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La peine ne fait pas le mérite, par Paul-Raymond du Lac

Dans Le Bien commun : une joie commune, le Père Jean-Dominique Fabre, o. p., nous fait ce rappel essentiel :

« Le travail n’est pas jugé d’après sa difficulté, mais selon sa participation au bien commun de l’entreprise1. »

Une certaine faiblesse humaine, et peut-être aussi une certaine atmosphère capitaliste à tendance esclavagiste, veut nous faire croire que plus on travaille, plus on devrait gagner d’argent ; que plus on est disponible, plus on devrait être rétribué… Le slogan « Travailler plus pour gagner plus », comme disait un ancien président de la Ripoux-blique, marque bien cet esprit quantitatif et matérialiste, oublieux du bien commun.

Que dit la philosophie classique sur la question ?

« Dans l’ordre de l’action, « la fin est toujours supérieure à ce qui est pour la fin ; et une chose est d’autant meilleure qu’elle est ordonnée plus efficacement à la fin » (S.T, II-II, q.152, a.52) »

Que cela veut-il dire ? Plus et mieux on sert le bien commun, plus la rétribution sera grande, puisque l’action est meilleure. D’un point de vue quantitatif et économique, cela explique pourquoi un dirigeant et un chef gagnera bien plus que le manœuvre de base, et cela en travaillant peut-être moins d’un point de vue horaire…

Certains crieront à l’injustice ! Et pourtant, réfléchissons-y : quel est le rôle du chef ? Son travail est de prendre de bonnes décisions et d’assumer la responsabilité de ses décisions : le chef est ainsi constamment le « bouc-émissaire » en puissance de sa petite société et deviendra potentiellement la victime expiatoire de tous pour la survie de l’ensemble de la société — René Girard a abondamment analysé ce phénomène à travers son étude de la violence mimétique et du sacrifice ; les anthropologues et ethnologues aussi, avec ces phénomènes de rois sacrifiés dans un certain nombre de société primitives. Le roi est une victime : l’homme naturel l’a deviné par intuition. Il semblerait en effet qu’il existât, dès avant la Révélation, une mémoire anthropologique de l’annonce de la venue d’un Fils et Roi de l’univers, qui se sacrifierait pour le salut de son peuple aimé. Ainsi, Jésus est le Roi-Victime par excellence, qui donne Sa vie par amour. La Passion n’a pourtant pas duré longtemps, bien que le temps n’ait rien fait à l’intensité des souffrances, — ici fondées sur l’immensité de tous les péchés cumulés dans toute l’histoire du monde depuis Adam jusqu’à la fin des temps.

Revenons à nos moutons et appliquons : il ne peut prendre à un chef, pour prendre sa décision, qu’une fraction de seconde. De plus, un PDG par exemple, n’aura pas besoin de passer du temps à exécuter cette décision, puisque d’autres le feront. Un bon chef, évidemment, prendra du temps pour bien décider, examiner le problème avec prudence et prendre conseil si besoin, mais ce temps de discernement demande justement une tranquillité d’esprit, et une certaine lenteur de vie que les rythmes effrénés de notre temps rendent difficile, — et cela même pour une personne qui saurait en permanence se réfugier dans l’église intérieure de son cœur en présence de la Trinité… Pour cette raison, un grand chef, à l’image de nos anciens rois très-chrétiens, ne doit pas être toujours au front. Rappelons-nous cette parole du Fabuliste : « Rien ne sert de courir, il faut savoir partir à point ».

Il n’est donc pas injuste du tout que celui qui sert plus efficacement le bien commun profite de meilleures rétributions : cette rétribution peut être matérielle, ou non. Ainsi, le temps libre peut être aussi une forme de rémunération, sans pourtant que le poids des décisions et des responsabilités ne disparaissent jamais. Ce poids est en soi l’une des plus grandes charges que peut supporter l’homme, qu’un manœuvrier, qui ne fait qu’exécuter, ne connaîtra jamais.

Pourquoi les actions de direction politique, d’études et de vie religieuse sont plus nobles que les métiers chronophages et laborieux ? Cela vient tout simplement de ce qui précède, les œuvres nobles mobilisent les facultés les plus hautes de l’homme, c’est-à-dire la volonté et l’intelligence (qui ne prennent pas forcément de « temps ») : l’idée géniale vient ou ne vient pas, mais quand elle vient, elle peut venir brutalement. Après, il faut du temps pour la faire accoucher en amont — les bonnes idées demandent un travail sérieux et régulier pour émerger — et les exploiter en aval. Quand ces facultés hautes sont utilisées pour le bonheur de tous, — pour la politique —, elles deviennent encore plus nobles ! et quand, enfin, elles sont offertes à Dieu (études théologiques, vie religieuse, vocations…) —, alors elles atteignent le faîte de la noblesse, puisque leur objet est le plus noble de tous. La richesse vient donc, non pas du temps passé au labeur, mais de la réalité de la bonté de l’action et de la charité qui l’habite.

Il ne faut donc pas céder à la tentation d’être trop mécanique ou rituel, en privilégiant le confort ou la paresse que permettent certaines tâches inutiles, d’où l’utilité des retraites pour tout remettre à plat et faire un point : est-ce ce que je fais est vraiment utile, est-ce que c’est la volonté de Dieu ?

Travaillons donc avec efficacité, en n’oubliant pas que nous ne toucherons notre véritable salaire qu’au ciel !

« C’est la bénédiction du Seigneur qui procure la richesse, et la peine que l’on prend n’y ajoute rien. » (Pv. 10, 22)

La peine n’est pas obligatoire, ni automatique : si nous étions saints et vertueux au plus haut degré, les bénédictions du seigneur seraient sans nombre et la peine quasiment inexistante, mais ce n’est pas le cas, notre lot est donc fait de peine et de souffrance.

Pour conclure, il ne faut donc pas juger d’une action ou d’une richesse en fonction de la peine, du temps passé ou des efforts faits, mais bien objectivement sur l’objectif recherché. Il vaut mieux toujours, quand on peut, faire mieux en moins de temps et avec moins d’efforts… Cela est aussi vrai pour la vie spirituelle, comme pour la Restauration.

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


1 Père Jean-Dominique, Le Bien commun : une joie commune, Chiré, 2022, p. 146.

2 Ibid., p. 146.

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