ActualitésLittérature / Cinéma

[Cinéma] Nefarious (2023), par Antoine Michel

Ce film a été décrié par la critique hollywoodienne, et classé en catégorie « horreur » malgré l’absence de toute scène typique de l’horreur.

Et pour cause : produit par des protestants, ce film met en scène l’histoire d’un cas de possession diabolique en un certain sens atypique car peu spectaculaire. Les producteurs, des croyants, ont clairement une théologie solide sur le sujet, et de nombreuses vérités sur le combat eschatologique et l’œuvre du démon dans le monde sont énoncées.

Et pourtant, nous le disons net, nous ne conseillons pas ce film, qui aurait pu être excellent. Et si nous faisons aujourd’hui cette critique, c’est plutôt pour le décortiquer et donner des arguments pour décourager vos connaissances qui voudraient le voir, et/ou qui l’auraient vu.

Avant de rentrer dans les détails, faisons une courte incise sur la qualité cinématographique : il faut avouer que le pari du film est audacieux en 2023, sur la forme ; longs plans immobiles, le tout se passant à huis-clos, et le film n’étant qu’un très longue dialogue entre le détenu possédé et son psychiatre ; avec quelques autres personnages de la prison, secondaires. Sur le plan purement technique, ce choix est excellent et change de la mode « surexcitée » des films contemporains aux multiples plans, aux multiples effets, sans dialogues et sans jeu d’acteur.

Révélons aussi brièvement l’histoire, pour que nos lecteurs saisissent ensuite l’enjeu du film, d’un point de vue catholique.

La trame s’appuie sur un livre, dont il est question dans le film (« The Nefarious Plot »), censé avoir été écrit par un démon mais retravaillé par l’homme pour révéler son « complot ». Le film se passe sur une journée : celle où est prévue l’exécution d’un tueur en série. Dans la vraie vie, ce roman se présente justement comme un roman, écrit par un converti évangélique, dont le livre, à la protestante, veut porter le combat eschatologique dans le monde temporel. Ce point est important : malgré le réalisme, nous le verrons, le cas de possession dépeint par le film est problématique et ne fonctionne pas.

Intéressons-nous à l’histoire : nous sommes dans l’Oklahoma, et le gouverneur ne donne pas de sursis supplémentaire – on apprend au cours du film que le précédent psychiatre (qui se suicide dans la première scène du film) a dû conclure à la folie du détenu et retarder une exécution déjà prévue. La loi prévoit alors un examen psychiatrique indépendant pour exécuter la sentence de mort : dans le cas où la folie serait diagnostiquée, l’exécution serait repoussée.

Un jeune psychiatre brillant, athée et rationaliste, arrive à la prison, et le film va présenter la discussion entre lui et le détenu, qui affirme être un démon nommé Nefarious, possédant le détenu Edward, de façon quasi-continue. L’Edward en question ne peut quasiment jamais parler de son fait, et le psychiatre parle en continu avec le démon. Celui-ci prêche le vrai sur nombre de points du combat eschatologique, pour mettre son fiel, et pousser le psychiatre dans ses griffes : il veut d’une part l’exécution pour tirer son assujetti en enfer, et d’autre part faire du psychiatre son nouveau dévot, pour qu’il publie un livre, sorte d’évangile noir, dans l’idée du « singe de Dieu ». Et le démon dans son discours prouve sa réalité en énonçant des péchés graves commis par le psychiatre – une euthanasie, un avortement de son « amie » poussée par lui -, tout en énonçant le combat eschatologique contre le « charpentier ».

En fin de compte, le psychiatre est quasiment forcé de déclarer que le détenu est sain d’esprit, ce qui amène l’exécution, à laquelle il assiste. Il est dit que le psychiatre, pendant la journée, a ouvert la porte à la possession diabolique, et après l’exécution, le psychiatre, convaincu qu’il a envoyé à la mort un innocent victime du démon – on verra que cette question est clef -, se fait posséder, et fait une tentative de suicide avec un pistolet … mais il demande l’aide de Dieu et miraculeusement la tentative de suicide échoue. Puis les dernières scènes du film se passent un an après cette journée, lors d’un « show » télévisé – qui doit faire référence à celui de Steve Deace, l’auteur réel du livre – où l’athée rationaliste a publié le livre du démon, mais retravaillé pour révéler son méchant complot contre l’humanité, sans pourtant ne vouloir jamais publiquement avouer sa conversion – visiblement en cours. Et encore le film sous-entend-il que le démon Nefarious lui parle toujours, et le poursuit…

En pratique, un bon catholique qui visionne le film en sort avec un certain malaise.

Dans un certain sens, le film est séduisant : il parle de possession sans exagération et sans tomber dans le côté horreur. Les énoncés théologiques sont le plus souvent exacts – mais on verra que c’est justement le problème, ce n’est pas à 100 %! Et on y dénonce avortement, euthanasie, LGBT et tout ce que la modernité fait pour avilir l’homme. Le tout réalisé par des évangéliques conservateurs… Il y a même un prêtre catholique, au début, appelé par le psychiatre, qui vient – le psychiatre suit la procédure si l’on peut dire, et veut l’expertise du prêtre pour conclure ou non à la possession. Le possédé est terrifié à l’idée qu’un prêtre vienne – car il sait qu’il peut le chasser -, mais ce prêtre, moderniste, énonce qu’il ne croit pas au démon, ce qui le rassure. D’un côté, il y a peut-être un côté anticlérical protestant, d’un autre une description malheureusement exacte de la situation dégradée de la foi parmi les clercs, et sur ces sujets en particulier : une simple croix, un peu d’eau bénite aurait suffi pour en avoir le cœur net, et pour éviter à ce psychiatre tout cette manipulation psychologique.

Venons-en maintenant à la critique frontale du film : pourquoi n’est-il pas recommandable ?

Il a quatre défauts absolument rédhibitoires.

1.Il ne donne que la parole au démon, qui donc peut mentir, et nous n’avons jamais la position officielle de l’Église, ni le dogme sur le sujet. Cela porte à confusion, surtout pour le néophyte, qui pourrait croire que le démon parle vrai, alors que c’est le père du mensonge : il peut parler vrai mais toujours pour un mal, et la règle n°1, jamais énoncée dans le film, est de ne jamais discuter avec le démon, car on perd toujours. À la limite, on pourrait presque dire que le film pourrait faire naître une mauvaise curiosité sur le sujet, non canalisée par la référence catholique à de bons livres, ce qui pourrait entraîner certaines âmes sur des pentes glissantes.

On ne sait ainsi pas que le démon a perdu d’avance, et que tout ce qu’il fait est autorisé par Dieu. Que le combat eschatologique, pour réel qu’il soit, ne doit pas faire peur pour le chrétien, car le démon n’est qu’un chien attaché qui aboie fort : tant qu’on ne l’approche pas, il ne peut rien faire. Et le film semble oublier le fait que le combat eschatologique est d’abord contre le péché et notre faiblesse, et que seule la vie de la grâce peut nous aider à combattre.

2.Le film a quelque chose de désespérant. Il ne donne pas le dogme sur le sujet, et ainsi la voix de Jésus-Christ, mais il ne donne pas non plus les remèdes et les moyens de se sortir d’un cas de possession ou d’influences démoniaques que sont la conversion, le baptême, la vie sacramentelle, les sacramentaux, et le cas échéant le travail d’exorcistes. Tous ces moyens sont absents, et peuvent porter à croire qu’on ne peut pas vraiment se défendre, ou qu’au contraire on peut se défendre juste avec des moyens naturels et une forte volonté… ce qui est faux.

3. Le cas de possession est irréaliste. On n’a jamais vu, d’une part, une possession en continu d’un démon qui parle en écrasant complètement le sujet qui n’existe comme plus. Ce genre de cas peut exister théoriquement parlant, et on sait que certains saints, pour leur sanctification, en ont été victimes, mais même dans ces cas ce n’est pas permanent, et le bon Dieu n’autorise pas que le possédé commette d’actes peccamineux irrémédiables. Mais là est tout le sujet : le bon Dieu est toujours celui qui permet l’action du démon, et cela pour un plus grand bien ; on ne sait même pas si le détenu est baptisé ou non. Et l’on ne voit jamais quel bien cela apporte : le détenu va finalement visiblement en enfer, et la conversion du psychiatre est plus que bancale. De plus, on veut nous faire croire que le détenu ne serait pas responsable de ses meurtres, car à chaque fois il aurait été possédé à ces moments-là. Comme d’ailleurs la tentative de suicide du psychiatre à la fin. On sait bien que c’est théologiquement faux : à part l’exception aussi rare que théorique du saint qui, bien que ne consentant jamais, subit une possession vexatoire pour sa sanctification, jamais les cas de possession ne se font sans le consentement et la répétition des péchés volontaires de la victime. Pour en arriver à des degrés de possession tels que celui décrit dans le film – un contrôle total du corps par le démon – il serait nécessaire non seulement d’avoir ouvert les portes, mais de pratiquer des rites magiques pour se faire posséder, pour passer un contrat : en bref, le détenu est bien coupable de ses actes, et il méritait certainement la mort pour ces meurtres. Sauf que le film porte à croire que non, le pauvre possédé n’est pas responsable, qu’il est une victime non consentante, ce qui n’est pas vrai. Normalement, dans des temps très chrétiens, on aurait tout fait pour convaincre le détenu, ou le possédé, de se convertir, et une fois converti, que la possession soit sérieuse ou non, et mette ou non du temps à complètement s’effacer, il peut profiter de la vie sacramentelle et sauver son âme. Tout cela n’est pas dit dans le film, et il y a un côté protestant à vouloir faire porter le chapeau de tous nos maux aux démons, en floutant la responsabilité de l’homme là-dedans – c’est d’ailleurs la phrase biblique mystérieuse du démon juste avant l’exécution (il est d’ailleurs assez irréaliste que le démon cite la sainte Écriture, qu’il abhorre tant) : « tu as été pesé dans les balances et trouvé léger. », sous-entendant qu’il se prend pour Dieu, et qu’il va punir le psychiatre de ne pas se soumettre (car il vient de refuser de publier le livre).

4. Bizarrement, le film n’est pas assez effrayant. La discussion avec le démon, certes très tendue, ne présente pas les signes habituels de possession du grotesque, de l’exagération et du grandiloquent : ce démon se « tient bien ». Et cela est peu réaliste : il est connu que le démon, aveuglé par sa haine, et par la « jouissance » de pouvoir posséder quelqu’un et ainsi humilier la créature de Dieu, ne se retient jamais bien longtemps de faire des actions préternaturelles effrayantes, ou d’insulter, de devenir vulgaire, de vouloir forcer par la terreur. Tout cela est absent du film.

Un dernier point supplémentaire montrant que le film est vraiment problématique : le psychiatre, intelligent, continue de se faire sermonner, visiblement, par le démon dans sa vie courante. Il a été convaincu de la réalité du démon : on ne comprend pas comment il n’a pas pu, en un an, se renseigner et comprendre que la seule façon de se débarrasser de ces influences est d’aller voir un prêtre catholique… Sachant que dans le film, on reconnaît pourtant que la seule chose qui fasse peur au démon, c’est Jésus, et donc ses médiateurs les prêtres, qui ont pouvoir sur lui. Cette omission volontaire du film montre le caractère protestant et anticlérical du film – qui ne va pas jusqu’à mentir, mais qui omet le plus important.

En résumé, ce film qui se veut réaliste mais ne l’est en fait pas, est problématique d’un point de vue catholique : on ne donne pas les solutions (la grâce, les sacrements, etc.), ni le dogme catholique (la victoire eschatologique déjà obtenue), on édulcore la réalité de la possession diabolique en gommant les côtés trop préternaturels, tout en gommant la responsabilité humaine là-dedans (comme si l’homme était une victime du démon, alors qu’il est fautif), on fait oublier que tout se fait avec la permission de Dieu, on éveille une mauvaise curiosité sur le sujet, on insuffle un côté à la fois désespérant et trop volontariste, voulant faire croire que la volonté humaine va tout résoudre.

Bref, on ne sort pas élevé du film, ni plus converti. Et cela n’apporte pas grand-chose au schmilblick, car de toute façon c’est de la fiction… très réaliste, ce qui la rend plus dangereuse encore.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Antoine Michel

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.