Enquête sur la consécration de la France à Saint Joseph, par M. l’abbé Louis de Saint-Taurin
Ce texte de l’abbé de Saint-Taurin fut publié pour la première fois sur l’ancien site officiel de la Confrérie royale, L’Ami de la Religion et du Roi, en tant que la « lettre mensuelle aux membres et amis de la Confrérie royale » d’octobre 2018. Nous la republions aujourd’hui, en ce jour du 19 mars, fête de la Saint-Joseph.
Le Prieur de la Confrérie royale eut la charité de me faire remarquer, suite à mon tour de « Lettre du 25 », que Louis XIV n’avait pas consacré son royaume à saint Joseph, le baron Pinoteau et lui-même n’en ayant jamais trouvé trace dans les documents de l’époque. Un enquêteur du site de l’Union des Cercles Légitimistes de France (UCLF), — je renvoie évidemment à ce si intéressant et essentiel article signé D. R. — pose la question en ces termes : « Si la consécration a bien été commémorée tous les ans jusqu’à la Révolution cela fait 127 ans multiplié par le nombre de paroisses de France et de Navarre ! Alors, où sont les traces, les correspondances privées, les allusions dans les écrits dans les textes, les dessins, les peintures ? Surtout où est le texte de la consécration ? ».
Aussi ai-je corrigé là-dessus la phrase incriminée, ce qui donna :
« Est-il besoin de rappeler qu’avant que les papes n’honorassent le Père nourricier du Christ de la charge tutélaire de la sainte Église universelle il y a un siècle et demi, Louis XIV, « le fils aîné de Mon Sacré-Cœur » selon les propres termes du Rédempteur, une fois « majeur » de par la mort du cardinal de Mazarin, accomplissait son tout premier acte politique en faisant solenniser dans le Royaume la fête de saint Joseph ? »
C’est en effet à partir du règne du Grand Roi que la fête de saint Joseph commença à être solennisée en France ; la prescription romaine de le faire n’avait pas eu force de loi jusqu’ici, les décisions romaines devant être enregistrées au parlement.
Partons donc, si vous le voulez bien, à la recherche des faits dans cette question qui nous intéresse.
En mars 2009, la revue Stella Maris publia un article intitulé « Louis XIV consacre la France à saint Joseph (le 19 mars 1661) ». Le R.P. Damien-Marie y disait en reprendre « la substance à un ami, Monsieur Christian Gaumy, conservateur de la bibliothèque universitaire de Limoges, qui a eu pour cela la patience d’explorer les montagnes de documents des archives nationales et de la bibliothèque nationale (Département Manuscrits), et qu’honore le profond souci de faire connaître et aimer le saint patron de l’Église universelle ; qu’à tous ces titres il soit ici remercié et assuré de ma gratitude ». Dommage que ce conservateur n’ait pas daigné signaler la référence ni publier les documents trouvés… Mais l’auteur assure que « ce fait est connu et rapporté par les historiens du Grand Siècle », alors qu’aucun n’en parle. Et Frère Maximilien-Marie de corriger l’auteur en me précisant : « Le sermon de Bossuet sur saint Joseph de 1661 ne fut pas impromptu ».
Sans savoir si cet article est la vraie source de tous les suivants, nous constatons partout que l’affirmation est depuis tenue pour un fait avéré.
Par exemple, en 2015, Mgr Dominique Letourneau publiait avec le R.P. Pascal-Raphaël Ambrogi le Dictionnaire encyclopédique de Marie. Y était écrit :
« Anne d’Autriche et sa fille, Marie-Thérèse d’Espagne, épouse de Louis XIV, obtient du jeune roi qu’il déclare, en accord avec l’épiscopat, saint Joseph patron du royaume, en 1661, la fête étant chômée ».
Cette phrase est lourdement tournée et grossièrement erronée. Tout d’abord, Marie-Thérèse est la belle-fille et non la fille d’Anne d’Autriche. Le reste est équivoque : soit le patronage (à prouver) entraîna le chômage de la fête, soit celle-ci entraîna cela.
Plus étayée, la thèse de doctorat de Benoist Pierre, La bure et le sceptre (2016) sur la congrégation des Feuillants, nous apprend (pp. 386-387) que :
« Anne d’Autriche devenue régente, plaça encore le royaume sous la protection de saint Joseph. À Paris, les Feuillants furent l’une des toutes premières communautés à vénérer l’époux de la Vierge. Grâce aux libéralités de César de Vendôme et de sa femme, François de Lorraine, ils avaient fondé une confrérie et une chapelle dédiées au père de Jésus. Dès 1629, Anne d’Autriche se fit inscrire sur le registre des confrères. Mais la dissidence politique du frère de Louis XIII entraîna la suspension des activités de la « sainte association » pendant plusieurs années. À partir de 1643, la confrérie fut réactivée. […] La ferveur d’Anne d’Autriche pour ce culte ne cessa alors de grandir. En 1654, Louis XIV se fit inscrire avec son frère, le duc d’Anjou, sur le livre de la confrérie. Le 6 janvier 1661, ce fut au tour de la nouvelle reine, l’infante espagnole Marie-Thérèse, d’y faire son entrée. A cette occasion, Jacques de Sainte-Scolastique ne cacha pas sa joie de voir les puissances (sic) de la terre s’estimer « bienheureux d’avoir ce grand saint pour père et protecteur auprès de Jésus-Christ ».
La même année, Louis XIV demanda à l’assemblée du clergé que la fête du 19 mars, correspondant à la Saint-Joseph, fût « chômée et obligatoire, avec interruption de travail et cessation entière dans les affaires pour tout le royaume », citant Jean Delumeau, dans un livre publié en 1989 : Rassurer et protéger – Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois (Fayard). En fait, ce dernier point était déjà évoqué en 1953 dans l’article « Les origines de la dévotion à saint Joseph » des Cahiers de Joséphologie (janvier-juin, vol. I, n° I)
« Louis XIV, lors de l’assemblée du clergé de 1661, manifesta la désir de voir rehausser la fête de saint Joseph. Déférant à la volonté du roi, les évêques déclarèrent que cette fête « serait chômée et obligatoire, avec interruption de travail et cessation entière des affaires par tout le royaume », renvoyant cette fois à Lucot (pp. 61-64), que nous allons retrouver.
En 1844, A. Madrolle avait publié Les magnificences de Marie (Hivert, Paris, p. 233), où il reconnaissant qu’il ne s’agissait pas exactement du même patronage qu’envers Notre-Dame, mais qu’il y ressemblait :
« La France, que Louis le Juste avait mise sous le patronage spécial de la Mariée modèle, fut comme mise sous celui du Mari de ce genre par Louis le Grand. En effet, Louis XIV expédia une Lettre de cachet au Parlement le 16 mars 1661, par laquelle il lui Mandait que « la fête du Saint Époux de la Vierge fût célébrée dans tout son Royaume, non seulement par la célébration des Offices divins propres à une fête solennelle, mais encore par la cessation du travail ».
En 1870, l’on trouve dans l’ouvrage de l’abbé Lucot, chanoine honoraire de la cathédrale de Châlons, De l’antiquité du culte de saint Joseph dans l’Église universelle et en particulier dans l’Église de Châlons (Châlons, Martin, 1870, pp. 23-24) :
« Les princes rivalisaient avec les religieux pour faire honorer le grand patriarche. Les décrets de Grégoire XV et d’Urbain VIII n’avaient pas été publiés dans le royaume ; Louis XIV et Marie-Thérèse son épouse supplient le clergé de France, réuni à Paris en 1661, de seconder leur pieux désir de voir célébrer désormais la fête de saint Joseph ; le diocèse de Paris donne l’exemple, que suivront bientôt la plupart des diocèses de France ».
L’année précédente, le 7 juin 1660, jour-même où le jeune Louis accueillait l’infante Marie-Thérèse en vue des épousailles à Saint-Jean-de-Luz, apparaissait à Cotignac en Provence, saint Joseph, à un jeune berger.
« Le 31 janvier 1661, après enquête, Monseigneur Joseph Ondedei, évêque de Fréjus, reconnaît officiellement les apparitions de saint Joseph et en approuve le culte. Cette même année et suite à ces merveilleux événements, le roi Louis XIV consacre la France à saint Joseph, chef de la Sainte Famille. À cette occasion, Bossuet, avec le talent qu’on lui connaît, s’exprimera en ces termes : « Joseph a mérité les plus grands honneurs parce qu’il n’a jamais été touché de l’honneur. L’Église n’a rien de plus illustre parce qu’elle n’a rien de plus caché » (source).
Nous connaissons la suite : « Je rends grâces au roi d’avoir voulu honorer sa sainte mémoire avec une nouvelle solennité. Fasse le Dieu tout puissant que toujours il révèle ainsi la vertu cachée ; mais qu’il ne se contente pas de l’honorer dans le ciel, qu’il la chérisse aussi sur la terre. Qu’à l’exemple des rois pieux, il aille quelquefois la forcer dans sa retraite… Si Votre majesté, Madame, inspire au roi ces sages pensées, elle aura pour sa récompense la félicité ».
Malheureusement, ce ne fut point à Versailles qu’eurent lieu les honneurs de la Saint-Joseph – l’on sait que Louis XIV ne s’y installera qu’à partir de 1682 ! – ni la prédication de Mgr Bossuet, comme l’affirme le site missel.free en reprenant l’histoire de la fête, mais en la chapelle des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. Avant de prendre connaissance de ce qui est écrit, lisons en guise d’introduction historique le bienheureux cardinal Schuster :
« Le culte liturgique envers ce grand patriarche prit un développement considérable au XVe siècle, grâce surtout à sainte Brigitte de Suède, à Jean Gerson et à saint Bernardin de Sienne, Le pape franciscain Sixte IV inséra sa mémoire dans le Bréviaire romain avec le rang de fête simple ; Clément IX l’éleva au rite double et Grégoire XV en fit une fête de précepte » (Liber Sacramentorum).
« Innocent VIII l’éleva au rite double, Urbain VIII la rendit obligatoire (1642). Sous le vocable de Prince de la Paix, Ferdinand III proclama patron spécial du royaume de Bohême (1655) saint Joseph que Léopold I° déclara protecteur des Habsbourgs (1677) ; à la demande de Marie-Anne d’Autriche obtint un décret du pape Innocent XI qui plaçait la couronne d’Espagne sous le patronage de saint Joseph (1679) [Par crainte de déplaire à saint Jacques, les espagnols firent révoquer le décret en 1680, mais la Belgique le conserva et même le renouvela après son indépendance]. En France, sous l’influence de Marie-Thérèse d’Autriche, Louis XIV demande aux vicaires généraux de Paris d’établir la fête de saint Joseph [Lettres du 12 mars 1661] pour le 19 mars 1661 où elle est célébrée à Versailles avec éclat [Dans la chapelle magnifiquement ornée, Bossuet fit le panégyrique de saint Joseph : Le Seigneur s’est choisi un homme selon son cœur] ; si la fête est chômée à Paris ce jour-là, on ne la voit pas ainsi mentionnée dans le calendrier de 1680. Clément X l’éleva au rit de II° classe (1670), Clément XI lui composa un nouvel office (1714) et Benoît XIII inséra saint Joseph dans la litanie des saints (1726). Pie IX (1847) déclara saint Joseph patron de l’Église universelle (8 décembre 1870), occasion d’une nouvelle fête de rit double de première classe. Léon XIII proposa saint Joseph comme modèle des travailleurs (15 août 1889), Pie X lui donna un octave et approuva les litanies de saint Joseph (18 mars 1909), Benoît XV lui attribua une préface propre (9 avril 1919) et Jean XXIII le fera inscrire au canon de la messe (13 novembre 1962) ».
Dom Pius Parsch précise quant à lui : « La messe et l’office des Heures sont de date récente (l’auteur est le pape Clément XI qui les prescrivit en 1714). Ce qui est typique dans la prière des Heures, c’est la composition systématique propre à cette époque et le parallèle entre Joseph l’Égyptien et saint Joseph ».
L’article de l’UCLF, étudiant avant nous la question du 19 mars 1661, retrace en effet cette chronologie :
« Chronologie des événements • En 1621, le pape Grégoire XV, usant de son pouvoir spirituel, proclama que la fête de saint Joseph serait fête de précepte pour l’Église universelle. • 16 juin 1660, apparition Saint Joseph à Bessillon (Cotignac) à un jeune pâtre, Gaspard. • 9 mars 1661, mort de Mazarin. • 10 mars, Haut conseil, le Roi gouvernera en personne. • 12 mars, par lettres patentes, Louis XIV, usant de son pouvoir temporel, décrète jour chômé dans tout le royaume le jour de la fête de Saint Joseph, le 19 mars. • Louis XIV écrit, de Paris, à Messieurs les Vicaires Généraux du cardinal de Retz, archevêque de Paris (ce dernier était à Rome), pour que l’on célèbre la fête de Saint Joseph. • 19 mars, le Roi assiste à la messe à la chapelle du Louvre. La Reine-mère écoute le sermon de Bossuet chez les Carmélites de la rue Saint-Jacques.
La Gazette du 26 mars (n° 37, p. 283) rapporte que : « à l’occasion de la fête de Saint Joseph, le Roi va faire ses dévotions en l’église des Feuillants ».
Voici la lettre envoyée en 1661 par Guy Patin, médecin et épistolier (1601-172), à André Falconet, et publiée en 1846 (pp. 344-345) :
« Nous n’étions pas en Semaine sainte. Cette année là le mercredi des cendres se trouvait le 2 mars ; les Rameaux tomberont le 10 avril et Pâques le 17 avril. Nous en étions donc à la troisième semaine de Carême, un samedi » (UCLF, op. cit.).
L’on trouve précisément dans les Actes de l’Assemblée du clergé de 1660-1661 :
« L’auteur du Calendrier historique et chronologique de l’Église de Paris (Paris, Hérissant, 1747), l’abbé Le Fèvre, donne, au 19 mars, les détails intéressants de l’institution de la fête de saint Joseph » :
« 19 mars. Lettre du Roi pour la fête de saint Joseph en France ; par ordre de Louis XIV, qui expédia une lettre de cachet au Parlement, le 16 mars 1661, par laquelle il lui mandait que la fête du saint Époux de la Vierge fût célébrée dans tout son royaume, non-seulement par la célébration des Offices divins propres à une fête solennelle, mais encore par la cessation du travail. Le Parlement, par son arrêt du 17 mars, ordonna que la fête de saint Joseph serait chômable et obligatoire, avec interruption de travail et cessation entière des affaires par tout le royaume. La fête de S. Joseph fût chommée (sic) dans tons les lieux de son ressort, avec défense au peuple d’ouvrir les boutiques et de vaquer aux œuvres manuelles, et enjoignit aux lieutenans civil et criminel, au procureur du Roi au Châtelet, et aux officiers de police, de tenir la main à l’exécution de l’arrêt. Le Roi fit écrire pareillement au duc de Verneuil, abbé de Saint-Germain-des-Prés, pour faire établir l’observance de cette fête dans les lieux de la dépendance de cette abbaye. La lettre est du 26 mars » (Calendrier historique, etc., page 79).
Toutefois,
« Le diocèse de Reims ne l’adopta point cependant comme fête d’obligation. Le rituel de messire Charles Maurice Le Tellier, publié en 1677, ne le mentionne point parmi les fêtes chômées ; on la célébrait néanmoins comme double de deuxième classe. Dans son bréviaire de 1665, Mgr Vialar lui donne rang parmi les doubles de troisième classe ; les doubles majeurs les ont remplacés ».
L’abbé Lucot précisera cinq ans plus tard, dans son Saint Joseph. Étude historique sur son culte (1875) : « Même remarque pour Sens, Lyon, Verdun, Périgueux, Chartres, Langres (Rituels, de 1679 à 1694) ».
« En France, en Espagne, en Allemagne, les princes, par leurs exemples, entraînent les peuples à la vénération et à la confiance envers saint Joseph. Tant d’efforts pour répandre cette dévotion ne restèrent point stériles. Elle pénétrait partout ; la marche en fut rapide ; la Cour, la ville, la province en étaient tout embaumées. Les princes rivalisaient avec les religieux pour faire honorer le grand Patriarche. Bossuet lui consacrait les prémices de son éloquence. Par deux fois, en 1659 et 1661, il célébrait, devant la Reine-mère et sa Cour, Joseph comme le plus saint dépositaire des plus saints trésors, et Joseph le lui rendait en devenant le révélateur du génie de l’illustre évêque. On sait avec quelle pieuse admiration furent entendus ces deux panégyriques.
Cependant la Cour de France voyait avec peine que les décrets de Grégoire XV et d’Urbain VIII n’avaient pas encore été publiés dans le royaume. En effet, la fête de saint Joseph était obligatoire à Rome, en conséquence de ces décrets (aujourd’hui encore, la fête de saint Joseph y est chômée et un jeûne la précède) ; et précédée d’un jeûne préparatoire, elle s’y célébrait à l’égal des grandes fêtes de l’année ; la France restait en arrière. Louis XIV en avait déjà écrit au Pape. Le roi voulut profiter de l’Assemblée du clergé de France réuni à Paris en 1661, pour faire exécuter des décrets chers à sa piété. Lui et la reine Marie-Thérèse exprimèrent aux évêques leur désir de voir célébrer désormais en France, comme à Rome, la fête de saint Joseph. Le diocèse de Paris donna l’exemple, que suivirent bientôt la plupart des diocèses de France.
Dans les autres contrées de l’Europe, l’enthousiasme n’était pas moins grand ; l’extension du culte de notre Saint fut aussi rapide. Les Bourbons d’Espagne, émules de ceux de France, la favorisaient dans leurs possessions des Pays-Bas ; la fête de saint Joseph y était célébrée avec une pompe toute royale (un auteur contemporain, le P. Michel Prie, jésuite allemand, a raconté cette solennité dans sa Vie de saint Joseph. Vita S. Josephi, etc., exemplis illustrata à P. Miciiaele Frie, s. j., Monachii, 1678, in-18, cap. 21). En 1679, sur les instances de Charles II, roi des Espagnes, le pape Innocent XI confirma par une bulle l’élection faite par ce prince, de saint Joseph comme patron de ses royaumes et de ses domaines. Mais l’illustre famille de Lorraine semblait vouloir encore dépasser toutes les autres, en Allemagne et en Lorraine, dans les témoignages de sa dévotion pour saint Joseph. En 1655, l’empereur d’Allemagne, Ferdinand III, procurait l’introduction solennelle de son culte en Bohême, et le donnait comme patron à ce royaume, sous le titre de protecteur de la paix : Conservator pacis. Vingt ans plus tard, Léopold Ier, son fils, cherchant au milieu des désastres de la guerre un refuge pour lui et son peuple, le trouva dans la protection de saint Joseph ; il lui consacra, en 1675, avec l’approbation de Clément X, l’empire tout entier, et ce fut avec l’appareil des solennités les plus magnifiques : les historiens allemands nous en ont gardé l’intéressant récit. L’année d’après, Maximilien, archevêque de Cologne et prince électeur de l’Empire, donnait aussi à la cité et au diocèse de Liège saint Joseph pour patron spécial. Les peuples d’Allemagne suivaient leurs princes, entraînés par leur piété ; ils voyaient avec plaisir ces princes élever à Joseph des églises, favoriser les confréries en son honneur, donner son nom aux enfants héritiers de leur couronne, et témoigner ainsi qu’ils lui étaient redevables de la conservation de leur race ; comment donc fussent-ils restés eux-mêmes étrangers à de tels sentiments ? comment eussent-ils refusé de s’associer à une dévotion si salutaire et de souscrire à des hommages si mérités ? ».
Notre enquêteur de l’UCLF corrige encore les données sur Bossuet :
« En 1657, il prêche devant les évêques réunis pour l’Assemblée du clergé de France ; en 1659, c’est la Reine qui demande à Bossuet de reprendre le premier panégyrique ! Celui-ci s’en plaint d’ailleurs : Elle m’ordonne de rappeler en mon souvenir des idées que le temps avait effacées. Bossuet n’a eut que deux jours pour recueillir ses souvenirs. Pour 1661, il ne peut s’agir que du deuxième panégyrique ».
« Dans ce sermon (deuxième panégyrique) Bossuet annonce son sujet : Comme je me propose aujourd’hui de traiter ces vertus cachées, c’est-à-dire de vous découvrir le cœur du juste Joseph, etc. Il articule son propos sur trois points qu’il énumère peu après : Les vertus mêmes dont je parlerai ne sont ni de la société ni du commerce ; tout est renfermé dans le secret de sa conscience. La simplicité, le détachement, l’amour de la vie cachée sont donc les trois vertus du juste Joseph, que j’ai dessein de vous proposer. L’adresse de son sermon est sans équivoque : «Mes sœurs ». Ce n’est qu’au milieu de la troisième partie qu’il fait référence à la présence de la Reine. La fin de sa conclusion lui est adressée en exhortation : Je rends grâces au Roi d’avoir voulu honorer sa sainte mémoire avec une nouvelle solennité. Fasse le Dieu tout-puissant que toujours il révère ainsi la vertu cachée ; mais qu’il ne se contente pas de l’honorer dans le ciel, qu’il la chérisse aussi sur la terre ; qu’à l’exemple des rois pieux il aille quelquefois la forcer dans sa retraite ; etc. À aucun moment les termes consacré ; consécration ; patron ne sont dans la bouche de Bossuet ! L’exhortation qu’il adresse à la Reine est de tout faire pour que le jeune Roi reste vertueux à l’image de Saint Joseph. Il est donc difficile de faire un rapport entre cette conclusion et l’évocation de la consécration ! ».
Revenons maintenant à la Cour du Roi, vingt ans plus tard, à Versailles cette fois, où le Grand Roi se sera établi. Le très sérieux Alexandre Maral expliquait quant à lui, en 2014, dans La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV: cérémonial, liturgie et musique (p. 110) :
« D’après les lettres patentes de 1682 en effet, il était prévu d’exposer le Saint-Sacrement tous les dimanches et jeudis de l’année, ainsi qu’aux fêtes de la Sainte Vierge, de saint Joseph, saint Louis et sainte Thérèse, après la prière du soir de la communauté des Lazaristes ».
Sans être couronné, saint Joseph était toutefois célébré en 1682 à l’égal des patrons de la Famille royale.
« Il est difficile de croire que le jeune roi qui venait de prendre son envol (10 mars), qui décréta l’officialisation de la fête en rendant le jour férié (12 mars) se soit arrêté dans son élan pour faire une consécration a minima dont on ne trouve aucune trace, aucun texte et aucun témoin cité dans aucune chronique ! N’avait-il pas l’exemple de son père qui fit, pour la consécration à la Vierge, un acte officiel : l’Édit de Saint-Germain qui fut enregistré comme loi du Royaume par le Parlement et ratifié par l’épiscopat et par le peuple français ? ».
Le grand patriarche a donc obtenu du grand Roi la solennité de sa fête, sans recevoir toutefois un patronage en bonne et due forme. Et nos bibliothécaires en ligne de conclure : « Il aurait été bien utile aux légitimistes d’arguer aux détracteurs de Louis XIV — à qui on reproche de n’avoir pas consacré la France au Sacré-Cœur — que le grand roi n’avait pas hésité à consacrer la France à saint Joseph, mais l’honnêteté prime. Aussi nous faut-il conclure à regret, qu’à part la récente consécration à Saint Joseph du diocèse de Toulon-Fréjus — pour laquelle les preuves historiques abondent –, celle de la France par Louis XIV, en 1661, ne relève que de la légende urbaine ».
Nous étions donc arrivés à la fin de cette enquête… quand la Providence – comme toujours – nous fit découvrir la solution là où nous ne l’attendions pas !
Deux cent dix ans plus tard, en effet, le 19 mars 1871, lorsque le comte de Chambord, de droit Henri V de France, dans le sillage du grand pape Pie IX, consacra enfin sa Patrie au juste Joseph.
Le Propagateur de la dévotion à saint Joseph (Périsse, Paris/Tournai, 1872, pp. 185-190) relate l’événement, et nous lui laissons bien volontiers la parole :
Henri de Bourbon consacre sa Personne, sa Maison et sa Patrie à saint Joseph
« D’après des auteurs graves, parmi lesquels nous citerons le docte et pieux Père Faber, la dévotion à saint Joseph fut apportée de l’Orient dans la Provence par Lazare, Marthe et Marie. La pieuse cité d’Avignon fut le berceau d’où elle se répandit en Europe. Gerson, chancelier de l’Université de Paris, fut suscité pour en être le docteur et le théologien, et saint François de Sales pour l’enseigner et la répandre parmi le peuple. Les Carmélites de France, fidèles aux leçons et aux exemples de sainte Thérèse, contribuèrent efficacement à augmenter la confiance des âmes dévotes et fidèles en ce glorieux patriarche. Les écrivains français de la Compagnie de Jésus fournirent dans des ouvrages pieux et savants, de riches matériaux aux panégyristes du virginal Époux de Marie.
De nos jours, c’est de la France catholique qu’est parti ce mouvement providentiel qui entraîne tous les peuples vers saint Joseph, et dont le consolant résultat a été de faire proclamer par l’auguste Pie IX ce glorieux Patriarche Patron de l’Église universelle. Fidèle aux traditions de ses aïeux (c’est à la demande de Louis XIV que la fête de saint Joseph fut chômée en France), le noble chef de la Maison de France a voulu, pour répondre à l’invitation du souverain Pontife, se consacrer d’une manière solennelle au puissant protecteur des Chrétiens.
Un de nos amis qui a eu le bonheur d’assister à la consécration de Monseigneur le comte de Chambord et de toute sa Maison au glorieux saint Joseph, protecteur de l’Église universelle, nous transmet la relation suivante dont l’importance exceptionnelle n’échappera à aucun de nos lecteurs.
L’année dernière, pendant la guerre de la France avec l’Allemagne, Monseigneur le comte de Chambord était dans les environs de Genève avec un petit nombre de personnes ; la plupart de ses serviteurs étaient restés à Frohsdorf. Le samedi soir, 18 mars 1871, un serviteur, parti l’avant-veille de Genève, arrivait au château de Frohsdorf, porteur d’un ordre du prince pour son aumônier. Cet ordre adressé au secrétaire intime était exprimé en ces termes : « Faites mes amitiés à M. l’abbé N***, dites-lui qu’il serait bon de faire la consécration de la colonie à saint Joseph, le 19 ». — On appelle la colonie, à Frohsdorf, la petite société de serviteurs et d’amis qui entourent le prince et qui forment à l’extrémité de l’Autriche comme un petit coin de terre française.
Le lendemain à la grand’messe, M. l’aumônier annonça à ses auditeurs que d’après le désir du prince, la colonie serait consacrée solennellement à saint Joseph, après le Salut qui aurait lieu dans l’après-midi. Tout le monde devait s’y trouver, et en effet personne n’y manqua. Le neveu de Monseigneur le comte de Chambord, S.A.R. le comte de Bardi, frère du duc de Parme [et donc beau-frère du roi de France, celui-là ayant épousé la sœur de celui-ci, NDLR], était présent et représentait tous les autres membres de la famille de Bourbon alors absents. Avec lui était son aide de camp, M. le marquis Malaspies, qui représentait l’Italie ; son précepteur, un vénérable religieux franc-comtois, qui représentait la France ; Madame la vicomtesse de Ch***, dame d’honneur de Madame la comtesse de Chambord, était là au nom de son Auguste Maîtresse. Le Prince était représenté par trois de ses secrétaires, son médecin, son aumônier et tous ses autres serviteurs restés au château. Un vénérable religieux rédemptoriste, confesseur de la Princesse depuis la mort du vénérable abbé Trébuquet, se trouvait là au nom de l’Allemagne catholique. De plus il y avait les Frères de Marie, chargés des écoles de garçons à Frohsdorf, les Sœurs de sainte Chrétienne de Metz, avec leurs pensionnaires et une foule de fidèles du village et des villages environnants. La magnifique chapelle du château, décorée de ses plus beaux ornements, était au grand complet.
Au moment de la consécration, toute l’assistance, pénétrée de la plus vive émotion, tomba à genoux et s’unit de cœur et d’âme au digne aumônier, qui prononça d’une voix forte et pleine de larmes celte touchante consécration au Bienheureux saint Joseph proclamé par l’Auguste Pie IX, patron de l’Église universelle.
Après la cérémonie, cette consécration fut envoyée à Mgr le comte de Chambord, qui daigna l’approuver comme ayant parfaitement rendu toute sa pensée. Depuis lors, quelques copies en ont été faites par des personnes qui assistaient à la fête, et c’est une de ces copies, parfaitement conforme à l’original, que nous reproduisons ici :
Consécration à saint Joseph.
« Adorable Jésus, Fils unique et bien-aimé du Père avant tous les siècles, devenu dans le temps, par le choix libre de Votre amour, Fils unique et bien-aimé de Marie et Fils adoptif de son virginal époux saint Joseph, permettez que nous profitions de ce moment solennel et mille fois précieux, où entouré de Vos anges, et présent sur cet autel, Vous daignez agréer nos humbles hommages et Vous préparer à nous bénir, pour venir nous placer, comme Vous le fîtes Vous-même, sous la protection spéciale du bienheureux Patriarche votre Tuteur, Votre Guide et Votre Père pendant la première partie de Votre vie mortelle. Déjà bien des fois nous nous sommes donnés à Vous, ô divin Maître. Nous avons eu aussi le bonheur dans diverses circonstances solennelles de nous consacrer spécialement à Votre céleste Mère, en la suppliant de vouloir nous accepter pour enfants.
Aujourd’hui nous voulons compléter notre œuvre et assurer de plus en plus notre persévérance, le salut de nos âmes en les remettant entre les mains de Votre Père nourricier. Nous sommes heureux de confier à saint Joseph nos destinées temporelles et éternelles en même temps que les intérêts sacrés de notre chère Patrie, de nos augustes Princes, de la sainte Église et de son Chef vénéré. Fidèles à Vos divines inspirations, ô divin Rédempteur, nous cherchons un abri contre les coups de Votre justice dans les bras paternels de Celui qui porta et nourrit Votre Enfance. Puissions-nous, selon la mesure de grâce que nous avons reçue, éprouver pour saint Joseph les sentiments d’amour, de vénération, de tendresse et d’affectueuse confiance que Vous lui manifestâtes si souvent par Vos regards, Vos paroles et Vos divines caresses, qui en faisaient ici-bas le plus heureux des hommes. C’est donc pour répondre aux désirs de Votre Cœur filial que nous allons nous consacrer au Protecteur bien-aimé qui vous tînt lieu de père et que Vous appelâtes de ce nom si doux.
Déjà l’Auguste Pontife, Votre vicaire, a jugé opportun de placer l’Église sous le puissant patronage du glorieux saint Joseph. Mais ce n’est pas assez pour nous de cette consécration générale, si nous n’y ajoutions de notre côté la consécration personnelle de Nous-même et de tout ce qui nous est cher. Nous allons donc sous Vos auspices, ô Jésus, et sous les auspices de Votre Mère Immaculée, exprimer au bienheureux Patriarche les sentiments et les désirs que Vous nous inspirez Vous-même.
C’est au nom de tous Vos fidèles serviteurs que nous parlons, au nom des fils de saint Louis et de tous ceux à qui Vous avez fait la grâce de leur servir de cortège, au nom des présents et des absents, au nom des plus élevés comme des plus humbles, au nom des Princes comme des derniers de leurs serviteurs, au nom des Français d’adoption comme des Français de naissance, au nom des jeunes gens et des jeunes filles, des enfants et des vieillards, des prêtres et des séculiers, des âmes consacrées à Dieu dans la vie religieuse et des personnes engagées dans les liens du mariage, au nom des justes et des pécheurs, des parfaits et des imparfaits, au nom de tous, en un mot, car tous nous voulons devenir les clients et les protégés du puissant saint Joseph, comme nous espérons être les vôtres, ô Jésus, et ceux de Votre divine Mère.
Ô chaste Époux de la Mère de Dieu, Père nourricier de son adorable Fils, gardien, conservateur, confident, imitateur et coopérateur de l’Un et de l’autre ! en vue de vos illustres prérogatives, en vue du pouvoir que Dieu vous a accordé sur la terre et dans le ciel, nous vous consacrons aujourd’hui nos cœurs. Nous voulons qu’après les cœurs de Jésus et de Marie, le vôtre soit l’objet constant de nos respects et de nos hommages.
Que ne pouvons-nous, ô grand Saint ! enchaîner tous les cœurs à votre trône !mais nous n’avons que les nôtres, nous vous les offrons et nous les soumettons à votre empire. Qu’après l’amour et la gloire de Jésus et de Marie, votre gloire et votre amour soient le principe et le germe de toutes nos pensées, de tous nos désirs, de toutes nos paroles et de toutes nos actions !
Jamais cœur ne fut plus enflammé que le vôtre du désir de voir régner l’amour de Jésus et de Marie. Allumez-le dans les nôtres et qu’il les possède, qu’il les pénètre, qu’il les embrase, qu’il les consume ! Nous le désirons, nous vous le demandons. Que ce soit dans les ardeurs sacrées de cet amour et du vôtre que nous rendions le dernier soupir, et que les dernières paroles que prononceront nos lèvres expirantes, soient les saints, les doux, les aimables noms de Jésus, Marie, Joseph.
Ô bienheureux Joseph, Père nourricier de Jésus, digne époux de Marie, Reine des vierges, nous nous consacrons à votre culte et nous nous donnons tout à vous. Soyez notre Père, notre Protecteur et notre Guide dans les voies du salut ; soyez le Sauveur de notre patrie et le puissant Libérateur de l’Église. Obtenez-nous à tous une grande pureté de corps et d’âme et la grâce de faire à votre exemple toutes nos actions pour la plus grande gloire de Dieu, en union à votre cœur très-pur et aux Cœurs sacrés de Jésus et de Marie. Assistez-nous tous les jours et surtout à l’heure de notre mort. Ainsi-soit-il.
Ô bon saint Joseph, protégez-nous, protégez la sainte Église, protégez notre patrie et la famille de nos rois. Ainsi-soit-il. »
« Cette consécration, qui avait lieu le 19 mars 1871, a été renouvelée cette année pour la fête de saint Joseph en présence de Leurs Altesses Royales le comte et la comtesse de Chambord et de toute leur suite. La fête n’était pas d’obligation, mais elle fut célébrée avec la pompe des plus grandes solennités et cela sur l’ordre de l’auguste chef de la Maison de France, qui tenait à rendre à saint Joseph toute la gloire que mérite son puissant patronage. Tous les assistants furent édifiés de la piété des Princes qui s’unissaient avec une ferveur touchante aux sentiments exprimés par le ministre de Jésus-Christ, agenouillé devant le saint Tabernacle.
Nous l’avouons sans détour, cette consécration solennelle au glorieux Patriarche, proclamé solennellement par Pie IX, Patron de l’Église universelle, remplit notre cœur d’espérance. Nous voyons dans ces témoignages de la piété d’un Prince, sur la personne duquel reposent tant d’intérêts sacrés, un gage précieux de régénération et de triomphe pour notre chère France.
Que les nouveaux barbares mettent toute leur confiance dans leurs engins meurtriers, dans le nombre et la rapidité de leurs coursiers, hi in curribus et in equis, pour nous, éclairés des plus pures lumières de la foi, nous plaçons notre ferme espérance dans le nom du Seigneur : Nos autem in nomine Domini ».
L’abbé anonyme est très vraisemblablement M. l’abbé Amédée-Alexandre Curé (1838-1905), ordonné prêtre en 1861 au diocèse de Châlons, précepteur du duc de Parme puis aumônier de la famille royale en exil à Frohsdorf, membre du tiers-ordre dominicain à partir de 1878 et camérier d’honneur du pape (1887). Il succéda comme Grand-Aumônier de France au chanoine Stanislas-Barnabé Trébuquet (1796-1868), prêtre du diocèse de Beauvais, chanoine de Beauvais et de Paris, mort le 28 mars 1868, et dont il composa l’éloge funèbre.
En ce 150e anniversaire de la mort du chanoine Trébuquet, et 5e anniversaire de celui de l’abbé Chanut, présentons au Ciel nos prières pour nos Grands-Aumôniers de France qui portaient celles pour nos Princes, et unissons-nous toujours plus nombreux dans cette chaîne de prières pour la sanctification et restauration de Mgr le prince Louis de France, Chef de la Maison de Bourbon et aîné des Capétiens. Que le glorieux saint Joseph protège et accompagne toujours ce « Prince, sur la personne duquel reposent tant d’intérêts sacrés, un gage précieux de régénération et de triomphe pour notre chère France ».
« Ô bon saint Joseph, protégez-nous, protégez la sainte Église, protégez notre patrie et la famille de nos rois. Ainsi-soit-il ».
Abbé Louis de Saint-Taurin +