Sermon sur l’orgueil de la vie
Saint Jean nous dit dans sa première lettre : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui. » (1Jn 2 ;15). Ce que Saint Jean appelle le monde en cette phrase, c’est l’ensemble des plaisirs sensibles, des richesses et des honneurs qu’on peut trouver dans la vie humaine sur terre. Selon Saint Jean, l’amour du monde se manifeste à travers le désir désordonné des plaisirs, appelé la concupiscence de la chair ; à travers le désir désordonné des richesses, appelé la concupiscence des yeux ; et à travers le désir désordonné de sa propre excellence et des honneurs, appelé l’orgueil de la vie. Il y a deux semaines, l’Église nous mettait en garde contre la concupiscence de la chair ; la semaine dernière contre la concupiscence des yeux ; aujourd’hui contre l’orgueil de la vie. Je vous parlerai donc de ce qu’est l’orgueil de la vie et les moyens de le réprimer.
L’excellence de l’homme se trouve dans son union à Dieu
Il est dit dans la Bible que Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance (Gen 1;26). Pourquoi cela ? Parce que Dieu a créé l’homme afin de lui faire partager sa Vie divine. Or la vie Divine en quoi consiste t-elle ? Elle consiste en l’interaction infiniment riche, infiniment intense, infiniment agréable et joyeuse d’amour d’amitié entre les Trois Personnes Divines, le Père, le Fils et le St Esprit. Cette vie d’amour d’amitié parfaite en Dieu, c’est ce qu’on appelle la Charité.
Dieu nous a créé pour que nous partagions cette amitié Divine. Dieu nous a donc créé à son image et ressemblance. Il nous a donné une intelligence pour que nous puissions Le connaître et une volonté pour que nous puissions L’aimer, c’est-à-dire Lui vouloir du bien. Nous voulons du bien à Dieu, quand nous choisissons de Lui obéir plutôt qu’à tout autre. C’est ainsi que Jésus a dit : «Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime » (Jn 14;21). Et afin que nous puissions choisir de Lui obéir plus qu’à tout autre, Dieu nous a donné la liberté. La liberté humaine n’est pas le droit de faire n’importe quoi car Dieu a créé toutes choses de façon ordonnée, selon des lois qu’Il ne nous permet pas de violer. Dieu nous a donné la liberté pour que nous puissions choisir de L’aimer.
En faisant le choix de nous soumettre à l’ordre établi par Dieu, loin d’être diminués dans notre dans notre dignité humaine ou d’être atrophiés dans notre personnalité, nous devenons de plus en plus humains, nous nous perfectionnons jusqu’à devenir parfaits. Pourquoi ? Parce que Dieu nous a créé pour ce but unique de participer à sa vie Divine, de telle sorte que nous ne pouvons trouver notre perfection, notre paix et notre bonheur loin de Dieu. Et parce que c’est Dieu seul qui nous donne d’utiliser au mieux toutes nos facultés, et ainsi nous permet d’épanouir parfaitement notre personnalité.
Ainsi, selon l’ordre établi par Dieu dans sa création, l’homme est orienté vers Dieu comme vers le centre de toute son existence, la cause de son excellence, de sa dignité, de son bonheur.
Ce qu’est « l’orgueil de la vie »
Cette orientation de l’homme vers Dieu a été viciée par le péché originel. En mangeant le fruit défendu, Adam et Eve ont choisi d’opposer leur volonté à la volonté de Dieu, ils ont choisi de s’aimer eux-mêmes plutôt que Dieu. En voulant devenir comme Dieu, ils ont voulu se faire eux-mêmes le centre de toutes choses. Une telle attitude a affecté tout le genre humain. La conséquence du péché originel est en tous les hommes un désir d’arriver à l’excellence non pas en faisant la volonté de Dieu mais en faisant leur propre volonté. Concrètement, depuis le péché originel, il y a en nous un désir désordonné de paraître supérieur aux autres ; une soif désordonnée de compliments, de louanges, d’honneurs et de gloire ; un désir désordonné d’autosuffisance, d’être indépendants de toute autorité, d’être sans Dieu ni maître. C’est ce désir désordonné d’excellence, de supériorité et d’indépendance, c’est ce que Saint Jean appelle « l’orgueil de la vie ».
Ainsi les gens qui aiment le monde essaient de nous faire croire que plus nous serons célèbres, plus nous serons heureux ; plus nous aurons de volonté de puissance pour dominer les autres et plus de fait nous les dominerons, plus nous serons heureux ; plus nous serons affranchis de toute autorité, plus nous ferons notre volonté propre, plus nous aurons la possibilité de faire faire tout ce qui nous passe par la tête, plus nous serons heureux. Ces gens disent au contraire qu’ils n’ont pas besoin de Dieu ; que croire en Dieu et pratiquer la religion, c’est pour les faibles et les bornés ; qu’on peut tout faire par la force de la volonté.
Tout cela est faux. L’orgueil de la vie ne donne qu’une illusion de bonheur car les honneurs humains sont très instables et éphémères. Par exemple, les mêmes personnes font un compliment un jour, et critiquent le lendemain ; les personnes les plus célèbres sont bien vite oubliées après leur mort. L’orgueil de la vie conduit à l’esclavage de l’opinion des autres, car pour obtenir les honneurs des hommes, on cherche à leur plaire.
Le fait d’être affranchi de toute autorité, de n’en faire qu’à sa tête, ne donne qu’une illusion de bonheur. En effet, notre bonheur parfait réside essentiellement dans la connaissance de la vérité entière et l’amour du bien parfait. Or il est évident que la vérité entière et le bien parfait ne sont pas en nous : nous sommes très limités dans nos capacités, nous ignorons beaucoup de choses, nous faisons des erreurs, nous commettons des injustices, etc. Comment donc pourrions atteindre à notre perfection et notre bonheur parfait par nous-mêmes ? C’est impossible. Ceux qui veulent être indépendants de Dieu tombent dans un terrible esclavage : celui de leurs passions désordonnées qu’ils ne peuvent contrôler et qu’ils doivent sans cesse satisfaire.
Répression de l’orgueil de la vie
Pour progresser dans l’amour de Dieu, il est donc nécessaire de réprimer ce désir désordonné d’excellence que Saint Jean appelle l’orgueil de la vie. Dans l’épître d’aujourd’hui, Saint Paul parle des deux enfants d’Abraham, le fils de l’esclave qui n’a pas la promesse du salut, et le fils de la femme libre qui a la promesse du salut. Nous sommes à la fois le fils de l’esclave et le fils de la promesse.
Nous sommes le fils de l’esclave en tant que nous sommes blessés par le péché originel. Nous sommes comme des esclaves sujets à l’oppression de la concupiscence de la chair, des yeux et à l’orgueil de la vie. Si nous suivons notre volonté propre et nos désirs désordonnés du plaisir et des richesses, nous n’aurons pas le bonheur du Ciel promis par Dieu.
Nous sommes le fils de la femme libre en tant que nous sommes libérés du péché, rendus capables de résister aux désirs désordonnés des concupiscences par le Christ. Si nous aimons le Christ de telle sorte à vouloir la même chose que Lui, nous obtiendrons le bonheur du Ciel promis par Dieu.
Saint Paul nous dit ensuite ce qu’il faut faire : « Chasse l’esclave et son fils : car le fils de l’esclave ne sera pas héritier avec la femme libre ». Ce qui veut dire qu’il nous faut réprimer notre volonté propre pour nous attacher fermement à la Volonté de Dieu si nous voulons le bonheur éternel.
Pendant le temps du Carême tout particulièrement, l’Église nous aide à réprimer l’orgueil de la vie. Contre l’orgueil de la vie qui nous pousse à l’indépendance envers Dieu, L’Église nous met de la cendre sur le front le Mercredi des Cendres en nous rappelant que nous ne sommes que de faibles créatures complètement dépendantes de Dieu notre Créateur, et qu’un jour nous allons mourir. Contre l’orgueil de la vie qui nous pousse à recherche la gloire humaine et les honneurs, l’Église nous rappelle tous les jours que nous sommes pécheurs. Contre l’orgueil de la vie qui nous pousse à chercher notre excellence par nos propres forces, l’Église nous fait faire appel à la Miséricorde Divine. Faire appel à la miséricorde Divine signifie reconnaître notre état de pécheurs, reconnaître que nous sommes incapables de nous en sortir seuls, proclamer que Dieu seul peut nous secourir et avoir la ferme confiance qu’Il le fera à cause de son infinie bonté. Enfin, contre l’orgueil de la vie qui nous pousse à faire toujours notre volonté propre, l’Église nous met devant les yeux la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est fait obéissant à la volonté de son Père jusqu’à la mort, et pas n’importe quelle mort, mais la terrible mort de la Croix.
C’est en faisant toutes ces choses que l’Église nous indique, non seulement pendant le Carême mais pendant toute l’année, que nous réprimons notre orgueil de la vie.
Conclusion
Chers Amis, pour conclure, réaffirmons simplement que c’est l’amour de Dieu seul qui nous mène à notre perfection humaine et à notre bonheur, et rien d’autre. Et donc, si nous voulons aller au Ciel pour rendre gloire à Dieu et jouir du bonheur parfait, il nous faut vouloir toujours et partout faire la volonté de Dieu. C’est cela aimer Dieu en vérité.
Que Notre-Dame si humble et si excellente nous conduise à un tel amour. Amen.
Un prêtre missionnaire
Illustration : Augustin Frison-Roche, Paysage intérieur, 2019 (détail).