d’interdiction de l’Islam, de l’expulsion des étrangers et d’autarcie des pays, afin de conserver sa culture et son équilibre propre.