[Entretien exclusif] L’hommage du Chef Josselin Marie à Louis XIV
En entrée, deux savoureux rappels : “En osant un raccourci, on pourrait rapprocher le renvoi du Bernin en Italie par le roi (1666) et la parution du Cuisinier françois (par François Pierre, dit La Varenne) en 1651” (1) et “Ordre fastueux, assurant quelques revenus aux membres, le Saint-Esprit fut copié dans toute l’Europe. C’est le premier ordre dont le ruban fut de couleur réglée dans les statuts et son bleu clair fut copié en Danemark, Russie, Suède, etc… L’excellence du “cordon bleu” fut une notion qui passa même en gastronomie!” (2).
Ensuite, vous goûterez les paroles exclusives du Chef Josselin Marie, depuis trois ans aux commandes du restaurant situé dans l’ancien hôtel du duc de Vendôme sis 1 place éponyme (3). Ce cordon bleu trentenaire, d’origine bretonne, a déjà posé sa mallette de couteaux sur les plans de travail du Westminster, du Ritz, du Laurent ou du Taillevent (surnom du maître de cuisine de Charles V et VI). Il seconda la crème parmi ses aînés, entre autres et dans le désordre : Bernard Loiseau, Alain Ducasse, Jacques Chibois. A la hauteur de ses ambitions, tout comme Louis XIV, il rendra dès la semaine prochaine hommage à ce roi qui ne fut pas étranger au rayonnement international et continu de la France en matière de gastronomie. Comme en tant d’autres. En septembre, l’Hôtel de Vendôme sera également au diapason du roi Soleil. Trois siècles plus tôt, l’Europe comprit instantanément de qui il était question quand elle entendit, dans sa langue, quatre mots… quatre syllabes : le Roi est mort.
Pour le dessert, inversion des rôles : votre commis a servi au Chef La Surprise du légitimiste ; il l’a heureusement trouvée à son goût, brute et de saison, comme sa matière première.
Vexilla Galliae : Pouvez-vous nous décrire le menu Esprit Versailles?
Josselin Marie : A l’époque de Louis XIV pouvaient être servis jusqu’à seize plats ; nous avons bien évidemment réduit ce nombre. Ce menu sera composé d’amuse-bouches suivis d’un pâté en croûte “comme au temps de Vatel” auquel succèdera un turbot aux petits pois car Louis XIV les appréciait énormément. Puis de la canette, une volaille rouge de la région du doubs. Ensuite, un pré-dessert autour du champagne et de la poire. Le dessert sera un mille-feuille, emblématique pâtisserie née sous Louis XIV et nous en avons profité pour la servir avec de la vanille de Bourbon!
V. G. : A quels livres de recettes avez-vous eu recours pour élaborer ce gastronomique hommage à Louis XIV?
J. M. : Beaucoup de livres m’ont inspiré. J’ai lu celui de La Varenne, d’Escoffier, le répertoire de Gringoire et Saulnier, et quelques autres… J’ai ensuite consulté de nombreux sites d’historiens sur l’internet. Et je me suis rendu compte que la cuisine a énormément évolué grâce à Louis XIV car il prenait beaucoup de plaisir à manger. Il a par conséquent donné les moyens à ses cuisiniers de faire progresser cet art. Il fut aussi l’un des premiers sinon le premier souverain à “communiquer” sur le bien manger. Avant lui, on servait beaucoup d’épices, des choses très fortes et seuls existaient des genres de mayonnaise… Les sauces, jus et autres fonds tels qu’on les connaît aujourd’hui viennent de l’impulsion que ce roi sut donner à la gastronomie française. Nous avons donc pris comme modèle les recettes élaborées sous son règne, mais en les actualisant. Par exemple en ce qui concerne le pâté en croute, il nous a fallu drastiquement le réduire en sel puisque lors des essais que nous avons faits en respectant les pesées de l’époque, il est apparu que c’était beaucoup trop salé, immangeable trois cents ans plus tard. Mais pour en revenir aux sources écrites, mes fournisseurs qui participent activement à ce projet m’ont éclairé sur des termes disparus dont j’ignorais le sens qui semblait pourtant primordial pour la bonne exécution de la recette… Qu’est-ce que “faire de la viande au pilon”? J’imaginais un pilon classiquement haché. Mais le pilon serait en fait un sérieux couteau destiné à hacher la viande de la sorte, m’a dit mon boucher. Mon mareyeur, lui, m’a expliqué qu’à l’époque qui correspond à laquelle nous rendons hommage, alors que la raie nourrissait ceux qui vivaient proches du lieu de pêche, le turbot mais aussi le bar, plus résistants aux transports, étaient envoyés à Versailles.
V. G. : Concevoir ce menu qui sera proposé par le 1 place Vendôme durant le mois de septembre vous a-t-il contraint à faire une entorse à votre règle qui consiste à n’utiliser que des produits de saison?
J. M. : Il est vrai que septembre correspond à la fin de saison pour les petits pois mais nous avons fait le pari, avec mon maraîcher, d’en replanter un rang qui sera spécialement cultivé pour ce menu. Nous dev(ri)ons le gagner!
V. G. : Les papilles gustatives contemporaines seront-elles dépaysées par les plats que vous proposerez dès la semaine prochaine?
J. M. : Pas nécessairement, puisque nous avons adapté des recettes qui n’auraient pas été supportables aujourd’hui sans quelques changements. Nous avons en quelque sorte réinterprété pour aujourd’hui des produits utilisés à l’époque. Par ailleurs, il n’est pas inintéressant de rappeler que nous avons maintenant le privilège de savourer ces plats chauds, mais il ne faut pas oublier que l’agencement de Versailles obligeait un cheminement via l’extérieur du château et qu’il était dès lors impossible que ceux-ci fussent servis autrement que froids, notamment en pleine hiver. Je me souviens avoir lu que par le vin rouge en telle saison était congelé dans le verre lorsque posé sur la table! Notre système de chaleur est mieux maîtrisé aujourd’hui qu’il y a quelques siècles, à l’évidence nous ferons mieux que Versailles!
V. G. : Le ministre des Affaires étrangères et du Développement international a (re)lancé la gastrono-diplomatie. Qu’en pensez-vous?
J. M. : Il est vrai que depuis l’arrivée de François Hollande, la gastronomie est utilisée comme véritable outil de diplomatie envers les autres puissances et je pense que c’est intelligent car elle est l’un des plus forts symboles de la France. Je n’établirai pas de parallèle entre François Hollande et Louis XIV mais il n’en demeure pas moins qu’il est utile et flatteur pour notre métier de poursuivre sa promotion au-delà de nos frontières.
V. G. : Le Chef que vous êtes a-t-il pensé à inviter celui de la Maison de Bourbon, autrement dit l’aîné des Capétiens, Louis de Bourbon, à découvrir votre menu que n’aurait certainement pas renié son illustre aïeul, Louis XIV?
J. M. : Non, mais je pense que c’est une excellent idée et je vais de ce pas soumettre et appuyer cette proposition à qui de droit!
Propos recueillis par Alphée Prisme
(1) Jean-Robert Pitte, Gastronomie française, Histoire et géographie d’une passion – Fayard, 1991.
http://www.fayard.fr/jean-robert-pitte
(2) Hervé Pinoteau, Etat de l’ordre du Saint-Esprit en 1830 et la survivance des ordres du roi – Nouvelles Editions Latines, 1983.
http://www.editions-nel.com/cc/etudes/EkFFpyZVZZYMoliyVE.shtml
(3) La place Vendôme fut à travers les âges place Louis Le Grand, des Conquêtes, Internationale, des Piques. La Justice habite au 13 (non, ce n’est pas le titre d’un mauvais polar).
– Crédit photo Julien de Vaibeau – portrait du Chef Josselin Marie.
– Toile : Petit déjeuner de Louis XIV avec Molière, Jean-Léon Gérôme, 1863.
Hôtel de Vendôme : www.hoteldevendome.com